L'Hospitalité des Frères de St. Jean de Dieu vers l'année 2000

Document de Frère Pierluigi Marchesi

Chers frères,

Chers frères,

Avec ce document intitulé « L’hospitalité des frères de saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000 », j’ai l’intention de poursuivre le cheminement commencé précédemment avec les réflexions sur « les bases du Renouveau » et « L’humanisation ».

 

 

 

Renouveau, source de consolation

 

 

1. La première réflexion jaillissait d’un profond et urgent besoin de conversion intérieure que nous éprouvions tous, pour maintenir notre vie spirituelle dans sa ligne prophétique.

Ce document exprimait clairement la finalité d’un renouveau pour ne pas perdre contact avec Dieu, l’Eglise et saint Jean de Dieu. De cette manière, notre renouveau est devenu quelque chose de tangible, source d’une authentique consolation.

 

2. Dans le deuxième document, je me suis efforcé, avec l’aide précieuse de mon Conseil, d’attirer l’attention sur de tout l’Ordre et de ses collaborateurs laïcs sur le but ultime de notre action : le rapport humain et humanisant ave le malade ; rapport basé sur la conscience que le témoignage de notre charisme ne peut se faire si nous perdons de vue la figure centrale de notre agir quotidien, c’est à dire le nécessiteux, l’homme qui souffre, le pauvre : notre manière « d’être » et « d’agir » envers lui, nos rapports professionnels, constituent à la fois un témoignage de l’amour miséricordieux, une réédition vivante de l’amour du Christ à notre époque et de sa prédilection pour les plus nécessiteux.

 

3. Le document actuel, qui s’inspire des ferments de vie exprimés dans les différents provinces de l’Ordre, se situe idéalement à mi-chemin entre les deux textes précédents, car il s’efforce de combler l’écart existant entre notre dimension intérieure de personnes et de religieux, et l’attitude humanitaire que le malade attend de nous aujourd’hui, avec une insistance toujours plus grande.   

 

 

Travailler à notre avenir, non par peur, mais par amour  

 

4. Ces pages sont écrites, les yeux fixés sur l’an 2000, avec ce sens de l’avenir que nous devons alimenter pour offrir aux nécessiteux d’aujourd’hui et de demain l’essence de notre charisme spécifique : l’hospitalité. Il s’agit dès lors de renforcer notre identité d’homme, de religieux, de soignants non seulement pour maintenir notre Institution en vie, mais surtout pour le projeter vers l’avenir, afin de répondre de façon adéquate aux exigences de la société dans laquelle nous sommes et serons appelés à travailler pour le bien suprême de la personne

-         ce qu’on mentionne d’ailleurs toujours moins

 -  en observant des principes de respect, d’attention, de prévenance et de réconfort. En outre, ces pages contiennent plusieurs provocations, afin qu’avec l’aide des nouvelles Constitutions, chacun de nous se sente poussé à assumer courageusement des fonctions et des tâches plus conformes à notre caractéristique particulière de religieux « hospitaliers ».

 

5. En poursuivant ce dialogue avec mes confrères, je ne prétends pas définir ces fonctions, mais je désire stimuler de façon radicale, là où cela s’avère nécessaire, l’analyse critique de nos comportements de notre insertion professionnelle, de nos rapports avec la communauté à laquelle l’obéissance nous a destinés, de nos rapports avec les autres communautés de la province et ceux avec le Gouvernement Central de l’Ordre ; sans oublier, bien sûr, les rapports avec les collaborateurs laïcs et les réalités complexes dans lesquelles nous sommes plongés. Tout cela avec la confiance et la créativité qui sont inspirées par l’amour du prochain et non par la peur de l’avenir.

 

Je me suis efforcé de dialoguer avec vous, dans un climat de confiance réciproque, pour que nous puissions comparer nos opinions. C’est dans un tek esprit que j’aimerais que nous nous préparions à entreprendre sincèrement et avec joie cette recherche, inépuisable pour nous, sur la meilleure manière d’être et d’agir ; recherche qui n’est pas une fin en soi, mais qui tient à valoriser au maximum ce vœu d’hospitalité. Ceci nous oblige à réfléchir, expérimenter et communiquer entre nous tout ce qui nous est utile pour le vivre de la manière la plus complète.

 

Etre malade de la maladie de l’homme notre frère

 

7. La question de fond est la suivante : Comment le frère de saint Jean de Dieu peut-il se préparer, pour cette mission mystérieuse et historique qui est la sienne, d’accueillir l’homme de cette société, surtout les nécessiteux, en l’an 2000 ?

Nous faisons appel ici à nos « ressources » intérieures, nos Constitutions, nos habitudes professionnelles et religieuses et à notre fantaisie pour inventer, en puisant dans le trésor de nos traditions, les solutions adaptées aux temps, pour redécouvrir ces tâches de « service » -  non de pouvoir, de prestige ni de pur et simple épanouissement personnel – qui seules nous autorisent à nous appeler Frères de Saint Jean de Dieu, autrement dit, des frères qui se soucient de faire du bien au prochain.

 

8. Le succès de cette recherche dépend de nous, de l’application que nous mettrons à regarder en avant, sans nier le présent ni le passé, en acceptant la tâche difficile mais exaltante de nous interroger de façon honnête et directe sur ce que nous faisons et devrions faire pour être cohérents avec notre identité d’homme et  religieux.

 

Je suis profondément convaincu que pour atteindre notre but spécifique, qui est de témoigner l’amour miséricordieux, il faut accepter une série d’engagement souvent difficiles et pénibles, mais qui montre l’ampleur de l’espace qui s’ouvre aux Frères de Saint Jean de Dieu dans notre monde contemporain, sur tout ce monde industrialisé et sous l’emprise de la technologie. Un champ immense – à l’inverse de ce que pensent certains – qui parfois même nous épouvante, mais nous fait toucher du doigt l’actualité, l’urgence même de notre charisme et de notre Institut.

 

9. Chers frères, votre Général perçoit parfois les inconnus du présent : non parce qu’il y a peu à faire, mais parce que nous ne sommes pas toujours bien préparés pour donner les réponses que l’Eglise attend de nous. Je suis préoccupé de notre immobilisme, de notre repliement vers des positions de facilité, de sécurité ou de résignation mal comprise. Et pourtant, nous savons que le message de l’Evangile conserve de façon intacte sa force d’éveil, sa capacité d’enflammer les âmes religieuses. Jamais auparavant comme aujourd’hui, l’homme ne nous à interpellés en nous demandant de nous occuper de sa personne, d’être à ses côtés pour lui témoigner quelque chose qui est typique de notre être religieux, c’est à dire, la capacité de « tomber malade de sa maladie », de nous identifier non seulement avec ses besoins, mais surtout avec ses motivations existentielles, son désir inextinguible de bonheur, et donc de Dieu. C’est cela que nous devons savoir donner aux malades, en plus de l’abri d’un hôpital et des soins professionnels qui doivent respecter toujours sa dignité : si nous ne le servons pas ainsi, nous le décevrons définitivement et irrémédiablement.

 

 

Nos rôles, nos tâches, notre amour passionné pour l’homme, nos tentations

 

 

10. Dans la tentative de mettre en lumière les rôles et les tâches nécessaires pour vivre notre hospitalité dan un proche avenir, nous pouvons relever deux tentations qui se répètent. La première est de se trouver une place, une niche, où exercer un métier ou une profession, peut être même en compétition avec des confrères ou, surtout, avec des laïcs. La deuxième, plus sournoise et mauvaise, nous pousse à déléguer à la grande armée de nos précieux collaborateurs laïcs les devoirs d’assister le malade, et donc à prendre nos distances par rapport aux malheurs de notre assisté. Cette tentations est plus forte là où le progrès des sciences et des techniques a atteint un niveau élevé, ou là où, pour des raisons de bon fonctionnement du système complexe de nos œuvres, il est indispensable de déléguer devient synonyme d’abandon des structures, et, ce qui est pire encore, d’abandon du malade, nous devrions alors revoir avec beaucoup de clarté nos modèles de comportement pour empêcher que les changements technologiques et d’organisation se transforment pour le malade en un piège où dominent l’anonymat et l’efficacité pure et simple, le condamnant ainsi à l’isolement et à l’abandon dans un cadre rationnel, oui, mais privé de chaleur humaine.

 

11. Ce n’est certes pas cela que nous nous proposons de vivre le jour de notre profession solennelle, quand nous prononçons le vœu d’hospitalité. A l’époque, on ne nous a offert aucune garantie de sécurité d’emploi, ou de contrôle à distance du malade et de nos collaborateurs. Nous avons promis fidélité à notre charisme qui nous oblige à changer les gestes, les rôles, les comportements, les structures, mais non pas à renoncer à l’amour envers nos assistés, la famille du malade, et nos collaborateurs ; cela nous oblige aussi à nous intéresser aux initiatives culturelles, formatives, religieuses et sociales qui favorisent notre croissance personnelle, religieuse et professionnelle, ainsi que celle de nos collaborateurs et du monde de la santé.

 

Le père Général, je le répète, n’a pas de recette toute faite pour définir les rôles actuels et futurs, car il est impossible de les préciser sans un examen attentif de notre agir, à la lumière de la finalité ultime de notre charisme hospitalier. Mais nous tous, nous devons prendre le temps nécessaire pour vérifier avec sérieux nos comportements actuels.

 

12. J’ai parlé de deux tentations principales, mais il y en a d’autres. Par exemple celle de garder, ou désirer garder des postes pour lesquels nous ne sommes pas compétents ; ou celle d’orienter nos hôpitaux vers un haut niveau d’organisation et de technologie en ayant pas toujours clairement présent à l’esprit notre but spécifique. Les gens nous regardent de près, ils nous scrutent et veulent comprendre pourquoi nos sommes devenus des religieux. Nous ne parvenons pas toujours à leur donner une réponse convaincante. Parfois nous ne sommes exemplaires parce que nous ne remplissons pas bien nos tâches ; nous nous limitons à faire ce qui nous plaît, nous bloquons les possibilités de croissance de nos collaborateurs, ou bien nous restons à l’écart du malade, nous nous enfermons dans des rôles rigides et répétitifs, nous cherchons « au dehors » les espaces que nous devrions trouver « à l’intérieur », ou nous évitons le travail de recherche difficile, mais nécessaire, propre à préciser les fonctions les plus utiles au malade. Nous sommes souvent plus enclins à capter le mal du monde ( parfois, nous le trouvons même dans le progrès, dans des choses qui, en soi, sont bonnes ou neutres ) qu’à l’individualiser en nous, non dans le but de nous déprimer ou de nous culpabiliser mais pour secouer notre torpeur et pour sortir d’habitudes nocives.

 

13. Personne ne naît en état de sainteté. Le chemin vers la perfection spirituelle est exaltant, mais long, fatigant, parsemé d’embûches qui touchent notre épanouissement humain, professionnel et religieux. Il nous faut corriger notre trajectoire et reconnaître nos erreurs, comme des hommes forts, courageux, authentiquement ouverts au mystère. Cette attitude d’autocritique saine nous pousse, d’une part, à demander de l’aide à Dieu et à tous les hommes qui nous sont proches pour rééquilibrer nos rapports avec le monde que nous voulons et devons servir et pour croître dans notre véritable identité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


LES MUTATIONS DU MONDE

ET NOTRE AVEUGLEMENT

 

 

 

Un paradoxe : ne rien faire

 

 

14. Je cite un livre bien connu du père Bartolomeo Sorge, L’avenir de la vie religieuse.

 

« La crise actuelle de la vie religieuse – comme d’ailleurs celle, plus générale, que l’Eglise traverse – ne surgit pas de l’intérieur, comme c’était le cas dans le passé, mais provient de l’extérieur, du passage de culture et de civilisation que le monde est en train de vivre…

 

la crise est arrivée à l’improviste, due à une rapide transformation sociale et culturelle… La nôtre n’est donc pas une crise de maladie mais de développement et de croissance… Au cours de ces dernières années, une civilisation et un certain type d’idéologie ont pris fin. Les rapports d’autorité ont complètement changé. Les rôles et les structures, consolidés au cours de décennies, se sont transformés, de même que les manières de communiquer et d’exercer le pouvoir. L’homme lui-même a une attitude différente face au monde, à l’histoire, à ses semblables, à l’organisation du savoir, à la vie elle-même. Nous avons été bouleversés par ces mutations ; le monde devient de plus en plus petit, plus dynamique, plus socialisé »

 

Le diagnostic est fidèle, et nous nous trouvons souvent contraints à prendre des décisions dans un climat de déception parce que nous ne somme pas parvenus à relier l’ancien avec le neuf, avec les besoins qui émergent, avec la soif de liberté, de connaissance et de solidarité de nombreuses couches de notre population.

 

15. Le monde contemporain n’es ni meilleur ni pire que celui d’hier : il est tout simplement changé, même bouleversé. Si nous désirons le servir, c’est ce monde-là que nous devons assumer et connaître. Au fond, la crise est salutaire car elle nous permet de sauver ce qui en vaut la peine et de jeter ce qui doit l’être. Mais il est d’autant plus difficile d’abandonner d’anciens rôles que ceux-ci se sont ancrés dans notre être, en appauvrissant notre personnalité et notre dimension de religieux, c’est à dire les deux piliers de notre agir.

 

16. Jeter ce qui est vieux ne signifie pas courir après la mode du moment. Il faut faire preuve de discernement et d’équilibre car il se peut que se déclenche une situation d’incertitude : on se demande en effet, si, tous, nous devons partir en mission, nous lancer dans des initiatives qui frappent l’opinion publique, ou devenir tous des animateurs, même sans savoir de quoi ou de qui, ni comment ou pourquoi. Très souvent, nous ne trouvons pas de réponde à nos questions. La première chose à faire, quand nous nous trouvons dans cette situation de désarroi ou, pire encore, d’apathie ou de résignation, est de « renoncer à faire », même si cela semble paradoxal. Je m’explique : avant d’agir et d’assumer de nouveaux rôles nous devons nous arrêter pour réfléchir longuement sur nos craintes, nos désirs, nos possibilités, les raisons pour lesquelles nous sommes devenus des religieux, les enseignements de notre fondateur et de l’Eglise, les expériences des croyants laïcs. S’arrêter pour intérioriser, pour « rentrer en nous mêmes » selon le conseil de saint Augustin.

 

 

Abattre les clochers

Ou en comprendre mieux

Le sens ?

 

17. Le document sur « l’humanisation » encourageait à retrouver le sens d’un rapport « personnalisé » avec l’assisté dans un contexte social profondément changé.

 

L’histoire de notre Ordre s’identifie avec l’image de saint Jean de Dieu et de ses fidèles qui portent sur leurs épaules le malade, le délaissé et le nécessiteux. Pendant des siècles, nos prédécesseurs ont assisté en personne ceux qui souffraient. Il n’existait à l’époque aucune autre structure de secours : l’hôpital religieux était une « sécurité » car on y recevait un toit, la nourriture, les soins et l’assistance. Aujourd’hui, nous nous trouvons devant une situation profondément changée, qui se caractérise – comme je l’avait mentionné plus tôt – par l’affaiblissement du rapport direct et exclusif avec le malade. Si nous pensons à un de nos hôpitaux, il y a quarante ans, on se souvient tout de suite des malades ( nombreux et reconnaissants ), presque craintifs pour demander notre intervention ; des communautés de religieux dont le nombre est aujourd’hui impensable et dont les membres s’occupaient des tâches les plus variées : pharmacie, cuisine, infirmerie, jardinage.

 

Nos œuvres ressemblaient aux villages du passé, autosuffisantes, grâce à une bonne distribution des rôles. Les médecins étaient rares mais les gens avaient confiance en nous : des salles entières étaient gérées par nous, ou par des religieuses. Le monde de l’hôpital, reconnaissons-le, étaient dans nos mains. Le personnel externe avait son propre rôle, oui, mais subalterne et il n’interférait pas dans notre activité. Le monde de la souffrance et de la misère était presque complètement détaché de la communauté civile. C’est dans ce monde que beaucoup d’entre nous se sont formés dans leurs jeunesse, en travaillant durement, avec des moyens souvent précaires, mais avec la grande satisfaction de toucher, sentir chaque jour le malade dont aucune barrière ne les séparait.

 

18. C’était pareil pour d’autres catégories professionnelles. Pensons au médecin de cette époque. C’était un professionnel prestigieux, pourvu d’un ascendant sur les familles impensable à l’heure actuelle. Et il existe de nos jours une nostalgie pour ce type de médecin qui exerçait son rôle sans intermédiaire, avec l’aide éventuelle d’un spécialiste. Les joies et les souffrances de la famille assistée devenaient les siennes ; il existait un climat de profonde confiance et de communication réciproque.

 

Un autre cas est celui du curé, dont l’autorité était indiscutée : il détenait le savoir religieux et souvent le niveau de culture le plus élevé ; il n’était pour ainsi dire jamais mis en question dans son apostolat. Le clocher de l’église appelait les fidèles aux offices, rythmait les joies et les peines du village… fonctionnait comme paratonnerre et observatoire et constituait, de toute façon, un point de référence sûr.

 

19. Aujourd’hui, les temps ont changé. Devons-nous alors abattre les clochers parce que les gens ont une montre au poignet ? Ou bien faut-il jeter les montres-bracelets pour permettre au clocher de remplir ses anciennes fonctions ?

 

ce n’est pas là la question que nous devons nous poser. Interrogeons-nous plutôt sur le rôle authentique du clocher, celui pour lequel l’homme croyant l’a construit à côté de l’église : se faire voir de loin, plus que se faire entendre. Le clocher exprime le désir de l’homme d’unir la terre au ciel, l’homme à Dieu, la nature au créateur. C’est pour l’homme le rappel le plus original à ses origines, à son destin, à Celui qui est au ciel. Même si le clocher n’est plus l’édifice le plus haut de nos jours, car dépassé par d’orgueilleux gratte-ciel, il reste et demeurera toujours le symbole d’une annonce, d’une présence qui renvoie à la « Présence ».

 

 

Rester à l’écoute de l’homme

 

20.           Pour en revenir à nous, chers frères, il nous faut constater que nous avons suivi un destin parallèle à celui du médecin, du prêtre et du clocher en perdant de nombreux rôles qui, il y a quelques années, nous semblaient indispensables, mais cela ne signifie pas que nous devions disparaître. Nous pouvons, nous devons même vivre et témoigner notre charisme, mais de façon autre que dans le passé. Le médecin, le prête, le clocher ont encore beaucoup à dire et à faire, à condition d’exprimer quelque chose de permanent et de fondamental pour l’humanité, c’est à dire la valeur du caractère sacré de l’homme. Jean Paul II a dit : « C’est la disponibilité à servir l’homme qui nous ouvre à Dieu et aux hommes, qui nous oriente vers le Créateur et vers les créatures. C’est exactement cela que le Concile nous enseigne, dans l’esprit de l’Evangile et dans la dimension des temps actuels » ( 21 octobre 1985 ).

 

 

21.  Actuellement, et encore plus dans l’avenir, nos rôles seront soumis à des vérifications et à des changements même radicaux, mais l’essence du charisme demeurera inchangée. Notre devoir le plus authentique et gratifiant est celui d’être proches du malade et de l’assistance avec une attention intense et directe. Il faut encore garantir cela au malade dans l’esprit de notre fondateur. Mais cette assistance, que nous appelons intégrée, ne peut plus être assurée par des personnes individuellement, en ayant recours à différentes professions. Le concept même d’assistance intégrale et intégrée rappelle une pluralité de fonctions , car, au cours des siècles, on est passé des besoins plus élémentaires de l’homme aux besoins plus riches et articulés, qui exigent une multitude de réponses et requièrent de nombreux professionnels de tous genres. Il en résulte que nous n’avons plus l’exclusivité du malade ni le droit de lui imposer, du dehors, notre conception religieuse de la vie.

 

En outre, le malade dispose de nos jours d’une grande gamme de réponses thérapeutiques et d’assistance qui étaient impensables il y a quelques décennies à peine. Chez certains Frères de saint Jean de Dieu, ce progrès a provoqué des frustrations , et même la sensation de se sentir inutiles. Il est triste de remarquer que certains d’entre nous ne trouvent plus intéressant de travailler avec l’homme d’aujourd’hui, comme si cet homme était moins angoissé, moins seul, moins nécessiteux, et moins digne de notre dévouement que celui d’hier. Au contraire ! J’en arrive à dire que même si le Frère de saint Jean de Dieu devait abdiquer tous ses devoirs professionnels, il remplirait quand même par sa présence, sa bonté, sa joie et par son style de vie, sa mission de témoigner le caractère sacré de l’homme et l’amour de Dieu pour l’homme, selon son charisme spécifique, et dans les formes adaptées aux temps.

 

22. Récemment, Jean Paul II a dit : « Saint Thomas affirme nettement, dans son commentaire sur le traité aristotélicien sur l’âme, que l’homme est une totalité d’être ( De Anima, III, leç.13 ) et renferme en soi une profondeur infinie de l’être, image de l’Infini par essence même qu’est Dieu. J’aimerais imprimer profondément cette grandiose conception de l’homme dans l’âme et le cœur de tous. C’est en pensant à cela que, dès le premier jour de mon ministère pontifical, je me suis exclamé : « Avec quelle vénération ne devons-nous pas prononcer ce mot : homme ! » Et notre temps n’est-il pas celui de l’attention, de l’écoute, du respect, de la promotion de la liberté des hommes, de leur identité, de leur motivation ?

 

23. Etre proche du malade aujourd’hui requiert des comportements techniques, moraux, humains, sociaux, religieux que personne d’entre nous ne peut accomplir seul. Cela comporte une croissance, je voudrais dire une dilatation de notre manière de vivre, d’agir, de servir le monde. C’est l’homme qui s’adresse à nous pour demander quelque chose de plus, ce quelque chose qui a modifié totalement non seulement nos hôpitaux, mais également la quantité et la qualité de nos collaborateurs laïcs. Ce même homme nous oblige à déléguer des tâches, à travailler en groupe, à étudier, à approfondir, à sortir de la routine, de nos schèmes mentaux. Il ne nous demande pas d’être de meilleurs infirmiers, ni de meilleurs administrateurs, mais d’être attentifs, totalement disponibles pour « accueillir » son humanité tout entière, sa personne dans sa globalité ; à comprendre et satisfaire sa soif d’attentions, parce que jamais comme aujourd’hui, l’homme, sincères et désintéressés.

 

 

Transmettre le goût

Du caractère sacré de l’homme

 

24.           Mes chers frères, quand j’entend certains d’entre nous se plaindre d’avoir perdu ce contact direct et exclusif avec le malade, je me demande ce que penserait notre fondateur en voyant notre malade suivi par plusieurs personnes, disposant de médicaments et de locaux confortables, de structures accueillantes… Il serait certainement satisfait, car lui-même cherchait déjà cela il y a plusieurs siècles, quand il frappait à la porte des riches et des puissants pour obtenir l’aide nécessaire qu’il distribuait aux malades d’alors, qui avaient besoin de tout et manquaient de tant de choses. Jean de Dieu nous encouragerait éventuellement à identifier les malheureux d’aujourd’hui dans les handicapés, le personnes âgées, les drogués et les pauvres. Peut être qu’il nous reprocherait, à nous et à nos collaborateurs, non pas d’être moins proches du malade, mais de ne pas accompagner cette « proximité technique » d’une proximité humaine.

 

Saint Jean de Dieu nous a laissé en héritage son amour passionné pour le nécessiteux, qui s’exprime non seulement en restant proche de lui physiquement mais en inspirant, soutenant, éclairant tous ceux ( collaborateurs laïcs, parents, etc.) qui travaillent autour de lui, pour qu’à leur tour ils puissent témoigner, avec l’intelligence du cœur plus que de l’esprit, l’espérance, la confiance, l’amour envers le prochain.

 

 

25.  l’hospitalité dans l’avenir pourra encore beaucoup évoluer dans ses formes extérieures, mais notre capacité de témoigner le message évangélique de l’amour, défini nouveau par Notre-Seigneur Jésus ( Cf. Jn 13, 34 ), devra toujours être présente. Sa première nouveauté est l’union entre les deux commandements. « La charité plonge ses racines dan un dévouement sans réserves à Dieu : toute la personne avec ses dons, ses projets, ses capacités d’action doit se fier à la volonté de Dieu, au projet d’amour que Dieu a pour les hommes. La manifestation visible et dynamique de cette confiance est le dévouement envers tout homme, considéré comme un frère, son prochain, un autre soi-même » ( Card. Martini, archevêque de Milan ). On ne peut pas séparer ni diminuer les différents aspects de cet acte unitaire qu’est la charité. Si nous devions privilégier l’une ou l’autre de nos perspectives limitées, nous perdrions de vue les horizons immenses découverts par le regard de Jésus.

 

26.            La deuxième nouveauté de ce message est la conception surprenante et révolutionnaire du prochain ( cf. Lc 10, 29-37 ). Pour Jésus Christ, le prochain n’est pas celui avec lequel j’ai des liens de sang, ou une affinité psychologique, ou des besoins que je puis satisfaire. Nous devons nous-mêmes « le prochain » au moment où devant un homme, même malade ou le nécessiteux que nous ne connaissons pas, nous décidons de faire la démarche qui nous rapproche de Lui.

 

Par conséquent tout consiste à « devenir prochain », comme l’affirme le cardinal Martini dan sa belle lettre pastorale ( 1985-1986 ). Notre Richard Pampuri n’est pas réputé parce qu’il arrachait des dents au lieu de soigner les handicapés, mais parce que, tout en remplissant des tâches simples et humbles, sa personne répandait un parfum de Dieu. Parfum qu’il avait su alimenter en lui par l’étude, la prière, la capacité d’écouter l’homme de son temps, là où il vivait, sans jamais oublier d’être avant tout un témoin, un porteur de lumière, en plus d’être un soignant, un technicien.

 

27.  Mes chers frères, apprenons une leçon importante de Pampuri, à savoir que notre premier rôle et le plus authentique est de veiller à notre satisfaction personnelle, indépendamment du fait d’exercer l’une ou l’autre profession. Le rôle professionnel, s’il y en a un, nous permettra de vivre en plénitude j’humanité de notre personne. Si nous alimentons en nous, pour le bien de nos malades, par un patient et long travail d’élaboration intérieure, cette dimension du divin, et si nous la répandons autour de nous en contagionnant nos collaborateurs, les familles des malades et tous ceux qui vivent autour de nos œuvres, alors nous aurons réalisé la tâche qui est la nôtre, celle d’être non seulement des techniciens mais surtout des témoins et des guides moraux.

 

 

 

S’OUVRIR A L’ESPRIT SAINT

 

 

28.   « Notre ouverture à l’Esprit Saint, aux signes des temps et aux nécessités des hommes nous indiquera comment nous devons incarner le charisme de façon créative, à tout moment et en toute situation ».

 

cette citation des nouvelles Constitutions ( n° 6 ) nous aide non seulement à comprendre comment choisir nos rôles mais également à en déterminer les conséquences « pratiques » pour demeurer ouverts au temps présent et à l’homme.

 

 

S’ouvrir

A l’énergie de l’Esprit

 

 

29.           Pendant une méditation, j’ai  été frappé par la pensé d’un psychanalyste qui remarquait : « En lisant la Bible, j’ai toujours été touché par la figure du Saint Esprit ». cet élan, cette force vitale si nous voulons la définir ainsi, est la vie transmise aux hommes par la Vie elle-même. Avant de la recevoir, les disciples ont dû parcourir de nombreuses étapes : une longue dépendance du Maître, accompagnée de tout l’éventail des sentiments  humains : administration, rancœur, jalousie etc ; la chute des illusions narcissiques, avec la perte de la sécurité du pouvoir ; la séparation finale, vécue dans ses aspects douloureux ( la mort du Christ ) et ses aspects exaltants ( la résurrection et l’ascension ).

 

Ce n’est qu’à la fin d’un tel parcours – et je tiens à le souligner – que l’homme prend possession de soi-même, devient vraiment une personne et reconnaît la divinité « à l’intérieur » de soi, en développant sans crainte tous des talents ; « Ils furent tous remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues, comme l’Esprit les faisait s’exprimer ». ( Ac 2,4 ).

 

30.  Si nous passons de cette intéressante approche psychologique à l’approche biblique et théologique, la méditation sur l’Esprit s’enrichit incroyablement. Je suis heureux de citer à ce propos un texte du théologien Y.M.J. Congar qui, à la fin de sa vie, semble nous laisser en héritage la contemplation de l’Esprit.

 

« Aujourd’hui, les témoignages des Pères, des théologiens, des mystiques du Concile Vatican II qui reconnaissent la présence active l’Esprit dans le monde et dans les recherches qui le tourmentent, sont nombreux. Ce qui ne signifie pas que tout, dans cette histoire, provient du Saint Esprit. Le mal y taille sa part. L’homme reste « incurvatus in se », sans cesse tenté de se replier sur soi, de se chercher et devenir autosuffisant dans l’oubli et le mépris de Dieu. Le Saint Esprit, avocat de Jésus et des disciples, est également celui qui « convainc le monde de péché » ( Jn 16, 9 ) et qui anime notre lutte contre la ²chair ».

 

31.   L’action de l’Esprit dans l’histoire de notre monde vise à constituer les fils de Dieu en un corps et un temple d’adoration en ²esprit  et vérité », qui ne peut pas être seulement le corps du Christ ( cf. Jn 2, 21 ).

 

Les hommes, comme les Juifs et Salomon et comme les bâtisseurs de cathédrales, ont voulu exprimer symboliquement tout le cosmos matériel et humain dans leur temples. Le corps de la communion avec le Christ a certainement une forme visible et désignative, l’Eglise ; mais comme le dit Paul Evdokimov, si l’on peut définir où elle n’est pas. Les limites et les modes d’action de l’Esprit dans le monde nous échappent.

 

32.           En s’efforçant de préciser les raisons pour lesquelles l’Eglise s’engage dans l’activité missionnaire, le décret conciliaire « Ad Gentes » affirme que « finalement le dessein du Créateur se réalise en ayant crée l’homme à son image et à sa ressemblance, quand tous ceux qui participent à la nature humaine, après avoir été régénérés dans le Christ grâce à l’action de l’Esprit Saint, et reflétant ensemble la gloire de Dieu ( cf. 2 Cor. 3, 18 ), pourront dire ensemble « Notre Père » ( n. 7-3 ). De nombreuses citations des Pères de l’Eglise documentent ce concept ; je vous cite celle de saint Hippolyte : « Il ne refusa aucun de ses serviteurs… voulant et désirant sauver tout le monde, voulant faire de tous les fils de Dieu et appelant tous les saints à constituer un seul homme parfait. En effet, il n’y a qu’un seul Fils ( Sauveur ) de Dieu. Par son intermédiaire, nous obtenons la régénération ( une nouvelle naissance ) grâce à l’action du Saint Esprit, en désirant former ensemble un seul homme céleste et parfait. « Un seul homme, en fin de compte, dit le « Notre Père » ; et nous, son Eglise, nous formons au sein du vaste monde ce que saint Paul appelle « les prémices »

 

33.           nous connaissons et invoquons le Christ et l’Esprit. Nous avons la Parole inspirée, les sacrements et les mystères institués.

 

Si l’Esprit agit au delà des limites  visibles de l’Eglise, voilà pour le monde le sacrement du Christ et de son Esprit.

 

Nous assumons ce monde immense dans notre prière en rendant gloire au Père pour lui, par l’intermédiaire du Christ dans l’Esprit.

 

 

34.   En effet, l’Esprit est celui qui, secrètement, recueille, et annote tout ce qui, dans le monde, essaye de balbutier « Notre Père ». voilà le sens que nous donnons chaque jour à la doxologie qui termine l’anaphore et introduit le « Notre Père ». « Ce n’est que par son intermédiaire que nous crions ou qu’il crie pour nous « Abba, Père ». ( Rm 8, 15 ; Ga 4, 6 ) citation extraites de La parola et il soffio, Borla, Rome 1985, pp. 157-159 ).

 

35.   Ces rapides rappels de l’action de l’Esprit du Seigneur aboutissent à une conclusion qui me tient à cœur : nous devons nous ouvrir à l’Esprit, sans cesse et avec urgence.

 

Etre spirituels n’est pas une option facultative parmi d’autres, mais c’est notre devoir, notre destin,

 

Pour une culture de l’attention

 

36.  Ce n’est que dans l’Esprit Saint que nous sommes à même de comprendre et d’assimiler l’Evangile, base permanente du christianisme, et son message.

 

Je demande votre indulgence si, une fois de plus, j’ai recours à une citation pour expliquer le sens de mes paroles. G. Prezzolini, un sceptique, mais en même temps tourmenté par la recherche de Dieu au point de le pousser à une précieuse correspondance avec Paul VI, écrit : « L’Evangile ne contient pas un message social ou politique … Le Christianisme recherche la transformation de l’homme en un nouvel Adam : le message évangélique est un message strictement intérieur… Ces chrétiens voyageurs et passagers du monde, mais n’appartenant pas à ce monde, doivent s’occuper des choses de ce monde, doivent s’occuper des choses de ce monde, mais n’appartenant pas à ce monde, doivent s’occuper des choses de ce monde, oui, mais de façon à être indifférents à leurs formes. Ce que je crains aujourd’hui, dans les changements que l’Eglise propose à juste titre, est qu’elle suive une ligne politique … ou la tendance à suivre les plus forts… »

 

Et encore : « Mais un domaine demeure celui de l’Eglise, que ni les sciences ni l’Etat n’ont jamais pu toucher : le cœur humain qui est inquiet … Dans ce domaine, qui n’appartient ni aux riches, ni aux pauvres, ni aux jeunes, ni aux vieux, ni aux hommes, ni aux femmes, ni aux esclaves, ni aux patrons, ni aux blancs, ni aux noirs, ni à ceux de droite, ni à ceux de gauche, l’Eglise a un pouvoir absolu sur les consciences de tous ceux qui sentent l’insatisfaction des biens terrestres et qui ont n’ont pas le courage désespéré d’accepter le monde aride, indifférent au sort de l’homme, pur choc de forces sans aucun but ..

 

L’Eglise devrait … se rappeler … qu’elle vit pour défendre les valeurs contraires aux honneurs, à la richesse, à la puissance, au faste, au plaisir des sens, à l’apathie, à la conquête … Mais aucun Etat ni aucun parti ne s’est jamais proposé ni n’a eu la possibilité de choisir et faire des hommes bons.

 

Voilà quel est le domaine de l’Eglise … Un saint, un religieux charitable, un poète inspiré par la conscience religieuse sont plus important que de nombreux affirmations, réduction, modification du culte, de l’habit, de la doctrine ecclésiastique » de (« L’Ombra de Dio »).

 

37.    Très chers : notre ouverture à l’Esprit a commencé quand, inquiets, nous avons senti l’insatisfaction des biens terrestres et jugé l’aridité du monde et l’indifférence au mal comme des situations qu’il fallait changer, avant toute chose, en nous même. Et ainsi, touché par le souffle de l’Esprit, nous avons rencontré saint Jean de Dieu, qui nous a invité à prendre soin du cœur humain avec notre cœur, ouvert à lui. Nous sommes dans la ligne de l’Evangile quand nous témoignons cette valeur qu’est la charité : quand rien d’autres ne nous pousse, si ce n’est l’intérêt pour les pauvres de corps et de cœur qui s’adressent à nous. Quand nous ouverts à l’Esprit, nous offrons bien plus qu’une prestation technique : une culture de l’attention à l’âme humaine, au moi essentiel et immortel, par l’accueil de la personne dans sa totalité.

 

Pour conserver cette ouverture intégrale à l’homme, nous devons rechercher notre continuelle transformation intérieure. C’est d’ailleurs la condition nécessaire pour arriver à d’autres transformations dans nos communautés, provinces, œuvres et dans nos rapports avec nos collaborateurs laics et avec nos malades.

 

Le son de la Parole devient écho dans l’Esprit

 

38.           voilà donc la première révolution que nous devons vivre.

Elle nous empêchera d’ensevelir l’Evangile, notre charisme, l’homme qui souffre, le temps et le monde où nous vivons. Mais cela exige un engagement peu ordinaire, qui trouve son point fort dans l’écoute de la Parole unie à une totale contemplation dans l’Esprit en conjuguant Parole et Esprit, nous trouverons également le sens unitaire à donner à notre vie. Quand nous sommes troublés dans nos habitudes et dans notre sécurité d’action, nous nous interrogeons sur les choses pratiques à faire, en oubliant le primum movens de toutes nos actions : l’Esprit, le souffle vital qui doit les inspirer.

 

39.           Mes chers frères, ce que nous réaliserons dans l’avenir, en terme d’œuvres, de rôles, de directives, sera exactement en rapport avec la place et la dimension que nous donnerons à l’Esprit, c’est à dire, en définitive, à notre croissance personnelle, au soin que nous aurons de ne pas nous perdre en activités peu productives et éloignées du sens que nous voulons donner à notre vie.

 

Nous avons choisi de rester du côté de Celui qui aime d’un amour démesuré et qui accueille le faible, le désarmé, le laissé pour compte ; nous avons choisi de vivre de longs moments d’abandon, de désert de méditation, de prière non routinière,  pour acquérir cette capacité d’amour inconditionné. La Parole attend que nous découvrions son secret. « Elle est la perle précieuse, le trésor caché pour l’achat duquel il nous faut vendre tout ».

 

Dans l’écoute silencieuse, la parole affleure à la conscience et y allume le désir irrésistible d’ordonner son destin personnel, sa propre réalité sur son rythme perçu comme harmonie. Sans l’éveil de ce désir, l’homme ne perçoit  pas son passage, est privé de sa qualité essentielle et se perd dans les égarements du milieu où il vit.

 

La première évangélique est la rencontre, dans le silence, de notre mystère personnel avec le mystère divin ; c’est la redécouverte de notre vérité en Dieu … L’unique critique que les gens nous adressent est celle-ci : nous nous occupons trop des temps actuels, du monde, et trop peu de l’Esprit, et par conséquent, on ne peut plus nous distinguer d’un quelconque collaborateur laïc, à condition de ne pas le tenir étroitement en laisse. Nous qui servons la vie, la création ( en nous efforçant de la délivrer des déformations de la pauvreté, de la maladie, du scepticisme et de la solitude ), nous devons la posséder :  une vie complète qui bat ; une vie corporelle et spirituelle, riche et disponible, capable de prestations humaines et religieuses utiles à d’autres et non seulement à nous même. Je le répéterai jusqu’à l’épuisement : la vie pratique, active et notre rôle sont importants, mais nous ne sauverons pas notre âme ni l’Ordre si nous ne prenons pas beaucoup de notre temps pour enrichir notre vie  intérieure, pour alimenter notre capacité d’amour, dans la recherche de l’union personnelle avec le principe de toute vie » ( Vannucci ).

 

40.           Notre ordre a reçu en héritage une grande et précieuse culture de travail : nous connaissons tous la valeur et l’utilité du travail pour notre équilibre bio personnel.

 

Aujourd’hui, notre activité se déplace davantage vers les fonctions de gestion, de direction.  Cela nous permet, si nous en sommes capables, d’établir des rapports humains, d’un grand secours pour notre psyché  ( ensemble des phénomènes psychiques ) et celle des malades.

Parfois, nous faisons preuve d’une carence de travail intellectuel et spirituel : si nous les négligeons, nous finirons par avoir des activités manuelles et professionnelles vides de sens.

 

Ne pas mentir, ne pas trahir

 

41.   Ce que je vous dirai vous semblera une provocation, mais nous devons centrer davantage notre journée sur la croissance de notre esprit et de notre personne et revoir sans préjugés nos fonctions actuelles, afin de pouvoir garantir, grâce à elles, la réalisation de notre charisme.

 

En effet, en tant qu’hommes, c’est à travers le travail que nous donnons au monde notre humanité et que nous démontrons notre capacité d’aimer. Comme religieux, nous devons exprimer au monde des directives et même des critiques, si besoin est, mais pour ce faire, il faut connaître « les impulsions de l’humanité actuelle, pour les affirmer et les purifier ». nous devons raviver en nous la prière et la porter à maturité. Ceci devient possible, si cultivant le travail manuel et professionnel, nous y unissons le souci de ce qui concerne l’homme et notre civilisation, en plus du culte fondamental de l’Esprit. Ce n’est qu’à cette condition que nos communautés s’animeront et que chaque religieux, selon ses expériences et aptitude, pourra comprendre le monde dans son authenticité et interpréter le profond désir qu’éprouve l’homme de donner un sens à sa vie tout en refusant un modèle, selon le fameux dicton : apprendre de tous, mais n’imiter personne.

 

Nous aussi, dans un esprit de recherche, de vérité et d’amour, d’authenticité et de liberté, nous devons réinventer nos modèles de vie religieuse, au travail, en communauté et en société. Faisons ce travail ensemble en évitant les tentations de répéter des formules déjà dépassé es, ce qui équivaudrait à trahir, par manque de cohérence avec nos origines.

 

L’ouverture à l’Esprit dans nos communautés

 

42.   Comme nous l’avons dit, s’ouvrir à l’Esprit suppose un travail individuel de croissance humaine, intellectuelle et religieuse, de même qu’une action cohérente dans la réalité spécifique de nos œuvres. Notre croissance commence au cours des années du noviciat, avec lesquels nous sommes ou devrions être en perpétuelle communion. 

 

Cette croissance commence donc dans la communauté religieuse qui, de nos jours, éveille peut-être plus d’angoisses que de satisfactions. Dans le passé, la communauté, comme une grande matrice, nous protégeait, nous donnait un sens de sécurité, tout en se montrant très sévère du point de vue des prescriptions, interdits et même des obstacles à notre épanouissement personnel. Aujourd’hui, quelque chose a changé : la communauté des religieux n’est plus une entité totalisante ; il existe des espaces pour exprimer les libertés personnelles ; la hiérarchie est vécue de façon moins oppressive. Toutefois, presque tous, nous sommes un peu déçus  ; parfois, on s’attend à ce que la communauté réponde mieux à nos besoins ; peut être aussi que nous alimentons le désir puéril d’être aimé d’autrui, même sans le mériter. Peut être aussi que notre idée de la communauté religieuse est restée bloquée à mi chemin entre la nostalgie du passé ( ou son refus total ) et le désir de l’ouvrir à l’Esprit, comme à chacun de nos frères. 

 

43.    Je crois qu’il nous revient de réinventer nos communautés, qu’elles ne nous sont pas données en cadeau par l’une ou l’autre maison. Nous sommes demeurés victimes d’une erreur : celle de prétendre que l’amour soit un don et non une conquête. Il est vrai qu’au début de notre vie, tant en famille qu’au couvent, nos parents comme nos supérieurs, nous ont souvent montré un visage souriant, bienveillant et accueillant : au fond, chaque enfant doit recevoir l’amour gratuit des adultes. Mais au cours des ans, nous avons expérimenté qu’aimer et être aimé est une chose incroyablement complexe, très exigeante, toujours moins spontanée, toujours  moins spontanée, toujours en équilibre instable, riche d’expérience contradictoires et parfois porteuse d’authentique souffrances. Tôt ou tard, la communauté est devenue pour chacun de nous une source de souffrance. Nous pouvons nous sentir mal à l’aise de devoir reconnaître ce fardeau et la presque impossibilité de créer une communauté où règne la compréhension, la confiance et l’action. Mais nous avons le devoir de chercher des solutions. Dans la communauté d’aujourd’hui, les signes de fatigue, de méfiance, d’incompréhension sont plus évidents. En effet, il est plus facile que dans le passé de fuir la communauté-communion de différentes façons, comme par un travail intense, des études, des activités sociales, des voyages, des réunions de discussions, etc.

 

44.           En terme humains, on pourrait comparer la communauté à un groupe qui se constitue pour atteindre un certains objectif. L’équipe professionnelle est typique, qui se défait dès que l’objectif est atteint, et tous ses membres à leurs occupations habituelles.

 

Nous sommes également un groupe en ce sens, mais pas uniquement. Nous aussi, nous nous réunissons pour prier , travailler et étudier, mais cela ne constitue pas encore la communauté-communion : souvent, en effet, nous désirons la communauté, mais en même temps nous la fuyons, peut-être pour éviter des risques. Je crois que ce n’est pas dû à la méchanceté, la peur ou un faible sentiment de religiosité, mais à une volonté d’empêcher l’écrasement du moi personnel par la vie communautaire, d’éviter l’exploitation affective par l’un ou l’autre confrère qui n’ a pas atteint un niveau de maturité suffisant, comme personne et comme religieux. En d’autre mots, on s’est convaincu q’u’il est impossible de s’épanouir, de croître comme personne et comme religieux sans une communauté ; que ce qui s’y passe est seulement l’appauvrissement du moi et son exploitation.

 

45.   Chers frères, tout cela est partiellement vrai. Quand, dans une communauté, on n’éprouve pas la sensation d’être respecté, de cheminer ensemble, même dans la diversité des personnes, on estime que cela ne vaut plus la peine d’y participer.

 

Mais la communauté religieuse est quelque chose de plus qu’un groupe car ses membres sont réunis au nom de Celui qui leur a permis de se rencontrer, pour vivre ensemble l’idéal de témoigner leur amour envers le prochain.

 

Cet idéal  unit des personnes dotées d’une forte identité personnelle et religieuse, qui n’ont aucun intérêt à mendier adulation et gratitude, mais à offrir leur personne dans un dialogue réel avec l’autre. Comme hommes, comme chrétiens et comme religieux, nous sommes appelés à la communion. Le Concile Vatican II affirme que « l’aspect le plus sublime de la dignité humaine se trouve dans cette vocation de l’homme à communier avec Dieu « ( GS, 19 ). Il ne s’agit pas d’une simple attitude humaine de dialogue et de disponibilité, mais d’un don qui nous est révélé et communiqué dans la parole de Dieu. La communion est mystère, auquel il est offert à l’homme de participer ; c’est le projet de Dieu qui se réalise dans l’histoire par l’annonce de la foi, fondée sur la communion ( CEI, Comunione e comunità, document de 1981, n. 16 ) . Il en découle que tant l’Eglise, comme communauté, que les communautés d’Eglise, comme c’est le cas de notre communauté religieuse, sont toujours une icône de la très sainte Trinité, une manifestation du Père, du fils et du Saint Esprit. La communion témoigne l’amour même de Dieu, un amour pur et exigeant.

 

46.   Chers Frères, nous devons nous voir tels que nous sommes, avec nos points d’ombre et de lumière ; reconnaître ce que nous voulons obtenir par notre, et ensuite nous demander si nous sommes « sincères » envers nous-mêmes et nos frères. Autrement, la communauté ne deviendra pas communion, lieu de croissance et d’échange, ou des personnes de chair et d’os se rencontrent, unies dans la variété des caractères des charismes et de la formation, pour dialoguer en se respectant toujours, et cheminer ensemble, même avec des tâches et des devoirs différents.

 

La communauté n’est pas le paradis terrestre, mais un lieu nécessaire pour la croissance de tous, grâce à la rencontre vraiment fraternelle dans ses intentions et ses formes, libre d’illusions ou de désirs narcissiques.

 

47.   L’incompréhension et le conflit qui surgissent dan les communautés  expriment souvent le désir de progresser vers la maturité, de sortir du conformisme, de l’hypocrisie de certaines réunions, organisées par devoirs seulement et non parce qu’elles sont un levier pour notre vie.

 

Mais comment pouvons-nous parler d’amour si nous ne possédons pas la conscience de nos limites propres ni de celles d’autrui, si nous ne nous respectons pas nous-mêmes et ne respectons pas l’autre ?

 

Nous sommes humains et nous vivons en communauté non pas pour nous replier sur nous-mêmes mais pour grandir avec ceux qui ont les mêmes objectifs que nous.

 

48.           Nous devons donc centrer notre attention sur cette situation de malaise qui existe dans nos communautés et que nous ne pouvons plus éluder. Situation à laquelle il faut faire face, non en renforçant des mécanismes illusoires mais en redécouvrant la passion originelle et originale de grandir ensemble, grâce à l’amour avec lequel Christ nous a aimés ( Jn 12, 14 ).

 

Nous pouvons, en échange, nous engager à être des chrétiens et des religieux toujours plus authentiques, malgré les détours et les erreurs inévitables : en ayant le regard fixé sur nous-mêmes et sans juger les autres.

 

Un poète dit : « Juger une personne pour son action mesquine équivaut à calculer la puissance de l’océan en voyant son écume légère ». Les textes de l’Evangile et de saint Paul, dont je vous invite à relire certains passages, ont encore plus de poids ( Cf. Lc 6, 37-38 ; Ga 5, 13-15 ).

 

49.   Après avoir entendu tout ce que je viens de dire, nous pouvons conclure qu’il est d’importance vitale, pour l’identité et l’efficacité de notre charisme, de former des communautés avec des personnes authentiques conscientes du faite que ces communautés se construisent jour après jour, et que tous doivent y participer avec leurs énergies et faiblesses, leurs expériences et le désir de demeurer unis au nom de Jésus, car alors, il est lui même présent ( Matthieu 18, 20 ).

 

Notre hospitalité pourra changer, de nouvelles œuvres surgiront, d’autres pourront ou devront mourir et cela n’est pas préoccupant. Ce qui doit nous préoccuper, c’est de renouveler nos communautés pour qu’elles soient les protagonistes de l’avenir.

 

 

 

S’OUVRIR AUX TEMPS ACTUELS

ET A L’HOMME

 

 

50.   Si je devais exprimer ma pensée en détails sur ce thème, j’aurais besoin de plus de temps les changements qui ont eu lieu dans le secteur de la santé au cours des dernières décennies et, en général, dans celui qui concerne les besoins et les souffrances de l’humanité accompagnés de changements de cap et d’arrêts imprévisibles, sont tellement nombreux et bouleversant qu’il exigeraient à eux seuls une réflexion. Il suffit de mentionner ici quelques rappels, accompagnés de suggestions, pour nous stimuler à l’ouverture nécessaire aux temps actuels et à l’homme, sans abandonner l’ouverture centrale à l’esprit.

 

Une époque différente, un homme différent

 

51.         Une première réflexion concerne l’humanité d’aujourd’hui.

Nous sommes tous conscients qu’elle a été prise de court devant la rapidité des transformations dans tous les domaines de l’idéologie, de l’économie et de la  politique, provoquant de réelles « révolutions » au sein de l’âme humaine. «  un monde différent envahit le monde connu, et ce monde différent envahit le monde connu, et ce monde est tellement imprévisible qu’il rend insignifiantes les prévisions de la vie ordinaire. Dans ce monde différent repose le mystère de tous les fondements de la vie ( W.B Kristensen ).

 

Dans ce monde différent naît l’homme différent de notre époque, qui, une fois de plus, est tiraillé entre les exigences divines et celles du mal, comme nous l’enseigne l’histoire. Dans ce monde différent, nous devons et voulons vivre, nous devons et pouvons agir. Mais notre action deviendra efficace à condition de posséder la force intérieure et la conscience que l’humanité a besoin des témoins de vérité, de guides moraux et non seulement opérationnels, doués de conscience critique, de pionniers courageux. Paul VI nous le rappelle avec une force inégalable : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres et s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins. Saint Pierre ( 1p 3, 1 ) l’exprimait bien lorsqu’il évoquait le spectacle d’une vie pure et respectueuse, « gagnant sans paroles même ceux qui refusent de croire à la parole » ( Evangelii nuntiandi, n. 41 ).

 

52.         Cet engagement personnel qui fait progresser l’humanité met l’homme de notre époque dans une condition neuve, peut-être la plus neuve et bouleversante depuis qu’il est apparu sur terre : la solitude. Il se trouve quotidiennement face à des réalités qui le manipulent et l’éloignent du « centre » vital de l’esprit, de ce Dieu qui l’a créé « à son image et ressemblance ». Celui qui ne parvient pas à relever le défi de cette solitude devient la proie des modes de notre époque, se lance dans une frénésie d’actions, s’agite, s’éparpille en brouillant son identité et en perdant en fin de compte sa liberté.

 

Gardiens et artisans de bien-être pour les gens

 

53.         Aujourd’hui, plus qu’hier, l’homme a besoin de liberté de pensée, d’une richesse de cœur et d’une possibilité d’action nouvelle et cohérente.

 

Quel rapport a donc tout cela avec notre vie de religieux hospitaliers ? un rapport direct car nous devons prolonger davantage aux sources du moi intérieur, de notre liberté ; nous devons faire appel à la force de nos sentiments si nous voulons agir de façon cohérente pour l’humanité de notre époque.

 

Nous avons souvent nourri un vice mental, antichrétien , l’habitude de vivre avec la maladie, les privations, la souffrance de nos malades nous a fait oublier notre vrai objectif qui est de leur garantir, même par l’activité sanitaire dans le sens strict du terme, le plus grand bien-être possible. Nous ne sommes pas seulement des distributeurs de médicaments ; nous ne nous contentons pas de soigner les corps, mais nous sommes surtout les gardiens et, dans notre cas, souvent des artisans de bien-être pour les gens qui s’adresse à nous surchargés de tant de besoins diverses et pour des raisons neuves qui souvent nous bouleversent, car nous sommes habitués à une vision schématique et réductrice de notre action.

 

54.    Etre ouvert à notre époque et à l’homme d’aujourd’hui doit nous engager professionnellement, mais aussi personnellement et culturellement à la recherche de cet homme d’aujourd’hui, différent de celui d’hier. C’est cet homme que nous voulons fuir quand nous disons que, dans la société capitaliste riche, il n’y a plus de place pour les Frères de Saint Jean de Dieu. Comme si être riche équivalait à posséder la clé du bonheur, de la santé, et du bien-être !

 

il ne faut pas confondre bien-être et aisance économique. Nous remarquons que la tentation existe d’abandonner à soi-même l’homme occidental, qui s’efforce à grand peine de s’émanciper de la pauvreté, de la superstition, des traditions absurdes qui l’oppriment, pour trouver un nouvel équilibre à proposer au reste de l’humanité ; et de l’abandonner au moment même où il est particulièrement vulnérable car en quête de voies nouvelles. N’ est-il pas, lui aussi, fils de Dieu, appelé au salut et souvent amené à offrir une aide aux frères qui souffrent de carence de nourriture, de médicaments ou de logement ?

 

 

55. L’homme technologique d’aujourd’hui n’a certes pas résolu tous ses problèmes ; il est plus libre, plus responsable, plus actif, mais paye tout cela au prix d’une fragilité majeure dans ses liens affectifs. L’innovation technologique l’expose toujours davantage aux risques du chômage, d’une grande mobilité dans le travail et d’une perte d’appartenance à une classe sociale, en le plongeant dans la solitude et l’anonymat, surtout dans les grandes villes. En fin de compte, il paye ce progrès par un malaise diffus qui s’exprime dans sa recherche frénétique de plaisirs, d’évasion, de psycholeptiques, pour retrouver un minimum de sérénité.

 

56.    Une des aspirations prévalentes de l’homme, du moins dans la culture occidentale et industrielle, est le désir d’autonomie, c’est à dire d’un état où, de moins en moins conditionné par la tradition, il puisse faire l’expérience de lui-même, vivre sa dimension d’homme en plénitude, être toujours plus libre. Cette soif d’ autonomie, de vérité sur soi et sur les autres , d’autres mots d’authenticité, représente, surtout pour nous religieux l’aspect le plus traumatisant et le plus dur à accepter.

 

Nous sommes en effet tentés de la condamner, parce que parfois son comportement s’accompagne d’impulsions amorales, de soif du plaisir, de la négation du transcendant, de bouleversements dans les rapports familiaux et sociaux.

 

Néanmoins, cette poussée vers l’émancipation, la recherche et la prise de responsabilité personnelles n’est pas seulement une expression de rébellion, mais aussi d’authenticité et d’engagement. Apres des siècles au cours desquels une poignée d’hommes puissants dominent les consciences et les expressions de la masse, l’humanité s’efforce de préciser son propre destin selon des modèles qui lui viennent de l’intérieur et non plus de l’extérieur.

 

Et en soi, c’est un bien. L’homme qui veut devenir libre, authentique, responsable, cherche en soi et au dehors les ressources principales nécessaires pour s’épanouir dans cette ligne. Il ne tolère pas facilement des choses imposées, des codes moraux abstraits qui ne sont pas suffisamment motivés, le poids des habitudes et de la tradition .

 

En même temps, l’exercice de son autonomie l’expose inévitablement à des erreurs et des déviations, à des moments d’angoisse, malgré les réussites obtenues au niveau matériel. Et cela, parce que l’homme n’est pas seulement ce qu’il a, mais surtout ce qu’il est.

 

 

57. Un proverbe chinois dit que « l’homme riche a toujours peur ». et particulièrement quand il tombe malade. L’homme qui est davantage en crise, à notre époque, est peut-être celui qui franchit le seuil de nos hôpitaux. Il peut renaître de cette crise, avec notre aide et celle de Dieu à une vie nouvelle, plus intégrée, plus orientée vers le bien de la famille et du prochain, vers une vie plus humaine et chrétienne. J’aimerais partager avec vous une pensée de Don Pronzato, prêtre et écrivain connu, à propos de la parabole du semeur. « Le semeur ne choisit pas le terrain, il ne décide pas quelle terre est bonne ou moins bonne, favorable ou non, celle pour laquelle cela vaut la peine de se donner du mal ou non. La terre se révèle pour ce qu’elle est après les semailles, et non avant. Si tous ceux qui doivent annoncer la Parole se souvenaient de cela…

 

Notre tâche n’est pas de classer les différentes possibilités ( tentations toujours présente ). Nous devons essayer tous les terrains. Nous devons risquer la Parole partout. Je voudrais dire que nous devons apprendre à gaspiller les semences. Apprendre à accomplir de nombreux gestes inutiles ». Sans oublier que la semence peut transformer la terre.

 

Entrer dans le sanctuaire des temps actuels

et de l’homme contemporain

 

58.   Nous dévouer pour nos frères et pour l’homme contemporain n’est pas perdre son temps si nous avons la culture et les forces nécessaires. Aider les affamés et habiller les indigents sont des œuvres méritoires, comme aider celui qui, prisonnier de son égoïsme, est incapables de mettre ses biens matériels et moraux en communion avec autrui. Aujourd’hui est pauvre l’homme qui a perdu l’équilibre psycho-physique et l’espérance en une vie plus riche en tout sens. Celui qui s’approche du mystère de la mort, même temporairement, est contraint de se séparer de ceux qui lui sont chers, de son travail, de ces contacts sociaux. Si l’option missionnaire est noble, celle de demeurer avec l’homme du « progrès », avec ses œuvres, dans cette réalité « évoluée » où l’indifférence et l’insensibilité humaine et spirituelle envers l’homme son diffuses, l’est tout autant. Un affamé, un homme nu, un handicapé est bien plus visible que celui qui vivant dans l’aisance, n’a pas tant besoin de nourriture, de vêtements ou de surveillance, d’espérance, d’attention, de respect et d’identification. Le pain psychique et spirituel est un pain moins visible, mais tout aussi utile au malade, même s’il est plus difficile de le lui donner.

 

59.   Chers confrères, gardons-nous du complexe de supériorité ou d’infériorité qui nous ont été inculqués à cause de la couleur de la peau ou de la grosseur du portefeuille de nos assistés. Gardons-nous du préjugé qui prétend que les nécessités de l’homme sont seulement de caractère économique, matériel et scientifique qu’il faut affronter avec technicité sans plus. Ce n’est pas rendre justice à la complexité et à la richesse de l’homme contemporain, ni à l’essence de notre vocation. Cela peut même être un prétexte pour ne pas assumer de nouveaux comportements exigeants, pour répondre, non à nos besoins de pouvoir, de prestige, de rapidité de réponse du malade à nos interventions, mais à ceux de la personne qui nous est confiée. Il faut offrir une attention différente à cette personne, plus libre, plus émancipée, plus attentive et plus seule, si nous voulons vraiment répondre à ses besoins et respecter le sens le plus profond de son style de vie. Notre charisme comporte une richesse incroyable, ne manque et ne manquera jamais de clients : il peut s’exercer dans tout lieu habité par l’homme qui, toujours, nourrira au fond de son âme le désir d’une nourriture spirituelle. Notre charisme nous invite donc à entrer dans le sanctuaire de l’homme concret d’aujourd’hui.

 

Il nous avertit également que nous devrons changer selon l’époque et l’homme, sans nous garantir qu’un tel changement soit indolore. Il est peut-être plus facile d’affronter les risques de la savane ou du désert que d’annoncer notre charisme à des gens cultivés, doués d’une grande facilité pour la critique, mais avec de nouveaux besoins à satisfaire.

 

60.   « Dans le milieu dominé par la technique et la consommation de la société moderne, dans laquelle nous découvrons chaque jour de nouvelles formes de marginalisation et de souffrance, notre apostolat est tout à fait actuel ».

 

C’est ce que nous lisons dans nos Constitutions . C’est nous, chers frères, qui risquerons de ne pas être actuels si nous ne fixons pas notre regard sur les marginalisations et les souffrances de l’homme contemporain. Unissons-nous donc avec tous ceux qui, y compris nos collaborateurs laïcs, désirent croître à nos côtés et qui, très souvent, nous trace la voie. Ensemble, nous répondrons mieux à notre vocation, à notre mission, conscients que celle-ci exige une nouvelle culture de l’homme, du temps et de la vie, un effort de recherche et d’expérimentation que jamais notre Ordre n’a dû affronter de façon aussi urgente. Cette vision de l’homme peut sembler trop spirituelle et peu technique, mais elle est certainement dans la ligne de nos Constitutions et de l’Esprit qui les anime. Nous y trouvons, en effet, l’encouragement pour exercer notre apostolat comme des religieux « nouveaux », actuels, vrais, ayant pour maître tout homme ou femme qui souffre » (Gandhi).

 

 

 

 

 

 

 

NOTRE ROLE DANS L’ORDRE

 

 

61.           Ce que j’ai dit à propos du religieux et de la communauté des besoins de l’homme contemporain, la situation de nos œuvres, la capacité de projeter des activités qui répondent toujours plus aux exigences de la société concernent l’ensemble de notre institut. Lui aussi soit changer pour vivre l’époque actuelle et future. Et il doit changer, comme c’est d’ailleurs déjà en train de se passer, en vue d’assurer une meilleure liaisons entre les maisons et les provinces et le gouvernement central, et entre ce dernier et la périphérie.

 

62.           Souvent les frères et les communautés sont embarrassés devant les rappels du Conseil Général qui, depuis pas mal de temps, sollicite une liaison plus étroite entre les différents éléments de notre Institut. La carence ou l’insuffisance d’une telle liaison, qui est nocive pour nous et pour nos rapports avec nos collaborateurs laïcs, ne dépend pas de la distance géographique qui sépare les différentes maisons de la province, ou celle-ci du Centre, mais d’une faible perception de la complexité et de la richesse de notre Institut même. Il est étrange qu’à une époque où l’on voyage avec une extrême facilité d’un continent à l’autre, et où l’on dispose d’information en un temps record, nous éprouvions encore des difficultés à nous comporter comme un corps unique aux structures bien articulées. Nous ne pouvons ni ne devons réagir avec méfiance devant les nouvelles initiatives qui visent à favoriser la liaison entre nous. Il est d’ailleurs absurde de penser résoudre nos problèmes de gouvernement, de vie intérieure, de réponse aux besoins du malade, de gestion économique et de planification, sans un esprit de communauté fort, tant au niveau horizontal que vertical.

 

63.           Au cours de ces derniers années, l’Ordre a fait un énorme effort dans cette direction. Mais cela ne suffit pas, nous ne sommes pas encore arrivés à un point satisfaisant. Tous, nous devons nous sentir obligés de penser à des solutions nouvelles pour résoudre ce problème dans un climat de plus grande confiance réciproque et de collaboration de la part de tous. Les distances et les différences sociales et culturelles qui nous caractérisent ne doivent pas devenir un alibi pour justifier notre indifférence, comme si le Centre ne faisait pas partie de l’Ordre ! Mes chers frères, quand le Prieur Général vous invite à vivre votre rôle intensément, quand il insiste sur le besoin de syntonie entre chacun de vous  et la province, entre les différentes provinces et entre chacun de vous et le Centre, il ne désire pas vous enlever une partie de votre autonomie, de votre temps, de vos ressources, mais réaliser cet échange, prévu d’ailleurs dans les nouvelles Constitutions, qui nous permet, à nous et à vous, de progresser à tous les niveaux et de favoriser des décisions plus sages. L’autonomie ne doit pas devenir autarcie, pour aucune raison. L’unité dan l’autonomie est donc un projet que nous ne pouvons négliger. La tâche la plus désagréable pour un Supérieur Général est de devoir obliger un de ces confrères à faire ce qui soit être fait. Il est vraiment pénible de constater la paresse de certaines provinces non seulement devant les directives du Gouvernement Central, mais encore devant les solutions qu’elles-mêmes ont adoptées. Verbalement, nous nous déclarons disponibles, mais quand on en arrive aux faits, ou bien nous n’agissons plus, ou bien nous agissons, oui, mais chacun de son côté et parfois même en opposition. La diversité d’opinions ne gêne pas le Prieur Général : une grande richesse jaillit de points de vue différents. Ce qui appauvrit, au contraire, est la carence de débats, la fausse obéissance, l’esprit de prévarication, la peur de perdre son autonomie.

 

64.           Si nous voulons nous préparer à l’an 2000 en étant pleinement cohérents avec notre charisme d’hospitalité, nous ne pouvons pas renoncer à un plus grand rapprochement humain et spirituel entre nous, entre la périphérie et le centre, entre ceux qui vivent proche de nous et à distance. Personne ne peut s’estimer supérieur à un autre, personne ne peut se sentir plus en règle qu’un  autre. Dans l’exercice de nos fonctions, nous sommes tous importants, nous sommes tous utiles, quels que soient le rôle qui est le nôtre aujourd’hui, l’âge, la nationalité d’origine ou le pays où nous travaillons. Et nous serons encore davantage utiles, de meilleurs témoins, critiques, guides et innovateurs, si nous devenons capables de faire affluer nos ressources, nos cœurs, nos intelligences, notre spiritualité pour réaliser des projets de vie transparents, auxquels tous participent.

 

65.           Notre Ordre doit se caractériser par une vision vraiment communautaire, par des liens plus francs et sincères, par programmes qu’inspire un sens authentique d’appartenance. Le monde s’étonne quand il voit des frères désunis, bloqués dans leur cheminement de communion par l’envie et des jalousies puériles ; le monde attend de nous un témoignage authentique d’amour chrétien, une attitude de pardon, de tolérance et d’union entre nous. Une des grandes peurs de notre époque, la peur atomique, provient de la ruse, de l’arrogance, de la certitude d’être dans son droit, de la discorde alimentée sans cesse, mais jamais résolue dans un esprit de dialogue. Nous devons trouver à l’intérieur de notre Ordre la manière de témoigner tous ensemble, au monde la capacité de réaliser l’entente, de supporter les différences, d’oublier les offenses reçus. Savoir pardonner est indispensable pour construire l’unité, pour créer un espace à la critique positive, dans le respect et l’amour réciproques. Votre Prieur Général vous demande d’être généreux, face aux inévitables faiblesses humaines, pour contribuer à la construction d’un Ordre plus uni et plus ouvert.

 

 

 

 

 

Témoins et guides moraux pour nos collaborateurs laïcs

 

66.   J’ai souvent parlé de cet aspect de notre vie religieuse au cours de ces dernières années. Je préfère toutefois me répéter, car notre avenir dépendra beaucoup de ce que nous serons capables de faire avec nos collaborateurs, toujours plus nombreux. Notre rôle a subi et subira encore des changements radicaux. C’est à nous encore des changements radicaux. C’est à nous de les prévoir, de les inventer à la lumière de notre charisme et des signes des temps.

 

Je tiens d’emblée à être clair sur un point : celui qui entre chez les Frères de Saint Jean de Dieu ne le fait pas pour une option professionnelle mais à cause d’une vocation intérieure. Et même si nos œuvres prévoient, le cadre d’une option spirituelle, un travail professionnel, la formation à la gestion est secondaire pour nos futurs religieux : ils ne sont entrés dans l’Ordre pour diriger. Même s’il faut acquérir les connaissances de l’art de la gestion, la préparation culturelle, religieuse et professionnelle ne doit être celle de qui occupera un poste de direction, car heureusement, nous avons la chance d’avoir des collaborateurs laïcs spécialisés dans ce domaine spécifique auquel ils ont consacré davantage de temps et d’intelligence. Certains religieux, dans des situations particulières, pourront également assumer des rôles de direction, mais ce n’est pas là notre objectif final ; il s’agit d’une étape transitoire et contingente. Nous avons perdu trop de temps à freiner la progression et l’insertion, dans les fonctions de direction, de nos collaborateurs laïcs : le moment est venu de changer !

 

66.           Je suis convaincu que saint Jean de Dieu ne créerait pas un nouvel hôpital aujourd’hui ni ne le dirigerait, mais il mettrait toute son énergie à former des hommes, à créer dans le laïcat des esprits et des cœurs capable d’assurer à nos œuvres le climat professionnel, humain et de gestion qui, souvent, leur fait défaut. Je le répète, nous ne devenons pas frères, prieurs, provinciaux, généraux pour devenir des managers, mais pour témoigner, orienter, former nos collaborateurs à la mission d’assister le malade et le nécessiteux dans sa globalité. Dans certaines provinces de l’Ordre, on a déjà séparer le rôle du coordinateur de la communauté de celui du directeur administratif  de l’hôpital. Nous devons poursuivre dans cette voie, en changeant avant tout notre mentalité. Dans une optique purement humaine, il est plus gratifiant de gérer le pouvoir pour le plaisir du pouvoir, que de diriger un service comme guide moral, en laissant la gestion technique à des collaborateurs laïcs bien choisis et formés, qui font presque toujours mieux que nous ce travail. La grande tâche qui nous attend dans un proche avenir est celle d’être, au sein même de nos œuvres, des guides moraux, des consciences vigilantes qui critiquent, si besoin est, afin que nos collaborateurs s’allient à nous pour servir le malade. C’est un choix décisif, que l’on ne peut plus renvoyer et qui nous coûtera beaucoup de mal, parfois même une perte de prestige dans certains cas, mais qui permettra à nos œuvres de mieux fonctionner, même du point de vue gestion. Plus concrètement dit, notre collaborateur doit devenir l’objet et le sujet de notre attention, comme le malade. C’est à nous d’individualiser ses besoins et malaises, que nous avons peut-être provoqués nous-mêmes. De cette façon, nous créerons, dans l’hôpital, cette « ecclesia » que nous voulons tous du bout des lèvres mais dont, en fait, nous avons peur.

 

67.           On n’improvise pas le rôle de guide moral. Il faut le projeter, le programmer et le mettre en œuvre selon des critères d’honnêteté moral, en harmonie avec les caractéristiques de nos œuvres. Pour communiquer à nos collaborateurs notre humanité et notre amour pour le malade, nous ne pouvons pas alimenter la passion du pouvoir. Assumer un rôle de guide comporte une crise d’identité pour beaucoup d’entre nous, habitués surtout à agir comme première personne. Le temps du « factotum » est fini. Il faut s’occuper des tâches prioritaires que notre vocations nous impose. Il devient donc nécessaire d’étudier et rechercher sans cesse les manières de traduire concrètement ces fonctions de guide moral, d’animation et conscience critique pour nous-même, nos collaborateurs et le monde. Ceci nous permettra de mieux apprécier notre rapport avec les autres, d’arriver à une alliance authentique, d’éliminer toute ombre d’opposition, de méfiance et de découragement.

 

68.           Nos collaborateurs sont des laïcs pour la plupart. Depuis le concile Vatican II, on a redécouvert et remis en valeur le rôle unique et « spécifique » des laïcs dans l’Eglise et le statut séculier qui les distingue.

 

69.           Je voudrais examiner avec nous quelques aspects du document préparatoire au synode des évêques de 1987 sur le thème Identité et mission des laïcs dan l’Eglise, que je crois particulièrement utiles pour établir un rapport correct avec nos collaborateurs. D’après le Concile Vatican II, le rôle ecclésial des laïcs est inséparablement lié à leur vocation baptismale et à leur condition séculière.

 

En tant que baptisés, ils sont des fidèles de plein droit, incorporés au Christ et à l’Eglise. Leur insertion dans les réalités temporelles et terrestres, en d’autres mots, leur caractère séculier est une donnée théologique, leur mode propre de vivre la vocation chrétienne.

 

70.           Les laïcs possèdent une identité unique et entière. Ils sont à la fois membres de la société et membres de l’Eglise. C’est à partir de cette condition caractéristique qu’ils participent à la mission salvifique de l’Eglise : comme baptisés, ils peuvent et doivent vivre leur responsabilité apostolique non seulement dans les réalités temporelles et terrestres, mais également dans celles qui sont typiquement ecclésiales. En fonction de leur conditions séculière spécifique, ils sont préparés et engagés comme chrétiens non seulement dans l’Eglise, mais dans les structures et réalités du monde. Le Concile Vatican II l’affirme clairement dans « Apostolicam Actuositatem » : « L’œuvre de rédemption du christ, qui concerne essentiellement le salut des hommes, embrasse aussi le renouvellement de tout l’ordre temporel. La mission de l’Eglise par conséquent, n’est pas seulement d’apporter aux hommes le message du Christ et sa grâce, mais aussi de pénétrer et de et de parfaire par l’esprit évangélique l’ordre temporel. Les fidèles laïcs accomplissent cette mission de l’Eglise exercent donc leur apostolats aussi bien dans l’Eglise que dans le monde, dans l’ordre spirituel que dan l’ordre temporel. Bien que ces ordres soient distincts, ils sont liés dans l’unique dessein divin ; aussi Dieu lui-même veut-il, dans le Christ, réassumer le monde tout entier, pour en faire une nouvelle créature en commençant dès cette terre, et en lui donnant sa plénitude au dernier jour. Le laïc, qui est tout ensemble membre du peuple de Dieu et de la cité des hommes, n’a qu’une conscience chrétienne. Celle-ci doit le guider sans cesse dans les deux domaines » (AA,5).

 

71.           les laïcs ont une place originale et irremplaçable dans la mission salvifique qui incombe à l’Eglise, face aux réalités temporelles et terrestres, mission qui est de toute l’Eglise et donc et donc également des pasteurs, mais en fonction de leur caractère séculier. « C’est à eux qu’il revient d’éclairer et d’orienter toutes les réalités temporelles, guidés par la lumière de l’Evangile et le magistère de l’Eglise et mus pas la charité chrétienne ; comme citoyens, ils coopèrent avec d’autre citoyens selon leurs compétences et responsabilités propres ; ils cherchent partout et en toue chose la justice du Royaume de Dieu ».

Paul VI, dans son exhortation apostolique « Evangelii nuntiandi », écrit à ce propos : « les laïcs, que leur vocation spécifique place au cœur du monde et à la tête des tâches temporelles les plus variées, doivent exercer par là même une forme singulière d’évangélisation.

 

Leur tâche première et immédiate n’est pas l’institution et le développement de la communauté ecclésiale – mais c’est la mise en œuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, déjà présentes et actives dans les choses du monde. Le Champ propre de leur activité évangélisatrice, c’est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l’économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass média ainsi que certaines autres réalités ouvertes à l’évangélisation comme sont l’amour, la famille, l’éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel, la souffrance. Plus il y aura des laïcs imprégnés d’Evangile responsables de ces réalités et clairement engagés en elles, compétents pour les promouvoir et conscients qu’il faut déployer leur pleine capacité chrétienne souvent enfouie et asphyxiée, plus ces réalités, sans rien perdre ou sacrifier de leur coefficient humain, mais manifestant une dimension transcendante souvent méconnue, se trouveront au service de l’édification du Règne de Dieu et donc du salut en Jésus-Christ » (En, 70).

 

72.  la présence des laïcs chrétiens dans le monde doit être courageuse et prophétique et pourra adopter différentes formes de témoignage, toujours accompagnées du discernement évangélique. En effet, saint Jean et saint Paul nous avertissent que le monde est une réalité où le bien et la mal coexistent, ce qui requiert un travail de discernement et une capacité de choisir librement.

 

La responsabilité de tous et de chacun, et donc aussi celle des fidèles laïcs, doit dès lors être reconnue et promue au sein du peuple de Dieu.

 

Pour mieux définir la légitimité et la décision de confier des ministères concrets aux laïcs, Paul VI nous invitait à relire l’histoire de l’Eglise et à être attentifs aux nécessités actuelles : « Un regard sur les origines de l’Eglise est très éclairant et fait bénéficier d’une antique expérience en matière de ministères, expérience d’autant plus valable qu’elle a permis à l’Eglise de se consolider, de croître et de s’étendre. Cette attention aux sources doit cependant être complétée par une autre : l’attention aux besoins actuels de l’humanité et de l’Eglise. S’abreuver à ces sources toujours inspiratrices, ne rien sacrifier de ces valeurs et savoir s’adapter aux exigences et aux besoins actuels, tels sont le axes qui permettront de rechercher avec sagesse et de mettre en lumière les ministères sont l’Eglise a besoin et que nombre de ses membres auront à cœur d’embrasser pour la plus grande vitalité de la communauté ecclésiale » (EN ? 73).

 

73.   chaque nuance demanderait un commentaire et une précision, en référence avec notre rôle de guide moral et de compagnons de travail pour édifier l’Eglise et, en elle,  le Règne de Dieu.

 

Il devient évident que les laïcs, avec lesquels nous avons un rapport de collaboration, ne possèdent pas seulement un caractère professionnel, mais également apostolique. Eux aussi sont des « constructeurs de l’Eglise », en ce sens que l’Eglise grandit chaque jour grâce à notre charisme de religieux et aux dons et ministères propre des laïcs.

 

L’objectif idéal pour nous serait de voir que nos 40 000 collaborateurs se syntonisent sur la même longueur d’onde que nous, tout en exerçant une grande diversité de professions. Nos hôpitaux changeraient comme par enchantement : il n’y aurait plus de rôle ou de poste à défendre à tout prix ; l’autocontrôle remplacerait certains contrôles fatigants et pénibles. Nous devons également reconnaître que dans beaucoup d’œuvres, nos collaborateurs sont plus à l’avant-garde que nous, et pas seulement du point de vue professionnel. Par conséquent, il faut que nous leur ouvrions notre cœur, leur présentions nos difficultés, nos problèmes et nos espoirs. Nous pouvons et devons nous allier à eux. Beaucoup n’attendent qu’un signe de notre part pour nous donner la main et nous aider, pour s’unir avec nous, non par intérêt personnel ou jour obtenir des faveurs, mais parce qu’ils se rendent compte qu’ensemble nous pourrons faire beaucoup plus et mieux.

 

74.           Mettons-nous donc à l’école des collaborateurs plus proches de notre charisme, dialoguons avec eux, échangeons avec eux nos expériences professionnelles et personnelles. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons travailler ensemble pour le seul intérêt du malade. Dans ce nouveau travail de formation au rôle de soutien et guide, le Conseil Général et les Conseils Provinciaux vous aideront et éclaireront. Mais laissez-vous également inspirer et aider par les collaborateurs laïcs « aux cœurs purs », qui s’intéressent à la création de l’Hospitium pietatis dont on a parlé. Mes chers frères, je suis conscient de demander un gros sacrifice à certains d’entre vous. N’étant pas des contemplatifs, nous sommes obligés d’une certaines façon de diviser nos journées en rôle actifs et contemplatifs. Si nous ne volons pas nous limiter à demeurer dans l’hôpital, mais porter la lumière du divin au malade, nous devons nous soucier d’allumer d’autres lumières, celles que possèdent nos collaborateurs, mais qui sont peut-être voilées par une couche de paresse, d’accoutumance et de fatalisme. Savoir écarter ces voiles avec discrétion mais confiance, en nos collaborateurs comme en nous-mêmes, fait partie de ce rôle de guide moral que nous devons assumer pour rester dans la ligne de notre choix de vie.

 

 

Question éthique

Et le rôle de conscience critique

Des Frères de Saint Jean de Dieu

 

75.  La fin du XX siècle nous surprend par sa demande d’éthique provenant de milieux qui semblaient irrémédiablement détachés de toute référence à des valeurs ou des normes. La conscience aiguë que la technique ne suffit pas se fraye de plus en plus un chemin. Et c’est la réussite même de cette dernière qui met aux mains de l’homme un potentiel naguère impensable (division de l’atome et intervention sur la structure génétique des cellules vivantes) qui a donné lieu à cette nouvelle avalanche de questions.

 

Le croyant est familiarisé avec la structure intime de cette demande actuelle en matière d’éthique, car elle suit un rythme identique à celui de la morale qui dérive de la Parole révélée. Celle-ci converge structurellement sur deux pôles : celui de la fidélité et celui de la responsabilité. Le chrétien désire être essentiellement fidèle au Christ dans son action morale, car il reconnaît en Lui le Fils de Dieu et le Frère universel, et il veut être responsable face aux demandes concrètes que l’histoire adresse à sa vocation. L’éthique aussi, dont on éprouve de nos jours une nostalgie diffuse, naît autour de la fidélité et de la responsabilité. On se demande, en effet, à quelles conditions l’homme demeure un homme. Les inconnues anthropologiques sont particulièrement forte dans le domaine de la biomédecine : dans le prolongement artificiel de la vie, dans les technologies appliquées à la reproduction, dans la manipulation pharmacologique du comportement et dans les pratiques psychiatriques, dans l’emploi d’individus pour la recherche et l’expérimentation, dans les manipulations génétiques. On perçoit le sens d’une limite au-delà de laquelle on trahit l’homme.

 

76.   Du point de vue de la responsabilité, la question éthique exige qu’on s’interroge sur la qualité morale de l’action, en la référant non seulement au modèle de l’homme auquel on veut être fidèle, mais également en le projetant dans l’avenir, autant que cela dépende de l’homme. Le philosophe Hans  Jonas a reformulé l’impératif de Kant, pour ce qui concerne l’action morale, dans les termes suivants : « Agir d’une façon telle que les conséquences de ton agir soient compatibles avec la survie d’une existence vraiment humaine sur terre ». aujourd’hui, nous sommes à même de détruire la vie et la qualité humaine de la vie. La demande d’étique s’identifie avec la prise en charge de ses responsabilités : on ne délègue plus, on ne reste plus en marge du processus historique. Etre sujet et être protagoniste sont deux exigences équivalentes.

 

Cette double exigence de fidélité et de responsabilité rend la recherche éthique de l’homme contemporain semblable à celle de celui qui trouve son inspiration, pour son agir moral, dans sa foi en Jésus de Nazareth. Il faut, bien sûr, tenir compte des diversités.

 

77.           La foi ne fournit pas un territoire privilégié ou protégé au chrétien ou au religieux, à l’abri des agressions que tous les hommes subissent du fait même d’être vivants à une certaine époque et dans un certain lieu. Nous l’expérimentons dans le domaine de la santé, où nous réalisons de manière privilégiée notre apostolat évangélique et humanitaire. Nous nus réjouissons certainement de la demande d’éthique qui est en train de mettre en crise le modèle de médecine « scientifique », c’est à dire positiviste, qui prétendait être dispensée de se poser des problèmes d’ordre anthropologique ou moral ; là surtout où la santé est en jeu, comme centre de valeurs qui touche l’homme dans sa totalité. Le simple respect  des règles ne suffit pas. On pourrait reprendre, à titre d’illustration, l’exemple fourni pas Kant du médecin et de l’empoisonneur : les prescriptions pour le médecin, dans le but de guérir le patient, et celle pour l’empoisonneur dans le but de tuer un homme, sont les mêmes… Savoir comment faire, le « know how », ne répond pas à la question éthique mais concerne celle des finalités à atteindre.

 

78.   Alors que nos contemporains reconsidèrent l’éthique dans le domaine des sciences de la vie et de la santé, nous nous rendons compte que nous, comme croyants et religieux, nous ne sommes pas à même de fournir « la » réponse. Nous sommes fièrement conscients que notre foi dans le Christ, auquel nous adhérons, nous fournit une impulsion créatrice pour chercher avec les autres hommes, croyants ou non, les règles d’une conduite fidèle et responsable. Mais eu égard à la transcendance de la foi, nous n’avons pas un modèle historique concret à proposer, encore moins à imposer.

 

Nous sommes peut-être encore empoussiérés de passé, ou même incrustés dans le passé. Pour le Concile Vatican II, les croyants sont en partie responsable du phénomène de l’athéisme, soit à cause d’une présentation fallacieuse de la doctrine, soit à cause des carences et des défauts présents dans la vie religieuse, morale et sociale ( Cf. Gaudium et Spes, 19 ). Quelques chose de semblable a eu lieu en ce qui concerne le « contre-témoignage » dans le domaine de l’éthique : manque de respect pour la conscience d’autrui, l’utilisation des soins du corps en vue de préoccupations spirituelles, préférence accordée à la « loi du sabbat » - règles morales – plutôt qu’à l’homme concret.

 

Une nouvelle situation de dialogue s’est créée dans le domaine de l’éthique : l’humaniste est appelé à y participer avec sa « foi » ( qui est au  moins foi dans l’homme ; foi que l’homme est la médecine de l’homme… ) ; le religieux est appelé à y participer avec « bonne volonté ». Cette inversion des rôles attribués traditionnellement à l’un et à l’autre est un indice de la révolution qui a lieu dans le domaine de l’éthique, mais également du cheminement qui s’est fait dans la conscience chrétienne, surtout après la réflexion conciliaire sur la théologie de l’Eglise et de l’histoire.

 

79.   j’ai mentionné au début de ce document qu’en plus d’être des témoins et des guides moraux, nous devons également intervenir de façon critique dans le monde de la santé. Il ne suffit pas de travailler durement dans nos hôpitaux, mais il faut prendre du temps pour étudier les phénomènes liés au progrès sanitaire, pour les orienter vers le plus grand bien de la personne. Dans le document précédent sur l’humanisation, je me suis efforcé d’exprimer quelques concepts à ce propos. Je voudrais insister aujourd’hui sur le fait qu’on a tendance à avoir une confiance excessive dans les ressources techniques qui sont mises à la disposition du monde de la santé et pas toujours pour des raisons humanitaires. Ceci explique la facilité avec laquelle certains gouvernements et parlements ont approuvé les lois relatives à l’avortement, l’euthanasie, les interventions sur les structures génétiques. Il faut s’opposer à de tels courants. Pour pouvoir le faire de façon efficace, il faut être informé, connaître à fond les problèmes en évitant les accusations stériles et les positions de défense par trop rigides.

 

Pour remplir ce rôle critique et offrir des propositions, nous devons nous unir davantage avec nos collaborateurs laïcs, le monde de l’Eglise et la science. Souvent, nous nous limitons à constater, alors que nous devrions être à même d’offrir au monde de la santé des idées et des projets ; nous devrions être ouverts à ce que la science et la technique nus proposent de positif. Et surtout, quand nus voyons une menace peser sur le caractère sacré de l’homme, d’où qu’elle vienne, nous devrions avoir le courage d’intervenir, comme hommes et religieux.

 

80.   Nous ne pouvons pas nous taire devant les injustices, les trahisons, les paresses, les solutions qui déforment ce que l’humanité et la foi nous suggèrent. Notre vocation, notre travail d’alliés de l’humanité qui souffre sont en jeu. Se taire dans de tels cas équivaut à accepter. Mais je le répète, pour pouvoir parler et indiquer des voies nouvelles et justes, nous devons être dûment préparés, et à la hauteur. Hélas, ce n’est pas toujours le cas ! Et nous revenons sur ce point essentiel : la collaboration avec les laïcs. Pour relever avec succès les défis des temps actuels, nous devons établir une liaison, un échange assidu  avec des experts de différentes matières : professionnels des sciences médicales, biologiques, humaines, capables de nous garantir cette préparation dont nous ne pouvons plus nous passer de nos jours.

 

Votre Prieur Général a toujours eu de tels échanges ; on m’a souvent critiqué, comme si le charisme de l’Ordre était déshonoré parce que j’avais interpellé des collaborateurs laïcs, de l’ordre ou non. Je suis convaincu, plus que jamais du contraire ; notre charisme dégagera toute sa force quand nous nous serons ouverts au charisme humains et scientifique de nos collaborateurs laïcs.

 

81.  Personnes ne détient la totalité du savoir médical, de même qu’il n’existe pas un mode exclusif d’approcher le malade. Les contributions de toutes les personnes qui travaillent dans le monde de la santé sont donc utiles. Beaucoup éprouvent un grand respect et même une admiration pour notre Ordre, qui ne peut qu’en retirer des bénéfices si nous nous montrons capables d’établir des rapports de respect, d’amitié et de support mutuel avec nos collaborateurs et tous ceux qui, en dehors de l’Ordre, peuvent nous offrir leur apport. Notre action et notre rôle de conscience critique des  méfaits commis contre le faible, le malade et le nécessiteux, peut-être même au nom de la science, en deviendront plus efficaces et incisifs.

 

 

 

Notre rôle de précurseurs

 

82.           En plus du rôle de témoins, de guides moraux et de conscience critique, celui de pionniers, d’innovateurs nous attend. Notre saint Fondateur a été le premier grand pionnier, et à sa suite, tous ceux qui, malgré l’indifférence, le mépris et l’hospitalité de la majorité, ont su parcourir les voies nouvelles de notre charisme. Il en reste d’autres à parcourir, mes chers frères ! Ce n’est pas vrai que tout a été découvert et réalisé : les besoins spirituels et matériels des hommes sont menacés, même dans nos œuvres, quand on ignore, sous-estime ou même manipule à notre usage certains de ces besoins. Pour se convaincre des nombreuses carences qui existent dans le domaine de l’assistance au malade, il suffit de parcourir la liste des associations de bénévoles qui pullulent dans le monde entier. Elles s’occupent des handicapés, des cardiaques, des drogués, des alcooliques, des laryngotomisés, des psychotiques, des épileptiques, etc. Il est frappant de noter le grand nombre de personnes qui se consacrent avec passion et gratuitement à répondre aux besoins matériels, sanitaires, psychologiques que notre monde triomphant de la santé ne parvient, parfois, pas même à effleurer.

 

83.           Parfois nous croyons avoir rempli notre rôle de façon exhaustive, convaincus qu’il n’existe plus de besoins auxquels répondre ! Quel orgueil et quelle naïveté dans ce comportement ! Le monde des bénévoles, qui est une réalité splendide de notre époque, est témoin du nombre de personnes généreuses qui travaillent en dehors des ordres religieux et nous démontre que dans notre société soi-disant évoluée, il nous reste beaucoup à faire pendant les prochaines années, en plus de notre monde hospitalier. Très souvent, ce sont des gens qui ont vécu la maladie personnellement ou dans la personne d’un être cher qui fondent ces  associations de bénévoles. Apres avoir compris que les structures sociales et sanitaires ne sont pas à même de d’assurer le soutien nécessaire à des pathologies aussi voyantes et peu satisfaisantes du point de vue du prestige professionnel, ils ont décidé de se débrouiller seuls et ont organisé une chaîne de solidarité, de dévouement, de sacrifice et de gratuité telle que certains d’entre nous peuvent en rougir de honte. Mes chers frères, ces personnes jouent un rôle de tout premier ordre ; elle sont exemplaires pour nous, et surtout elles sont entrain de promouvoir les nouvelles frontières de la santé dans la société du bien-être, et cela au prix d’énormes efforts.

 

84.           L’homme, dans un proche avenir, ne pourra plus affronter seul les défis et les privations que lui imposera, assez paradoxalement, le progrès scientifique. Un tel progrès à prolongé notre vie, ce qui es très positif ; mais il n’a pas fait grand chose pour la qualité de vie des vieillards, des malades chroniques, des handicapés !  On peut facilement prévoir que les formes de pathologies chroniques augmenteront, comme d’ailleurs le malaise des jeunes devant les séductions de cette société de consommation et de bien-être et qui recherchent dans la drogue, la violence ou l’indifférence, à s’affirmer ou à donner, de quelque façon, un sens à leur existence. Nous devons donc chercher de notre temps, l’étudier, l’aimer, nous efforcer de comprendre des besoins et ses privations, et surtout ses motivations existentielles. Nous qui avons pour tâche vitale celle de redonner la santé, nous ne pouvons pas nous limiter à «réparer» le corps.  Nous devons suivre cet homme qui, laissé à l’hôpital, se trouve parfois sans travail, sans appui et avec de nombreux problèmes, même d’ordre psychique. Nous devons faire preuve d’une réelle capacité de compréhension, en employant non seulement le dossier clinique, mais également la fiche invisible du malaise émotif de notre malade hospitalisé. La peur q’éprouve le malade (de mourir, de perdre son travail, ses liens affectifs et sa vie sociale) est souvent terrible, et il ne faut jamais l’ignorer. Autrement, nous rendons au monde un homme blessé et incompris, ce qui est une offense à Dieu, à l’homme, à la foi et à la charité. Notre rôle de pionnier exige que nous reconnaissions ces besoins ; cela pourra faire naître des initiatives nouvelles et méritoires, qui élimineront l’ancienne scission entre corps et âme, nature et culture, entre besoin corporel et besoin spirituel. Une scission de facilité, que nous-même avons établie, avec la soi-disant médecine scientifique, l’hôpital transformé en atelier de réparation, qui sépare ce qu est intimement uni dans la personne humaine.

 

85.           Un champ d’action inédit s’ouvre à nous dans l’hôpital et requiert la participation de beaucoup de personnes, y compris celle du malade. Action très exigeante pou nous du point de vue professionnel et humain. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, mais je le répète ici avec une conviction profonde que j’aimerais vous faire partager : le malade est notre université, notre employeur, celui qui nous guide dans nos options professionnelles. Nous devons capter et interpréter ses messages, ses protestations, ses drames et ses exigences. C’est en écoutant le malade que nous pourrons modifier radicalement notre manière d’être hommes et religieux, nos structures et nos organigrammes. Celui d’entre nous qui est tenté d’abandonner nos œuvres pour témoigner ailleurs la Bonne Nouvelle est prié de rester, ne fût-ce qu’une demi-heure par jour, aux côtés d’un malade : il changera vite d’avis. L’hôpital aussi est terre de mission, encore plus peut-être que le Tiers Monde, où existe la misère, oui, mais où il y a encore tant d’humanité !

 

86.           je recommande à chacun d’entre vous de faire cet exercice d’écouter un malade par jour. Apres un peu de temps nous découvrirez qu’être des pionniers dans nos œuvres signifie aujourd’hui savoir écouter le malade et agir en conséquence.

 

C’est de cette écoute que jaillissent des projets d’étude, de recherche, d’expérimentation, et le désir de changer nos vieilles habitudes peu productives.

Au début, cela risque d’être assez pénible pour celui qui a perdu l’habitude de se mette sur la même longueur d’onde qu’autrui, ou parce qu’il s’est entouré de barrières de protection qui empêchent le malade de s’ouvrir à lui. Mais si nous avons la force de persévérer, les résultats ne se feront pas attendre. Entre temps, préparons-nous à bouleverser notre moi intérieur : si nous devenons capables de « tomber malade » avec le malade, non seulement notre Ordre se renouvellera, mais dépassera l’an 2 000.

 

Nos rapports avec l’Eglise

 

87.           Finalement, l’Eglise a affirmé de façon concrète son intérêt pour les œuvres hospitalières des religieux en instituant la Commission Pontificale pour les problèmes de santé. C’est une reconnaissance importante, qui situe notre vocation et notre action à sa juste place. En ce qui nous  concerne, nous devons nous sentir fiers de cet événement, qui nous encourage à partager davantage la mission de l’Eglise, c’est à dire l’évangélisation, qui est toujours unies à la promotion humaine.

 

88.           Cela doit nous encourager à approfondir notre foi, à pratiquer l’Evangile dans notre vie quotidienne et à assurer une présence plus incisive dans le monde ecclésial.

 

Il ne s’agit donc pas seulement de savoir faire, mais de faire savoir à l’
Eglise ce que nous réalisons et avons l’intention de réaliser pour le bien-être de l’homme et se son âme. Peut-être que nous sommes encore habités par un vieux sentiment d’infériorité, une attitude de modestie qui, toutefois, n’a plus de raison d’être. Nous sommes de plein droit des témoins et des agents actifs du message évangélique que nous résume si clairement la parabole du bon Samaritain. Notre recherche, notre aggiornamento, nos projets pour l’avenir ne peuvent se limiter aux murs de nos maisons mais doivent atteindre tous les hommes d’Eglise, Clergé et communautés ecclésiales, pour en obtenir une réponse et une confirmation.

 

89.           L’Eglise a besoin de nous, comme nous avons besoin d’Elle, et cela sera de plus en plus vrai au cours des années à venir. La communication au sein de l’Eglise est indispensable. Il faut bien présenter au monde des croyants notre vocation et le charisme de notre Ordre, son identité et ses programmes. Ils doivent devenir pour eux un encouragement et un modèle, une voie pour vivre la vocation baptismale commune à la sainteté. Les béatifications du frère Richard Pampuri (1981) et du Père Benoît Menni ( 1984 ) nous confirment tout cela. Notre charisme fait partie du patrimoine de l’Eglise. Apportons donc notre contribution pour créer une vraie communauté ecclésiale, en exprimant le sens profond de notre activité, en nous faisant naître  pour ce que nous sommes. Les croyants, les jeunes surtout, doivent comprendre que notre agir est valable aux yeux du monde, mais surtout aux yeux de Dieu. Ceci  peut pousser des hommes courageux à se joindre à nous et à notre Ordre pour continuer à témoigner le caractère sacré de l’homme démuni.

 

90.           On a noté un réveil encourageant des vocations au cours de ces dernières années. Ceci doit nous responsabiliser davantage pour mieux faire connaître à l’Eglise et aux croyants ce que nous sommes et faisons. Ouvrons les portes de nos maisons et employons les moyens de communication les plus appropriés pour permettre à l’Ordre de Saint Jean de Dieu de montrer au monde sa nouvelle puissance d’amour pour l’homme moderne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMPRENDRE LES NOUVELLES

CATEGORIES DE NECESSITEUX

 

 

Dans l’esprit des nouvelles Constitutions

 

91.  Dans cette partie, j’essayerai de vous présenter, à la lumière de la tradition de saint Jean de Dieu, des signes des temps et des nouvelles Constitutions, les nouveaux nécessiteux que nous rencontrons de nos jours, pour que les communautés et les provinces s’efforcent de revoir sans cesse leur agir et le confrontent à l’évolution des problématiques et des situations particulières.

 

Nous ne pouvons pas épuiser les réponses en indiquant la voie, difficile s’il en est, de la rupture par rapport aux habitudes passés et du changement de rôle professionnel.

 

Il faut proposer l’alternative d’une authentique expérience religieuse qui sauvegarde les valeurs humaines, comme modèle et orientation de nos œuvres. En outre, il faut nous projeter en plein dans notre époque ave tous ses problèmes pour amplifier notre conception du nécessiteux.

 

Au cours des chapitres précédents, j’ai redéfini ce concept pour éviter le risque de l’amenuiser ; partout, on peut rencontrer l’âme dans le besoin, même chez l’homme apparemment puissant et matériellement riche.

 

L’humanité est blessé de beaucoup de façons. D’une manière incroyable, comme un monstre invisible, le mal se déguise sous différentes apparences et se présente dans les situations les plus diverses, même quand il semble avoir été presque vaincu. C’est à nous d’individualiser les nouveaux besoins du malade et, surtout, les nouveaux nécessiteux.

 

92.   Dans certains régions de la terre on rencontre encore, comme à l’époque de saint Jean de Dieu, des malades et des pauvres sans défense, exposés aux intempéries, sans soins, abandonnés dans les rues de la ville. Dans d’autres régions, ces situations de souffrance ont pour ainsi dire complètement disparu. Dan les pays économiquement riches, le mal ne se présente plus d’une manière aussi évidente ; il est plus subtil, lié aux idéologies et aux modes culturelles. Il est donc nécessaire de faire preuve d’un jugement prudent et de revoir attentivement les comportements, en se référant sans cesse à des valeurs morales et non en se contentant de d’imiter purement et simplement certains modèles. Nos communautés doivent affronter sérieusement ces problèmes. Nos provinces doivent individualiser sur leur territoire les nouvelles situations de besoin et diversifier leurs interventions avec les moyens thérapeutiques opportuns. J’aborderai quelques aspects fondamentaux de l’expérience terrestre de l’homme au cours des pages suivantes, en particulier la vieillesse et la mort, moments de la vie qui assument de nos jours une valeur différente, et qui ont été redéfinis du point de vue culturel et social. Je m’efforcerai également de préciser davantage, par des exemples, le thème dus nouvelles catégories de nécessiteux ; ce terme n’englobe pas seulement le pauvre et le malade, mais quiconque lutte pour retrouver son identité de personne.

 

La planète des jeunes

 

93.    Une casuistique variée et abondante confirme encore une fois la réalité : l’homme nécessiteux sans assistance, existe encore et est présence sous différentes formes dans toutes les sociétés contemporaines. Parmi cette gamme énorme, nous remarquons la présence toujours plus massive et triste des jeunes. Nous ne pouvons pas demeurer indifférents devant le grand nombre de drogués, malades dans l’âme et frappés à l’âge le plus vulnérable, le plus naïf. Face à cet état de choses, une réponse de notre part devient impérative ; elle doit relever le défi du mal, dépasser même les structures habituelles, capables d’affronter et contrecarrer ce fléau par des interventions efficaces qui en réduisent la progression.

 

Nous pourrons voir ces nouveaux nécessiteux, comme saint Jean de Dieu  les voyait dans les rues de Grenade, à condition de les observer avec attention : il s’agit des vieillards, des drogués et des hommes spirituellement fragiles.

 

Saint Jean de Dieu nous a donné l’exemple, nous a indiqué la voie à suivre alors qu’il n’était compris que d’un petit nombre : il réconfortait les pauvres, les marginaux de tout genres, il soulageait les malades, sans faire aucune discrimination. Aujourd’hui comme hier, son exemple porte partout beaucoup de fruits : son intuition s’est traduite en une réalité  concrète, en une réelle conquête civile.

 

Riches de son enseignement, il nous revient de l’imiter, non seulement en parcourant la voie déjà tracée, mais en interprétant son éternelle nouveauté : chercher le nécessiteux partout où il se trouve, même dans les buildings des grandes villes ; il s’agit de le réconforter, de l’aider et de le respecter dans le contexte de notre époque. C’est dans cette ligne que va aujourd’hui notre tâche principale, dans la continuité de notre tradition charismatique et après avoir discerné quelles sont les valeurs immuables des aspects contingents.

 

 

94.  J’ai parlé de continuité, ce qui ne signifie pas maintenir des rôles, mais exercer vraiment notre charisme, en individualisant de nouveaux champs d’action où intervenir avec un élan renouvelé.

 

La diversité des temps actuels nous conseille l’adaptation à de nouvelles méthodologies et l’emploi des instruments que l’intelligence humaine a su offrir pou délivrer la vie de l’homme de la misère et des maux ; mais elle nous impose surtout de savoir redécouvrir la fraîcheur du message immortel de l’Evangile et de saint Jean de Dieu, qui a su être un interprète formidable des besoins de son époque.

 

De plus, continuité n’est pas synonyme de « statu quo », mais attention à l’essentiel, et elle se propose comme valeur innovatrice, au delà des modes éphémères et des lieux communs ; elle est vraiment révolutionnaire dans une société qui récompense l’uniformisation, la consommation, le succès, l’efficacité de production, la puissance et qui néglige l’homme dans son individualité irréductible et dans la solitude, laquelle se manifeste de manière problématique dans la maladie.

 

95.  Il faut enfin rappeler que l’authentique mission de guide spirituel ne se limite pas à nos structures mais s’étend avec un rayon d’action bien plus large. Notre agir éveille un écho qu’alimentent nos interventions, présentées comme modèles vraiment humains, innovateurs, expressions d’une culture « de l’homme » et « pour l’homme ».

 

Jean de Dieu, à son époque, a attiré l’attention du roi sur son humble magistère ; le souverain fut tellement convaincu par son exemple qu’il finança la construction de nouveaux hospices pour les pauvres, conçus d’une façon complètement différente par rapport au passé.

 

 

 


 

LA RECHERCHE COMME MOMENT

DE RENOUVELLEMENT

DE NOTRE HOSPITALITE

 

 

L’exemple du Fondateur

 

96.   Nous sommes en l’an 1945. Christophe  Colombe avait visité depuis peu plusieurs îles du continent américain. On ne pouvait pas encore prévoir les grandioses conséquences culturelles et humaines de cette découverte : Christophe Colombe lui-même ne savait pas, au moment d’entreprendre son voyage, qu’il n’aurait pas atteint l’Orient, mais qu’il aurait rencontré sur sa route, l’improviste, des terres inconnues, un continent grandiose. Mais il  désirait cependant élargir ses connaissances, essayer des voies nouvelles pour remplacer  ou compléter celles qui étaient alors connues. Christophe Colombe fait preuve de cet esprit de recherche et d’ouverture qui caractérise les talents de la civilisation humaniste, qui mettait l’homme au centre et percevait l’intelligence comme un don divin pour connaître, comprendre et gouverner la nature environnante ; animé par un tel esprit, il s’est mis sous la protection de Dieu et a osé défier l’océan inconnu. Il ne fut pas un téméraire irresponsable. Avant d’affronter les dangers de la navigation en haute mer, il avait étudié, analysé et discuté de son projet, il en avait aussi souffert. 

 

97.   C’est en cette même année, alors que l’Europe s’émerveillait des récits extraordinaires des navigateurs, que Jean Ciudad naissait dans le province d’Evora, au Portugal, dans une localité proche du port d’où Christophe Colombe avait levé l’ancre. Jean, poussé par des inquiétudes intérieures et assoiffé d’aventures, visita de nombreuses terres, jusqu’au moment où, ayant vu de quelle manière on traitait les malades, surtout les malades mentaux, et les pauvres infirmes abandonnés sous les portiques de la villes, il eu l’intuition de la voie à suivre. Dès ce moment, il osa consacré toutes ses forces à la construction d’un hospice pour les aider, mais en employant des méthodes bien différentes de celles qui étaient en vigueur à son époque. Et quand, en sortant de la cathédrale de Grenade, il vit dans la Calle Lucena un édifice adapté à ses exigences, il n’hésita pas à suivre la voix du cœur en mettant en œuvres le plan qu’il avait longuement médité, tout en étant conscient des moyens limités dont il disposait. Nous sommes en 1539 ( ou 1537 ). A cette époque, il ne savait pas, peut-être n’imaginait pas que son geste de charité, de dévouement envers l’humanité souffrante – un geste qui pouvait sembler, sur le moment, téméraire, isolé, voué à l’échec, économiquement parlant – aurait poussé les âmes plus sensibles à l’aider dans son labeur quotidien et à partager sa passion de charité. Il ne savait pas non plus que beaucoup d’hommes généreux suivraient son exemple au cours des  siècles et donneraient leur vie pour garder vivante la flamme de ce même esprit de charité chrétienne.

 

98.   Jean de Dieu a osé penser et projeter. Il a inventé à partir de zéro – je me réfère aux critères d’assistance aux malades en vigueur à l’époque. Il a partagé les locaux  de façon rationnelle, en distinguant et regroupant les maladies par salle ; il a diversifié les thérapies en transformant, surtout au niveau spirituel, la manière d’approcher le malade. Saint Jean de Dieu n’a pas improvisé sans aucune logique ; il traduisait dans la pratique les leçons de l’Evangile, ses expériences intérieures de conversion, sa méditation religieuse, qui lui permettaient de percevoir la route et de l’indiquer aux autres. Et c’est ainsi que notre Ordre a transmis ce modèle de spiritualité à de nombreux pays du monde.

 

Voyage de recherche

 

99.   Si j’ai rapproché Jean de Dieu de Christophe Colomb ce n’est pour le comparer mais pour les présenter sous forme de métaphore. Souvent, les métaphores sot plus utiles que le microscope pour voir ce qui est infiniment petit, et plus puissantes que les télescope pour observer les astres. En effet, plus que les raisonnements rationnels, elles stimulent notre imagination et notre intelligence et nous aident à voir de façon différente ce que nous avons sous les yeux, mais que nous ne réussissons pas à focaliser. Et j’aimerais donc approfondir quelques concepts. Pour nous chrétiens, le voyage de la recherche n’est pas neuf ; il s’agit d’une exigence vitale. Nous ne pouvons pas continuer à parcourir les chemins battus, parfois insatisfaisants et tortueux ; chemins qui, dans le passé, ont eu le mérite de répondre à des institutions d’avant garde mais qui, aujourd’hui, nous apparaissent univoque et limitatifs.

 

L’inertie est l’ennemie de la foi. Le Christ s’est incarné pour nous révéler la route du Royaume de Cieux ; il nous y a précédés par son exemple et sa mort rédemptrice.

 

Pouvons-nous religieux, rester tranquillement ancrés au port, craintifs devant le nouveau voyage à entreprendre vers l’homme, alors que toute notre existence elle-même est un voyage tourmenté et pénible vers le salut ?

 

Notre devoir est de partir à la recherche de l’homme, du nécessiteux.

 

100.   Nous ne trouverons pas de continents inconnus sur notre route. Saint Jean de Dieu a déjà indiqué à la conscience individuelle et sociale l’univers des pauvres et leur humanité blessée. Pendant notre voyage, nous découvrirons certainement d’autres âmes tourmentées par des besoins nouveaux.

Aujourd’hui, les gouvernements reconnaissent le droit inaliénable de tout individu à la santé. La maladie n’est pas seulement un malaise personnel, mais un fait social collectif que l’Etat reconnaît en garantissant aux pauvres l’assistance nécessaire. Quand Jean de Dieu a commencé son entreprise avec la témérité des justes, les choses ne se présentaient pas ainsi. Mais il avait bien assimilé la leçon de l’Evangile, qui lui avait inspiré le projet de soulager la souffrance des marginaux. Un projet qui a rencontré la solidarité de toute l’Eglise au cours des siècles.

 

101.   Notre saint Père le pape, Jean-Paul II, a rappelé en effet, dans son discours de clôture du synode, que l’Eglise désire servir l’humanité, avec toutes ses forces, afin que la vie de l’homme soit toujours plus digne ; elle désire également défendre les droits inaliénables de la personne, fidèle au Saint-Esprit qui donne la vie, et à l’enseignement de Jésus Christ, qui s’est sacrifié pour nous, afin de nous persuader de rechercher, dans le bien et l’amour, la vrai vie, au prix d’une révolution de la hiérarchie des valeurs.

 

Nous devons accueillir, une fois de plus, cet appel pressant de travailler au service de l’humanité en luttant pour affirmer le respect de l’homme et refuser ou transformer, là où c’est possible, certains modèles culturels qui ne tiennent pas compte de l’authentique dignité humaine.

 

102.   Chaque chrétien, chaque religieux doit être comme un pionnier en route vers la terre promis. Nous devons donc nous comporter comme des navigateurs intrépides qui croient possible la communication avec les âmes et ne se fatiguent pas d’explorer l’âme humaine, d’en révéler la grandeur et d’en connaître les besoins pour les soulager. Voilà donc nos objectifs.

 

Dans la première partie de ce document, j’ai individualisé certains rôles particuliers de notre ministère. En premier lieu, celui de guide moral, ensuite celui de conscience critique et enfin celui e pionniers. Dans la deuxième partie j’ai indiqué certaines catégories de nouveaux nécessiteux, qui appartiennent à cet océan qu’est « l’homme qui souffre ». mais pour que nos interventions soient concrètement efficaces et clairement motivées, il faut entreprendre une authentique recherche religieuse, professionnelle, humaine, individuelle et collective. C’est cet esprit de rechercher que je me suis efforcé de vous transmettre et d’alimenter dans ce document ; les nouvelles Constitutions m’ont été d’un grand secours. C’est cet esprit qu’il faut vivre et renforcer dans toutes les communautés.

 

 

 

 

 

S’adapter à son époque

 

103.  Excusez-moi si j’insiste sur ce thème, mais cela me semble nécessaire : ne demeurons pas insensibles aux progrès de la science médicale ; et même si l’engagement et l’esprits de solidarité de nos confrères sont exemplaires, nous courons le risque de nous retrouver non préparés au point de vue culturel, professionnel et spirituel devant les attentes de l’Homme et de l’Eglise de notre temps, devant les exigences de la technologie avancée qui touchent de près les possibilités de survie et de développement de notre Ordre.

 

104.   Nous sommes appelés à travailler sur cette terre pour notre salut et celui du malade. Notre foi et notre conscience de religieux doivent nous pousser à intervenir dans toutes le situations où, par paresse, habitude, ignorance et isolement, la santé et le salut du malade – et donc les nôtres aussi – sont en danger. Tout cela nous oblige à écouter, à comprendre, à rechercher à apprendre, à coordonner, à prévenir, et en fin de compte à réfléchir, en étant toujours prêts à mettre nos attitudes en discussion, sans nous laisser démoraliser si, par exemple, dans certaines provinces, le nombre des frères diminue, ou si nos collaborateurs sont plus préparés que nous. Notre crise pourra porter ses fruits car nos efforts, au lieu de se tarir en interventions particulières et limitées, auront un plus ample champs d’action, car il s’inséreront dans un programme de travail plus vaste et constructif.

 

105.   Il faut faire preuve d’énergie et de sacrifice, mais nous, chers frères, n’avons nous pas choisi, au moment d’entrer dans l’Ordre, de servir Dieu et l’homme avec patience et dévotion ?

 

la spécialisation cloisonnée n’est pas pour nous, même si, à première vue, elle peut sembler gratifiante et directement efficace et opérante ; elle finirait par nous enfermer dans une cage et nous empêcherait de voir la dimension spirituelle et universelle des faits, en nous desséchant par une technique poussée à l’exaspération.

 

D’ailleurs, si nous décidons de suivre cette voie, nous gaspillerons nos énergies, volerions un temps-précieux à notre travail en nous perdant dans un labyrinthe de connaissances technologiques particulièrement sophistiquées.

 

Nous ne pouvons pas nous limiter au rôle de techniciens qui gèrent des machines et des moniteurs : ce n’est pas pour cela que nous avons prononcé des vœux. Nos collaborateurs laïcs, je répète, agissent mieux que nous et avec plus d’efficacité dan ces rôles. Ne nous privons donc pas d’un temps précieux à consacrer au salut des âmes et à la santé de l’homme. Notre bagage de connaissances doit englober un monde plus vaste pour intégrer notre action dans un ensemble où prévaut une culture à dimension humaine, qui vise le salut spirituel, la récupération d’une harmonie psychophysique et du bien-être, comme témoignage actif et militant de la charité, de l’amour et du service humble et désintéressé envers le nécessiteux.

 

106.   De cette façon, ouverts au monde, curieux des réalités intellectuelles, attentifs aux transformations, forts dans la foi et généreux dans nos engagements, nous, comme religieux et comme communautés, perpétuerons le charisme de notre tradition en adaptant notre action aux nouveaux besoins humains.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

APPENDICE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

 

Dans cette partie, j’examine concrètement trois catégories de besoins de notre époque, qui nous permettront de passer l’épreuve du feu comme religieux, dans nos rôles de témoins, de guides moraux, de conscience critique et de pionniers. J’aurais certes pu amplifier la gamme des situations, mais vous avez compris ce que je voulais dire. Je demeure ouvert à toute suggestion ou intégration ; chaque province ou communauté peut y contribuer, en faisant part des expériences nouvelles qu’elle a faites dans cette même optique. Ce qui me tenait à cœur, c’était de vous communiquer l’esprit qui a dicté ces pages et qui s’inspire des nouvelles constitutions, c’est à dire du texte sur lequel j’ai longuement réfléchi et prié avant de mettre au travail.

 

La personne âgée, le mourrant, le drogué : trois groupes de personnes qui, plus que toute autre, souffrent des conséquences de la marginalisation, de la solitude et de l’abandon. Dans un monde où, seules, la production et la consommation comptent, celui qui n’est plus jeune perd toute importance sociale. Voilà donc le domaine où, dans l’indifférence et l’abandon – dont très souvent les instances politiques sont responsables – le message et le témoignage des Samaritains modernes ( et nous sommes et voulons être du nombre, comme authentiques disciples du Christ et de Jean de Dieu ) peuvent vraiment « sauver » l’homme et lui redonner confiance et sérénité. Ce sont les nouvelles frontières de notre apostolat, les « signes des temps », qui doivent guider l’Ordre hospitalier dans la construction solide de son avenir.

 

 

I.    LA VIEILLESSE

 

Un phénomène en expansion

 

Une des nouvelles réalités de notre époque est le vieillissement de la population, d’autant plus accentué là où l’homme participe aux énormes bénéfices du progrès économique, social, culturel et sanitaire. Ce phénomène ne se manifeste pas seulement par l’augmentation de la longévité moyenne, mais également par le pourcentage absolu de vieillards dans la société : la réduction des naissances, en modifiant les rapports, a déterminé, en effet, une augmentation relative du nombre des personnes âgées.

 

Au cours du dernier congrès de médecine du Milan, on a lancé l’hypothèse de quelques chiffres pour l’an deux mille. En Italie, par exemple, il y aura 131 personnes âgées pour 100 enfants. Nous nous trouverons donc devant une réelle explosion démographique du « troisième âge » si on pense qu’au début du siècle, en Italie toujours, il y avait à peine 28 personnes de plus de soixante ans pour 100 enfants. La situation est identique dans toutes les nations technologiquement avancées.

 

La science, qui s’était prononcé la grande tâche d’aider l’humanité à vivre plus longtemps, s’est fixé comme objectif, maintenant d’aider le genre humain à mieux sa vieillesse.

 

Devant de tels chiffres, le problème du troisième âge prend une ampleur également quantitative dans notre société actuelle. Jusqu’à présent, les sociétés occidentales s’étaient surtout interrogées sur le poids économique que représentait des millions de retraités, ce qui a provoqué des questions et des doutes à propos du concept de l’Etat-Providence. Il semble qu’à l’improviste, maintenant, le progrès scientifique et « l’explosion démographique » aient éveillé une plus grande attention pour ce problème, en prenant au dépourvu tant les intéressés que les responsables.

 

La culture du juvénilisme

 

La culture de notre époque n’est guère préparée à affronter ce phénomène. En effet, si nous examinons les comportements de différentes nations, nous constatons un grand investissement pour des crèches, écoles, universités, c’est à dire adressé aux jeunes ; on remarque un fléchissement brutal de l’attention publique vers cette même personne dès qu’elle atteint un certain âge. Ceci est vrai jusqu’à un certain point, car les politiciens de nos pays se sont donné du mal pour organiser quelque chose pour les personnes du troisième âge, surtout quand celles-ci se retrouvent seules et marginalisées. Cette action va dans une double direction : en assistant les plus pauvres dans des centres spécialisés qui, souvent sont l’antichambre du cimetière, ou en s’efforçant de les faire participer à quelques activités qui les maintiennent en contact avec la jeunesse.

 

Nous ne pouvons toutefois ignorer, en jetant un regard critique sur les modèles culturels de notre époque, que ces interventions sont souvent partielles et subissent la mentalité dominante, la soi-disant « joung culture », centrée sur l’extrême jeunesse, l’efficience physique et l’hédonisme, au détriment d’autres valeurs.

 

Le modèle par excellence est l’individu jeune ; or, jeunesse signifie beauté, santé, vitalité, efficacité. Voilà les paramètres pour juger si une vie est digne ou non de l’homme jeune, dans la plénitude de ses possibilités psychophysiques et productives, représente l’homme tout court.

Ce modèle explique tant de choses ! Par exemple que de nombreux animateurs sociaux, pleins de bonne volonté, encouragent des personnes de plus de soixante ans à sautiller dans des fêtes dansantes ou à pratiquer du footing ou du jogging, en étant convaincus d’accomplir une action noble et appréciable. Mais ce n’est qu’une réponse partielle et insidieuse en même temps, car la personne âgée à refuser son âge et à récupérer sa jeunesse perdue dan l’espoir d’être acceptée.

 

La société accepte encore la personne âgée, mais à condition qu’elle joue à faire le jeune, qu’elle singe un âge qu’elle n’a plus. Quelle tristesse devant ces situations, qui ne sont ni plus ni moins qu’une barbarie, et qu’un soi-disant amour pour la jeunesse ne justifie pas !

 

C’est une barbarie, car, une fois de plus, on limite la vie dans sa totalité, ou la scinde en différentes époques, on la réduit et l’on force qui n’a pas la « chance » d’être jeune à assumer des attitudes incohérentes par rapport à son âge physique et psychique, ce qui le rend ridicule. Ce type d’attitude peut engendrer des processus pathologiques de refus de son âge, aspect et rôle, ainsi que des souffrances physiques, car l’unité entre corps et esprit, entre le temps chronologique et le temps psychologique de notre moi plus profond se brise. Ce processus collectif d’un refus culturel de la vieillesse en rappelle un autre analogue, face à la mort. Il existe une littérature abondante sur la femme, l’homme, l’enfant et l’adolescent, mais sur la vieillesse, rien ! Nous nous trouvons devant un autre tabou de la société laïque civilisée contemporaine, pour qui la vieillesse coïncide avec le prélude de la mort, l’âge terne, l’essoufflement et la souffrance, l’effondrement physique et la mise en marge des joies de la vie. Combien de jeunes ne disent-ils pas à la légère qu’ils ne désirent pas devenir vieux !  Et cela parce qu’ils imaginent la vieillesse comme une paralysie physique, une souffrance, une angoisse ; ils n’en voient que les limites, l’artériosclérose, l’arthrose, et j’en passe .

 

Le langage reflète cette résistance psychique : « les moins jeunes », le « le troisième âge », le « quatrième âge » sont de termes qui remplacent presque toujours le mot « vieux », « vieillesse », « personne âgée ». comme si ce nominalisme, comme si les mots pouvaient changer la réalité des faits ! Les partisans de la juvénilité à tout prix proclament que « la vieillesse n’existe pas, elle n’est que psychique ! ». La société affronte ce problème avec hypocrisie. Les économistes discutent du poids social des « non-actifs » ( encore le nominalisme avec une nuance économique et productive ). Mais nous nous interrogeons : les « actifs », en subvenant aux besoins des « non actifs », ne s’assurent-ils pas un « troisième âge » meilleur ?

 

Insister sur la période juvénile, quand soi-même on n’est plus jeune, peut être une solution de facilité. Une telle insistance cache la volonté de ne plus de souvenir que la jeunesse aussi connaît ses problèmes. Cette vision qui oppose l’âge d’or à l’âge gris indique clairement ses limites et à quel point elle est peu fidèle à la réalité. Encore une fois, l’homme angoissé devant la mort, parce qu’il est privé  d’une culture globale de la vie et donc de la mort, essaye de surmonter son angoisse, de l’exorciser et de l’éloigner en ayant recours au conte merveilleux qui raconte les haut faits de la jeunesse, dans une espèce d’évasion fantastique et collective de la réalité qui recrée le mythe d’une Arcadie moderne.

Cette dimension culture éveille des attentes injustes et exaspérées, qui portent inévitablement la vie des jeunes à de dramatiques désillusions, ce qui est encore plus injuste pour la personne âgée, car cela la mortifie et ne lui permet pas de vieillir. 

 

Dimension existentielle de la vieillesse

 

Comme toutes les situations humaines, la vieillesse comporte une dimension existentielle : elle modifie le rapport qu’a l’individu avec le temps, et donc son rapport avec le monde et avec son propre histoire. Mais si une telle situation en remise en question, niée par la société, alors le rapport se rompt et engendre des conséquences négatives, jusqu’à la négation de soi. En d’autres mots, si la vieillesse biologique est un facteur que l’on ne peut conditionner, ni par l’histoire, ni par la société, le destin et la situation individuelle des vieux sont au contraire un fait social et historique, et donc déterminer par la culture humaine. De plus les réalités physiologiques et psychologiques peuvent s’influencer réciproquement et déterminer des phénomènes psychosomatiques.

 

      La personne âgée est l’objet d’une manipulation sociale, également de la part de la publicité qui, en la gardant dans le circuit de la production-consommation, la façonne comme consommatrice d’illusions juvéniles et esthétique. Certains savants ont voulu assimiler la vieillesse à une maladie et ont créé, sur la base de cette hypothèse, une gériatrie physico-reconstructive. Mais le faite est que nous nous trouvons devant une erreur : la vieillesse n’est pas une maladie, c’est à dire un fait accidentel, mais une règle de l’évolution physique : reconstruire le physique rappelle l’illusion de la jeunesse. Il est évident qu’une amélioration du tonus physique chez la personne âgée influence positivement son moral, crée un plus grand bien-être et retarde l’apparition de certains processus de dégénération osseuse. Nous ne devons pas nous opposer aux thérapies physiques, mais bien aux modèles sous-jacents, qui sont de  nature esthétique et non morale.

 

Hippocrate fut le premier à comparer les étape  de la vie humaine à la succession des saisons de la nature. Ceci nous permet de mieux comprendre le type de négation et de refus présenté par le modèle culturel que nous venons d’analyser : c’est comme si un arbre devait faire semblant de ne pas perdre ses feuilles à l’entrée de l’hiver, en se couvrant de fausses feuilles empruntées quelque part… On se figure pouvoir interdire le « processus de croissance » de l’évolution biologique par des articles indignes, en éveillant un mécanisme de rejet qui provoque davantage de souffrances et de mutilations et qui forme une personnalité pathologique, en crise de valeurs et sans conscience de soi.

 

     Dans le passé, le vieillard était sage. Il connaissait les choses qui, très souvent, étaient indispensables pour la vie et la survie ; il détenait une savoir qui se transmettait de génération en génération.

 

     En Afrique, encore de nos jours, quand un vieillard meurt, les survivants s’exclament : « Un livre s’est fermé aujourd’hui ». Dans le passé, les vieillards jouissaient d’un grand respect et c’est la raison pour laquelle, nous dit l’historien P. Laslett, plus d’une personne « exagérait son âge ».

 

     Mais nous sommes là dans un contexte social différent. L’historien Cipolla écrit : « Une société industrielle est caractériser par le progrès technologique rapide et permanent. Dans une telle société, les installations deviennent rapidement obsolètes et les hommes n’échappent pas à cette règle. L’agriculteur pouvait vivre avec les quelques notions apprises au cours de l’adolescence, tandis que l’homme de l’époque que l’industrielle est soumis à l’effort continuel de se maintenir au courant et, malgré cela, il sera inexorablement dépassé. Dans la société agricole, le vieillard est un sage : dans la société industrielle, il est une épave ».

 

     On comprend alors pourquoi beaucoup de vieux finissent leur vie sans jouer aucun rôle, et, paradoxalement, comme aux prises avec une Némésis : il y a la vengeance de l’ancien sur le neuf. Celui qui a joui du privilège  de produire et de vivre dans la société industrielle y perd son rôle, tans dis que ceux qui, comme les artisans et les agriculteurs, ont vécu d’une activité autonome, conservent à différents niveaux ( mental, familial et social ) une meilleure capacité de jouer un rôle également pendant la vieillesse.

 

     Un autre fait paradoxal de notre société technologique est le suivant : le « poids » social et le pourcentage plus élevé de personnes âgées créent des contradictions auxquelles s’ajoute une incertitude sur l’identité et sur les rôles.

 

     Ne voyez-vous pas, chers frères, que dans cette époque technologique tant vantée, tout ce qui brille n’est pas or ? Que celui qui favorise la culture de l’homme intégral, pour toute la durée de son existence, avec ses besoins matériels, culturels et spirituels, a raison, et non celui qui est simplement capable d’utiliser des découvertes techniques ?

 

 

Culture humaniste et foi religieuse

 

La culture dominante permet la marginalisation parce qu’il s’agit d’une culture incomplète, partielle, réduite. Une culture humaniste et la foi religieuse nous sont d’un grand secours pour sortir indemnes du piège du mythe technologique. La première, la culture humaniste, dénonce, avec l’appui de toutes les sciences, à quel point il est illusoire de penser pouvoir sauver l’homme universel. La deuxième, la foi en Dieu, nous rappelle la dignité de l’Homme, son caractère sacré en tout temps et tout lieu, sanctionné par l’espérance de la résurrection. En effet, « Le ressuscité a libéré l’homme des trois forces anti-divines : le péché, la loi, la mort … Croire à la Résurrection du Christ, c’est affirmer le pouvoir de la vie sur la mort, de l’Esprit sur la loi, de la Grâce qui est vérité, beauté, et amour, le péché qui est fermeture, mesquinerie, laideur… vivons sans peur (Vannucci ).

     La culture humaniste et la foi assignent à tout moment un rôle à l’homme, et le jugent capable d’être soi-même, à chaque époque ou étape de vie, même après la mort physique. Comment pouvons-nous, nous, religieux hospitaliers*, répondre concrètement à cette nouvelle forme de marginalisation ?

 

     Nous ne pouvons pas, bien sûr, penser changer totalement la société. La réponse très simple, est déjà implicitement présente dans les considérations précédentes. La vieillesse propose trois aspects distincts reliés entre eux : le biologique, le psychologique et le social.

 

     Il existe plusieurs interventions intéressantes à faire au niveau biologique : de la gymnastique éducative, préventive, rééducative aux soins spécialisés des maladies et phénomènes typiques de cet âge. Ces interventions requièrent la collaboration et l’aide d’experts qualifiés dans différents secteurs. Toutefois, nous savons qu’elles ne sont pas en mesure de redonner complètement la santé parce que la possibilité d’altérer l’événement biologique, et donc le déclin de l’individu vers la vieillesse, n’existe pas.

 

     Un autre champs d’action, moins spectaculaire que celui de la médecine ou des découvertes thérapeutiques aux résultats triomphants, mais qui assure au vieillard des soins plus efficaces, est celui du psychologique et du social : il faudra aider la personne âgée à se désaccoutumer des modèles de la culture dominante qu’elle a absorbés.

 

     En d’autres mots, nous tous ensemble, Frères de Saint jean de Dieu et laïcs, nous devons chercher des réponses appropriées, des solutions aptes à redonner un sens à la vieillesse, une identité et un rôle aux personnes âgées. Si c’est cela notre but, il faut que nous examinions les modes et les moyens de l’atteindre.

 

     Avant tout, il faut individualiser le besoin du malade, remonter aux causes et trouver les thérapies appropriées qui garantissent une assistance intégrale, selon le système des valeurs inspirées par le christianisme. Nous ne pouvons pas permettre que nos centres deviennent des parkings pour des vieillesses désadaptées.

   

 

Etre à la hauteur de notre tâche.

 

     Pour être à la hauteur de cette tâche, il nous faut deux choses fondamentales.

En premier lieu, le Frère de Saint Jean de Dieu doit assimiler une culture de la vie, réaffirmer de manière décidée sa propre vie religieuse de l’existence. En deuxième lieu, il doit se soucier d’écouter patiemment la personne âgée, d’entrer en contact avec elle, jour après jour, sans préjugés.

 

L’échange réciproque d’informations, favorisé par cette expérience quotidienne avec le malade, facilitera les rapports entre le patient et les experts laïcs des différents disciplines et les rendra plus constructifs. En outre, nous ne devons pas avoir peur d’affronter de nouvelles connaissances, également par la lecture, pour mieux pouvoir comprendre les mécanismes psychologiques délicats et complexes de la personne âgée.

 

Libérons-nous, à ce propos, du complexes de l’humble Frère de Saint Jean de Dieu qui se mesure à la culture contemporaine, dans une rencontre inégale. Un de nos religieux rempli de charité, de foi et d’humilité rend un précieux service d’amour en se laissant guider par le cœur et par sa culture religieuse. Dans ce voyage vers des terres nouvelles, il ne connaît pas avec certitude toutes les eaux dans lesquelles il devra naviguer ni tous les écueils qu’il devra surmonter. Cependant, il dispose d’instruments précieux pour ne pas perdre sa route.

 

Il sait que tout en ne pouvant pas combattre la vieillesse dans son processus physique et biologique, il peut agir efficacement au niveau physique, grâce à de petites attentions pour mettre le vieillard à l’aise et l’aider à accepter avec sérénité son état .

 

Que nos hôtes vivent leur conditions en paix avec eux-mêmes et les autres, et non comme un emprisonnement larvé, cela dépend en grande partie de nous.

Un bien-être authentique, qui peut faire passer au deuxième plan les misères de la vieillesse, exige d’avoir récupéré le sens des son âge.

 

Chez les personnes âgées, un moral abattu peut provoquer un brusque déclin. Cela aussi est un phénomène psychosomatique.

 

Malgré la maturité atteinte, la psyché des personnes âgées se révèle très fragile ; il suffit d’une déception, d’un changement  d’habitudes, d’une diminution de certaines fonctions pour provoquer un traumatisme qui est à l’origine du déclin physique. Parfois, et il faut toujours s’en souvenir, ce traumatisme a lieu au moment de passer à l’hôpital, l’hospice ou la maison de repos. Très souvent, les personnes âgées vivent ces moments comme un arrêt de leur vitalité, comme la disparition de toute dimension sociale, c’est à dire comme le début d’un déclin définitif, prélude d’une mort imminente. Cette dépression crée une indifférence et une apathie auxquelles il faut s’opposer.

 

Si nous mortels, nous ne pouvons pas altérer la physiologie humaine, ni nous illusionner au sujet de recettes miraculeuses, nous pouvons cependant avoir recours aux disciplines psychologiques pour interpréter les faiblesses et les attentes des vieillards et pour y répondre de façon satisfaisante et stimulante.

Il ne s’agit évidemment pas de leur redonner les années écoulées mais de collaborer pour leur assurer une meilleure qualité de vie, en respectant leur « background » socio-culturel et en tenant compte du fait que le syndrome que nous venons de décrire frappe indistinctement les personnes pauvres ou aisées. La seule distinction valide est celle liée au sexe de la personne âgée.

 

La femme, en effet, aussi longtemps qu’elle vit en famille, conserve certains de ses rôles liées à sa condition précédente de mère ; elle garde ses rapports affectifs avec ses enfants et ses petits enfants ; elle se rend utile et, et très souvent, elle est responsable du bon fonctionnement de la maison.

 

Pour l’homme, au contraire, l’âge de la retraite est un réel traumatisme : il perd son rôle de gagne-pain de la famille sans acquérir celui qui était en vigueur dans le passé, quand le vieillard était reconnu comme les sage, le patriarche, le guide influent. Il se sent inutile, celui qui ne produit plus ; une bouche de plus à nourrir. Nous nous trouvons face à un phénomène culturel et social, et c’est à ce niveau que nous devons intervenir.

 

A côté de ces facteurs de caractère psychologique s’ajoutent les effets des maladies chroniques les plus diffuses : hypertension, diabète, arthrite et autres. Et ici, il faut faire appel aux thérapies nécessaires suggérées par la gériatrie. Mais le gros problème qui exige notre attention est d’ordre psychologique.

 

Rendre son rôle à la personne âgée

 

La tâche du Frère de Saint Jean de Dieu est de rendre un rôle au vieillard. Il faut tout d’abord en être conscient personnellement, car beaucoup d’entre nous en sont vieux, ou sur le point de le devenir. Et alors, il faut qu’on s demande : Comment vivons-nous notre troisième saison ? Savons-nous vieillir ?

Cette auto-ausculation nous dévoilera des conséquences importantes et de nouvelles connaissances. Il faut que nous fassions participer la personne âgée à cette prise de conscience qui est la nôtre, pour qu’elle apprenne à accepter son état. Cela lui rendra confiance et sérénité.

 

Souvent la personne âgée a peur de ne pas être aimée ni écoutée. Elle a même peur que certaines de ses idées soient interprétées comme dégénérations psychiques dues au vieillissement. Elle peut subir la tristesse de constater que, dans sa vie, il n’y a plus de place pour les projets et les rêves, mais seulement pour les regrets, le poids des souvenirs qu’elle broye sans cesse ou mythifie. C’est à nous de la convaincre que la vieillesse est aussi une saison qui glorifie des valeurs comme celle de l’amitié, de l’amour et de la sagesse.

 

La personne âgée dispose de beaucoup de temps libre car elle est libérée des occupations et de la routine productives. Elle peut donner beaucoup, au moment où elle croit valoir peu. L’âge de la vieillesse pourrait vraiment être l’âge des valeurs humaines, plus que des besoins matériels, mais à condition de se garder jeune d’esprit, et en acceptant la vie pour ce qu’elle est. Sans fuir en arrière ou en avant. Le pape Jean XXIII disait à ce propos : « Parfois je vois venir la tentation de me considérer comme un vieux. Il faut réagir : en dépit des apparences extérieures, il faut conserver intacte la jeunesse de l’esprit ».

 

Nous pourrons aider la personne âgée à récupérer les rôles qui sont les siens, à condition d’être nous-mêmes capables de vivre notre âge, de vivre avec notre vieillesse.

 

Si quelqu’un me demandait : « Que dois-je faire pour aider ce vieux, qui est marginalisé, fragile, affaibli et appauvri ? », je répondrais : « Dis-moi comment tu vis ou tu a l’intention de vivre ta vieillesse, et je te dirai comment tu pourras aider ce vieux, qui est ton prochain ».

 

La première chose à faire, concrètement, est d’avoir une relation adulte, mûre par rapport à son âge. L’Ordre vit des dons spirituels et humains de ses membres : sans les jeunes, il n’aurait pas d’avenir ; sans les membres âgés, il n’aurait pas de guides expérimentés.

 

C’est pour cela qu’il est souhaitable qu’il y ait toujours un échange d’idées, d’expérience et de projets entre les différents générations : en d’autres mots, qu’il y ait toujours une créativité. Une étude sur les centenaires a mis en évidence d’intéressantes situations de vitalité psychique. La majorité d’entre eux font des plans précis pour l’avenir, se consacrent à leur passe-temps favori, ont un sens aigu de l’humour, un solide appétit et même une bonne résistance physique.

Ils remplissent bien leurs journées d’occupations et d’activités variées, et ne manifestent, du moins en apparence, aucune peur de la mort.

 

Un autre témoignage intéressant est celui d’un gérontologue anglais, Alex Confort, qui a dit : « C’est probablement notre perspective culturelle et non le nombre de nos cellules cérébrales, qui nous induit pendant la vieillesse à la rigidité ou, au contraire, à la disponibilité et au changement ».

 

L’activité intellectuelle, la capacité de faire des projets, l’expression de la créativité personnelle, des occupations intéressantes et épanouissantes empêchent donc un précoce et brusque déclin mental. Avec toutes les conséquences que cela comporte sur l’humeur, le goût de vivre, le rapport avec soi-même et avec son âge, qui sera certainement positif.

 

La personne âgée dispose de temps pour retrouver ses sources d’intérêt et en découvrir de nouvelles. Une fois de plus, il faudra apprécier ces réflexions et ces expériences dans une vision intégralement humaine, qui ne fait pas abstraction de l’ensemble des valeurs et des comportements nécessaires pour résoudre le problème de l’identité et du rôle des personnes âgées. En d’autres mots, les activités récréatives et créatives, même si elles son importantes et nécessaires, ne peuvent pas être un prétexte d’évasion, une fuite devant l’ennui et la crise existentielle. Celui qui proposerait de tels modèles seulement pour remplir le vide du temps qui passe ne saisirait pas le nœud de la question.

 

La personne âgée serait la première à se rendre compte du subterfuge et éprouverait une intime tristesse.

 

Nous ne devons pas non plus tenter d’impossibles retours en arrière, quand la personne âgée avait une forte position sociale, ni croire que la solution est de la réinsérer, coûte que coûte, dans la société productive.

 

Cependant, il ne faut pas négliger « d’employer » son expérience, en lui demandant de collaborer avec nous pour des interventions, des analyses, des jugements. Elle peut certainement être utile en contactant d’autres personnes âgées ayant encore davantage besoin d’aide.

 

Chaque être âgé est un microcosme, une personne, un ensemble d’habitudes, de petits rites personnels et quotidiens qui ne sont solidifiés tout au long d’une existence. Là où c’est possible, nous devons garantir ces formes personnelles afin d’éliminer l’impression pénible de ne pas être chez soi, sans les objets familiers avec lesquels on a toujours vécu, et pour ne pas ressasser avec nostalgie ce dont on est privé.

 

Nous pouvons le faire en écoutant et bavardant avec eux, en les découvrant petit à petit ; il faut éviter de les culpabiliser pour leurs goûts ou attitudes ( souvent on veut qu’ils soient sérieux, sages, en ordre ; mais eux aussi expérimentent le même éventail de sentiments et de situations que nous ), ce qui les obligerait peut-être à assumer une identité de « couverture » pour être acceptés.

 

C’est en les respectant qu’on pourra aider les personnes âgées à récupérer leur rôle : nous ne pouvons pas leur imposer nos idées à tout prix. Et même, avant d’atteindre cet objectif, nous les aurons aidées à reprendre conscience de leur âge, à vivre sans culpabilité ni remords, sans se sentir de trop. On pourra peut-être ainsi éviter définitivement ces situations pénibles de vieillards éternellement assis et déprimés, qui n’ont rien d’autre à communiquer se ce n’est le récit de leur misères, de leurs aigreurs et commérages. 

 

Les familles doivent collaborer

 

Il sera impossible de redonner à la personne âgée son rôle, en surmontant le mur de la solitude, si l’on ne parvient pas à faire participer les familles à cet effort collectif. La famille doit être prête au dialogue, ne fût-ce que pour nous faire savoir les habitudes, les intérêts ou autres petits faits importants pour la personne âgée et qu’il nous est utile de savoir pour mieux pouvoir centrer notre action. La famille doit être prête pour collaborer et à visiter ses vieux, pour ne pas les isoler des affections qui demeurent présentes dans leur souvenir. Quelle harmonie pourrions-nous recréer si la mélancolie domine ?

 

Une de nos tâches sera donc de sensibiliser les membres de la famille avec lesquels nous devons être en dialogue, tant pour les écouter avec intérêt que pour les conseiller.

 

La richesse de notre charisme se manifeste une fois de plus. Il s’agit de bien l’exploiter, en étant ouverts aux temps actuels, sans insister sur de vieilles méthodes qui souvent se limitent à un paternalisme d’assistance sans plus. Nous devons choisir d’entrer en communications avec la personne âgée, de la suivre dans ses craintes, ses défenses, ses échecs, ses espérances, bref, ses possibilités. Ce n’est qu’ainsi que votre, que notre rôle aura quelques poids. Oh ! Comme j’aimerais voir nos Frères de Saint Jean de Dieu, jeunes et vieux, discuter non de cas cliniques mais de cas humains ( et donc aussi cliniques), au sein d’un groupe de référence, où toutes les opinions se comparent, pour donner au religieux qui suit une personne âgée toutes les suggestions que la science et le cœur peuvent mettre à sa disposition ! Comme j’aimerais voir les religieux s’entretenir avec les membres de la famille de leur hôtes âgés, non pour leur donner des ordres ni pour réprimander, mais afin d’acquérir des informations utiles pour assurer une meilleure assistance !

Et enfin j’aimerais voir les Frères de Saint Jean de Dieu bavarder sans cesse avec la personne âgée, dans une découverte réciproque d’humanité.

 

Nos œuvres pour personnes âgées ne seraient pas des maisons de repos, mais des lieux d’activité, d’étude, de recherche, de réflexion, de révélation de l’âme humaine et, dans la mesure du possible, d’activation de toutes les ressources disponibles.

 

Enfin, je voudrais que, sur son lit de mort, la personne âgée puisse nous dire « Vous avez fait tout ce qui était possible, souvent plus que le nécessaire ; parfois vous vous êtes trompés, parfois vous n’avez pas compris, mais vous avez toujours eu l’oreille attentive et le cœur ouvert ! »

 

J’ai bon espoir que cela puisse se réaliser dans l’avenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

II

 

LE MALADE TERMINAL

 

 

Un euphémisme pieux

 

Nous avons observé précédemment à quel point la perte du rapport direct avec le malade est bouleversante et comment le travail d’humanisation au sein de nos structures doit commencer par là. Il ne s’agit pas tant de récupérer un rapport de type clinique, entre patient et infirmier, mais plutôt d’un rapport avec l’âme de notre malade : nous devons récupérer ce noyau complexe d’affection, d’émotivité, d’attitudes de l’esprit qui entrent en jeu de façon positive quand deux êtres se rencontrent. Cela dépasse de loin le cadre du rapport qui existe entre un malade anonyme « numéroté » et un professionnel aseptique chargé de le soigner. Nous savons aussi q’une telle rencontre requiert et stimule une croissance spirituelle réciproque. Ce discours devient plus difficile devant un certain type de malade, le mourrant, qui par un euphémisme pieux, presque exorcisant, est défini « malade terminal ». on reste songeur, non seulement devant l’évanouissement de la vie terrestre dans le mystère de la mort et dans l’espérance de la résurrection future, mais également devant la constatation amère que notre action est impuissante à intervenir de façon positive à ce moment, qui est le plus important de l’existence humaine.

 

Comme chrétiens, nous savons à quel point ce passage, pour tout homme et pour toute âme, est décisif. Nous savons les tourments psychiques et les peines que souffre le moribond, à quel point il manifeste son amour pour la lumière, pour la vie, pour le monde qu’i lest sur le point de quitter.

 

Nous savons aussi que se préparer à la mort est une condition essentielle pour pouvoir affronter sans crainte, sans regrets, ou sans refus furieux et peccamineux, l’épreuve de ce dernier instant fugitif.

 

Devant la réalité de la mort, mystère surhumain, nous ne pouvons que demeurer dans un grand silence pieux, élever nos suffrages pour l’âme du défunt et nous incliner devant la volonté divine.

 

Mais auparavant, que pouvons-nous faire ? Mourir à l’hôpital est de nos jours un fait habituel et très répandu.

 

Nous rencontrons toujours davantage la mort dans les différents salles et services. C’est un phénomène auquel il nous faut faire face, fidèles à notre culture d’hospitalité. Nous limiterons-nous à prier pour le défunt ou devons nous l’aider de quelque façon à faire sereinement le grand saut ? Dans ce cas aussi, nous devons faire attention aux comportements inconscients mais dangereux et erronés, qui estompent la dignité de l’homme.

 

Un tabou à éliminer

 

Pour un chrétien, le problème de la mort doit être un sujet fondamental aider le mourant à garder sa dignité, sa valeur et l’accompagner pendant ces derniers moments, qui sont souvent longs, doit être un de nos devoirs d’assistance et de bonne hospitalité. D’autant plus que la mort est vue dans une optique faussée.

 

Il existe deux tendances opposées dans la société contemporaine : celle qui refuse la mort comme donnée objective de l’existence humaine ; on l’écarte avec un sentiment de terreur et de dégoût une autre redécouvre la mort comme un événement inéluctable. Oui, Chers frères, on redécouvre la mort, comme si elle n’avait pas toujours été présente dans la pensée, les actions,  l’histoire et la civilisation de l’homme. Mais examinons quelques phénomènes qui soulignent cette première tendance.

 

L’homme d’aujourd’hui refuse la mort : il sait qu’elle existe mais il se comporte comme si elle ne devait jamais arriver, il évite de la considérer comme certaine et prétend ainsi l’éloigner, comme un rituel exorcisant.

 

En bref, il refuse même d’y penser. Et cependant, la mort est devenue un phénomène habituel et quotidien. Pensons au journal télévisé qui, souvent, nous offre « la mort à la table », en direct, au point de nous faire douter de la licéité éthique de spectacles semblables, que l’on justifie par le « devoir d’informer ». si nous analysons les comportements les plus habituels, que tout le monde néglige, nous constatons que la culture même de la vie est basée sur la certitude de la mort. Supposons un paradoxe : l’immortalité de la vie terrestre. Si c’était vrai, l’homme n’aurait plus les mêmes comportements, il changerait d’habitudes, de philosophie existentielle : l’âge de l’apprentissages serait constant et non relégué à la période de l’enfance, de l’adolescence, de la jeunesse ; l’angoisse devant le temps qui passe n’existerait pas ; le temps et la volonté de reconstruire, de changer d’activité, le courage de faire des options, de changements prévaudraient sur la tendance à la résignation, au professionnalisme définitif et conservateur.

 

On verrait la vie dans une perspective complètement différente, on créerait de nouvelles habitudes, de nouvelles théories et de nouveaux modes de penser.

Et cependant, précisément parce qu’il s’agit d’un paradoxe, nous constatons la contradiction flagrante qui existe dans de refus de la mort. Est-ce seulement la peur qui fait que l’on nie la mort de nos jours ? Dans le passé, l’homme n’éprouvait-il pas de peur ? Une explication réside dans le fait que l’image de la mort est en net contraste avec l’hédonisme, la vitalité juvénile, la beauté stylisée, c’est à dire avec les modèles de consommation culturelle et économique tant en vogue de nos jours. On la considère comme inconvenante, comme les actes physiologiques : le moribond, dans sa dégradation physique, est associé à des phénomènes déclarés inadmissibles par la civilisation des désodorisants.

 

On ne sublime plus la mort, on ne la trouve plus héroïque, comme c’était le cas dans le passé pour les grands personnages de la littérature, qui aimaient un belle mort, virile, patriotique et digne. L’anti-héros littéraire contemporain est le bourgeois qui s’adapte aux courants de la vie, tout en craignant et fuyant la mort. La culture plus noble a revu les modèles précédents aussi et les a déclarés inadmissibles pour notre réalité.

 

La confiance dans la science médicale pousse la famille à hospitaliser le malade grave. Parfois, même devant la certitude négative, sans espoir, elle s’accroche au mirage du « miracle scientifique ». très souvent, certains comportements cachent une incapacité de soigner, souffrir assister et vivre en promiscuité avec la mort. Dans certains cas, le malade grave devient un poids insupportable difficile pour les cyniques, et ainsi on s’en décharge sur autrui, avec l’alibi de lui offrir une assistance spécialisée  qui, dans la plupart des cas, se révèle modeste et inutile.

 

L’image traditionnelle  du mourant a changé   

 

Une caractéristique de notre époque est qu’on meurt de plus en plus rarement dans son lit. On préfère l’hôpital, soit qu’on ait besoin de soins spécialisés qui requièrent un équipement intransportable à domicile, soit parce qu’on a perdu l’habitude d’un rapport direct avec la mort (la vraie, pas celle projetée sur le petit écran, que l’on peut regarder avec détachement en admirant la prouesse des acteurs qui la simulent).

 

L’évolution de la famille rend pour ainsi dire impossible l’accomplissement de certaines tâches d’assistance à domicile. Dans le passé, les familles nombreuses étaient plus à même de se partager, en le rendant supportable, le poids d’une longue présence quotidienne auprès d’un malade alité ; on était d’ailleurs préparé psychologiquement pour un tel événement.

 

L’image traditionnelle du mourant a changé. Souvent, c’est une espèce de monstre, sous perfusion, prisonnier d’un réseau de tubes en plastique, d’électrodes, de cathéters, de sondes. C’est l’image de cette civilisation, la représentation iconographique d’un époque d’une époque qui exprime une réalité de marginalisation totale et de solitude intérieure. Le temps est révolu où le mourant parlait avec sa famille affligée, mais attentive à cette voix grave qui recommandait et souvent bénissait.

 

La mort était un rite de douleur qui avait le cadre d’une solide espérance. Aujourd’hui, ce cadre à pour ainsi dire complètement disparu de notre culture. Et cela vaut la peine de s’interroger à ce propos.

 

Dans le livre « les méditations chrétiennes », de Giovanni Vannucci, au chapitre relatif à la Résurrection, j’ai trouvé une citation intéressante : « je choisis pour ces considérations ( sur la mort de l’homme ) deux courants de pensée et d’expérience différents. Je commencerai par un texte hindou du Katha Upannishad (1000 avant Jésus-Christ)… Nachiketas interroge Yama, le roi des morts, pour qu’il lui révèle le mystère de la mort, l’immortalité. Yama, réticent, soumet son interlocuteur à quelques épreuves. Après avoir trouvé que le jeune était mûr, il lui révèle le secret du « moi » profond et immortel de l’homme.

 

En répondant à la question, il affirme que les hommes se divisent en deux catégories : ceux qui s’identifient avec la partie physique et vitale de leur être, et ceux qui sont, au contraire, en communion constante avec leu « moi » et immortel.

 

Pour les premiers, la mort est un arrêt, un événement amer et non voulu ; pour les autres, c’est un progrès, un accès à une vie plus vaste et libre. « le bien suprême est une chose, l’agréable une autre. Tous deux entraînent l’homme vers une fin différente. Celui qui adhère au bien atteint une bonne fin ; celui qui choisit l’agréable, échoue. Le bien et le plaisir se présentent à l’homme, le sage les examine et les discerne.

Le sage choisit le bien et non l’agréable ; le sot, l’avide et possessif, préfère le plaisir. Le monde spirituel ne se manifeste pas à l’homme qui n’est pas mûr ni au sot. Celui qui se leurre à la vue des richesses affirme que seul ce monde existe, et n’en voit pas d’autres…

 

L’homme qui se concentre sur ce qui dépasse l’ouïe, le toucher, la vue, le goût et l’odorat, sur l’indéfectible et l’éternel, sans commencement ni fin, sur ce qui est plus grand que les choses grandes, sur ce qui est permanent, échappe à la faux de la mort ».

 

Pour l’autre courant, le courant hébraïque, je choisis deux extraits, l’un de l’Ancien Testament, l’autre d’un récit midrashique. « mieux vaut un chien vivant qu’un lion crevé ; les vivants savent au moins qu’ils mourront, tandis que les morts ne savent rien, et il n’y a plus pour eux de salaire, car leur mémoire est oubliée. Leur amour, leur haine leur jalousie ont désormais péri, et ils n’auront plus jamais aucune part à ce qui se fait sous le soleil» ( Eccl 9, 4-6 ).

 

« Hillel dit au jeune disciple Jacob : « je me sens vieux, et j’ai peur de la mort. Quand je serai en agonie, prie l’ange de la mort d’avoir pitié de moi ». Jacob répondit : j’accepte, à condition qu’une fois atteinte l’autre rive, tu viennes me dire comment les choses s’y passent ». Un mois après la mort, Hillel apparut à Jacob pour lui dire : « Merci, frère, l’ange de la mort a été doux avec moi, il m’a effleuré avec la légèreté d’une aile de papillon. Si tu savait comme Dieu est bon, Jacob ! Il pourrait me demander n’importe quoi , toutefois s’il exigeait de moi de retourner sur la terre, je refuserais ». Jacob s’étonna. « Mais l’ange de la mort n’a-t-il pas été bon avec toi ? n’as-tu pas maintenant la preuve que la mort est douce ? », « J’en ai la certitude, mais je ne voudrais pas retourner vivre sur la terre ». « Pourquoi ? »    « A cause de l’angoisse de la mort ».

 

les deux traditions sont le signe de deux cultures différentes. Pour l’indouisme, l’angoisse de la mort est le fruit de l’ignorance : le sage en est exempt, étant conscient de la nature immortelle du moi. Au contraire, dans l’hébraïsme, la mort, qui est présente depuis les premières pages de la Genèse jusqu’au écrit sapientiaux, est le comble de tous les maux …

 

Cette note caractéristique de la religiosité hébraïque découle, à mon avis, de son mythe central : la « Justice ». le Juif est sur la terre pour créer un peuple de justes qui réalise, dans son milieu propre, la grande justice divine ; le peuple des justes guidera toutes les autres nations qui se tournent vers la ville juste, Jérusalem.

 

C’est de cette création d’un peuple de justes que découle l’importance très grande conféré à la famille, à la terre, à la vie et à la révélation hébraïques.

 

Dans une telle optique, la mort ne peut que sembler une punition, une amende pour une faute commise, et aussi comme un échec angoissant pour celui qui ne pouvait voir les enfants de ses enfants ni bénéficier de toutes ses attentes de justice. L’annonce de la résurrection ne pouvait avoir lieu que dans l’hébraïsme avec son renversement définitif : « Celui qui croit en moi à la vie éternelle. Celui qui mange ma chair a la vie éternelle. Je suis la résurrection et la vie » (Jn 6,53 ; 11, 26).

 

Et cependant, ces paroles sont souvent restées lettre morte dans la vie de la chrétienté. Quelques rares saints ont souri à la mort en l’appelant « sœur » ou « le plus grand sacrement ». Ce  qui a prévalu d’habitude, c’était l’horreur de la mort …

Aujourd’hui cependant, dans la culture laïque elle –même, on remarque chez les penseurs les plus avertis une nouvelle attention à la mort, après de longues années d’indifférence.

 

Redécouvrir la mort.

 

A ce point, mes chers frères, vous me demanderez la raison de cette longue digression. Elle est simple. Il est important de redécouvrir la mort, non seulement en fonction de l’au-delà, mais en fonction du présent. On dit : si tu veux la vie, prépare la mort. Ou bien : on meurt comme on a vécu. Mais pas selon la logique de l’horreur, ni en suivant le mécanisme du refus, qui font pressentir et expérimenter de façon dramatique et angoissante le moment de la séparation. La médicalisation de la mort, quand le malade devient la proie de la médecine, est une manière de refuser le grand saut.

 

C’est pour cela que beaucoup de gens pensent de nos jours que la mort la meilleure est la mort « subite et à l’improviste », que l’on craignait tant au Moyen Age. Et même « après », le défunt ne doit pas avoir l’air d’être mort. Dans les salons funéraires américains, on l’embellit pour le faire ressembler à lui-même vivant. « The patient looks lovely now » ( le patient semble bien maintenant ! ).

 

Le deuil aussi est refusé : souvent parce qu la souffrance intérieure venant à manquer, le signe extérieur n’a plus de sens. On regarde même avec méfiance qui se laisse aller à ses émotions.

 

Mais il s’agit là de palliatifs, qui ne change pas le fond de la question.

 

Il est temps que la mort, qui est une avec la vie, sorte de la clandestinité. Il est urgent que l’homme retrouve le chemin, qu’il avait perdu pendant un certain temps, vers une culture de la mort et donc de vie. Et C’est possible si on suit la route de l’homme. En écoutant tout ce qui précède, nous voyons surgir un nouveau type de nécessiteux, de marginal : le malade terminal, nous devons lui garantir attention et assistance.

 

Il est vrai que beaucoup de questions surgissent devant une personne qui n’a pas d’espoir de survie. Avant tout, jusqu’à quel point faut-il prolonger le traitement thérapeutique ? Peut-on permettre que cela se transforme en véritable acharnement ? Qui décode de la durée et des modalités de cette lutte contre la mort ? Quelles interventions sont légitimes ? Quelles interventions  ne le sont pas ?

 

Quelle doit être l’attitude du soignant devant le mourant ? Qui collabore avec lui pendant cette étape ?

 

En bref, que faut-il faire pour assurer au mourant le maximum de dignité, le minimum de souffrance, en sauvegardant son droit à la vie, mais sans s’acharner à lui prodiguer des soins inutilement douloureux, cependant, sans l’abandonner à lui-même ? Et encore : comment et quand, s’il le faut, avertir le mourant de son état ? Qui doit le faire ?

 

Questions dramatiques

 

Nous nous trouvons devant des problèmes dramatiques.

Beaucoup de médecins et de soignants et hélas, parfois l’un ou l’autre Frère de Saint Jean de Dieu, ne savent que faire et finissent pas abandonner à la solitude celui qui est en train d’affronter la démarche la plus importante de la vie. Nous sommes devant la conséquence néfaste d’une assistance qui a pour seul objectif la récupération de l’intégrité et de l’efficacité physiques ; c’est la porte ouverte au refus de la mort.

 

Une première raison fondamentale pour se poser le problème concerne certaines attitudes de plus en plus diffuses et qui menacent l’homme au nom de l’humanité. Parmi celles-ci, il faut mentionner la plus sournoise, l’euthanasie, qui s’insinue en douce dans l’hôpital et est acceptée avec toujours plus de crédit. D’habiles manipulations culturelles, surtout par les mass média, parviennent à présenter l’euthanasie aux yeux du public comme la réponse la plus « humanitaire » pour éliminer les souffrances de celui qui n’a plus d’espérance de guérison ; on élimine celui qui souffre.

 

L’ambiguïté de ce faux humanitarisme ne résiste pas a une analyse attentive. « Très souvent », nous dit le théologien B. Häring, « les demandes pour une mort charitable ne sont pas une vraie expression de la volonté de mourir mais camouflent un appel désespéré pour recevoir plus de soins, plus d’attention, plus de solidarité humaine ». Ceux qui défendent l’euthanasie la considèrent comme une conquête humaine ; elle sanctionnerait « le droit de mourir avec dignité ». Mais, chers frères, la dignité de la mort ne réside certes pas dans cette conquête-là, mais dans la manière d’affronter la mort.

 

Ce qui est inhumain, c’est ce lit, ces tubes, ce corps et cette âme abandonnés à eux-mêmes, cet homme seul avec, pour toute compagnie, ses pensées, ses angoisses et ses inquiétudes. La vraie réponse consiste à affronter ce moment de souffrance morale et psychique, mais non à supprimer celui qui souffre.

 

Nous savons que la science médicale peut aider à bien affronter la mort en évitant de réduire l’homme à l’état d’animal en proie à la souffrance. Le progrès réalisé dans les procédures de réanimation diminuent ou suppriment la sensibilité corporelle dans ce but.

 

Cependant, chers frères, il nous faut définir ce no man’s land, qui sépare les soins et le soulagement des souffrances, de la cruauté et de l’expérimentation inutiles, autrement dit, de l’acharnement thérapeutique, fait exclusivement par orgueil scientifique et qui réduit l’homme à l’état de cobaye.

 

Il faut reconnaître que l’on peut maintenir une personne en vie à l’état végétatif s’il n’y a pas de bonnes raisons qui justifient autres que l’expérimentation. Aujourd’hui, le temps de la mort s’est à la fois prolongé et subdivisé. Il y a la mort cérébrale, biologique et cellulaire. Les anciens signes, basés sur l’arrêt cardiaque et respiratoire, ne suffisent plus. On mesure l’activité cérébrale, on peut activer artificiellement les pulsions cardiaques, on peut stimuler la respiration.

 

Le médecin peut, à discrétion, prolonger le temps de la mort : on ne peut pas éliminer la mort, mais on peut régler la durée de la fin. Il est possible de retarder le moment fatal en supprimant aussi la souffrance.

 

Mais très souvent ce prolongement, au lieu d’être un moyen scientifique au service de l’homme qui souffre, se transforme en fin. Et c’est précisément dans cette zone d’ombre et de frontière entre soins et cruauté, entre droit à la vie et euthanasie, que notre conscience de religieux doit veiller à ce qu’on respecte la mesure qui soit signe d’humanité et d’éthique et qui dépasse le cadre des lois prévues par les différents pays.

 

La mort ne peut être le domaine exclusif du médecin, de la technique, de l’expérimentation, car elle représente le plus ancien mystère de l’homme. Et nous, religieux, nous ne pouvons pas nous exempter d’exercer notre rôle spécifique de missionnaires du salut et de guides spirituels.

 

Ne pas abandonner le mourant. Mais arrêtons-nous à un troisième aspect que j’ai déjà mentionné. Souvent, devant un malade grave, nous perdons nous-mêmes l’espoir, nous nous sentons inutiles et nous l’abandonnons, dans l’attente du moment inexorable. Quelle étroite vision de la vie et de la mort, quelle accoutumance à un rôle de techniciens que d’oublier que le terme santé signifie également « salut », c’est-à-dire vie de l’âme !

 

C’est pour cela qu’aujourd’hui l’hôpital est devenu le lieu de la mort solitaire. Un cœur qui s’arrête ne fait pas de bruit et, cependant, il devrait éveiller un vibrant écho en nous. La mort, comme la vie, n’est pas un acte exclusivement individuel. Celle des autres nous touche de près.

 

C’est à nous, dans la mesure de nos limites humaines, incapables de changer les destins, d’éliminer cet aspect « sauvage » de l’image de la mort solitaire avec des tubes de plastique, qui fait revivre d’une façon éclatante cette horreur antique devant le cadavre putréfié, abandonné dans la campagne.

 

Sinon, quelle civilisation serait la nôtre, où l’on change les formes de l’horreur, mais non sa substance ?

 

Au cours d’un récent congrès de médecins catholiques à Rome, on a discuté des problèmes de la souffrance, de la vieillesse, de l’euthanasie. Thèmes fondamentaux qui requièrent un cadre philosophique général pour amorcer une critique sérieuse de notre modèle de civilisation et pour aborder une culture et des attitudes nouvelles dans ce secteur.

 

Pendant ce progrès, un professeur a déclaré textuellement : « Un nouvel engagement dans l’assistance aux mourants est nécessaire. Il faut intensifier une présence auprès du malade, étant donné que c’est le mourant qui a quelque chose à nous enseigner, car il vit une expérience que les autres ignorent. Il faut prévoir une préparation qui doit être surtout humaine. Un médecin ou un infirmier ne pourront assister un mourant, avec un visage serein et avec équilibre si, dans leur propre conscience, ils n’ont pas intégré une vision de la vie et de la mort  c’est-à-dire s’il n’ont pas trouvé une réponse personnelle aux problèmes essentiels de la vie humaine ».

 

Chers frères, quelle leçon ne nous donne pas ce laïc ! Nous, parfois bloqués par nos peurs plus que par nos engagements, affaiblis par nos fantasmes d’impuissance, sommes devancés par des laïcs aux suggestions riches de valeur, qui devraient être les nôtres et que nous n’avons pas été capables d’intégrer dans la richesse de notre charisme.

 

Je disais auparavant que « la dignité de la mort » réside également dans la manière sereine de l’affronter, en ce moment ( long ou bref, conscient ou semi-conscient ) d’oubli de l’esprit avant le trépas définitif.

 

Mais les problèmes surgissent avant le moment final : à partir du moment ou l’évolution du mal fait prévoir un aboutissement certain et funeste. C’est pendant cette phase que la volonté rationnelle appliquée à la méthodologie scientifique entre en crise en nous faisant désespérer et en nous poussant à renoncer à tout type d’aide. Mais nous, nous savons que là où s’arrêtent la connaissance et la science, il reste encore l’espace pour la force supérieure de l’Esprit.

 

Dans la phrase « terminale », le malade doit résoudre des énigmes très délicates, il est tourmenté par des doutes angoissants, secoué par quelque vague espoir, et détruit par sa déchéance. Il est envahi par la peur, alors qu’il se retrouve seul avec lui-même, conscient de son unicité. Pendant les moments de lucidité, il revoit sa vie comme dans un film, avec le risque de s’anéantir définitivement dans ce cauchemar, submergé par le sentiment de culpabilité, de regrets, de rancœurs, d’un attachement désespéré à la vie, du besoin, resté sans réponse, de communication et d’affection. De délicats mécanismes psychologiques se déclenchent en lui, et il faut savoir les reconnaître et les dominer. Et par conséquent, il est indispensable de pouvoir compter sur la collaboration de psychologues experts, parce que souvent la culture personnelle ne suffit pas. Le mourant est nécessiteux plus que quiconque ; c’est un malade « difficile », qui exige beaucoup de temps et d’attentions. Ce n’est que rarement qu’il parvient seul à une acceptation et à une plus grande sérénité ; il a besoin de l’aide de tous ceux qui l’assistent et de celle de sa famille. Sans entrer dans le débat sur la nécessité de révéler ou non son état au malade grave, il est prouvé que quiconque se trouve dans une situation semblable la devine au-delà des mots.

 

Il faut donc l’assister en faisant attention aux détails. Les discours sont inutiles. Ce qui sert, c’est une présence affectueuse. Le malade doit sentir qu’il ne sera pas seul pour affronter ce moment. Il suffit de lui tenir la main. Ce contact poignant l’ancre à la vie, lui donne la sécurité d’une protection, presque maternelle, et lui permet de dire les choses qui, pour lui, sont urgentes et importantes, peut-être ses derniers mots.

 

Obtenir la participation de la famille

 

Mais pour pouvoir vraiment l’aider, il faut la participation de la famille. Avant toute chose, il n’est pas juste que ce soit à la famille de décider seule s’il faut et comment, informer le malade de son état. Il est toujours opportun que les médecins qui s’occupent du patient rencontrent ses proches, pour un échange d’informations, concernant également la psychologie du malade, afin de décider ensemble la manière de procéder.

 

La famille peut nous donner des informations précieuses sur l’histoire personnelle du malade, qui nous permettent de mieux le comprendre.

 

Parfois son attachement à la vie est dicté par une noble préoccupation pour le sort de ceux qui restent. Il a peut-être l’intention de confier ses ultimes recommandations aux membres de sa famille, de préciser l’un ou l’autre point du passé, d’éliminer son sentiment de culpabilité. Nous devons favoriser ces derniers moments de communication qui, dans le passé, faisaient partie du rituel de la mort : le malade avait sa famille réunie autour de son lit, et il conversait avec elle, dans son climat de chaleureuse sérénité et d’acceptation ; il laissait ses dernières volontés, divisait l’héritage. Les assistants se sentaient investis d’un charisme. Il n’est pas impossible de redonner vérité, réconfort, amour et acceptation chrétienne à ces âmes qui se préparent à l’ultime démarche. Dans tout cela, il y a enrichissement réciproque car le mourant nous aide aussi. Nous apprenons de lui des sensations qui nous ignorions en restant à ces côtés, également attentifs aux proches du malade, qui vivent des moments d’inquiétude, de tensions. Souvent, ils se consument dans le doute et l’angoisse par manque de nouvelles et aussi parce que les médecins, pour des raisons professionnelles, sont parfois évasifs et utilisent un langage excessivement technique en présentant un diagnostic ou un pronostic. Si nous comprenons mieux les exigences de la famille, qui sont dictées très souvent par une préoccupation affectueuse, nous pourrons contribuer à créer un climat de coopération mutuelle, de confiance et de sincérité chaleureuse pour le bien du malade.

 

Il faudrait accorder un temps de visite suffisamment long au proches, pour que celle-ci ne semble pas trop aseptique ni dépersonnalisée, surtout en réanimation, en étudiant en même temps les moyens appropriés pour garantir le respect des normes hygiéniques. Nous devons unir à la prière pour l’âme, qui est un devoir pour tous les religieux, un sens profond de pitié chrétienne, qui jaillit du cœur. Notre sensibilité nous guidera dans cette tâche difficile d’être une épaule sur laquelle on peut pleurer, une force sur laquelle on peut compter.

 

Notre exemple est plus convaincant que mille paroles pour retrouver un chemin spirituel. De cette façon, nous développons un modèle et une technique de l’échec de la médecine devant la mort. Le moment crucial pour les proches est l’imminence du décès de l’être cher. Essayons d’imaginer la douleur, la confusion, la fatigue psychique de ces personnes, souvent tourmentées par un sentiment de culpabilité parce qu’elles voudraient ne pas assister au moment fatal. Notre présence à leur côtés est plus que jamais précieuse et réconfortante.

 

On peut dire la même chose pour les proches des malades qui sont hospitalisés d’urgence et qui sont brusquement passés d’un état de santé à la maladie, pour des raisons cardiovasculaires, cérébrales, traumatico-accidentelles. La préoccupation des proches pour l’être cher est également forte, même si le pronostic n’est pas fatal.

 

Je n’ai pas présenté des objectifs impossibles. Je suis certain qu’en suivant la voie qui, plus que jamais, est la nôtre, la mort à l’hôpital pourra vraiment devenir, pour le malade grave, le seul lieu où une assistance continue, méthodique lui est garantie, avec des moyens introuvables ailleurs ; il deviendra également un lieu d’assistance intégrale, qui éloigne les spectres inquiétants de la solitude et de l’horreur, en laissant un espace à la résignation humaine et à l’espérance chrétienne. Je voudrais, dès à présent, vous inviter à étudier des moyens et des formules, à imaginer et préparer, avec les médecins et les infirmiers, une redécouverte profonde du sens de la vie et de la mort.

 

Je suis convaincu que, sur la base de quelques merveilleuses expériences déjà en cours, commence celle du  « Royal Hospital » de Montréal, de certaines fondations, parmi lesquelles une fondation italienne, un énorme horizon s’ouvre au Frère de Saint Jean de Dieu désireux de s’engager d’une façon nouvelle pour accompagner les mourants. Ce n’est pas seulement un devoir précis, lié à notre vocation hospitalière, mais également une condition « sine qua non » pour l’évolution de notre Ordre et pour procurer un service digne à l’Eglise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

III

 

LES DROGUES

 

 

 

Le cancer des jeunes

 

On a souvent, peut-être trop, comparé le problème de la drogue et de la toxicomanie à un cancer qui se répand avec toutes ses métastases sur la civilisation occidentale. Mais c’est certainement l’image la plus efficace pour mettre en lumière ce nouveau « mal » de la société, qui frappe surtout les jeunes. Tenter une analyse exhaustive du problème de la drogue est une entreprise difficile, mais il est néanmoins indispensable d’en présenter une description sommaire. La gravité et l’extension du phénomène sont évidents, sans même prendre en considération les statistiques qui, en soi déjà, comportent une tragique évidence.

 

L’Organisation Mondiale de la Santé affirme que plus de 4.000.000 de personnes aux Etats-Unis ont eu recours à différents types de drogues. Mais ce phénomène devient effrayant quand on l’examine dans ses pourcentages relatifs. Le Federal Bureau of Narcotics affirme qu’un jeune sur cinq se drogue et que, de toute façon, 40 % des élèves du deuxième cycle du secondaire en ont pris au moins une fois, et ce chiffre s’élève jusqu’à 60 % pour les universitaires.

 

Ce n’est pas parce qu’on prend de la drogue qu’on devient un toxicomane, mais la réalité précise : plus de 50 % des drogués reconnus ont entre 20 et 30 ans, et le pourcentage de drogués d’un âge inférieur augmente. Leur extraction sociale est une indication : 52 % de noirs ; 6 % de Mexicains ; 13 % de Portoricains ; d’autres mots, la plupart appartiennent à des groupes ethniques socialement marginaux.

 

Observons ce même phénomène en Europe : on constate qu’il a atteint des dimensions alarmantes aux Pays Bas, au Danemark, en Grande-Bretagne, Allemagne, France ; pour ce qui concerne l’Italie, on note qu’il ne se limite plus aux grandes villes du Nord, mais a atteint les principaux centres du Sud et même de petites villes moins importantes, mais où les chômeurs sont en grand nombre.

 

Qui est un drogué ?

 

Pour éviter toute confusion, nous définissons comme drogué celui qui se trouve dans un état d’intoxication périodique ou chronique, dû à l’usage habituel et continu, avec syndromes d’abstinence, de stupéfiants naturels ou synthétiques, mettant en danger le « status » psycho-organique du sujet et lésant de vastes secteurs de la personnalité. La morphine, l’héroïne, la cocaïne, le L.S.D. mais également le métadone, les barbituriques et les soi-disant « drogues légères », dont la marijuana, sont les principaux stupéfiants généralement définis comme hallucinogènes. Les réactions sont différentes d’une drogue à l’autre et de sujet à sujet. Les caractéristiques dominantes sont la somnolence, la difficulté d’élocution, dépression du système nerveux central, états de béatitude, d’excitation, d’hyperactivité, sensation d’un prolongement du temps psychique, euphorie, hallucinations. Réactions qui, dans tous les cas, présentent un danger pour soi-même et pour autrui. Pour soi-même,  car la perception altérée ou réduite de la réalité constitue un facteur de risque évident pour sa propre sécurité ; en outre, l’abus de drogues provoque une dévastation organique et un déclin physique qui peut conduire à « l’overdose » fatale, c’est à dire à un collapsus et une insuffisance respiratoire souvent mortels.

 

On peut affirmer avec certitude que les drogués présentent une pathologie considérable de maladies chroniques, d’hépatites, d’atteintes irréparables de certains organes, avec l’apparition de nouvelles maladies comme le S.I.D.A. Il faudrait ajouter d’autres problèmes encore : le risque de la drogue « coupée » d’autres substances nocives, par exemple, ou la négligence de toute hygiène par les héroïnomanes. Mais notre discours deviendrait trop long et complexe. Il faut aussi mentionner, cependant, le danger que le problème de la drogue représente pour la société. Il est aisé de comprendre comment un état hallucinogène, des perceptions altérées, l’exaltation psychique, la perte du tout frein inhibiteur, l’absence d’un sentiment de culpabilité ou de pudeur produisent une personnalité altérée, une espèce de « molécule affolée » de la collectivité. Les conséquences sont bien connues : la toxicomanie engendre des besoins économiques pour l’achat des stupéfiants. Ce besoin s’additionne à des milliers de phénomènes de délinquance, du petit vol avec effraction aux agressions violentes, mais pour peu d’argent. Ces différents éléments ont fait augmenter le pourcentage des crimes et créent un état d’insécurité totale car le drogué est poussé à frapper quiconque, sans aucune discrimination. Le critère selon lequel le délinquant commun n’agit pas quand le jeu n’en vaut pas la chandelle n’est plus du tout vrai dans le cas d’un drogué. 

 

Je n’ai pas du tout l’intention de transformer le drogué en un criminel, loin de là ; mais il faut reconnaître certaines situations sans avoir recours à des euphémismes. Nous ne pouvons pas ignorer certains symptômes de barbarie qui sont en train de se faire jour, assez cyniquement, dans certains discours : on réclame une interventions publique ou privée « énergique » pour assainir la situation, sous prétexte de protéger la société contre ce danger.

 

Facteurs et causes.

 

Si nous attirons votre attention sur ce phénomène, c’est pour en indiquer  la misère, pour en rechercher les causes et en voir la victime : le consommateur de drogue. Il est évident que demander une sécurité pour la société correspond à un facteur de dignité civile, de justice, mais cela ne peut pas être le point de départ pour résoudre le problème. La toxicomanie est un problème de l’homme, lié à des dynamismes sociales, psychologiques, culturelles bien précises, de même qu’à des carences spirituelles. Si on ne se situe pas dans cette optique, on pourra difficilement élaborer un programme d’intervention thérapeutique acceptable. Pensons seulement à la quantité de facteurs qui influencent les options personnelles : les éléments psychologiques individuels, la vie de relation avec la famille, les amis, la collectivité, la situation sociale, la position culturelle. Pensons également à la responsabilité énorme de ces modèles culturels qui, au cours de la dernière décennie, ont proposé la drogue comme un moment de liberté, d’alternative ; modèles matérialistes et consuméristes, caractérisés par la chute de certaines idéologies et, pour ainsi dire, dépassées, et qui expliquent la tendance actuelle à l’arrivisme, au succès qu’il faut atteindre à n’importe quel prix. Le panorama spirituel de notre époque nous semble plus aride, appauvri de valeurs éthiques sans qu’émergent des alternatives suffisamment structurées. Et c’est dans un tel vide que s’insèrent ces mauvaises tendances. La difficulté d’intervenir à temps s’explique par la rapidité et la complexité des mutations économiques, sociales, technologiques et culturelles dans un monde où les valeurs elles-mêmes semblent devenir un objet de consommation. La drogue y trouve sa place, en se présentant comme « fille de son temps » et à un double titre : comme réponse trompeuse à des situations de malaise, donc comme moyen de fuite vers le bonheur et comme proposition de « valeur alternative », c’est à dire un autre mode de vie qui n’accepte pas celui du commun des mortels.

 

Il faut encore ajouter à ce cadre centaines contradictions pénibles de la politique extérieure ou intérieure des nations à propos des grandes valeurs comme la paix, la liberté et la justice, qu’elles n’affirment pas avec décision, de même que le cauchemar aberrant du conflit nucléaire. Il en découle une forme de pessimisme existentiel, qui pousse à vouloir tout en tout de suite, à consommer rapidement tout type d’émotion. Il en dérive aussi un culte pour la jeunesse, qui éveille des attentes injustes chez les jeunes, comme le mythe de l’ivresse et du bonheur. Ces deux conséquences ne sont certes pas étrangères à la diffusion de la drogue, car elles ont privé l’homme de certitudes valides, de la sécurité d’un modèle juste, et éliminé des horizons humains la foi et les idéaux dans lesquels croire et espérer.

Notre société, c’est à dire nous tous, conscients et responsables de certaines erreurs que nous-mêmes reproposons, nous pousse à surmonter ces incertitudes et ces angoisses par des psycholeptique. On se targue d’obtenir par des pilules énergétiques le bonheur, l’épanouissement et le succès ; on enseigne à vaincre l’angoisse par l’alcool, selon la stratégie d’une productivité non soumise aux besoins humains mais qui vise à imposer des besoins faux, négatifs et aliénants. N’est-il pas vrai que les forces socio-économiques s’adressent aujourd’hui aux jeunes ( et même aux enfants ) comme sujets à conquérir en vue de la consommation, qui a pour premier objectif le profit et non l’éducation ?

 

Carence de protections pour les jeunes

 

Et c’est le jeune en formation qui est le plus exposé à toutes ces embûches. Au moment où il commence à explorer personnellement le monde, à se faire une échelle des valeurs, à comparer ce qu’il voudrait avec ce qu’il trouve, et en plein processus de socialisation, le jeune n’est pas encore capable de choix raisonnés. Pendant cette phase de la structuration de la personnalité, il est ouvert aux nouveautés , il est curieux, cherche le contact avec les autres, pour se connaître et connaître, pour se mettre à l’épreuve et également pour définir son identité. C’est pour cela qu’il peut facilement être séduit par les modèles aberrants. Au bout de sa route, il peut même rencontrer le trafiquant en quête de nouveaux clients.

 

Ses défenses seraient certes plus solides s’il pouvait compter sur une famille qui le guide, l’informe, l’aime et lui sert de refuge quand il est en difficulté. Mais nous avons déjà vu à quel point la famille à évolué en passant d’une culture paysanne à une culture industrielle et technologique. Dans la première, la transmission des valeurs se faisait de père en fils : c’était lent mais sûr. Le père, dépositaire du savoir, enseignait au fils les choses du monde et de la nature. Aujourd’hui, la figure paternelle a perdu ce prestige culturel, son autorité de guide. Les connaissances sont si vastes, rapides et changeantes qu’elles empêchent l’assimilation du savoir paternel. D’ailleurs, très souvent, les enfants ont une préparation scolaire supérieure à celle de leur père qui, eu égard ) la rapidité des mutations, demeurera étranger aux phénomènes typiques de la jeunesse, et les enfants ne voient plus en lui un interlocuteur digne de confiance et « préparé ». En outre, une forme de transmission des connaissances qui a lieu en dehors du cadre familial est toujours plus efficace ( et aussi manipulante ). Il y a les mass média, qui proposent sans cesse des modèles culturels assez insidieux pour la psyché des jeunes, surtout par truchement de la publicité. Pour ne rien dire du rôle négatif de certains parents au sein même de la famille, qui est entrée en crise comme cellule de base de la société. C’est très souvent les parents eux-mêmes qui reproposent aux enfants, sans faire preuve d’aucun sans critique, ces modèles de comportements et de succès. Les jeunes ne sont pas heureux dans une famille qui est sans cesse menacée de séparation, de chômage, de revenus inférieurs à la moyenne, c’est à dire de facteurs qui créent un sentiment de marginalisation et de frustration à la revanche, le pas est rapide. Et alors, le jeune « fruit » : dans les rues, sur les places, il se joint à des groupes pour trouver ce qui lui manque. Et c’est là qu’il se heurte à la dernière embûche, le réseau d’un vaste marché où agissent des gens privé de tout scrupule, avec des liaisons internationales, un marché dont les trafiquants du coin n’est qu’un « terminal ». le drogué potentiel, sans solides liens familiaux, sans certitudes morales, influencé par le comportement des jeunes de son âge, du « groupe », fait son premier choix d’évasion, pour essayer, ou ne fût que pour être accepté. La drogue est arrivée aux portes des écoles secondaires du 1er cycle, ce qui accroît de façon notoire le danger pour la société.

 

Le toxicomane, avec une santé physique et psychique déficiente, manquant d’amour, de compréhension, de connaissances, mais surtout de liberté, fait partie de la catégorie des nouveaux nécessiteux : il est emprisonné dans son âme elle-même. C’est pour cela qu’il n’est pas étonnant de voir l’apparition de communautés thérapeutiques d’inspiration chrétienne qui, avec grand dévouement et compétence, affrontent surtout la dimension personnelle, non pas la dépendance psychologique. Malgré les expressions apparentes de « liberté » affichées par le drogué, il se sent esclave au point de ne plus croire même à la possibilité de guérison.

 

Un champ d’action ouvert aux Frères

de saint Jean de Dieu 

 

Ce sujet exigerait bien d’autres approfondissements, mais je m’arrête ici pour l’instant. J’ai fait cette réflexion, car je suis persuadé que le Frère de Sait Jean de Dieu possède, au niveau religieux et professionnel, la possibilité d’approcher le problème d’une façon adéquate, en développant son rôle de guide, d’animateur, et en collaborant avec d’autres initiatives, sans jamais perdre de vue le problème humain. Mes chers frères, comme je vous l’ai promis, je n’ai pas l’intention de vous donner des ordres avec ce document, mais de vous proposer des réflexions utiles pour découvrir l’énorme éventail de nos possibilités, que nous avons déjà développées en partie mais auxquelles nous pouvons trouver d’autres applications à notre époque. J’en ai mentionné trois, qui me semblent plus directement à notre portée et que nous ne pouvons affronter q’après avoir fait un examen attentif de nos situations spécifiques, après avoir individualisé les nécessiteux d’aujourd’hui.

 

Mon objectif principal, je le répète, est celui de nous encourager à méditer, à sortir des schèmes étroits qui nous empêchent de changer, comme notre charisme et nos Constitutions l’exigent. Je voulais inviter chacun d’entre nous à sortir de notre toxicodépendance de la routine, de nos aises, de la sécurité, des regrets, des paresses, des habitudes des peurs, pour entrer dans le domaine de la créativité afin de répondre aux besoins de l’homme contemporains avec efficacité.

 

En effet, notre identité ne se construit pas sur la conservation sans critique du passé mais sur l’attention au présent et à l’avenir, sur la disponibilité de tous à assumer les gestes, les rôles, les initiatives que les temps actuels exigent, dans une fidélité indéfectible à l’Evangile et à notre saint Fondateur.

 

 

 

 
 

Torna alla pagina precedenteTorna alla home page