La Spiritualité de l’Ordre Hospitalier
Progresser dans L’Hospitalite comme Saint Jean de Dieu
PROGRESSER DANS
L’HOSPITALITE COMME SAINT JEAN DE
DIEU. LA SPIRITUALITÉ DE L’ORDRE
HOSPITALIER
Traduction de l’espagnol par Kathleen Elslander
INTRODUCTION
- “Ce que
commença pieusement Jean de Dieu »[1] « vers
l’an 1538 à Grenade, dans une pauvre maison louée »[2]
se poursuit de nos jours ; depuis 465 ans, son esprit et son charisme
continuent à agir dans notre monde. Sa fécondité et sa capacité de toucher
les cœurs sont telles que des hommes et des femmes de divers continents,
de peuples, de races et d’époques le reconnaissent comme ‘père spirituel’.
Dans sa lancée et touchés par son exemple, ils réalisent des projets
d’accueil, de soutien, de santé et de rééducation en faveur des plus
démunis.[3]
- Nous ne
sommes pas seulement à une époque de changements mais à un changement
d’époque. Les manières de penser, d’agir et de vivre d’hier semblent déjà
obsolètes et dépassées ; les anciennes méthodes et institutions ont
perdu de leur efficacité. C’est la raison pour laquelle l’héritage légué
par Jean de Dieu doit non seulement être accueilli avec vénération, mais
être nouvellement traduit dans les différentes cultures pour y être vécu
avec élan et zèle.
- Le changement d’époque
3. Ce
changement d’époque caractérisé par la mondialisation, la localisation et la postmodernité est
lourd de répercussions pour l’Eglise et pour
l’Ordre.
La
mondialisation et la localisation : Nous traversons à la fois une époque de
mondialisation (mise en place de grands réseaux mondiaux) et une époque de
localisation (affirmation des autonomies locales, des cultures autochtones et
du privé par rapport au public). Ces deux tendances comportent des éléments qui
sont à la fois positifs et négatifs. Une mondialisation humanisante, solidaire,
qui n’exclut personne, offre des possibilités sans précédent de communion entre
les nations, les groupes et les personnes. Une localisation qui ne se referme
pas sur soi et ne succombe pas au piège du fondamentalisme peut révéler des richesses et des perspectives jadis
inimaginables. Notre charisme se mondialise et se localise au fur et à mesure
qu’il s’enracine et prend corps dans différents lieux et cultures. Il nous faut
répondre à l’appel pressant de l’Eglise de mondialiser la solidarité, la
tendresse, la charité dans un monde où la globalisation économique exalte la
discrimination et fauche d’innombrables victimes. Nous devons aussi défendre la
valeur de ce qui est local et la dignité de chaque individu, surtout celle des
exclus d’une société mondialisée.
La
postmodernité : ce
qui s’entend ici par ce terme ne se
limite pas aux traits qui caractérisent un changement d’époque ; cette
expression décrit habituellement ‘un état d’esprit’ commun, mondialisé, présent
sous une forme ou l’autre dans toutes les populations. Il nous dit que l’époque
du totalitarisme, de l’absolutisme, des visions dogmatiques, du patriarcat
appartient désormais au passé ; il nous dit que la vision eurocentrique du
monde qui tentait de tout expliquer et de tout contrôler n’est plus de mise.
Bien qu’elle nous affecte tous, cette mentalité postmoderne est
particulièrement présente chez les jeunes. Elle nous demande de privilégier des
explications humbles et fragmentaires de la réalité et d’opter pour de petits
gestes concrets afin de la transformer plutôt que de rêver à des actes
d’envergure visant à tout bouleverser. Elle nous demande d’accepter la
pluralité, la diversité et de nous montrer hospitaliers et tolérants envers les
autres en particulier ceux qui sont différents de nous. Dans un tel contexte,
l’hospitalité et la miséricorde acquièrent un sens nouveau. Il nous faut
relever le défi de les traduire à travers des institutions et des gestes
adéquats pour notre temps. La postmodernité constitue également un défi pour
notre spiritualité qui se définit davantage comme un cheminement que comme une
loi morale ou une exigence abstraite. La postmodernité nous rend plus sensibles
à la pluralité des formes de la vie humaine et chrétienne et nous ouvre davantage
aux relations et à la communion. C’est la raison pour laquelle nous parlons
de partager notre mission, notre vie et
notre charisme.
Possibilités
et menaces : de
merveilleuses possibilités s’ouvrent à nous, mais en même temps de terribles
dangers nous guettent. Nous entrons dans une époque que nous ne maîtrisons pas
et où il nous faut tracer de nouvelles pistes. Quoi qu’il en soit, les
incidences de ces changements se répercutent dans tous les domaines :
mental et physique, social et
individuel, profane et transcendant. Les relations qui existent
entre nous ne sont plus celles d’antan. De nouveaux aspects émergent dans les
relations entre les sexes imprimant un caractère singulier aux relations
existantes entre l’homme et la femme, tant en famille qu’en société. Face à
l’accumulation du pouvoir économique et politique aux mains de quelques
privilégiés, surgissent des pouvoirs alternatifs menaçants (terrorisme et
mafia). Des millions de personnes souffrent des conséquences de cet
antagonisme. Notre humanité se caractérise par une mobilité surprenante –réelle
ou virtuelle- qui empêche un développement serein selon des étapes prévisibles
et nous entraîne dans un tourbillon d’incertitudes. La croissance économique
est réelle, mais elle ne parvient pas à freiner la progression de la pauvreté pour des millions d’êtres
humains. Les contrastes et les pressions qui s’abattent sur le psychisme humain
sont tels que nombreux sont ceux qui
trébuchent, se brisent et sont abattus au point d’en devenir fous. Nous sommes
tous affectés, aujourd’hui plus que jamais auparavant, par une perte du ‘sens
de la vie’ et de l’histoire.
- L’Eglise et l’Ordre dans ce contexte
4. L’Eglise aussi est prise dans cet engrenage et n’est plus ce qu’elle
était auparavant.
Elle prend un visage plus global, pluriculturel et pluriracial.
Elle comprend toutes les possibilités
qu’une nouvelle époque lui offre, tout en en percevant les menaces et les problèmes.
L’Eglise, comme mère compatissante, souhaite accueillir tous ses enfants et
en particulier les plus nécessiteux. Elle écoute avec attention et dans un esprit
créatif les paroles du Ressuscité qui l’envoie comme missionnaire dans le monde
entier annoncer l’Evangile et manifester la miséricorde de Dieu.
5. Dans un tel contexte, le charisme de Jean de Dieu connaît un regain
d’actualité. L’Ordre est entré avec courage et audace dans le processus de
renouvellement souhaité par le Concile Vatican II. Il a réfléchi en profondeur
sur ce que signifie son charisme à notre époque et a relevé de nouveaux défis
tout en se fixant de nouveaux objectifs. Il a pu de cette manière offrir une
nouvelle physionomie au charisme de Jean de Dieu et l’adapter à notre temps[4].
Toutefois il ne faut pas s’arrêter là. Notre époque a besoin de la créativité et de l’imagination dont peuvent
si bien faire preuve les nouvelles générations. Dans le contexte historique
d’un monde pluricentrique et global, d’une Eglise à la fois particulière et
universelle, l’Ordre devra se montrer capable de comprendre les réponses à
donner aujourd’hui, les voies nouvelles à suivre suggérées par l’Esprit. D’autres personnes se sentant
dépositaires du charisme de saint Jean de Dieu frappent à nos portes et nous
sommes prêts à les accueillir. De nos jours nous définissons davantage
l’identité de l’Ordre comme une mission et une spiritualité partagées. Les membres
de l’Ordre aujourd’hui appartiennent
à de nombreuses ethnies et cultures[5].
L’Ordre veut offrir le chemin spirituel suivi par Jean de Dieu à ces hommes et
femmes qui ne se réclament pas nécessairement
de la culture occidentale.
6. Le défi de nous ouvrir à la richesse spirituelle des nations et à leurs
cultures, sans pour cela rien perdre du patrimoine spirituel reçu, insuffle un
élan nouveau à notre charisme historique. Les jeunes générations respirent un
air culturel qui leur est propre entraînant une rupture qu’il serait
regrettable de sous-estimer. Seuls ceux qui sont restés ouverts à la réalité la
comprennent vraiment et peuvent accompagner les jeunes en quête d’un idéal. De
nouveaux défis se présentent sans cesse
à nous. Il ne suffit plus d’accepter le charisme comme un héritage qui
nous a été légué. Il faut le resituer, lui donner un visage nouveau et
l’interpréter de manière plus actuelle. Il faut ‘embraser le cœur’ non
seulement des membres de l’Ordre, mais de toute la société et de l’Eglise. La
tâche de refonder la spiritualité serait une entreprise impossible si nous
n’avions pas la conviction que l’Esprit agit et nous offre comme une grâce ce
que nous recherchons avec ardeur. L’Esprit nous demande seulement d’être
vigilants, capables d’accueillir et d’accepter avec docilité de nous lancer
dans les nouvelles voies qui s’ouvrent à nous.
7. L’objectif du présent document est de vous offrir les éléments
essentiels de la spiritualité de l’Ordre dans le nouveau contexte historique de
pluralisme ethnique et culturel qui est le nôtre. Il sera divisé en trois
parties.
I. La mémoire :les origines
charismatiques
II. Les clés évangéliques :
la miséricorde et l’hospitalité
III. L’itinéraire spirituel :
la spiritualité de l’hospitalité pour notre temps.
I.LA
MEMOIRE : LES ORIGINES CHARISMATIQUES
8. En parcourant le cheminement spirituel de Jean de Dieu, nous découvrons l’origine de notre
spiritualité qui se révèle lentement à nous, comme une icône.
- Le cheminement spirituel de saint
Jean de Dieu
9. Jean de Dieu était toujours en marche . On peut affirmer que toute sa
vie ne fut qu’un long pèlerinage. C’est en cheminant qu’il ébaucha son
itinéraire spirituel. Pieds nus et sur un sentier rocailleux[6],
il tendait vers le sommet. D’une manière paradoxale, il atteignit la cime
lorsqu’il se pencha sur l’abîme de la misère humaine. Quatre étapes
fondamentales ont marqué son existence : le vide, l’appel, la conversion et l’identification.
a)
Le vide : faire place à la grâce – première étape.
10. Après toute une série d’échecs, Jean fit l’expérience du vide et
découvrit la plénitude de Dieu. « Dieu avant et au-dessus de toutes les
choses du monde ! »[7] Ses premières tentatives militaires se
soldèrent négativement. Désarçonné, il tomba de cheval comme l’apôtre Paul.
Menacé de toutes parts, il n’attendait de secours que du ciel[8].
Sa carrière de soldat prit fin quand il risqua la pendaison pour s’être fait
voler le butin. Bien que sauvé in extremis, il fut chassé du camp et se
retrouva plus pauvre que jamais. En route pour Oropesa, Jean se rendit compte
de « la piètre récompense qu’offre le monde à qui le suit
servilement »[9]. Après neuf
ans de silence, il s’engagea de nouveau dans l’armée de l’Empereur pour
combattre les Turcs. De retour de Vienne, il débarqua au port de Coruña, proche
de sa terre natale. Il souhaitait revoir ses parents auxquels il avait été
enlevé à l’âge de huit ans et éprouva
un profond chagrin en apprenant leur mort[10].
Il se sentait vidé et expérimenta l’incohérence de la vie [11]:
« Fussions-nous maîtres du monde
entier, cela ne nous rendrait en rien meilleurs ni plus heureux que nous le
sommes »[12] ; il prit la résolution « de ne pas se fier à soi »[13].
b)
L’appel : se mettre définitivement au service du Seigneur – la
deuxième étape
11. Son oncle lui proposa de rester dans la maison de ses parents, mais il
rejeta cette offre avec les mots suivants : «Je veux trouver un endroit où
je pourrai servir Notre Seigneur… Je suis sûr que Notre Seigneur Jésus-Christ
me fera la grâce d’exaucer mon désir.[14] » Il
redevint berger dans la région de Séville « …ne voyant pas encore le
chemin que Notre Seigneur lui réservait dans ce but…il vaquait tristement à ses
occupations »[15].
Il termina définitivement ses activités de berger et partit pour Ceuta où, pour
secourir une famille en difficulté, il travailla « aux travaux de
fortification des murailles » et « chaque soir, il remit sa paye de
la journée »[16].
Il surmonta une grande crise spirituelle grâce au secours d’un Frère
franciscain qui lui conseilla de retourner immédiatement en Espagne. De retour
à Gibraltar, Jean fit une confession générale et au milieu de ses larmes pria
intensément, « demandant paix et
tranquillité pour cette âme … pour vous servir et être votre esclave à
jamais».
« Il demandait toujours
à Notre Seigneur , du fond de son cœur
et avec beaucoup de larmes, de lui pardonner ses péchés et de lui montrer le
chemin à suivre pour mieux le servir… » « Je vous supplie, mon
Seigneur de m’indiquer le chemin à suivre pour vous servir »[17] .
12. Il acceptait tout travail qui se présentait à lui et il fut même pendant un certain temps libraire ambulant . Ce nouveau métier lui permettait de
réaliser un authentique apostolat et de gagner suffisamment pour subvenir à ses
besoins et de faire la charité. « Il décida de se rendre à Grenade et d’y
établir sa demeure »[18].
Il y ouvrit un magasin et se consacra à ses affaires tout en restant à l’écoute
de la voix qui ne cessait de résonner en lui et le maintenait en attente. Le
jour de la fête de Saint Sébastien, il se rendit à l’Ermitage des Martyrs pour
suivre ‘avec un grand nombre de personnes de toutes conditions’ le sermon du
Maître Jean Avila.[19]
C’est là que le Seigneur l’attendait.
13. A partir de cette date, le Maître Avila devint son guide spirituel.
Jean fut particulièrement impressionné par son commentaire sur les Béatitudes,
Lc 6, 17-32, surtout celle concernant les pauvres.
« Le sermon terminé il
sortit de là comme s’il était hors de
lui, demandant miséricorde à Dieu à voix haute….Il continua ainsi jusque chez
lui où il avait la boutique…il prit les livres et les donna gratuitement à qui
les demandait par amour de Dieu…et il fit de même de tout ce qu’il avait à la
maison… En peu de temps il ne lui resta plus rien et se retrouva privé de tout
bien matériel. Il donna même les vêtements qu’il portait…Et ainsi,nu, nu-pieds
et nu-tête il retourna dans les rues principales de Grenade, voulant suivre nu
le Christ nu et devenir totalement pauvre pour celui qui, étant riche, se fit
pauvre pour montrer le chemin de l’humilité »[20].
c)
La conversion : transformé par la Parole de Dieu – troisième étape
14. A partir de ce moment la vocation de Jean de Dieu se définit comme une
volonté de suivre, nu, le Christ nu et de devenir totalement pauvre pour celui
qui se fit pauvre pour lui.
« Des personnes
honorables mues de compassion…se rendirent compte qu’elles ne se trouvaient pas
en présence d’un fou habituel…elles le conduisirent à la demeure du Père
Avila…Le prêtre, Maître Avila, rendait grâce au Seigneur devant les signes manifestes
de contrition du nouveau pénitent…Il lui offrit ses conseils en ces
termes : ‘Frère Jean, comptez sur Notre Seigneur Jésus-Christ et ayez
confiance en sa miséricorde. Il a commencé cette œuvre et il la mènera à bien.
Soyez fidèle et constant dans ce que vous entreprenez…Allez en paix avec la
bénédiction du Seigneur et la mienne. Je suis certain que Notre Seigneur
ne vous refusera pas sa miséricorde.
Réconforté par les paroles et les bons conseils de ce saint homme, Jean de Dieu
retrouva la force d’humilier et de mortifier sa chair au risque d’être traité
par le peuple de fou et d’individu dangereux, méprisable et déshonoré, animé
qu’il était par le désir de plaire à Jésus-Christ et de le mieux servir. Il
considérait que c’est au Seigneur seul qu’il avait à rendre des comptes pour la
grâce que le Très Haut lui avait accordé de sa main.[21]
Deux hommes de bien de la
ville, pris de compassion le conduisirent à l’Hôpital Royal où sont enfermés et
soignés les fous de la ville…L’essentiel du traitement consistait en effet à
donner aux fous des coups de fouet, à les attacher solidement, en espérant que
sous l’effet de la douleur et des coups ils se calmeraient et reviendraient à
la raison. Ils l’attachèrent nu-pieds et mains liées puis, à l’aide d’un fouet
à double corde, lui administrèrent une volée de coups de fouet »[22].
15. Jean trouva la réponse à sa recherche de servir le Seigneur pendant son
séjour à l’Hôpital Royal. Il y fit l’expérience de se sentir traité comme ceux
qui ont perdu leur bien le plus précieux, la raison. Comme eux, il fut rejeté
dans l’abîme sans fond du mépris et de la pitié. Il se souvint alors du chemin
parcouru par le Christ pour racheter le genre humain et lui rendre sa dignité.
Il devint évident que lui aussi devait s’incarner dans le monde de la misère
humaine, supporter le mépris de ceux qui se croient sages et normaux, pour
redonner dignité à ceux qui sont frappés par la maladie, la pauvreté et la
folie. Il fallait qu’il devint l’un d’entre eux pour leur témoigner qu’ils
étaient des personnes et des enfants de Dieu, tout comme lui.
« Devant le châtiment
qu’on infligeait aux fous qui étaient avec lui, il s’écriait :
‘Jésus-Christ, donnez-moi le temps et faites-moi la grâce d’avoir un hôpital.
Je recueillerai les pauvres abandonnés et ceux qui ont perdu la raison et je
les servirai du mieux que je pourrai’ »[23].
16. L’infirmité de Jean était ‘d’être malade de l’amour du Christ’[24].
C’est à l’hôpital que le Christ lui fit ‘mériter la grâce qu’il lui accorda
ensuite’[25] en lui
permettant d’être solidaire des pauvres et des malades en subissant les mêmes
traitements qu’eux.
d)Identification : pauvre comme Jésus et
comme les pauvres – quatrième étape.
17. Il entreprit son nouvel et ultime itinéraire ; il allait chercher
du bois et le vendait et avec ce qu’il gagnait il se nourrissait peu et mal et
donnait tout le reste aux pauvres. Il fixait sa demeure dans les arcades des
places et sous les porches des rues de Grenade ; il partageait les
souffrances et la misère de ses frères ; avec eux il souffrait de la
chaleur et du froid. Il décida de venir à leur secours en demandant
l’aumône et criait : « Qui
fait le bien pour soi-même ? Faites le bien par amour de Dieu, mes frères
en Jésus-Christ »[26].
18. En voyant les pauvres « transis, nus, recouverts de plaies et
affligés d’infirmités il fut ému profondément et décida plus que jamais à
chercher une solution pour soulager leurs maux »[27].
Avec l’aide de plusieurs âmes charitables il loua une maison et acheta
l’indispensable. « Il commença par y emmener des pauvres infirmes sur ses épaules »[28].
Jésus-Christ lui accordait enfin la grâce de réaliser son rêve : un
hôpital où il pourrait soigner les pauvres et les malades comme le lui dictait
son cœur.
19.Pour Jean de Dieu l’hôpital était un espace sacré, la maison de Dieu, un
hôpital foyer ouvert à tous les
malheureux sans distinction aucune, parce que le Seigneur fait briller le
soleil sur tous, qu’Il est le maître et Jean son esclave :
« La ville est grande,
en effet, et comme il y fait très froid, surtout par ces temps d’hiver, les
pauvres affluent en cette maison de Dieu…aussi y reçoit-on, d’ordinaire, toutes
sortes de malades et toutes sortes de gens. Il y a des perclus, des manchots,
des lépreux, des muets, des aliénés, des paralytiques, des teigneux, des
vieillards et beaucoup d’enfants sans parler des nombreux voyageurs et passants
qui s’arrêtent ici »[29].
20. Le peuple ne comprenait pas comment
‘Notre Seigneur l’ayant
introduit dans son cellier, l’avait comblé de charité’[30].
Jean progressait dans la contemplation de la grande miséricorde de Dieu. ‘Il
portait secours à tous, chacun selon ses besoins et ne renvoyait personne sans
l’avoir réconforté’[31].
‘Il vivait dans l’anxiété de se donner de mille façons différentes’[32].
Le peuple disait que ‘sa charité éveillait l’envie’[33]
‘Il ne cessait de faire la charité et de donner l’aumône’[34].
‘Il lui arrivait souvent de passer des nuits entières, gémissant, pleurant, demandant à Notre
Seigneur pardon et soutien pour les besoins du monde’[35].
Jean de Dieu reconnaissait que ‘le bien que l’homme fait, il n’est pas sien,
mais à Dieu. A ce Dieu donc, honneur, gloire et louange, car tout lui
appartient ! Amen Jésus’[36].
‘Il avait reçu de Notre Seigneur une
telle abondance de dons que tout ce qu’il donnait et faisait lui paraissait
insignifiant’,[37] car il
était tellement conscient de l’infinie miséricorde de Dieu ‘qui lui avait
accordé de si nombreux bienfaits’[38].
Sa plus grande souffrance était de ne pouvoir secourir toutes les souffrances,
il en avait le cœur brisé.[39]
‘Jean était tellement imprégné de l’amour de Dieu qu’il ne refusait jamais ce
qui lui était demandé en son nom…il éprouvait une immense pitié pour son prochain’[40].
Jean de Dieu mangeait peu ‘La plupart du temps c’était un oignon cuit ou
quelque autre aliment bon marché’. ‘Il dormait sur une simple natte, par
terre…avec une vieille couverture pour se réchauffer…dans une étroite petite
chambre sous l’escalier’[41].
Dans son propre hôpital, il vécut la pauvreté de ses pauvres.
21. Jean découvrit un jour qu’il pouvait
s’offrir en gage, comme garantie contre les dettes qu’il ne cessait de
contracter pour soulager toutes les peines qu’il rencontrait. Il n’hésita pas
une seconde et ses dettes augmentèrent rapidement. ‘Je dois plus de deux cents
ducats’[42]
. Le problème semblait insoluble. ‘Mes besoins et mes angoisses ne cessent de
croître .. plus lourdes aussi d’un jour à l’autre sont mes dettes, et plus
nombreux mes pauvres’[43].
Les dettes étaient telles que ses créditeurs lui fermèrent leur porte :
‘Les fournisseurs ne veulent plus me faire crédit car déjà je leur dois
beaucoup’[44]. Les
besoins de ses pauvres l’acculèrent dans une impasse sans issue. ‘A la pensée
de mes si lourdes dettes, il m’arrive bien souvent de n’oser sortir de la
maison’[45].
22. Dans la prière il découvrait le sens réel des choses : ‘Voilà
comment je me trouve ici, endetté et captif pour Jésus-Christ seul’[46].
Il ne se dégagera plus de ces dettes, ni de cette prison. Peu avant sa mort, il
remettra à l’Archevêque de Grenade, Don Pedro Guerrero le cahier où étaient
inscrites ‘les dettes que j’ai
contractées par amour de Jésus-Christ’[47].
‘Comme il sentait qu’il allait bientôt mourir, il se leva du lit, s’agenouilla
par terre, serrant fort un crucifix et dit après être resté silencieux un
moment : Jésus, Jésus, je me confie à toi. Il dit cela d’une voix forte,
bien claire et rendit l’âme à son Créateur’[48].
23. Jean de Dieu connut l’épreuve de l’angoisse et de la souffrance. Comme
Jésus, il devint un dément parmi tant d’autres mais, parce que fidèle, il
reçut le don de la vraie sagesse. Il comprit
l’authentique dignité de la personne, celle de la richesse du cœur. Comme Jésus, il découvrit que lutter contre le mal et la
souffrance est un impératif, comme lui, il se consacra à faire le bien en
commençant par les plus défavorisés : les malades, les pécheurs, les
prostituées…au risque d’être méprisé et calomnié. Comme Jésus, il contempla le monde des hommes avec un
regard rempli de miséricorde et de tendresse et, parce que son amour était infini, il parvint à le transmettre et à
devenir le frère de tous. Il commença l’aventure de la solidarité hospitalière.
Comme Jésus, il alla à la rencontre de la souffrance humaine se laissant
enfermer à l’Hôpital Royal. Dieu continua à se manifester à Jean dans les cris,
les gémissements et la souffrance de ses compagnons d’infortune. Sa recherche
se transforma ainsi en décision de ‘suivre nu, le Christ nu et devenir
totalement pauvre pour celui qui, étant riche, se fit pauvre pour montrer le
chemin de l’humilité’[49].
Synthèse : L’itinéraire spirituel de Jean de Dieu le
fit passer du dépouillement total jusqu’à la folie, par amour de Jésus-Christ.
Il connut les bas-fonds de Grenade, la pauvreté et la marginalisation au point
d’atteindre une identification mystique avec les plus pauvres, et, comme son
Maître, se charger d’opprobres et de dettes jusqu’à sa mort.
- Tradition : transmission de
l’esprit de notre Père Fondateur
a)
Père et frère dans l’Esprit : les premiers frères
25. Jean de Dieu exerçait un authentique rayonnement. Son amour pour les
pauvres et les malades était communicatif. Beaucoup de personnes appuyèrent son
œuvre de charité. La plupart, des bienfaiteurs, en lui faisant l’aumône ;
certains en se mettant directement au service des démunis ; d’autres, peu
nombreux, en décidant de vivre avec lui et de choisir un nouveau style pour
suivre et imiter Jésus. Jean constitua avec ces derniers une communauté de
frères. Comme règle il leur donna son exemple personnel.
26. Son expérience lui avait
enseigné que servir Jésus dans ses pauvres n’est pas une sinécure. Il le
rappelait avec des mots simples et précis à quiconque souhaitait vivre avec lui
et comme lui. Il fallait être disposé à se dépouiller totalement ‘faire bon marché de « votre
peau »’[50] ,
surmonter les doutes et les incertitudes et cesser d’aller ‘comme une barque sans rames, comme la pierre
qui roule’ [51];
il invitait à prendre conscience de ses propres faiblesses, ne pas se laisser
guider par des enthousiasmes de brève haleine et se souvenir qu’il faut ‘être bien disposé, accoutumé à souffrir et à
faire beaucoup de bien, malgré les contrariétés des plus mauvais jours’ [52].
Il fallait donc prendre du temps pour discerner cet appel et ‘recommander beaucoup cette affaire à Notre
Seigneur Jésus-Christ’[53] et faire un peu d’ascèse ‘Il serait bon de vous mettre un peu à
endurer les misères de la vie : faim, soif, déshonneur, opprobres,
chagrins, peines et ennuis, le tout pour Dieu ; car si vous veniez ici, il
vous faudrait endurer tout cela pour son amour’[54].
Il invitait à vivre en relation étroite avec Dieu et à recevoir fréquemment les
sacrements. ‘Tous les jours de votre vie
ayez le regard fixé sur Dieu et entendez la messe toujours en entier.
Confessez-vous souvent si possible’[55].
En un mot, pour vivre avec lui et comme lui,
il fallait connaître intimement Jésus-Christ au point de vouloir imiter
son exemple en aimant Dieu et son prochain comme Lui. Jean ne se contentait pas
de demi-mesures. Il proposait tout de suite le niveau le plus élevé de
l’amour : ‘Souvenez-vous de Notre
Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte Passion. Il a rendu le bien pour le mal
et ainsi devez-vous faire, mon fils Baptiste, afin que quand vous viendrez en
cette maison de Dieu, vous sachiez discerner le bien et le mal’[56].
Il ne cachait pas les difficultés ni les exigences d’un tel style de vie. ‘Venant ici, vous devrez obéir et travailler
beaucoup plus que vous ne l’avez fait…car les travaux les plus pénibles sont le
partage de l’enfant plus aimé… enfin vous dépenser sans cesse au service des
pauvres…le tout pour Dieu, car si vous veniez ici,il vous faudrait endurer tout
cela pour son amour’[57].
Le dernier critère était celui qui avait inspiré toute son existence :
‘Aimez Notre Seigneur Jésus-Christ
par-dessus tout ce qui est au monde ; parce que, quel que soit votre amour
pour lui, il vous aime bien davantage. Ayez toujours la charité, car là où il
n’y a pas de charité, Dieu n’est pas, bien qu’il soit en tout lieu’[58].
27. Il voulait des frères qui aient expérimenté la tendresse et la
miséricorde de Dieu[59].
Ils pourraient ainsi à leur tour faire preuve de compassion et de sollicitude.
Ils seraient serviables et attentionnés, fidèles, compréhensifs, tolérants,
capables de pardonner et de vivre unis. Jean de Dieu leur transmit une
confiance inébranlable dans son charisme. Bien vite les Grenadins virent ‘des
Frères aller dans les rues à la recherche des pauvres pour les emmener à l’hôpital en les portant dans leurs bras ou
sur leurs épaules… Il les soignaient avec une grande charité’[60].
L’Ordre des Frères de saint Jean de Dieu était né dans l’Eglise.
b)
L’esprit hospitalier légué aux premiers compagnons
28. Les premiers compagnons [61]de
Jean de Dieu partagèrent son approche et diffusèrent son œuvre. Antoine Martin
était comme un prolongement de Jean de Dieu. Il fonda et dirigea l’Hôpital de
Notre Dame de l’Amour de Dieu à Madrid qui prit son nom à sa mort[62].
Pierre Velasco, touché par la grâce, se réconcilia avec Antoine Martin dont il
était l’ennemi et qu’il voulait faire exécuter. Il s’unit au saint, imita son
exemple et mourut dans l’Hôpital de Grenade. La miséricorde divine les toucha
tous les deux grâce au témoignage de Jean. Ils devinrent des exemples
extraordinaires de réconciliation et de fraternité hospitalière. Des témoins
mentionnent la présence d’autres compagnons
hospitaliers très proches des pauvres et des malades et qui reconnaissaient
Jean de Dieu comme leur chef de file[63].
Ils imitaient son hospitalité sans frontières[64].
Son esprit hospitalier demeurait encore bien vivant vingt ans après sa mort.
29. Cet esprit est resté vivant tout au long de l’histoire de l’Ordre.
Rappelons d’abord ceux que l’Eglise a reconnus comme saints,
bienheureux et vénérables: saint
Jean Grande, saint Richard Pampuri, saint Benoît Menni ; de nombreux
bienheureux martyrs ; d’autres frères dont la cause de béatification a été
introduite : François Camacho, Jose Olallo Valdes, Eustache Kugler,
William Gagnon. Beaucoup d’autres frères souffrirent le martyre et furent persécutés pour la cause du Christ et de
l’hospitalité, au Brésil, en Colombie, au Chili, en Pologne, aux Philippines,
en France, en Espagne et récemment dans d’autres pays encore.
30. Les fondateurs et refondateurs de communautés ou d’œuvres contribuèrent
également à pérenniser la spiritualité de l’Ordre : Pierre Soriano
(Italie) ; Jean Bonelli (France) ; Gabriel Ferrara et Jean-Baptiste
Cassinetti (Empire Austro-germanique) ; François Hernandez (Amérique). A
une époque plus récente, Paul de Magallon (France), Eberhard Hacke et Magnobon
Markmiller (Allemagne), Jean-Marie Alfieri (Italie) et saint Benoît Menni
(Espagne, Portugal et Mexique). L’esprit hospitalier se manifesta clairement
chez des collaborateurs qui participaient à la mission de l’Ordre.
31. Les valeurs spirituelles
étayant cette longue histoire à partir de l’expérience première de Jean de Dieu
sont les suivantes :
- Expérience profonde de la grâce et de
la miséricorde de Dieu qui permet de se reconnaître
pécheur, de se faire pardonner et d’accueillir le don de l’hospitalité que
Dieu a accordé si libéralement à Jean de Dieu et à ses disciples[65].
Jean de Dieu a connu personnellement l’amour infini du Père. La
contemplation de la passion et de la mort de Jésus-Christ l’a poussé à
conduire sa vie à l’enseigne de la miséricorde. Il l’exprime très
simplement dans ces mots qu’il adresse à la Duchesse de Sessa : Si nous considérions combien est grande
la miséricorde de Dieu, jamais nous ne cesserions de faire le bien quand
nous le pouvons ; car, donnant aux pauvres, pour son amour, ce que
lui-même nous a donné, c’est le centuple qu’il nous promet…et nous prie,
les bras ouverts, de nous convertir, de pleurer nos péchés, de faire la
charité, en premier lieu à nos âmes et ensuite à nos semblables. (1
DS, 13). Il invitait à contempler la passion de Notre Seigneur pour motiver
à la prière d’action de grâces et de contemplation et pour raviver notre
espérance en Jésus-Christ en qui nous trouvons refuge et consolation dans
les difficultés et les souffrances. Cette prière incite à faire le bien et la charité aux
pauvres et aux personnes nécessiteuses. (Cf. 3 DS, 8.9 ; 2 DS,
9,19). Depuis Jean de Dieu, la Passion du Christ occupe une place
privilégiée dans notre itinéraire spirituel[66].
- Suivre le Christ compatissant et
miséricordieux[67] : En Jésus nous découvrons
l’incarnation et l’expression humaine du Dieu Miséricorde, qui est à la
source de notre hospitalité (Const. 20) ; nous imitons ses gestes et
ses attitudes (Const. 2c ; 3a) ; nous le reconnaissons dans la
personne du malade et du nécessiteux que nous accueillons et servons avec
sollicitude et bienveillance.
- Dévotion à la Vierge Marie comme exemple vivant et sublime
d’hospitalité. Accueil, service, intercession et compassion envers celui
qui souffre[68].
- Vivre en intime relation l’amour envers Dieu et envers le
prochain nécessiteux[69].
- Persévérance spirituelle face aux
obstacles :
l’expérience de la grâce est telle que ni les difficultés ni la souffrance
ne peuvent interrompre notre action en faveur des pauvres, des malades et
des nécessiteux.
- Hospitalité rayonnante : les disciples de Jean de Dieu ont
reçu comme lui le don d’une hospitalité dynamique et contagieuse. Ceux qui
en sont témoins se sentent invités à participer à leurs projets et à
entrer en communion avec leur charisme et à recevoir une formation
spirituelle adéquate.
- L’attention à la personne malade ou
démunie constitue la contribution de l’Ordre à
la mission de l’Eglise[70].
- Professionnalisme : toute notre tradition démontre à quel point
l’Ordre a toujours eu à cœur
d’unir la mission hospitalière aux progrès techniques et scientifiques et
de se moderniser conformément aux exigences de chaque époque.
- Dévouement total jusqu’à la
mort : nombreux
sont les disciples de Jean de Dieu qui se sont donnés sans réserve jusqu’à
sacrifier leur vie pour le bien des malades et des nécessiteux. Beaucoup
de faits héroïques jalonnent l’histoire de l’Ordre et en sont la preuve
pendant les guerres, les épidémies et au milieu des dangers.
- Inculturation auprès des pauvres ou
humilité hospitalière : la ‘kénosis’ porte les frères à renoncer à un style de vie confortable
et aux honneurs pour s’adapter au
style de vie simple et humble des pauvres et des malades.
- L’aujourd’hui du charisme de Jean de
Dieu : Mission partagée et inculturation.
32. Jean de Dieu partagea le don qu’il avait reçu avec des gens de toutes
conditions qui se sentaient contaminés par sa manière de vivre le christianisme
et de traiter les pauvres. Des gens simples se joignaient à lui pour servir les
malades, des bienfaiteurs anonymes et des personnages de haut rang mettaient
leurs biens à la disposition de son œuvre, des membres du clergé offraient le secours de la religion aux
résidents de son hôpital et beaucoup d’autres encore, bénévoles, médecins et
serviteurs collaboraient avec lui et avec ses premiers compagnons.
33. L’hospitalité selon le style de Jean de Dieu a exercé un grand
rayonnement même sur des personnes qui ne se réclament pas de la foi
chrétienne. Le charisme s’est diffusé en déployant une grande créativité et une
capacité d’adaptation aux différentes circonstances de temps et de lieux. Nous
sommes de plus en plus conscients que ce charisme transcende le groupe des frères qui ont fait profession
dans l’Ordre. Nous concevons toujours davantage l’Ordre comme étant une famille et nous accueillons comme un authentique
don de l’Esprit à notre temps cette possibilité de partager notre charisme,
notre spiritualité et notre mission[71].
Cette réalité qui a lentement pris forme parmi nous constitue un défi pour
vivre ‘tellement pénétrés de notre mission que nos collaborateurs se sentent
poussés à agir de même façon’[72].
Les œuvres de l’Ordre sont devenues très complexes, surtout dans les pays
industrialisés. Plus impératif encore
est notre devoir de partager avec joie et gratuitement ce que nous avons reçu
gratuitement du Seigneur, à savoir annoncer l’évangile de la miséricorde pour
le bien de la communauté ecclésiale.
34. Les frères missionnaires ‘ad gentes’ ont permis la diffusion et
l’inculturation du charisme de saint Jean de Dieu. L’étape suivante qui est
celle que nous vivons actuellement, est le passage de l’inculturation à l’incarnation du charisme et de la mission de
l’Ordre par les frères autochtones. Ceci demandera aux frères la capacité de
vivre la consécration dans l’hospitalité, non plus conformément au style des
pays d’où venaient les missionnaires, mais de promouvoir un style propre à
chaque culture, tout en conservant l’authenticité et la pérennité du charisme.
Les exigences sont encore plus considérables pour ce qui concerne la mission.
Il faudra passer progressivement d’un service de santé et d’assistance avec des
patrons du premier monde pour arriver à l’exercice d’une hospitalité
adéquate et incarnée dans chaque
réalité socioecclésiale sans renoncer toutefois à l’exigence traditionnelle de
l’Ordre de promouvoir une assistance digne, fondée sur les progrès
scientifiques et techniques avec des frères et des collaborateurs bien formés.
35. De cette manière, et, à mesure que le charisme de Jean de Dieu
s’enrichit des valeurs inhérentes à chaque culture, l’Ordre continuera à être
conscience critique partout où les services de santé et sociaux présentent des
carences. Il encouragera de la sorte un sain développement des structures
adéquates de santé et d’assistance auxquelles tous pourront avoir accès et en particulier
les plus démunis.
II. LES FONDATIONS : LA
MISERICORDE ET L’HOSPITALITE
36. L’Ordre a exprimé le charisme de Jean de Dieu par deux mots fort
proches l’un de l’autre : miséricorde
et hospitalité [73]que
nous retrouvons déjà dans la Bible. De nos jours également ces termes évoquent
des valeurs humaines reconnues dans toutes les cultures. Nous vous présentons
ci-dessous quelques réflexions sur chacun d’eux comme axes porteurs de la
spiritualité de l’Ordre. A cet effet nous parlerons :
- de la
miséricorde comme catégorie biblique et anthropologique
- de
l’hospitalité dans son acception biblique et anthropologique
- du sens
donné à ces deux termes par rapport au charisme de l’Ordre en tenant
particulièrement compte des dernières Constitutions.
1. Hypothèse préalable : miséricorde et hospitalité, faute et
violence.
37. La miséricorde est avant tout la capacité de comprendre, de compatir,
de pardonner, de réconcilier. Elle se manifeste comme réaction devant la faute,
le péché. Les êtres humains peuvent soit obéir soit désobéir au dessein de
Dieu ; ils ont la liberté de respecter ou non les lois ou les pactes
conclus. Vivre en fonction de ce que l’on est, de ses attitudes positives,
engendre l’harmonie et favorise, dans un climat de sérénité et de solidarité,
l’épanouissement de la personne. Par contre, les transgressions et la négation
de ce que l’on est provoquent un déséquilibre psychologique. Nous devenons
conscients de la faute, nous nous sentons en faute et cela affecte toutes les dimensions
de notre vie.
- Nous
parlons de péché lorsque nous
nous savons coupables devant Dieu.
- Nous
parlons de faute morale ou éthique lorsque nous nous savons coupables à
nos propres yeux et au regard d’autrui.
- Nous
éprouvons un sentiment de
culpabilité lorsque nous violons gravement notre système de valeurs.
38. Il n’est pas bon dès lors de nier la faute, ni de favoriser le complexe
de culpabilité qui exagère ou défigure la réalité. Pardonner – savoir pardonner
et savoir se pardonner – signifie dépasser la faute, surmonter le péché.
39. L’hospitalité est avant tout la capacité de s’ouvrir à autrui et de
l’accueillir. C’est également une réaction face à la violence. La violence
existe là où il y a de l’antagonisme entre nous et lorsque nous ne sommes plus
capables de vivre en paix, de nous retrouver comme personnes. La violence
intérieure nous fait préférer le conflit, la lutte, la dégradation. La violence
déclenche nos pires instincts (les péchés capitaux) et stimule notre
agressivité. La violence originelle ne fut pas la guerre de tous contre tous,
mais l’hostilité d’une communauté humaine – famille, hameau, nation, religion,
entité culturelle – contre les autres, les étrangers. Quand la violence de
l’esprit s’érige en loi universelle, elle réclame le monopole de la
civilisation et lutte contre la diversité humaine. Là où la diversité est niée
et rejetée s’instaure le règne de la violence.
40. La violence religieuse confesse « Dieu est avec nous ! »
et nie la présence de Dieu chez ceux qui sont différents. Celui qui est
convaincu que Dieu est seulement avec lui ne doit rien à personne. Ceci
engendre l’égoïsme sacré « pour
pouvoir être, il faut que l’autre ne soit pas ». C’est pour cela que la
violence sacrée est fondamentaliste et homicide pour autrui, tout en étant
destructrice pour ceux qui l’exercent. Seuls l’accueil de l’autre, du
divers, l’hospitalité – la philoxénie
et non pas la xénophobie - peuvent s’opposer à la violence.
2.La miséricorde
a) Le Dieu de miséricorde
41. La caractéristique suprême de Dieu selon l’Ancien Testament est la
miséricorde et non la violence[74].
La miséricorde dépasse de loin la colère : « pendant un instant, dans
un accès de colère, je t’ai caché mon visage ; mais mon amour pour toi est
éternel » (Is 54,8). Le texte paradigmatique qui définit l’identité de
Dieu comme étant miséricorde se trouve au chapitre 34 du livre de l’Exode,
versets 6 et 7 : « Le Seigneur passa devant lui et
proclama : « Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et
bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté, qui reste
fidèle à des milliers de générations, qui supporte la faute , la révolte et le péché, mais sans rien laisser passer,
qui poursuit la faute des pères chez
les fils et les petits-fils sur trois et quatre générations… »
42. Dieu est qualifié ici de
‘Rahun’ celui qui possède un amour infini, maternel, viscéral et aime de tout
son cœur. Cet amour miséricordieux est totalement gratuit, il n’est pas une
réponse à des mérites mais une exigence du cœur. La miséricorde est donc la
bonté, la tendresse, la patience, la compréhension, la promptitude à pardonner
malgré l’infidélité.
43. La miséricorde de Dieu se manifeste chaque fois que l’être humain ne
respecte pas le pacte de l’Alliance. Le peuple, conscient de son infidélité,
invoquait la miséricorde de Dieu. Les transgressions de l’Alliance suscitaient
sa colère et son courroux. Toutefois, avec les prophètes du Deutéronome -
Ezéchiel et Isaïe - les menaces se
transforment en annonces et promesses de consolation ainsi qu’en manifestations
de miséricorde, en évangile (bonne nouvelle) pour les pauvres (Is 40, 61).
b) L’incarnation de la miséricorde
44. Le texte de l’épître aux Philippins nous dit que Dieu « s’est dépouillé, prenant la
condition de serviteur se faisant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une
croix » (Phil 2,6-11). Le Dieu tout puissant renonce à sa volonté de
pouvoir : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert ».
(Lc 22, 27 ; cf. Mt 22, 25-28). Dieu le Tout Puissant ne détruit pas
systématiquement le mal et la mort, mais il l’assume. C’est pour cela que
devant la souffrance des innocents ou les épisodes absurdes de la vie, notre
Dieu apparaît dans une faiblesse invincible. Dieu se manifeste comme un être
vulnérable qui assume la souffrance des hommes. La souffrance est le pain que
Dieu partage avec nous. La miséricorde divine est le repentir de Dieu, la
faiblesse de Dieu et celle-ci correspond à la faiblesse de l’être humain. Notre
Dieu se présente toujours comme le protagoniste du pardon. C’est en pardonnant
et en exerçant la miséricorde que Dieu
se révèle à l’être humain en tant que Dieu.
45. Le Nouveau Testament nous présente Jésus comme celui qui pardonne par
excellence, le thérapeute du pardon. En lui se manifeste toute la miséricorde
de Dieu. Jésus assume la fonction de Dieu le Père dans l’intimité du pardon de
Dieu (Cf. Mc 2,7 ; Lc 15). Jésus se soucie de la personne dans sa
totalité, il pénètre au plus intime de son cœur mais ne se limite pas à l’âme,
au psychisme. Il guérit également le corps. « Jésus lui-même était la
thérapie qu’il offrait » (Hanna Wolft). En pardonnant, Jésus déclenche
chez celui ou celle qui est pardonné un processus de redressement total. La
miséricorde et non la violence se révèle en Jésus. L’incarnation est l’anéantissement
de Dieu (kénosis de Dieu). C’est le signe que Dieu n’est pas violent. Il aime
la faiblesse et se fait faible. Jésus n’apparaît pas avec le caractère absolu
d’une personne sacrée, mais comme « un parmi d’autres » (Phil 2,7),
un laïc. Jésus se fait proche de tous
sans exception. Il aime tout le monde car il est l’icône de Dieu et Dieu est
Amour (1Jn 4,7). Il rejette toute forme de violence et présente son Abbá, non
pas comme un maître mais comme un ami, non pas comme un patron mais comme un
serviteur. Il affirme que les choses essentielles ne sont pas révélées aux
sages mais aux petits (Mt 11, 25 ; Lc 10, 21). Le fil conducteur de
l’histoire commencée par Jésus est la réduction des structures fortes, le
renoncement à la violence et à l’efficacité à tout prix. C’est pour cela qu’il
recommande tellement de pardonner et invite à recommencer sans cesse (jusqu’à
septante fois sept fois ! (Mt 15,22). Jésus se manifeste ainsi comme le
grand éducateur qui conduit aux sources d’eau tranquille et enseigne comment
dépasser la violence tant sociale que sacrée.
46. L’hymne au début de l’épître aux Ephésiens met l’accent sur la
magnificence de Dieu qui, en Jésus et par lui, nous accorde le pardon de nos
péchés. S’il est vrai que la gratuité est un des traits qui met en évidence ce
qui étonne en Dieu, la miséricorde nous le rend proche et accessible. Dieu
n’est pas seulement gratuité mais, en pardonnant, il se manifeste comme le
miséricordieux. Etre miséricordieux est le propre de Dieu. Dieu manifeste sa
présence parmi les hommes en pardonnant. « Qui donc peut pardonner les
péchés si ce n’est Dieu seul ? » (Lc 5,21 ; Mc 2,7). Jésus
assume une des fonctions réservées à Dieu. L’incarnation du Fils de Dieu a été
la manifestation suprême de la miséricorde. « Abbá est le Père des
miséricordes et le Dieu de toute consolation » (2 Cor 1,3)
« Dieu le Père, riche en
miséricorde » (Eph 2,4).
47. Jésus ne s’identifie pas seulement avec l’être humain en général mais,
en particulier, avec ceux qui ont faim ou soif, qui sont prisonniers, réfugiés,
malades ou dans le besoin (Mt 25, 34-45). Il signale ainsi jusqu’où va sa
miséricorde. Jésus lui-même est victime de la violence comme ceux auxquels il
s’identifie. Lui-même ne reçoit pas de miséricorde. Sur la croix il se
demande : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu
abandonné ? » (Mt 27, 45).
Toutefois le Fils fut entendu et sa prière aboutit à la résurrection. Il
ressuscita des entrailles du Père : Tu es mon Fils que j’ai engendré
aujourd’hui (Cf. Ps 2, 7 ; Heb 1,5). Il naquit pour la vie éternelle des
entrailles miséricordieuses du Père, Abbá.
c) La miséricorde dans le charisme de l’Ordre
48. La miséricorde est le pivot du charisme et de la spiritualité de Jean
de Dieu[75]
et de son Ordre[76]. Nous nous
efforçons d’être dans l’Eglise une icône vivante et collective de la
miséricorde.
·
Point de départ : nous reconnaissons que nous sommes miséricordieux
dans la mesure où, touchés par la miséricorde divine, nous l’avons expérimentée
dans notre vie. Jean de Dieu en a fait l’expérience : « Si nous
considérions combien la miséricorde de Dieu est grande, nous ne cesserions
jamais de faire le bien »[77].
Nous nous sentons habilités et consacrés à être miséricordieux. Nous voulons
« aimer Jésus plus que tout au monde, et en vertu de son amour et de sa
bonté faire le bien et la charité envers les pauvres et les
nécessiteux » ; nous voulons imiter Notre- Dame, la Vierge Marie,
toujours pure, dans son amour maternel. (Const. 4b.c)
·
Notre objectif spirituel consiste à « incarner toujours davantage les
sentiments du Christ envers l’homme malade et nécessiteux et à les manifester
avec des gestes de miséricorde », « se faire faible avec le
faible », « être pour lui le signe et l’annonce de la venue du
Royaume de Dieu » (Const. 3). En répondant à notre vocation, nous
alimentons un amour toujours plus ardent pour les pauvres, les nécessiteux et
les pécheurs.
·
Le style qui nous caractérise s’exprime dès nos origines par les vertus
suivantes : « service humble, patient et responsable ; respect
et fidélité envers la personne ; compréhension, bienveillance et
abnégation ; partage des angoisses et des espérances d’autrui. »
(Const. 3b).
- L’hospitalité
49. La tradition de l’Ordre exprime notre charisme par le terme
d’hospitalité. Ce terme n’a rien perdu de sa force à notre époque. Certains le
proposent même comme un élément essentiel d’une nouvelle morale pour notre
temps.[78]
Il est donc important d’en faire l’objet de notre réflexion en tant que
fondement sur lequel s’appuie la spiritualité spécifique de notre Ordre.
a)Qu’est-ce que
l’hospitalité ?
50. L’hospitalité évoque des relations qui s’établissent entre un invité et
celui qui l’accueille. Ces relations sont marquées par des obligations et des
responsabilités. L’invité et l’hôte sont en relation de réciprocité, l’un
n’existe pas sans l’autre. L’invité est un absent qui peut devenir présent à
tout moment et revendiquer son droit à l’hospitalité. Là où cette hospitalité
existe, l’invité a des droits à l’égard de son hôte, celui d’être accueilli, et
l’hôte, bien qu’il ne soit pas encore établi comme tel, a des devoirs envers
l’invité qui s’approche : celui de l’accueillir.
51. Pourquoi les êtres humains sont-ils hospitaliers ? La raison n’en
est pas évidente et quelle qu’elle soit, l’hospitalité n’est pas un fait mécanique
car l’invité peut partir ou l’hôte lui refuser sa porte ; toutefois elle
n’est pas arbitraire, car l’hôte se sent moralement obligé d’accueillir un
invité même si ce dernier lui semble inopportun.
52. La caractéristique fondamentale de l’hospitalité est l’accueil de
l’invité par l’hôte.
·
L’hospitalité
est pour ainsi dire un fait universel.
N’importe qui peut devenir un invité. Reconnaître ce fait signifie accepter que
tous les êtres humains pourraient être virtuellement
des invités. Tout être humain est soit un invité soit un hôte virtuel. Dans
beaucoup de cultures il est défendu de demander à l’invité d’où il vient, quel
est son nom, comme s’il représentait symboliquement l’absent. La protection de
l’anonymat de l’invité est le signe qu’en lui nous voyons n’importe quel être
humain. Nos devoirs envers les invités de passage sont très concrets. Leur
manifester un manque de curiosité par rapport à leur origine ou provenance
n’est pas synonyme d’indifférence ou de mépris mais un signe d’accueil sans aucune
exception.
·
L’hospitalité
révèle un sens élevé de la morale et de la politique. L’invité n’est pas
seulement accueilli en tant qu’individu, mais comme ambassadeur substituable,
comme représentant d’autrui. Les êtres humains forment des groupes, des communautés,
des sociétés, des nations. Chaque individu est inséré dans un de ceux-ci.
L’hospitalité nous situe donc devant quelque chose d´une grande importance
éthique et politique : l’accueil de l’étranger, de l’autre, de celui qui
n’appartient pas « aux miens ». L’hospitalité c’est reconnaître les
‘autres’, en leur donnant le droit
d’être différents de nous.
·
L’hospitalité
est virtuellement sacrée. Chez de
nombreux peuples, cet ‘autre’, quel qu’il soit, est enveloppé de mystère, comme
s’il était habité par le sacré. Il pourrait être un dieu. Ce thème
revient souvent dans la mythologie grecque, dans la Bible et dans de
nombreuses traditions culturelles. Très souvent, les dieux se déguisent et
demandent de l’aide aux humains.
L’épître aux Hébreux nous dit que certains ont accueilli des anges sans le
savoir (Heb 13,2). Le droit à l’hospitalité est ainsi ratifié. Il faut traiter
les étrangers comme s’il s’agissait de dieux. Une certaine ambiguïté accompagne toutefois cette notion :
l’invité ou l’hôte est présenté comme quelqu’un occupant un espace incertain où
quelque chose d’important se joue pour nous. C’est à la fois un lieu de crainte et de désir. L’invité devient un
médiateur entre des sphères différentes et distinctes. Au moment de l’accueil,
une rencontre a lieu entre des êtres de différentes catégories. Le divin, le
lointain, l’illimité et l’inconcevable sont accueillis dans un milieu humain.
Cette rencontre prend parfois le caractère d’une irruption violente qui détruit
l’ordre habituel et bouleverse ce qui nous est familier. Quoi qu’il en soit,
quelque chose d’impondérable et de
déconcertant se passe.
·
L’hospitalité
est un événement. Il est imprévisible
et incontrôlable. Nous ignorons quand il aura lieu et avec qui. L’hôte doit
toujours être préparé car l’invité peut se présenter à tout moment et à
l’improviste.
·
Chaque
rencontre d’hospitalité est unique, axée sur une personne concrète, et doit être
accomplie et interprétée en tenant compte des
traits caractéristiques de l’invité et de son hôte. Leurs devoirs sont
de nature générale mais s’accomplissent dans un cadre bien déterminé. Quelqu’un
pourrait être disposé à remplir ses obligations d’hôte envers un semblable
indépendamment de ses qualités ou de ses défauts, simplement parce qu’il fait
partie du genre humain. Il ne pourra les remplir toutefois qu’envers une
personne bien concrète. Un hôte qui attendrait l’invité universel, le seul qui
mériterait véritablement son attention et refuserait d’accueillir les autres
qui frappent à sa porte sous prétexte qu’aucun d’entre eux ne correspond
vraiment à l’idée qu’il se fait de la condition humaine, nierait la notion
même d’hospitalité.
b) L’hospitalité dans la
Révélation
53. La révélation judéo-chrétienne est particulièrement attentive à
l’hospitalité.[79] Elle
commence par mettre en évidence comment Dieu a accueilli l’homme dans son
jardin d’Eden : il œuvre pour son invité (‘Le Seigneur Dieu fit germer du
sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger’), il lui offre la nourriture
et le vêtement (‘Tu pourras manger de tout arbre du jardin…Il fit pour Adam et
sa femme des tuniques de peau dont il les revêtit’) (Gen 2,8-9, 15-17). La
révélation se termine par la demande d’hospitalité de Dieu à l’être
humain : ‘Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un
entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je prendrai la cène
avec lui et lui avec moi.’ (Ap3,20).
54. L’hospitalité a fait des êtres humains les invités de Dieu et de Dieu
l’invité des êtres humains. Depuis, les humains s’invitent et s’accueillent
mutuellement. Adam et Eve furent les invités de Dieu dans son jardin d’Eden. Abraham puis le peuple qui était en
Egypte furent conduits comme invités de Dieu vers la terre qui produit du
lait et du miel: ‘La terre est à moi, vous n’êtes chez moi que des émigrés
et des hôtes’(Lev 25,23 ; cf. Ps 23,5 ; 27,10). Dieu fut l’invité
d’Abraham et trouva un refuge sous sa tente, à Mambré ; il fut ensuite
l’invité du peuple qui cheminait dans le désert et fit sa demeure dans la tente
de la rencontre. Finalement il accepta de demeurer dans la maison du
Temple : ‘La gloire du Seigneur remplissait la maison du Seigneur’ (1Rois
8,10-11). L’hospitalité permettait aux humains d’ouvrir les yeux, de se voir et
de se reconnaître invités les uns des autres. Abraham et Moïse étaient conscients d’être des émigrés en
terre étrangère ; il en va de même pour le peuple hébreux en Egypte. Ils
ont tous compris que l’être humain est hospitalité.
55. L’hospitalité commence par l’accueil de tout être dans le sein maternel.
Elle englobe l’accueil reçu dans des tentes, maisons, villes ou pays. Qui en
bénéficiait pouvait compter sur la protection de son hôte contre d’éventuels
ennemis. Il était inclus dans son cercle, sa personne était respectée et ses
besoins existentiels satisfaits.
56. Les icônes par excellence traduisant l’hospitalité dans l’Ancien
Testament sont celles d’Abraham
accueillant les trois hommes, celle de la veuve de Sarepta qui accueille
Elie et est accueillie par
lui ; celle de la prostituée de
Jéricho, de Rahab qui accueille les
envoyés de Josué, celle du vieillard accueillant le lévite et son épouse
(Juges 19), celle de Tobie, de l’archange Raphaël, celle de Ruth.
57. Le Nouveau Testament est une explosion d’hospitalité. Jésus est le
sacrement de Dieu. Il nous accueille, nous sert, nous soigne, nous rend notre
dignité et notre santé. Il s’identifie à nous, nous lave les pieds et meurt
pour nous. Il convient de contempler la personne de Jésus dans l’évangile de
Luc pour déceler un cheminement authentique d’hospitalité. Jésus accepte
l’hospitalité des humains. Tout d’abord celle de la Vierge Marie qui
l’accueille en son sein. Celle ensuite de certains pharisiens, de Marthe et de
Marie, de Zachée etc. La spiritualité chrétienne attache une telle importance à
l’hospitalité qu’elle reconnaît la présence de Jésus dans les pauvres, les
prisonniers, les malades et en tous ceux qui sont en droit d’attendre le
témoignage de notre solidarité, de notre amour et ont besoin de notre service.
58. La grande parabole chrétienne de l’hospitalité est la parabole du Bon
Samaritain. A la question du docteur de la loi ‘Qui est mon prochain ?’
Jésus répond par une parabole. On pourrait supposer que le prochain était celui
qui était tombé aux mains des bandits, celui qui se trouvait dans le besoin.
Mais Jésus précise la question du docteur de la loi et lui demande à nouveau
‘Lequel de ces trois s’est fait le prochain de l’autre ?…’(Lc 10,36) Ce
qui importe pour Jésus, ce n’est pas l’existence du prochain ni celle de personnes dans le dénuement, mais c’est
d’acquérir le statut de prochain en exerçant la miséricorde envers les
nécessiteux. C’est pour cela que le docteur de la loi ne doit pas se soucier de
trouver des personnes dans le besoin. Il doit se faire prochain et exercer la
miséricorde comme l’a fait le bon Samaritain. Dans cette parabole, la
miséricorde et l’hospitalité ne font
qu’un.
c) L’hospitalité chez notre Père saint Jean de Dieu
59. Jean de Dieu a fait de toute sa vie un acte d’hospitalité et de miséricorde.
Il a toutefois perçu qu’il devait répondre à cet appel anthropologique et
biblique en s’occupant des plus pauvres et des plus abandonnés. Il devait se
tourner vers les malades physiques et mentaux sans exclusion ni discrimination. Comprise de cette façon, l’hospitalité est
devenue sa raison d’être et il a vécu ce charisme avec une telle intensité
qu’on en reste à la fois étonné et
interdit. Il accueillait tout le monde. Il allait vers autrui en lui donnant tout.
Il s’identifiait à l’autre et lui consacrait
tout son temps. Il a découvert le caractère sacré de l’autre c’est-à-dire de celui qui est différent de soi.
60. Il accueillait et servait le malade comme s’il était un frère très
cher. Son souci principal était de le consoler et de le réconforter par des
paroles pleines de sollicitude tout en lui procurant tout ce dont il avait
besoin pour son bien-être physique et spirituel : « Le matin avant de sortir de la maison…. Et
le soir quand il rentrait, bien que fatigué, il n’allait jamais se coucher sans
avoir visité au préalable tous les malades, l’un après l’autre, leur demandant
comment s’était passée leur journée, comment ils se sentaient et ce qu’ils
avaient reçu à manger et il les réconfortait avec des paroles très
affectueuses ».[80]
Aimer le Seigneur dans la personne
des pauvres et des malades le remplissait d’une si grande joie qu’il ne pouvait
la cacher.[81]
61. La charité de Jean était empreinte de créativité. Une des descriptions
de son hôpital le prouve clairement. « C’est
un hôpital général ; aussi y reçoit-on, d’ordinaire, toutes sortes de
malades et toutes sortes de gens. Il y a des perclus, des manchots, des
lépreux, des muets, des aliénés, des paralytiques, des teigneux, des vieillards
et beaucoup d’enfants, sans parler des nombreux voyageurs et passants qui
s’arrêtent ici ».[82]
Sa manière de demander l’aumône en est une autre démonstration. Il
rappelait à tous ceux qui lui donnaient quelque chose qu’ils en étaient les
premiers bénéficiaires. Sa charité était illimitée et englobait pauvres et riches car elle trouvait son
origine dans l’amour de Jésus-Christ en qui il reconnaissait et aimait tout le
monde comme ses frères et ses sœurs.
62. Jean de Dieu est devenu un bon maître de miséricorde car il s’est
identifié au Christ. Dieu lui a donné un cœur compatissant et profondément
humain. Comme le faisait Jésus, il enseignait plus par ses gestes que par ses
paroles. Jamais il ne s’est soucié de rédiger des statuts ou des normes pour le
bon fonctionnement de son œuvre. Il s’est contenté de vivre pleinement le don
qui l’animait, d’accomplir le bien et de faire oraison pendant de longues
heures, la nuit. Il visitait les malades un à un et écoutait tout le monde avec beaucoup de patience. Il réconfortait et donnait à chacun ce dont
il avait besoin dans la mesure de ses possibilités. Comme Jésus, il a vécu pour aimer et servir. Il a donné
sa vie pour les autres. Comme Jésus, il n’a légué qu’un seul commandement qui
éclairera ses disciples plus tard quand des règles s’avéreront nécessaires pour
garder son esprit bien vivant chez ses successeurs et dans les œuvres de
l’Ordre.[83] Les Frères
qui ont adopté son style de vie ont appris de lui comment accueillir, servir et
aimer les pauvres malades en imitant ses gestes et ses attitudes qu’ils ont
ensuite codifiés dans les Constitutions de l’Ordre pour pérenniser le modèle
d’hospitalité hérité du Fondateur.
«Il faut veiller que dans nos
hôpitaux le service fait à Notre Seigneur dans la personne de ses pauvres Lui
soit agréable… Avant de mettre le
malade au lit avec toute la charité requise, il faudra lui couper les cheveux
et les ongles si cela ne fait pas de tort à sa santé. On lui lavera les mains
et les pieds et, si c’est nécessaire, tout le corps avec de l’eau chaude
parfumée à cet effet. On le revêtira ensuite d’une chemise propre et d’un
bonnet de nuit et on le couchera dans un lit avec des draps frais et un
oreiller propre. En hiver on bassinera le lit et on lui donnera ensuite les remèdes nécessaires »[84].
d )L’hospitalité dans les Constitutions et les documents de l’Ordre
63. La raison d’être de la vocation du Frère de saint Jean de Dieu est de
« maintenir vivante la présence miséricordieuse de Jésus de
Nazareth »[85], en
incarnant « ses sentiments envers le malade et le nécessiteux »
pour manifester ainsi « qu’il
demeure vivant parmi les hommes ». (Const. 2 c ;3a.) Jésus de
Nazareth est la « source et la couronne de notre spiritualité »[86].
Le Frère est le dépositaire d’une mission toute particulière : il doit
représenter Jésus dans son service auprès des malades, dans son accueil des
pauvres et des exclus. Jésus annonçait la paix du Royaume à ceux qui étaient
fatigués et découragés, la libération à ceux qui se sentaient écrasés par le
mal et les maladies, la sérénité à ceux qui se sentaient troublés et inquiets.
64. L’objectif des Constitutions est d’offrir un encadrement spirituel
novateur pour des temps nouveaux.
L’Ordre a compris que sans un engagement spirituel solide et sans une démarche de
conversion, le renouvellement demandé par le Concile s’avérait
impossible[87]. L’Ordre a
donc proposé plusieurs pistes.
- L’humanisation de l’assistance : la première finalité de l’Ordre est
de défendre la dignité du malade (Const. 10d ; 12c ; 23a ;
28b ; 43d)[88].
L’apostolat hospitalier s’identifie ainsi à l’humanisation. L’Ordre
découvre simultanément la nécessité d’humaniser la vie religieuse et de
renforcer certains aspects de la vie des Frères : « avoir soin
de soi, tout en soignant les autres ». Si les Frères négligent cet
aspect, ils oublieront le sens même de leur charisme.
- L’objectif de la vocation
hospitalière est
d’établir une alliance avec ceux qui souffrent ; c’est notre manière
charismatique de manifester
l’Alliance avec Dieu.
- La création de liens fraternels. Jean de Dieu se sentait le frère de tous et
de toutes, des plus pauvres au futur Roi Philippe II.[89]
Créer des liens de ce genre devrait caractériser le Frère. Tout
d’abord, il doit se sentir frère
de celui qui souffre et de ceux qui partagent avec lui le ministère de l’hospitalité (45b ;
46b.c ;23) : les professionnels, les bénévoles et les
bienfaiteurs, en un mot de tous ceux avec qui il est appelé à construire
une alliance pour promouvoir et servir la vie[90].
- L’option préférentielle pour les
pauvres et l’humanisation (Const. 5a)[91]
doivent inspirer notre hospitalité au service des malades et des
nécessiteux en général.
4.Repenser la miséricorde et
l’hospitalité pour notre temps. La relation à l’autre.
a) La relation à l’autre
65. L’hospitalité et la miséricorde évoquent des relations : avec le
prochain, le frère ou autrui. Cet
‘autre’ peut être un ami (communion) ou un ennemi (hostilité), l’étranger qui
nous effraye ou notre corps quand il nous fait souffrir, ou encore l’aliénation
par rapport aux répercussions de nos actes (cf. Rom 7). La rencontre avec
l’ami, l’ennemi, l’étranger, en un mot
avec ‘l’autre’, peut provoquer diverses réactions : joie, accueil,
solidarité, irritation, peur, curiosité, intérêt. L’inconnu éveille la
crainte ; il apparaît comme un être à la fois menaçant et fascinant. Menaçant
parce qu’il entre en compétition avec nous ; fascinant parce qu’il déploie
des horizons jusque là inconnus.
66. L’autre est toujours celui qui apparaît à l’extérieur de notre milieu, de notre espace, celui qui s’oppose
à nous. Il représente l’incompréhensible, l’insolite, l’hétérogène,
l’indisponible. La réalité nous semble ‘autre’ quand nous pouvons établir un
lien par rapport à ce qui est ‘mien’ ou ‘sien’. Avant de pouvoir décider si
quelque chose est ‘autre’ ou ‘sien’, il faut être capable de reconnaître la
relation qui existe entre ces deux termes. ‘L’autre’ est tel quand il nous
appartient dans une certaine mesure. Nous reconnaissons ce qui nous est propre
à partir de l’autre et l’autre à partir de ce qui nous est propre. L’invité
n’est plus le voyageur qui va et vient, mais celui qui vient et demeure. Il
reste par intermittence et occupe un espace frontalier. Ceci est également vrai pour son hôte car l’espace
que tous deux occupent désormais n’est plus exclusivement le sien.
67. L’autre est également, et surtout, celui qui surgit en dehors du temps qui nous est propre.
Chaque individu vit « son » temps. Nous pouvons parler des autres
comme « d’autres temps » d’autres rythmes. Vivre ensemble signifie
adapter les temps et les rythmes, harmoniser le temps d’autrui avec le mien.
L’hospitalité est étroitement liée au respect du temps des autres, peut-être
encore plus qu’au respect de leur cadre et de leur espace. Considéré sur le plan de la temporalité,
l’autre est en général un importun qui précipite les choses ou les retarde. Il
est soit plus lent ou plus rapide que nous. Il occupe une temporalité qui, pour
quelle que raison que ce soit, nous semble étrange ou inopportune. Les autres
ne sont pas tant ceux qui vivent loin, mais ceux qui vivent un temps distinct.
Le marginalisé ne vit pas dans la périphérie de l’espace mais littéralement
dans un autre temps. L’hospitalité est par conséquent fort liée à la capacité
de ‘perdre son temps’, ou ‘de consacrer son temps’.
68. L’autre, tant dans l’espace que dans le temps, est toujours celui qui nous interpelle, celui qui nous
arrive à l’improviste, de manière incontournable. Il attend une réponse de
notre part. Refuser de lui répondre est déjà une forme de réponse. C’est
neutraliser les questions futures pour se protéger d’un avenir imprévisible.
L’autre peut provoquer une crise d’identité. Grâce et risque à la fois, l’expérience culturelle de l’autre suppose
toujours une confrontation avec ses propres choix existentiels et les met à
l’épreuve. L’autre est une réserve où puiser pour enrichir et corriger les limites de nos prises de
position. Durkheim disait à ce propos que la qualité morale d’une culture se mesure à sa relation à l’autre. Celui
auquel nous répondons est toujours plus grand que la réponse que nous pouvons
lui offrir.
b) L’apprentissage de
l’hospitalité et de la miséricorde
69. L’hospitalité comprise de la sorte et la miséricorde en tant qu’amour
et non violence, nous révèlent les vrais fondements de l’être humain. L’homme
découvre qui il est lorsqu’il sort de lui-même pour aller à la rencontre de
l’autre. La découverte de soi est un acte intersubjectif. Nous connaissons nos
droits et nos devoirs dans la mesure où nous allons à la découverte de l’autre.
Se découvrir comme invité ou comme hôte, comme celui qui est accueilli ou qui
accueille signifie découvrir une identité qui comporte des obligations et des responsabilités. Les
individus ne deviennent des personnes que par l’approbation ou la réprobation d’autrui.
70. L’aphorisme de Merleau-Ponty est sage : « Apprendre à
considérer ce qui est sien comme autre et ce qui est autre comme le
sien ». Encore faut-il être capable d’atteindre une forme d’hospitalité et
de miséricorde libérée de la dépendance ou de l’indifférence, capables
d’accepter ce qui est hétérogène et de dépasser sa propre contingence ainsi que
celle d’autrui. L’hospitalité et la miséricorde s’apprennent lorsqu’on acquiert
l’habitude de s’intéresser à l’autre, de le respecter et de l’accepter avec ses
singularités.
c) La mission de
l’hospitalité et de la miséricorde aujourd’hui
71. De nos jours la mobilité est facilitée et l’expérience de l’autre se
multiplie. Les mouvements migratoires sont fortement accentués. Nous vivons
dans une société globalisée en perpétuel mouvement, dans des groupes sociaux pluriculturels qui manifestent de
manière tangible le pluralisme ambiant. On nous demande de faire preuve de
tolérance envers l’autre, c’est-à-dire celui qui est différent de nous. Une
telle situation nous révèle que les blocs homogènes et compacts d’autrefois
n’existent plus. Nous sommes étonnés de
constater que ce qui nous était propre semble désormais autre et étrange. Par
contre, ce qui, au départ, nous semblait étrange et autre s’est glissé dans nos
habitudes. Dans les sociétés aussi complexes où l’un ou l’autre groupe social
affirme son identité de façon excessive, une plus grande sensibilité est
requise pour s’intéresser aux exclus. Les individus de notre société
contemporaine ont peu de poids. Ils sont moins liés que jadis aux confins d’un
territoire. Ils sont moins contrôlables. Ils connaissent une plus grande
indépendance et autonomie. Nous nous trouvons devant une situation où insister
sur l’identité comme quelque chose de définitivement circonscrit n’a pas
beaucoup de sens. Aujourd’hui nous préférons parler « d’identité complexe » (Amin Maalouf). L’autre me
permet de mieux comprendre qui je suis.
72. Les situations perverses de notre monde ne sont que trop bien connues.
Le nombre de pauvres et d’exclus ne fait qu’augmenter malgré l’apparition des
nouvelles technologies et la globalisation. La conception sacrée de la personne
cède le pas aux idoles devant lesquelles les sociétés modernes se prosternent.
L’éducation (mass media et climat socio-économique) que cette société offre aux
nouvelles générations ne met pas en évidence la valeur de l’hospitalité mais
accorde une place privilégiée à l’individualisme, au matérialisme et à
l’hédonisme. Il devient impossible avec une telle mentalité de freiner des
phénomènes pervers tels la consommation à outrance, le trafic de drogues, la
pornographie, les désordres amoureux avec ses répercussions sur la dignité de
la sexualité humaine, la croissance de la pauvreté et de l’injustice. En outre,
l’apparition d’un grand nombre de nouvelles maladies constitue un véritable fléau pour des millions d’êtres
humains. Il faut joindre à cette perte
du sens d’humanité, la dégradation de l’environnement (eau - zones côtières,
ressources maritimes mises en danger suite aux activités industrielles et minières
-, pollution de l’air – industries
textiles, agro-alimentaires, raffineries de pétrole…-, manipulations
génétiques), l’exploitation incontrôlée de la nature, l’épuisement des
ressources et la menace d’un déséquilibre écologique.
73. L’explosion démographique lance un défi à l’hospitalité. Chaque jour,
l’humanité enregistre 220.000 nouvelles naissances. Ce taux de croissance
démographique pose de nouveaux problèmes : déracinement des familles,
urbanisation, exploitation insoutenable des ressources disponibles pour satisfaire les demandes
croissantes de la population. Dans de nombreux lieux, l’être humain semble
avoir perdu la notion du sens sacré de la vie. Guerres fratricides, violences
contre les femmes sans défense, exploitation des enfants innocents, capitalisme
sauvage qui creuse toujours plus le fossé entre les riches et les pauvres. Il y
a une grande inégalité entre les 30% de
la population mondiale qui vivent dans une abondance matérielle et les 70% condamnés
à la pauvreté et privés des biens élémentaires pour mener une vie digne de ce
nom. Même les richesses culturelles des pauvres sont menacées par manque de
ressources, sans parler de la séduction irrésistible qu’exercent les modèles
étrangers du développement matérialiste.
74. Les attitudes d’accueil, de reconnaissance, de service et de solidarité
(hospitalité) de nos contemporains déploient toute leur splendeur dans de
nombreuses institutions et initiatives. ONG, bénévolat, institutions sociales
de tous genres, armées de la paix
services civils, mouvement de justice et de paix, défense de l’écologie, de
la dignité humaine, refus de toute forme de xénophobie, etc. De nombreux
peuples conservent encore jalousement leurs précieuses traditions
d’hospitalité. Il faut toutefois
reconnaître que celles-ci accusent un certain déclin à cause d’un soucis
excessif et prédominant de sécurité. Les guerres, la violence, le terrorisme,
les crimes et l’insécurité ambiante sont tels qu’ils influent négativement sur
les valeurs traditionnelles de l’hospitalité. L’Ordre et les Frères de saint
Jean de Dieu se situent dans ce contexte
avec toute leur tradition.
L’Ordre souhaite être à la hauteur des temps et répondre, avec un nouvel
élan, à sa vocation spécifique en offrant des milieux de vie où l’organisation,
le professionnalisme, la technique et l’humanisation se conjuguent et
s’harmonisent avec des gestes et des attitudes de service, d’accueil, de
solidarité et de guérison pour le corps et pour l’esprit.
III. L’ITINERAIRE SPIRITUEL
PARCOURIR AUJOURD’HUI
LE CHEMINEMENT SUIVI PAR
JEAN DE DIEU
- La spiritualité aujourd’hui
75. L’Eglise et le monde ont une profonde soif de spiritualité. Devant la
perte de sens, l’accumulation de problèmes en apparence insolubles, le vertige
provoqué par une mobilité incessante, tous éprouvent le besoin de se connecter au Mystère, à l’Esprit qui procure
stabilité et raison d’être. Nous sommes assoiffés de spiritualité. L’Eglise
répond à cette soif en proposant plusieurs chemins de spiritualité.
76. Nous assistons aujourd’hui à une forme de mondialisation de la
spiritualité. Le dialogue interreligieux a généré de merveilleuses initiatives
en ce sens mais certains revendiquent une dimension plus locale de la
spiritualité. Une spiritualité aux traits africains, asiatiques, américains ou
européens est en train de voir le jour. En ce début de siècle, nous concevons
la spiritualité de manière plus intégrale, c’est-à-dire englobant à la fois le
corps et l’âme, l’individu et la communauté ou la société, le local et le mondial,
le particulier et l’œcuménique…Ce même phénomène se répercute dans notre Ordre.
Celui-ci est le dépositaire d’une spiritualité globalisée qui répond au don
reçu mais, en même temps, adopte
différentes caractéristiques locales selon la région où elle s’implante.
77. Nous comprenons que la spiritualité est un processus, un
cheminement ; elle passe par plusieurs étapes. Nos Constitutions nous
indiquent le but mais il nous faut trouver le chemin adéquat pour l’atteindre.
L’Esprit est notre ‘maître intérieur’. Il nous conduit à la perfection de
l’Amour et de l’Alliance, de l’union avec Dieu, avec les autres et avec le
cosmos. Nous n’atteindrons jamais le but fixé dans cette vie. C’est pour cela
que les paroles de Grégoire de Nysse dans sa ‘Vie de Moïse’ sont si
éloquentes :
« S’arrêter en cours de route
sur le chemin de la vertu est le début de la course vers le vice…Tout ce qui se
trouve encadré par des limites n’est pas vertu. Pour ce qui est de la vertu, la
seule limite de la perfection est de n’avoir aucune limite…L’apôtre, en se
hâtant toujours sur le chemin de la vertu, sans cesse tend à aller plus loin
car il lui semble dangereux de s’arrêter en route… La perfection de la nature
humaine consiste peut-être à toujours être disposé à rechercher le plus grand
bien ».
78. Dans son document ‘Repartir du Christ’, l’Eglise nous présente une
perspective identique.
« C’est précisément
dans l’existence quotidienne que la vie consacrée se développe en mûrissant
progressivement pour devenir l’annonce d’un mode de vie différent de celui du
monde de la culture dominante…Outre la présence active de nouvelles générations
de personnes consacrées qui rendent vivante la présence du Christ dans le monde
et la splendeur des charismes ecclésiaux, la présence cachée et féconde de
consacrés, hommes et femmes, qui ont l’expérience de la vieillesse, de la
solitude, de la maladie et de la souffrance, est également particulièrement
significative. Au service déjà rendu et à leur sagesse, qu’ils peuvent partager
avec d’autres, ils joignent leur précieuse contribution en s’unissant, par le
don d’eux-mêmes, au Christ patient et glorifié en faveur de son Corps qui est
l’Eglise (cf. Col, 1, 24)[92].
- Le modèle de notre cheminement
spirituel
79. « Notre hospitalité a son origine dans la vie de Jésus de
Nazareth » (Const. 20) que notre Fondateur saint Jean de Dieu a fidèlement
imité, en se consacrant totalement au service et au salut des pauvres et des
malades (Const. 1a). Aujourd’hui, nous
sommes Jean de Dieu. Nous partageons son don, sa foi, sa sensibilité devant
la souffrance humaine, son dévouement inconditionnel dans le service, son
humilité et sa créativité dans la charité[93].
Son itinéraire spirituel est la proposition pédagogique que nous offre l’Esprit
Saint pour développer en nous le charisme de l’hospitalité. Nous aussi, comme
lui, sommes en route. Nous sommes des pèlerins dans un monde complexe et
globalisé. Son pèlerinage intérieur, son cheminement spirituel vers le fond de
l’abîme, vers la misère humaine constituent
pour nous la proposition par excellence d’une spiritualité axée sur
la mission et la communion (Const.5).
Nous nous trouvons devant une authentique école de spiritualité.
80. Les étapes parcourues par Jean de Dieu – « vide – appel –conversion – identification » - nous
montrent quels sont les stades de notre propre cheminement. Il ne faut pas les comprendre dans un sens
linéaire et chronologique mais comme une spirale, car elles peuvent se répéter
à tout âge et à différents moments de la vie. Jean de Dieu devient pour nous un
symbole qui nous indique la voie de la kenosis ; celle-ci, de
dépouillement en dépouillement, nous guide dans le service jusqu’à la mort (Cf.
Phil 2, 6-11).
a) L’expérience du
vide : se désinstaller pour renaître
81. Tout itinéraire comporte un point de départ et un point d’arrivée. Le
départ implique une désinstallation.
Tout ce qui faisait la trame de nos jours semble perdre sa raison d’être . Nous
nous sentons des étrangers dans notre propre environnement. Le processus qui
marque le début d’un cheminement dont nous ne savons trop dès le départ où il
nous mènera, commence de la sorte. Nous sommes Jean de Dieu et, comme lui, nous
devons éprouver le néant des choses de ce monde. Avec lui, nous vivons l’expérience de nous désinstaller.
82. Cette expérience se reflète merveilleusement dans la figure biblique de
Moïse et du Peuple de Dieu. Au départ, Moïse affronte la vie avec la sagesse
des Egyptiens. Petit à petit, pendant son long cheminement dans le désert, il
découvre que Yahvé est Celui qui conduit sa vie et celle de son Peuple. Il
renonce alors aux sécurités immédiates et aux faux dieux et accepte dans sa vie
la présence du Dieu unique qui l’invite à lever le camp, à continuer sa route
et à surmonter tous les obstacles. Les barrières mentales et les sentiments de
peur, de découragement, de paresse devant l’effort requis pour conquérir
l’avenir promis s’avèrent plus forts et plus violents que la traversée du
désert et des fleuves.
83. Ce cheminement spirituel débute quand on fait une première expérience des limites du monde et
de celles de sa vie. La contingence de
toute chose nous apparaît clairement, grâce à Dieu. Nous avons l’impression que
rien n’est absolument nécessaire. Nous recherchons le sens de la vie, de
l’histoire mais ne rencontrons que des réponses partielles ou contradictoires.
Les promesses s’avèrent fallacieuses. Les carences affectives, les
frustrations, les déceptions et les échecs (famille, amitiés, étude, projets…)
nous poussent à nous interroger sur les valeurs qui prédominent dans notre
société et à rechercher ce qui peut donner un sens à notre vie. Le plus grand
succès peut être insuffisant pour calmer l’angoisse du cœur humain. « Tu
nous as fait pour toi Seigneur et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose
en Toi » (saint Augustin). Jésus nous dit aussi « Quel avantage
l’homme a-t-il à gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine
lui-même ?» (Lc 9,25). L’expérience de l’appel, de la vocation est en
général le premier pas vers un changement de vie. La voix de Dieu est puissante
et réduit les autres voix au silence. Elle invite à ‘aller plus loin’ et
éveille le désir de quelque chose de différent.
84. Cette expérience peut se répéter indéfiniment tout au long de la vie.
Il faut apprendre à ‘renaître de nouveau’ après de grands échecs intérieurs ou
extérieurs. Toute vie comporte des moments difficiles, chaotiques, avec des
expériences de mort qui semblent bloquer toute issue vers le futur.
L’expérience du vide peut provoquer
soit le découragement ou l’inertie devant la réalité soit la tentation de se
laisser porter par la vie au lieu de l’orienter et de la vivre. Elle peut
également être un signal d’alarme pour reprendre le contrôle de son existence
et laisser résonner en son âme les questions
et les intuitions qui y sommeillent encore[94].
L’expérience du vide - qu’on l’accueille ou que l’on y résiste - permet la
grâce d’une recréation et d’une restauration intérieure à condition de ne pas
l’apaiser ni de l’étouffer superficiellement.
85. Thérèse de Jésus appelait cette étape celle des premières demeures, et
Jean de la Croix, le début de la montée au Mont Carmel. Saint Jean de Dieu nous
la décrit comme une expérience de mort dans un monde de mort et sans issue.
Jean d’Avila, maître spirituel de notre Père saint Jean de Dieu, la décrit comme l’étape de la non-écoute du
langage du monde, du démon et de la chair (« Audi, filia », I A).
b) ‘L’appel’ et les
appels tout au long de sa vie : « Ecoute, mon fils »
86. Quand la personne ne se replie pas sur elle-même, elle découvre le
dessein mystérieux de sa vie, alors elle devient capable d’écouter la voix de
Dieu et d’expérimenter le dynamisme de l’Esprit qui la conduit vers
‘l’inconnu’. L’expérience d’une vocation a été comparée à une séduction ou à
une attraction irrésistible. Jésus, le Fils de Dieu vient à notre rencontre, il
barre notre route et nous invite à changer notre itinéraire afin de le suivre.
87. L’appel survient d’abord d’une manière presque
imperceptible. Les événements heureux ou les moments de découragement à la
suite de frustrations ou de déceptions sont le langage utilisé par Dieu. La
voix de Dieu résonne au fond de la personne en un moment concret de son
existence et écarte tout ce qui l’empêche de se mettre en syntonie avec
elle : « Ecoute, mon fils, tends l’oreille ». On expérimente
alors la séduction d’un style de vie
qui manifeste l’amour de Jésus de Nazareth pour son Père et pour ses
frères, les hommes, que celui-ci corresponde à ses aspirations les plus
profondes ou s’y oppose diamétralement.
On comprend alors l’urgence de changer de vie, de rompre avec la monotonie
répétitive des pratiques chrétiennes grâce auxquelles on espérait
inconsciemment se gagner la
bienveillance de Dieu.
88. La séduction du Mystère ne se passe pas toujours dans des milieux de
pure transcendance, d’isolement ou de prière intime avec Dieu. Cette séduction
s’exerce - comme c’est d’ailleurs souvent le cas dans la vie de Jean de Dieu -
dans la rencontre avec les crucifiés du monde, les exclus, les méprisés. En
eux, on découvre le visage de Dieu et son appel se fait encore plus pressant et
incontournable. Dans le visage des défigurés, on découvre la présence du
Transfiguré.
89. L’appel est une étape qui nécessite le discernement, l’accompagnement
spirituel, la réponse à de nombreuses questions. Les maîtres spirituels nous
parlent du « début du chemin » ou de la troisième demeure. Il faut
néanmoins faire un grand effort d’ascétisme pour adapter sa vie à celle que
Dieu nous propose.
90. De ‘nouveaux appels’ surgissent tout au long de notre vie permettant
d’approfondir et de consolider le premier. Alors nous découvrons une nouvelle
orientation ; nous nous sentons appelés à changer notre mode de penser
(metanoia), nous éprouvons le besoin d’être envoyés vers de nouvelles frontières
de mission. Répondre aux injonctions de Dieu dans de telles circonstances, est tout aussi important qu’à l’origine de
notre appel. Sans réponse de notre part, le cheminement spirituel s’enlise.
91. Pour accéder au cheminement spirituel, il faut un appel mais celui-ci
doit s’accompagner d’une réponse. Cette dernière prend corps avant tout dans la prière et dans l’obéissance
empreinte d’humilité et d’esprit de service. Saint Jean d’Avila demandait ‘
d’écouter tout d’abord la Parole de Dieu…car Dieu seul est toute la Vérité’ (Audi, Filia, I,B)1), ‘pour la foi’ (Audi, Filia, I.B),2).
c) Conversion et
consécration
92. Celui qui se sait appelé par Dieu, invité à suivre l’exemple de Jean de Dieu et qui répond positivement
connaît une transformation intérieure mystérieuse et graduelle. Habité par
l’Esprit et comme consacré, il adopte un style de vie dépouillé et de
renoncement de soi.
93. Dieu nous parle, comme il l’a fait à Jean de Dieu, dans les cris que
nous lancent les pauvres, les malades et toutes les victimes de l’injustice.
L’amour compatissant et miséricordieux, l’accueil, la bienveillance, le sens de
la solidarité et de la fraternité s’éveillent
et s’incrustent en nous. Nous modifions notre échelle de valeurs. Au
moment de nous consacrer dans l’hospitalité, l’Esprit Saint nous rend capables
‘de manifester dans notre vie l’amour particulier du Père envers ceux qui
souffrent et de continuer à notre époque le style de vie de Jésus de Nazareth,
en vivant la chasteté, la pauvreté, l’obéissance et l’hospitalité et en
coopérant à la mission de l’Eglise, en servant Dieu dans l’homme qui souffre.’
(Const. 1.d ; 2b ; 7b).
94. Cette action transformatrice de l’Esprit est célébrée et accueillie au
cours de la célébration liturgique de notre profession religieuse (Cf. ET.
47 ;Const.9a). Nous reconnaissons
ainsi que Dieu nous consacre dans tous les événements de notre vie.
95. Il ne suffit pas de participer aux rites de la consécration, nous
devons nous laisser consacrer. Alors seulement Dieu accomplit tout le reste.
Nous passons par une étape mystique dans laquelle Dieu, par la médiation de
Jésus et de l’Esprit, devient le grand protagoniste de la vie de son élu. Les
maîtres spirituels définissent cette étape comme les quatrièmes demeures, comme
la transition d’une étape ascétique vers une autre plus mystique. Jean de Dieu
n’a pas connu cette étape dans un isolement contemplatif mais dans la
contemplation mystique au sein d’une action caritative, miséricordieuse et
hospitalière. Il s’est senti consacré par l’Esprit dans son contact avec la
misère humaine. Nous devons suivre ce même chemin de consécration permanente.
Saint Jean d’Avila enseigne comment l’écoute de la voix de Dieu introduit le
croyant dans une nouvelle vision. Il s’incline devant la volonté du Seigneur
qui le presse à partir et à oublier ce monde mauvais jusqu’à et y compris, la
maison paternelle. (Audi, Filia, II-V).
d) Identification
mystique avec Jésus, pauvre, marginalisé et souffrant
96. Le cheminement dans les voies de l’Esprit a pour objectif
l’identification avec le Christ. Il ne prend jamais fin en cette vie. Les
dernières étapes nous placent devant une transformation ou une transfiguration
toujours plus intense. Elle peut être décrite comme ‘mariage mystique’, une
symbiose authentique : « Ce n’est plus moi qui vis mais le Christ qui
vit en moi » (Gal, 2,20). L’Esprit se manifeste et agit en nous en tant
qu’Hospitalité ; Il nous configure
au Christ compatissant et miséricordieux de l’Evangile pour maintenir sa
présence vivante dans le temps. (Const. 2)
97. Ces dernières étapes de la vie spirituelle nous permettent de découvrir
le potentiel secret de notre vie qui dépasse toute imagination et tout désir. Qui renonce à aller jusqu’au bout se
sentira frustré. Les Maîtres spirituels désignent ces étapes sous le nom de ‘dernières demeures’ ou
‘arrivée au sommet de la montagne’ ou ‘le moment où Dieu se sent
prisonnier de l’ âme du croyant’ (Audi, Filia, VI).
- Participer au cheminement du Peuple
de Dieu
98. Notre cheminement spirituel charismatique, communautaire et personnel
s’inscrit dans le grand cheminement spirituel du Peuple de Dieu, l’Eglise. Le
cycle sacramentel et liturgique le révèle d’une manière exemplaire. C’est aussi
notre cheminement. Le cycle de
l’année liturgique est le contexte général de notre itinéraire spirituel. Tout
au cours de son déroulement, nous entrons en contact avec la totalité du
message révélé. La lecture suivie que
nous propose notre Mère l’Eglise, jour après jour, au fil des semaines,
constitue le meilleur aliment spirituel, le meilleur guide dans les voies de
l’Esprit.
99. Le Concile Vatican II nous rappelle que « La liturgie est le sommet auquel tend l’action de l’Eglise
et en même temps la source d’où découle toute sa vertu…C’est donc de la
liturgie , et principalement de l’Eucharistie, comme d’une source, que la grâce
découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette
sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu que
recherchent comme leur fin, toutes les autres œuvres de l’Eglise »[95].
Dans le contexte du cycle liturgique : la célébration quotidienne de
l’Eucharistie
- nous
incorpore au sacrifice de Jésus et au culte qu’Il offre au Père (Const.
7c) ;
- elle
exprime et réalise notre mission en tant que famille hospitalière [96];
l’amour de Jésus, présent dans l’Eucharistie, renouvelle notre esprit hospitalier (Const. 30).
- La
réserve eucharistique et la présence de Jésus dans nos tabernacles
transforment nos communautés en d’authentiques écoles d’hospitalité[97].
Notre hospitalité eucharistique est la source de notre hospitalité
charismatique. Notre hospitalité charismatique vivifie et renforce
l’hospitalité eucharistique que nous exprimons dans la célébration
quotidienne de l’Eucharistie et dans l’accueil recueilli de la présence
réelle du Seigneur dans nos oratoires.
100. Pendant les temps de pénitence prescrits par l’Eglise, comme lors des
célébrations communautaires et personnelles de réconciliation, nous célébrons
la Miséricorde de Dieu. Nous reconnaissons notre collaboration et participation
au mal, nous nous ouvrons à Dieu et à la communauté et accueillons la grâce qui
transforme tout. Le Sacrement de la Réconciliation se situe au centre de notre
spiritualité qui préconise la miséricorde,l’accueil inconditionnel et hospitalier
de l’autre.
101. Le sacrement de l’onction des
malades a toujours occupé une place privilégiée dans notre service
pastoral. Jean de Dieu y veillait avec grande sollicitude. La tradition de
l’Ordre l’a maintenu comme une manifestation d’amour authentique envers le
malade. Notre Mère l’Eglise nous offre la possibilité de célébrer la proximité
miséricordieuse et transformatrice de Jésus dans le sacrement de l’onction des malades. La célébration communautaire
de ce sacrement – que nous soyons les sujets de la célébration ou membres de la
communauté qui le célèbre – nous permet d’expérimenter la présence réelle et
thérapeutique de notre Seigneur Jésus dans le monde de la maladie et de la
souffrance. Participer à la prière et à l’onction de l’Eglise en faveur des
malades constitue un des moments forts de notre croissance spirituelle comme
Frères hospitaliers.
102. L’office divin auquel nous
participons régulièrement nous unit intensément au Peuple de Dieu. La prière
des psaumes, l’écoute de la Parole, plus efficace qu’une épée à double
tranchant, guide notre vie de manière infaillible sur les voies du Seigneur.
C’est la raison pour laquelle nous ne
pouvons pas nous dispenser de ce rythme vital. Quand nous participons à la
prière de l’Eglise, nous entrons aussi en communion avec l’humanité et plus
particulièrement avec les hommes et les femmes qui souffrent, l’Eglise de la
souffrance. Il est important de reprendre conscience de cette dimension de
notre spiritualité. Nous sommes la voix qui bénit, loue, rend grâces et supplie
le Dieu de la vie et le Père de miséricorde au nom de ceux qui sont dans
l’impossibilité de le faire personnellement ou qui ne connaissent pas le
bonheur de la filiation divine.
- Participer au cheminement spirituel
de l’Ordre
a)Transmission charismatique
103. Notre chemin spirituel est celui de l’Ordre et celui des communautés
auxquelles nous appartenons. La spiritualité prend corps grâce à un processus
de transmission, de contagion, de communion. L’importance de la communauté, de
l’Ordre (présent et passé) en tant qu’école de spiritualité est indéniable.
Nous partageons le charisme de l’hospitalité dans une communauté de Frères,
réunis par le Seigneur Jésus pour marcher ensemble vers le Père et
manifester le Royaume de Dieu dans le monde de la santé (Const. 26a).
Entrer dans la communauté de l’Ordre signifie s’insérer dans une grande
tradition spirituelle et s’y engager avec une
fidélité créatrice pour que l’Esprit stimule, par notre intermédiaire,
le don de l’hospitalité chez ceux qui en sont dépositaires.
104. Dans un tel contexte les Frères et les Institutions plus anciennes
acquièrent un relief particulier. Ils sont les témoins, les ministres d’une
tradition spirituelle. Leur contact stimule la vie. Leur présence et leur
influence sont particulièrement importantes là où existe, en raison de la
jeunesse des Frères, le danger de se couper de leurs origines. Il revient aux
Frères aînés et à ceux qui ont été formés au sein de la grande tradition
d’exercer une fonction de paternité charismatique.
b) L’amour fraternel
105. Nous sommes invités à nouer des liens de fraternité en suivant
l’exemple de Jean de Dieu. Une des conséquences les plus
négatives de la sécularisation est la perte d’identité sociale du religieux
dans nos sociétés. Nous devenons des marginalisés dans la mesure où la société
ne reconnaît plus notre rôle de consacrés. L’être humain a besoin de se sentir encadré, accepté par ses
semblables. Si ceci fait défaut, il doit trouver un groupe d’appartenance
permettant de nouer de solides relations primaires qui lui assurent le soutien
social nécessaire pour renforcer sa propre identité. Pour nous, la communauté
dans laquelle nous vivons est ce lieu. Toutefois, si celle-ci par excès
d’individualisme spirituel n’assure pas cet appui, il n’est pas étonnant que
certains de ses membres recherchent ailleurs ou privatisent cette dimension.
Ils s’efforcent alors de s’identifier à leur travail, (infirmier, assistant
social…), réduisent l’appartenance à leur communauté à la tâche qu’elle réalise
et s’identifient non pas à ce qu’elle est
mais à ce qu’elle fait.
106. Le don de l’hospitalité rend tout d’abord capable de vivre et de
manifester des attitudes d’accueil, de compréhension, de bienveillance dans sa propre communauté (Const. 36b). En vertu
de la miséricorde que nous avons expérimentée dans notre vie, nous valorisons nos Frères, dépositaires du même
don. Nous développons les liens de communion que l’Esprit nous inspire pour
témoigner que des différences d’âge, de culture et de race se relativisent
quand les relations se basent sur le respect et l’acceptation de l’autre tel
qu’il est.
107. Le témoignage de la vie fraternelle en communauté,tel que le
souhaitait Jésus, conserve toute son actualité. Il est une invitation à croire en Lui, l’envoyé du Père. Il
manifeste que nous sommes ses disciples (Cf. Jn 13,35 ; 17, 21 ;
Const. 26b). Ce témoignage - toujours perçu comme une valeur évangélique – est
compris par la société dans la mesure où
nous sommes capables de nous aimer et de vivre comme des frères. « La
communion fraternelle, avant d’être un instrument pour une mission déterminée,
est l’espace théologal dans lequel on peut expérimenter la présence mystique du
Seigneur ressuscité ». (Cf. Mt 18,20 ; VC 42).
c) Partager l’expérience
de Dieu et discerner sa volonté en communauté
108. La communauté de l’hospitalité miséricordieuse est le cadre idéal pour
vivre notre spiritualité. Elle est et
doit être biocénose, biotope, lieu de vie et de croissance existentielle .
La communauté sera ‘école de spiritualité’ dans la mesure où nous reconnaissons
que notre expérience personnelle de Dieu est la raison fondamentale qui nous
invite à nous connaître et à vivre ensemble. Nous apprécierons alors que
« la communauté est le lieu
privilégié où l’expérience de Dieu doit pouvoir être atteinte en plénitude
et communiquée aux autres » (Const.
27 ; cf. DCVR 15). Nous devons nous efforcer de surmonter l’individualisme
dans la vie intérieure, promouvoir la communion dans l’esprit et les partages
de foi ; parler des difficultés
rencontrées et des moyens de mieux vivre sa foi ; nous engager et nous
efforcer de cheminer ensemble, dans le dialogue, la correction fraternelle et
la communication de l’expérience de Dieu.
109. Les célébrations liturgiques, la prière et les réunions communautaires
constituent des moments où, guidés par l’Esprit et situant le Christ au centre
de nos assemblées, nous pouvons et devons partager notre foi, revoir et évaluer
notre vie, rechercher et accueillir la volonté de Dieu sur la communauté et sur
chacun de nos Frères (Cf. Const. 38,3) .
110. Une communauté hospitalière est clairement invitée à être experte en
discernement spirituel. C’est probablement un des aspects que nous devrons
travailler davantage dans l’avenir. Le discernement des esprits dépasse
l’entendement intellectuel. Personne ne
peut se sentir supérieur à autrui dans ce domaine. Lors d’un discernement, la
communauté se situe humblement devant Dieu dans le désir de découvrir sa
volonté. Ceci exige prière, écoute de Dieu et des Frères, conscience que Dieu
révèle habituellement ses mystères aux plus petits, les simples, les pauvres et
les jeunes.
d) Une communauté en
mission
111. L’hospitalité, la mission de l’Ordre, est au centre de sa vie et
s’incarne dans la communauté locale. Communion et mission ont besoin l’une de
l’autre et se complètent mutuellement. (Cf. Const. 41a ; 43c).
112. Nous n’agissons pas à titre individuel, c’est la communauté qui nous
envoie et nous soutient. Elle nous confirme dans notre identité de Frères de
saint Jean de Dieu (Cf. Const. 43c). Tous les Frères s’engagent dans la
communauté pour annoncer l’évangile aux pauvres et aux malades. Certes, tous ne
peuvent pas se consacrer directement à leur service mais tous soutiennent et
participent à celui des autres. Ces derniers se sentent appuyés et encouragés
par ceux qui, en raison de leur âge, des infirmités ou de leur fonction, ne peuvent accomplir un travail
professionnel. Ce sentiment de
communion dans la mission doit toujours se cultiver et se vivre surtout dans
les communautés où l’âge avancé des Frères et les législations en vigueur ne
leur permettent plus de travailler officiellement au service des malades et des
nécessiteux.
113. Nous avons été convoqués pour constituer une communauté de vie
apostolique (Cf. Const. 5b ; cf. Mc 3, 13-14). Notre communauté trouve
toute sa raison d’être dans la mission. (Const. 41a) C’est là que les fruits de
la rencontre avec Dieu et avec les Frères se révèlent. Dans la mission, la transfiguration de notre identité de
croyants devient visible. Là se
manifeste en nous le Christ compatissant et miséricordieux de l’Evangile. En
nous et par nous Il accueille les malades et les nécessiteux et se consacre
entièrement à leur service. (Const.
2c ; 5a). Aucune des dimensions de notre vie, prises séparément ne peut
définir notre identité. Cette transformation est le fruit de l’Hospitalité
(Const. 2b). La vie apostolique ne peut se dissocier de la prière et de la vie
fraternelle en communauté. Croire que seuls l’activité apostolique et le
travail accompli nous transforment en présence du Christ est inacceptable.
L’Hospitalité fait de nous des apôtres. Nous le sommes quand nous travaillons
professionnellement et même quand, pour des raisons de santé ou autres, nous ne
pouvons plus rester au chevet des malades ou des pauvres pour les soigner et
les servir. Nous sommes hospitalité.
Ce fait inspire tous nos gestes et
toutes nos activités.
114. Les activités apostoliques ne supposent pas un arrêt de la vie
communautaire (Const. 43c). Celle-ci s’affirme au contraire dans la dispersion
de ses membres pour des raisons de service. Notre spiritualité exige que nous
soyons conscients des liens qui nous unissent quand nous sommes éloignés. Même
de loin nous devons prendre part au programme spirituel de notre communauté.
Nous ne devrions jamais nous sentir seuls. S’insérer au milieu des gens est une
manière de vivre la dispersion apostolique dans l’hospitalité. Cette expérience
de vie communautaire nous prouve que notre communauté existe pour les autres et
non pour nous-mêmes. (Const. 5b ; 41a).
e) Une communauté
ecclésiale
115. Nous formons des communautés qui appartiennent à la grande communauté
qu’est l’Eglise ainsi qu’aux Eglises particulières avec leurs pasteurs
respectifs. Ne l’oublions jamais. Pour cette raison, laissons-nous guider par
ses orientations spirituelles, son magistère et l’action de l’Esprit qui se
manifeste en elle. Nous collaborons à sa mission pour annoncer le Royaume
(Const. 1d ;5a ;41a) et sommes conscients que sans le service
caritatif et la mission de guérison l’Eglise de Jésus serait incomplète. Les
œuvres apostoliques de l’Ordre doivent être des lieux où l’on confesse,
proclame et pratique publiquement la charité chrétienne à l’instar de la
paroisse où l’on confesse et célèbre publiquement sa foi[98].
116. La communion avec l’Eglise confirme, dans le Frère, sa vocation
d’exercer, « un sacerdoce compatissant et miséricordieux » (Cf.
Const. 7c ; 30b) en suivant l’exemple de Jésus. Au sein du peuple qui
souffre, il offre au Père le culte de l’oblation de sa propre vie, celle des pauvres et des malades. Il est le
prophète du Dieu de miséricorde qui descend dans le monde des pauvres pour leur
exprimer son amour et dénoncer les injustices sociales et structurelles. Le Frère incarne dans
l’Eglise le commandement de Jésus qui a manifesté son amour jusqu’à la fin et
s’est abaissé devant ses disciples en leur lavant les pieds. Jésus demande de
pérenniser ce geste d’hospitalité et de service pour que sa présence dans
l’Eucharistie ne soit pas un rite répétitif mais un mémorial du don qu’il a
fait de lui-même pour donner la vie et placer les hommes, ses frères, au même
plan de dignité de vie (Cf. Jn 13,
1-17 ; Lc22, 17-21).
- Notre cheminement spirituel personnel
117. Partager le cheminement du peuple de Dieu ne suffit pas. Tout être
humain est unique. Tout cheminement spirituel comporte une dimension
individuelle dont chacun de nous doit assumer seul la responsabilité.
a)La prière personnelle
comme médiation de spiritualité
118. « La principale source de notre mission est l’amour
miséricordieux du Père.(Cf. 1Jn 4, 10-11) Personnellement et en communauté nous
devons favoriser, dans le dialogue de la prière, l’intégration entre la vie
intérieure et l’activité apostolique, pour pouvoir vivre l’amour de Dieu en
syntonie avec l’amour du prochain ». (Const. 28a). Dans la prière, Jésus
veut réaliser avec nous des merveilles de miséricorde (saint Benoît Menni). Il
se penche sur notre faiblesse, nous regarde avec une tendresse infinie, nous
accueille avec tout son amour. C’est ainsi qu’il s’est penché au chevet des malades, qu’il a regardé les enfants
et les pécheurs, qu’il a accueilli Marie-Madeleine, Zachée et Pierre. Au cours
de la prière, nous sommes invités à nous laisser regarder par Jésus. Nous
devons permettre que la lumière de sa vie illumine notre esprit et notre cœur
afin de discerner quelle est la volonté de Dieu sur nous en tout moment et la
suivre avec une docilité filiale.
119. Dans la prière personnelle le Frère découvre la vérité et le dynamisme
de son cheminement par rapport à la vie dans l’Esprit. La rencontre amoureuse
et régulière avec le Dieu Trinité devient toujours plus intense et plus longue
au point d’en arriver à prier sans cesse. La qualité du dialogue interpersonnel
avec Dieu indique jusqu’où l’Esprit s’empare de nous. Il est vrai que nous ne
savons pas prier comme il faut mais l’Esprit vient à notre secours (Rom 8,
26-27). Il guide nos progrès dans la prière. Ses inspirations nous surprennent.
Quand les soucis du quotidien et le
travail ne permettent pas l’épanouissement de notre vie de prière, notre
cheminement spirituel s’arrête et régresse.
b) Un projet personnel de
spiritualité
120. Chaque Frère doit élaborer son cheminement spirituel à l’intérieur
d’un projet de vie personnel. Il doit en faire l’objet d’un discernement
sérieux avec son maître ou son accompagnateur et, dans la mesure du possible,
en faire part aux Frères de sa communauté.
121. Le projet de vie personnel devient ainsi l’expression de sa réponse à
sa vocation. Il doit la réactualiser chaque jour ; c’est
la meilleure preuve qu’il assume la responsabilité de sa vocation et qu’il
est prêt à la traduire à tous moments dans des gestes concrets. Pour appartenir
à la famille de Jésus et être Frères, nous ne pouvons nous limiter à l’écoute
de la Parole ; nous devons aussi la mettre en pratique.
122. Notre projet de vie est une réponse à l’Alliance de Dieu et met
l’accent sur le Royaume de Dieu qui vient. La chasteté, la pauvreté, l’obéissance
et l’hospitalité qui caractérisent notre engagement dans le cadre de l’Alliance
de Dieu avec son peuple acquièrent tout leur sens dans le contexte du Royaume
de Dieu et de la sequela Christi. Par
la pratique de ces conseils évangéliques, l’Esprit nous stimule à être des
prophètes qui dénoncent l’injustice, la discrimination, l’oppression et la
violence. Les charismes dont l’Esprit nous a pourvus pour une vie d’hospitalité
se développent dans la mesure où nous vivons notre mission avec zèle et passion.
Nous nous insérons toujours plus dans l’histoire du peuple que nous servons et nous aimons en nous identifiant
avec les plus démunis de la terre.
123. La disponibilité est un élément essentiel de ce projet de vie
personnel. Etre disponible à tout moment comme Frère de saint Jean de Dieu est
l’expression par excellence de notre spiritualité hospitalière. Celle du don de
soi, du service permanent, de l’accueil sans réserve. C’est la piste qui
conduit aux cimes de l’amour et qui, comme ce fut le cas pour Jésus et Jean de
Dieu, s’épanouit en venant au secours des misères les plus profondes de la fragilité humaine. Nous devenons
solidaires des angoisses et des
espérances des hommes en nous consacrant
à l’assistance de celui qui souffre avec les gestes et les attitudes
caractéristiques du Frère de saint Jean de Dieu : service humble, patient
et responsable ; respect et fidélité à l’égard de la personne ;
compréhension, bienveillance et abnégation. (Const. 3b)
c) Contemplatifs dans la
mission
124. L’apostolat n’est pas seulement un acte extérieur. Il représente le
caractère sacré de la mission de l’Esprit et du Seigneur Ressuscité. Ceci exige
la capacité d’intégrer la vie intérieure à
l’activité apostolique ( Cf. Const.28a ; 103a). Dans la mission nous
sommes sans cesse avec le Christ, unis à Lui d’une façon toute spéciale. Il est
bon de se souvenir qu’un « danger constant qui guette les ouvriers de
l’évangile est de se laisser tellement prendre par leur apostolat pour le
Seigneur qu’ils en oublient le Seigneur de tous les apostolats ».
(Jean-Paul II). Une des étapes particulièrement importante de notre
spiritualité est la préparation au service caritatif. Nous reprenons alors
conscience que c’est Jésus lui-même que nous servons dans la personne des plus démunis.
La mystique de l’hospitalité nous stimule à vivre dans une attitude
contemplative. Nous avons le privilège de pouvoir contempler en permanence le
Christ : les petits – tout être humain est petit et faible – sont les
icônes vivantes de Jésus. S’approcher d’un corps pour le soigner, comme le
faisait Jésus, pour lui rendre sa dignité et le transformer en un lieu
d’expérience religieuse et chrétienne, est essentiel pour nous.
125. La fécondité de notre apostolat acquiert une vigueur nouvelle quand
nous nous sentons solidaires de ceux qui souffrent, conscients que notre amour miséricordieux à leur égard n’est pas un don
unilatéral. (Const. 42c). L’apostolat hospitalier est source de
spiritualité. Par son action évangélisatrice, le Frère est à son tour évangélisé.
Les autres nous révèlent Dieu, en particulier ceux qui ont besoin de notre
aide. En eux, Dieu se fait plainte, prière, gratitude… et nous invite à écouter
et à discerner ses messages. L’émigré, le malade sont cet ‘autre’. L’Esprit s’incarne en eux et veut nous surprendre. Découvrir les valeurs
présentes dans les différents groupes sociaux et permettre qu’elles nous interpellent et nous enrichissent est source de spiritualité. Ses
répercussions, comme l’Esprit, sont imprévisibles.
126. L’apostolat hospitalier est un authentique creuset d’humanisation. Il
nous stimule à grandir en tant que disciples de Jésus de Nazareth qui a rendu
au genre humain le visage que le Père avait conçu dès l’origine. Nous nous
humanisons dans la mesure où nous nous purifions de tout égoïsme et que nous
devenons plus solidaires. Alors notre accueil, notre compréhension, notre service et notre dévouement se transforment
en d’authentiques gestes de miséricorde et de sollicitude. Dans sa
faiblesse le malade n’est pas seulement un destinataire mais un agent de
compréhension et d’amour. C’est notre ‘université’ (P.Marchesi) qui nous aide à
acquérir la vraie science, l’authentique sagesse de l’art de vivre, sans qu’il
soit besoin de théories. Nous partageons cet apostolat avec les personnels de
la santé et avec tous ceux qui travaillent à un titre ou l’autre dans les
œuvres de l’Ordre. Sans cesse nous devons revoir nos attitudes et nos
motivations afin de vérifier si celui qui souffre est vraiment au centre de notre activité et de toutes nos
préoccupations (Const. 103b) , si nous consacrons tous nos talents et
nos énergies au service de Dieu dans la personne des malades et des nécessiteux
(Const. 22b ; 1d), si,
personnellement et communautairement, nous sommes un guide moral, une
conscience critique, si nous sommes
capables de créer [99]- nous parlerions aujourd’hui de refondation [100]–
un style d’hospitalité fidèle à celui de Jean de Dieu, si nous maintenons
son esprit vivant et si nous le promouvons (SG 127b) , si nous vivons en nous identifiant à un tel point à la
mission que nos collaborateurs se sentent motivés à faire de même (Const.
23a). Nous nous sommes engagés, avec tous ceux qui travaillent avec nous, à
promouvoir les valeurs de la personne et à contribuer au développement de ce
que nous appelons désormais ‘une culture de l’hospitalité’.
d) Dimension corporelle
de notre spiritualité
127. L’incarnation du Verbe se poursuit dans le temps et devient réalité
dans la personne du Frère ou dans celle du malade ou du pauvre qu’il sert. La
corporéité est la médiation indispensable à toute relation humaine et fait
partie du processus spirituel. Notre corps est le temple de l’Esprit et membre
du corps du Christ. Sa mission est de glorifier Dieu. Toute notre histoire est
inscrite dans notre corps. Il garde nos souvenirs les plus profonds. Le corps
est le lieu de notre aventure existentielle. Il a une vocation eucharistique.
Il tend à se convertir en un corps totalement donné comme celui de notre Père
Jean de Dieu. La vertu de chasteté, vécue comme Frères Hospitaliers, est
semence de fécondité personnelle. Dans
l’apostolat nous accomplissons la mission de servir et de favoriser la vie et
nous affirmons la dignité et la valeur
du corps (Const. 10d).
128. L’unité psychosomatique nous révèle qu’il ne peut y avoir de
spiritualité sans passer par le corps, ni de culte du corps sans déboucher sur
l’esprit. L’interrelation entre l’équilibre psychosomatique et la vie
spirituelle est indéniable. Assurer et cultiver un équilibre corporel est fondamental.
La paix, la sérénité intérieure, l’affection et la délicatesse se transmettent
par les sens. Jésus imposait les mains sur les malades quand il les guérissait
(Lc 4,40)[101] .
e)Vigilance et ouverture
à l’Esprit
129. Nous voulons toujours et partout rester attentifs à l’action de
l’Esprit. Cette vigilance nous mènera parfois à vivre notre spiritualité dans
des situations d’oppression[102].
La passion plus que l’action caractérise alors notre mission. Dans les contextes où le dialogue interreligieux est
impératif nous sommes des humbles
témoins de notre Seigneur Jésus, serviteur de tous, Corps livré pour
nous. Nous découvrons chez les laïcs et en communion avec eux, force et soutien
pour persévérer dans notre engagement ‘ad vitam’ et être des artisans de
justice et de paix dans les situations difficiles et conflictuelles.
- La formation comme cheminement de
spiritualité
130. ‘L’initiation charismatique’, condensé du cheminement spirituel, se
fait au cours des premières années de la vie dans l’Ordre. La formation
permanente qui se poursuit tout au long de la vie approfondit cette première
étape[103].
a)Première étape :initiation
charismatique
131. Pendant les premières années de vie religieuse, le Frère apprend les
rudiments de la vie qui sera la sienne : il étudie, se familiarise avec la
prière et la méditation, en un mot il acquiert les pratiques nécessaires pour
devenir un bon religieux. C’est le stade des ‘aspirations idéales’ – de
sainteté, de communauté, d’incarnation dans le monde[104].
C’est l’époque d’une perception critique des autres, de ceux qui n’ont pas été
à la hauteur de leur idéal. Lui, par contre, agira différemment parce qu’il
pratiquera ce qu’il sait et sent. C’est la phase où la réalité est perçue avec
« les yeux des méthodes », c’est-à-dire à travers la lorgnette d’une
méthodologie qu’il s’approprie progressivement. Nous ne nous adaptons pas à la réalité telle qu’elle est. Nous
n’entrons pas en contact avec la réalité elle-même mais avec l’idée que nous
nous en faisons. Il n’est donc pas étonnant qu’au fur et à mesure que nous
entrons dans la vie réelle, nous constatons que l’idéal rêvé ne correspond pas
au vécu quotidien. Les frustrations et les déceptions peuvent servir d’école
‘d’incarnation’ à partir de l’expérience et de l’acceptation de sa propre
fragilité, de l’incohérence de nos idées,
des limites et richesses des autres, des structures[105].
132. Des expériences semblables se répètent dans l’apostolat quand arrive
le moment de quitter son travail pour des raisons de santé ou d’âge. Ces
moments de crise sont des invitations à prendre du recul, à s’appuyer sur la force de l´hospitalité pour redécouvrir
que nous avons été appelés et consacrés pour être hospitalité et annoncer le Royaume en suivant l’exemple de
Jésus (Const.21) qui a connu l’échec, la souffrance, l’angoisse, la faiblesse,
l’abandon, la croix et la mort ;
pour comprendre et être capable de compatir et de libérer ceux qui
souffrent et meurent dans l’abandon (Cf. Heb 2, 14-18)[106].
b) Deuxième
étape :insertion et responsabilité dans la mission
133. Après l’étape de formation initiale, le Frère s’insère totalement dans
l’apostolat. Passer d’une vie protégée et guidée à une autre chargée de
responsabilités opérationnelles exige un accompagnement particulier et intense
pour apprendre à vivre pleinement la fraîcheur de l’amour et l’enthousiasme
pour le Christ[107].
134. Faute de résultats, l’âge
moyen nous fait courir le risque de la
routine et du découragement . Le moment
vient alors de revoir, à la lumière de
l’Evangile et de notre charisme, l’origine de notre vocation et de notre
premier amour. Nous acquérons ainsi un
nouvel élan et de nouvelles raisons de persévérer dans la voie choisie. Au
cours de cette période, l’accent est mis sur l’essentiel[108].
135. L’âge mûr nous expose au piège de l’individualisme, d’une certaine
fermeture ou d’un laisser aller. Si nous poursuivons notre cheminement
spirituel nous pourrons potentialiser notre énergie vitale, nous purifier
et nous livrer dans une oblation
généreuse. Cette étape nous offre la possibilité de mûrir dans le don et
l’expérience de la paternité spirituelle[109].
c) Troisième étape :
les limitations augmentent
136. La vieillesse se caractérise par un éloignement graduel du monde du
travail. Bien qu’elle s’accompagne souvent de grandes souffrances, c’est une
période qui donne au Frère la possibilité de se laisser modeler par le mystère
pascal. La mission prend alors les couleurs de la passion qui nous identifie à
la passion du Seigneur. L’itinéraire mystérieux de spiritualité, entrepris
longtemps auparavant, se réalise alors dans toute sa plénitude. La mort est
attendue et préparée comme un acte d’amour suprême et de don total[110].
d) Les moments forts
137. Indépendamment de ces étapes, toute
vie doit à certains moments faire des choix décisifs. Des facteurs
externes comme un échec, un événement
historique ou des facteurs internes comme une maladie, une dépression, un
deuil, une amitié, une crise de foi ou d’identité peuvent provoquer d’incroyables
tensions. La vie semble alors basculer et se briser. L’accompagnement spirituel[111],
la prière, l’affection des Frères, la présence des amis jouent un rôle crucial
à ces moments. Le Frère peut alors redécouvrir le sens de son alliance avec
Dieu, la primauté et la fidélité de Dieu. L’épreuve est un instrument
providentiel de l’Esprit pour grandir et progresser en tant que disciple du
Christ crucifié et s’identifier à lui[112].
CONCLUSION
138. Quand nous laissons la soif de spiritualité qui nous habite monter à la surface, nous devenons attentifs
aux surprises de l’Esprit. Quelque chose de neuf naît en nous, nos déserts
fleurissent, nous étanchons notre soif. Nous nous transformons en messagers joyeux de la Bonne Nouvelle, de la
Miséricorde et de l’Hospitalité. Nous sommes la parabole d’un monde nouveau au
sein de la souffrance et de la marginalisation.
139. Le peuple de Dieu et toute la société ont besoin de notre témoignage.
Celui-ci doit humaniser en mettant l’accent sur la force spirituelle qui nous
vient de Dieu et de son peuple saint. Dans la mesure où nous nous sentons
pleinement membres de l’Eglise, du peuple de Dieu et de l’humanité, nous
développons en nous une spiritualité qui devient de plus en plus profonde et
pertinente. Nous sommes invités à vivre notre spiritualité en partageant notre
don et en acceptant celui des autres.
140. Prophètes de Miséricorde, inspirés par l’esprit de saint Jean de Dieu,
nous accueillons l’invitation que nous adresse Jean-Paul II au début de ce
IIIème millénaire dans son encyclique
Novo Millenio Ineunte : « ‘Duc in altum’ ! Avançons avec
espérance »[113].
Que le Christ Jésus, notre espérance (1 Tim 1,1), soutienne notre fidélité dans
notre mission prophétique.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
1.
Le changement d’époque
2.
L’Eglise et l’Ordre dans ce contexte
- LA MEMOIRE : LES ORIGINES
CHARISMATIQUES
1.
Le cheminement spirituel de saint Jean de
Dieu
a)
Le
vide : faire place à la grâce – première étape
b)
L’appel :
se mettre définitivement au service du Seigneur - deuxième étape
c)
La conversion :
transformé par la Parole de Dieu – troisième étape
d)
Identification :
pauvre comme Jésus et comme les pauvres – quatrième étape
2.
Tradition : transmission de l’esprit
de notre Père Fondateur
a)
Père et
frère dans l’Esprit : les premiers frères
b)
L’esprit
hospitalier légué aux premiers compagnons
3. L’aujourd’hui du charisme de
Jean de Dieu : mission partagée
et inculturation
- LES FONDATIONS : LA MISÉRICORDE
ET L’HOSPITALITÉ
1.
Hypothèse préalable : miséricorde et
hospitalité, faute et violence
2.
La miséricorde
a)
Le Dieu de
la miséricorde
b)
L’incarnation
de la miséricorde
c)
La
miséricorde dans le charisme de l’Ordre
3.
L’hospitalité
a)
Qu’est-ce
que l’hospitalité ?
b)
L’hospitalité
dans la Révélation
c)
L’hospitalité
chez notre Père saint Jean de Dieu
d)
L’hospitalité
dans les Constitutions et les documents de l’Ordre
4.
Repenser la miséricorde et l’hospitalité
pour notre temps : la relation à l’autre.
a)
La relation
à l’autre
b)
L’apprentissage
de l’hospitalité de la miséricorde
c)
La mission
de l’hospitalité et de la miséricorde aujourd’hui
- L’ITINERAIRE SPIRITUEL :
PARCOURIR AUJOURD’HUI LE CHEMINEMENT SUIVI PAR JEAN DE DIEU
1.
La spiritualité aujourd’hui
2.
Le modèle de notre cheminement spirituel
a)
L’expérience
du vide : se désinstaller pour renaître
b)
‘L’appel’ et
‘les appels’ tout au long de sa vie : « Ecoute mon fils »
c)
Conversion
et consécration
d)
Identification
mystique avec Jésus, pauvre, marginalisé et souffrant
3.
Participer au cheminement du Peuple de
Dieu
4.
Participer au cheminement spirituel de
l’Ordre
a)
Transmission
charismatique
b)
L’amour
fraternel
c)
Partager
l’expérience de Dieu et discerner sa volonté en communauté
d)
Une
communauté en mission
e)
Une
communauté ecclésiale
5.
Notre cheminement spirituel personnel
a)
La prière
personnelle comme médiation de spiritualité
b)
Un projet
personnel de spiritualité
c)
Contemplatifs
dans la mission
d)
Dimension
corporelle de notre spiritualité
e)
Vigilance
et ouverture à l’Esprit
6.
La formation comme cheminement de
spiritualité
a)
Première
étape : initiation charismatique
b)
Deuxième
étape : insertion et responsabilités dans la mission
c)
Troisième
étape : les limitations augmentent
d)
Les moments
forts
CONCLUSION
[1] Regla y Constituciones para e ’Hospital de Joan de Dios de Granada (1585) Titre.1, 1º Constitution, dans Primitivas Constituciones, Madrid 1977, p.12
[2] Constituciones de 1587, Introduction, dans o.c. pp. 81-82.
[3]« Jean de Dieu ne nous appartient pas. Il appartient à la société et à l’Eglise. Nous ne sommes pas les seuls responsables de pérenniser son esprit au cours des siècles. Toutefois, nous devons, avec l’aide de Dieu ,faire en sorte que l’Ordre continue à vivre dans l’avenir ». Fr. Pascual Pieles Ferrando, Laissez-vous guider par l’Esprit (Gal, 5,16). Lettre circulaire aux Frères de l’Ordre, Rome, 24 octobre 1996, (9.3).
[4] Cf. Déclarations du LXVème Chapitre Général (Documentation), Grenade 6 -24 novembre 2000; Charte de l’Hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu, Rome, 8 mars 2000; Frères et collaborateurs ensemble pour servir et promouvoir la vie, Madrid, 8 mars 1992; Jean de Dieu est encore vivant aujourd’hui, Madrid, octobre 1991; La nouvelle évangélisation et la nouvelle hospitalité au seuil du troisième millénaire. LXIII Chapitre Général de l’Ordre, Santa Fe de Bogota, 2 -28 octobre 1994; L’hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000, P. Marchesi, Rome, 1986; Laissez-vous guider par l’Esprit (Lettre circulaire aux Frères de l’Ordre), P. Piles Ferrando, Rome, 24 octobre 1996; L’Hospitalité au début du troisième millénaire. Réalisation de la prophétie de saint Jean de Dieu (Lettre circulaire), Rome, 2 février 2001.
[5] « L’Ordre hospitalier de saint Jean de Dieu compte 1.500 frères, quelques 40.000 collaborateurs, employés et bénévoles et près de 300.000 bienfaiteurs et sympathisants. Il est présent sur cinq continents, dans 46 pays. Il est réparti en 21 provinces religieuses, 1 vice province, 6 délégations générales et 5 délégations provinciales pour travailler au service des malades, des pauvres et de ceux qui souffrent dans 293 œuvres. Tous, nous sommes membres d’un même corps, l’Ordre, mais nous vivons des réalités très différentes. Certains d’entre nous vivent et travaillent dans des sociétés hautement technicisées, alors que d’autres se trouvent dans des sociétés en voie de développement. Certains vivent dans des pays où règne la paix alors que d’autres subissent la violence et la guerre ou doivent faire face aux séquelles de conflits meurtriers. Certains vivent dans un climat de liberté alors que d’autres en sont privés et se voient nier leurs droits fondamentaux. Certains se dévouent dans des activités strictement hospitalières et d’autres s’occupent davantage de questions sociales et de marginalisation. Certains offrent leur soutien pour aider à mieux vivre, d’autres accompagnent les mourants pour les aider à mourir avec dignité. Tous nous travaillons pour offrir une assistance intégrale et holistique mais en mettant l’accent sur des domaines différents : santé physique, santé psychique ou conditions de vie dignes que ce soit dans l’hémisphère Nord ou dans l’hémisphère Sud, dans une culture occidentale ou orientale » Charte de l’Hospitalité des Frères de Saint Jean de Dieu, Fondation Jean de Dieu, Rome, 8 mars 2000, p.5
[6] Jean de Dieu n’ignora pas que pour atteindre la plénitude il faut
surmonter de nombreux écueils et être vigilant : « Allez de
l’avant; de nuit et de jour, ayez le pied à l’étrier » « mais si
vous courriez le risque de vous perdre en chemin » : cf. saint Jean
de Dieu (SJD), Lettres, Première lettre à
la Duchesse de Sessa (1DS)7, p.77; Lettre
à Louis-Baptiste (LB), 6 p.29;
dans J. Sanchez, Origen y camino de
nuestra espiritualidad.
[7] SJD, Cartas, passim
[8] Pendant le siège à Fuenterrabia, Jean de Dieu se porta volontaire
pour aller chercher du ravitaillement. « Il monta à cru et sans
brides, une jument française prise à l’ennemi, il s’achemina vers les hameaux
ou fermes avoisinantes. La jument reconnaissant les chemins où elle avait
l’habitude d’aller commença à courir follement… Jean ne put la retenir et elle
galopa tant et si bien qu’elle le renversa au pied de la montagne, contre des
rochers. Il resta là sans connaissance, comme mort et perdant du sang…Reprenant
conscience, souffrant du coup reçu lors de la chute et, non moindre péril ,
courant le risque d’être fait prisonnier par l’ennemi…sans aucun secours il se
mit à genoux; alors levant les yeux au ciel, il invoqua le nom de la Vierge
Marie…Puis faisant un gros effort sur lui-même, il se saisit d’un bâton trouvé
là et s’aidant de ce support, il se mit en marche très lentement vers le camp…
Ses compagnons le mirent au lit » . Francisco de Castro, Historia de la vida y sancta obras de Juan
de Dios, dans Manuel Gomez Moreno, Primicias
Historicas de San Juan de Dios, Madrid 1950, p.33, dans J. Sanchez, o.c.
[9] Castro, p.37
[10] « Il grandit dans la maison de ses parents jusqu’à l’âge de huit ans. Un clerc l’emmena à leur insu » (Castro p. 33)
[11] « Tout passe, sauf les bonnes œuvres…en cet exil, en cette vallée de larmes » (1DS6; 2 DS 10) « La mort en effet, pensez-y bien, détruit tout, nous dépouille de tout ce que nous a donné ce misérable monde, et ne nous laisse emporter qu’un pauvre morceau de toile usée et mal cousue » (3DS 15).
[12] 1 DS 10
[13] 2 DS 15
[14] Castro p. 41
[15] « Ne voyant pas encore le chemin que Notre Seigneur lui réservait pour le servir…il vaquait tristement à ses occupations ne trouvant ni tranquillité ni repos, perdant même l’envie de garder les moutons. » Castro p. 43
[16] Castro, pp. 44 - 47
[17] Ibid. p. 49
[18] Ibid. p. 50
[19] Ibid. p. 51
[20] Ibid. pp. 52, 53
[21] Ibid. p. 57
[22] Ibid. pp. 58,59.
[23] Ibid. p. 62
[24] Ibid. p. 59
[25] Cf. Castro, p.43
[26] Castro pp. 70,71
[27] Ibid. p. 69
[28] J. Sanchez Martinez « Kenosis-diaconia » en el itinerario espiritual de San Juan de Dios, Jerez, 1995, p.331,441.
[29] 2 GL,5
[30] Castro, p. 84
[31] Ibid., p.73
[32] Ibid., p.84
[33] Processo de Beatificacion de San Juan de Dios L 52/1.23, f 81. Cf. J. Sanchez Martinez, « Kenosis-diaconia » p. 190-191.
[34] Ibid., L 52/1.20, f 73v
[35] Castro p. 107
[36] 1 GL,11
[37] Castro p. 84
[38] Ibid., p.84
[39] 1 DS 15. Castro affirme « qu’il avait le cœur brisé de ne pouvoir soulager les maux de ses pauvres » p. 69
[40] Castro p. 84
[41] Ibid., p.103
[42] 2 GL, 7
[43] 2 DS, 2
[44] 2 GL, 17
[45] Ibid., 8
[46] Ibid., 7
[47] Castro p.122
[48] Ibid., p.123
[49] Ibid., p.53
[50] LB, 13
[51] Ibid.,8,9
[52] Ibid., 6
[53] Ibid., 7
[54] Ibid., 9
[55] Ibid., 15
[56] Ibid., 10
[57] Ibid., 11,13, 9.
[58] Ibid., 15
[59] Cf. 1 DS, 13
[60] J. Sanchez Martinez « Kenosis – disaconia », p. 292, 307, 393.
[61] Peu de mentions sont faites de ces premiers compagnons. Castro parle seulement d’Antoine Martin au chapitre XX de sa biographie. Par contre, ‘ Le Procès’ qui est antérieur à la biographie de Castro mentionne fréquemment des frères portant l’habit de saint Jean de Dieu; les biographies de Dionisio Celi et d’Antonio Govea parlent de ses compagnons. Jean d’Avila, que le saint appelle Angulo dans ses lettres, mentionne le nom de quatre compagnons de Jean de Dieu : Antoine Martin, Pedro Pescador, Alonso Retingano et Domingo Benedicto.
[62] L. Ortega Lazaro, El hermano Anton Martin y su hospital en la calle Atocha de Madrid (1500-1936), Madrid 1981, p.31. cf. 17-19.
[63] Cf. J. Sanchez Martinez « Kenosis – diaconia », TT 8/5; T 9/5; T10/5, p.346,364.
[64] Cf. J. Sanchez Martinez « Kenosis – diaconia », T11/20, p.383 On y accueillait tous les pauvres quelle que soit leur maladie sans aucune discrimination entre maures et chrétiens et sans exclure personne.
[65] Les premières constitutions soulignent déjà cet aspect essentiel.
[66] Comme ce fut le cas pour Jean de Dieu, nous sommes particulièrement
attirés par le don total du Christ qui a livré sa vie pour nous : aussi la contemplation de la Passion du
Christ, « homme des douleurs »(Is 53,3),occupe-t-elle une place de choix dans notre spiritualité (Const.
33). La tradition de l’Ordre remonte à notre Fondateur qui était très dévot de
la passion du Christ. En contemplant le Christ crucifié, notre Père voyait ses
souffrances mais surtout son amour infini qui l’avait poussé à les accepter au
point de pardonner à ses ennemis. C’est de cet amour que Jean de Dieu parle
dans sa lettre à Louis-Baptiste : « Souvenez-vous de Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte Passion. Il a rendu le bien pour le
mal et ainsi devez-vous faire, mon fils Baptiste ». (n10). Jean de
Dieu ne nous invite pas à imiter le Christ dans ses souffrances en menant une vie de pénitences et de sacrifices mais
bien à l’imiter dans son amour au service de ceux qui souffrent. Dans le visage
déformé par la souffrance des malades, dans la vie brisée des pauvres, Jean
découvre et contemple le Christ. Les servir n’est pas une croix pour Jean, ni
un sacrifice mais la manifestation que l’amour de Dieu a tellement comblé sa
vie qu’il ne peut s’empêcher d’aimer son prochain surtout quand il est
défavorisé et sans défense.
[67] Notre spiritualité est essentiellement christocentrique. Jean de Dieu fut un amant passionné du Christ. Nous devons apprendre de lui comment centrer notre vie sur le Christ et à Le contempler dans sa manière de servir, d’aimer et de guérir les malades. Jésus de Nazareth est le Maître par excellence qui nous enseigne les gestes et les attitudes que nous devons incarner à notre tour pour continuer son oeuvre d’amour. Nous devons nous sentir émus comme Jésus devant le désarroi et la misère des gens (Cf. Mt 9,36); comme lui nous devons nous mettre à leur service pour les réconforter (Cf. Mc 6, 34-44); comme Jésus nous faisons l’expérience de la force intérieure qui se dégage de nous quand nous nous approchons des malheureux pour les soutenir (Cf. Lc 8, 40 -48) ; en contemplant Jésus qui s’identifie avec les pauvres et se charge de leurs souffrances et de leurs infirmités (Cf. Mt 8,17) nous renouvelons notre décision de consacrer notre vie au service des blessés de la vie. Comme lui nous assumons la condition du serviteur qui livre sa vie pour défendre et promouvoir celle des pauvres (Cf. Mt 12, 15-21; 20, 28).
[68] La Vierge Marie , membre
suréminent de l’Eglise et la première de toutes les personnes consacrées (Cf.
VC 112) est pour nous un modèle de service au
Christ dans l’hospitalité. Jean de Dieu aimait intensément la Vierge
Marie. Il la vénérait et imitait son mode de vie. Toutes ses lettres commencent
par « Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et de Notre Dame la Vierge
Marie toujours pure » et souvent il la mentionne « Plaise
à Notre Seigneur Jésus-Christ que vos actions soient toutes pour son service et
celui de Notre Dame la Vierge Marie » (1 GL 12). Il invoquait la
Vierge en priant le chapelet et invitait ceux qu’il rencontrait à faire de
même : « Le rosaire, je puis
vous l’affirmer m’a toujours fait grand bien : j’espère que Dieu me fera
la grâce de le réciter aussi souvent que je le pourrai et qu’il le
désirera » (LB 17). Il fut capable de transmettre à ses compagnons sa
confiance en la Vierge Marie et son
désir de l’imiter dans son service auprès des malades et des pauvres. En est la
preuve ce passage du testament d’Antoine Martin : « Au nom de la très Sainte Trinité… et de la Bienheureuse Vierge
Glorieuse, Notre Sainte Vierge Marie, sa Mère que je vénère comme patronne et
avocate dans toutes mes actions….. au service de Notre Seigneur Jésus-Christ et
de sa glorieuse Mère ». (L.
Ortega Lazaro, El Hermano Anton Martin y
su Hospital en la C. Atocha de Madrid. 1550-1936, Madrid, 1981, p. 8).
Conformément à la tradition de l’Ordre, les Constitutions ont repris la dimension mariale de notre spiritualité : la Vierge Marie est le modèle de notre consécration à Dieu (n. 25), elle eut un sens profond de l’hospitalité …dans l’intime et fidèle amour qu’elle a manifesté à son Fils (n.42b). Son exemple nous invite à un pèlerinage dans la foi(Cf. LG 58) et à l’imiter en nous dévouant avec sollicitude au service de ceux qui souffrent en nous associant de cette manière au sacrifice de son Fils qui se prolonge dans la souffrance de l’humanité (34a; Cf. 4d). Marie, Santé des malades et Mère miséricordieuse occupe une place particulière dans notre communauté hospitalière (42b) et dans le cœur de chaque frère. Nous voulons l’honorer et imiter sa simplicité, sa disponibilité, son dévouement et sa fidélité à Dieu.(Cf. Const. 4c). Nous la vénérons avec un sentiment de piété filiale, célébrons ses fêtes surtout celle de son patronage spécial et la prions avec les dévotions traditionnelles en particulier le chapelet. (Cf. Const. 4d ; 42b). La Vierge du Magnificat met en évidence un des aspects les plus évidents des notre spiritualité : notre Dieu miséricordieux accomplit ses promesses de libération. Il élève les petits et les humbles et renverse les puissants qui les oppriment. Comme Marie, nous sommes invités à nous sentir en communion et en solidarité avec eux et à vivre l’évangile en nous engageant pour leur libération intégrale. (Cf. Lc 2, 46-53). Dans sa visite à sa cousine Elisabeth, Marie nous est présentée comme un modèle d’hospitalité; elle se met au service de sa cousine avec disponibilité et simplicité. Dieu a manifesté son salut en s’incarnant en son sein et en la choisissant comme médiatrice pour communiquer son Esprit à Elisabeth et à l’enfant qu’elle portait (Cf. Lc 2, 41 -44). Elle transforme les gestes de l’hospitalité en sacrement salvifique.
[69] Const. 103a
[70] Ibid., 103c
[71] VC, 54
[72] Dans la lancée du Concile Vatican II, depuis 1980 l’Ordre a encouragé un mouvement, une alliance avec les collaborateurs. L’Eglise a reconnu récemment que les laïcs travaillent pour la mission et collaborent avec la mission des religieux; ils partagent le charisme et la mission des religieux . Un nouveau chapitre, riche d’espérances est en train de naître et scelle l’alliance entre personnes consacrées et laïques. Cf. Const. 23a.
[73] Cf. V.A. Riesco, La Hospitalidad manifestacion del Ser de Dios en favor del hombre.
Fundamento biblico de nuestra espiritualidad.
[74] Il n’est guère aisé d’expliquer pourquoi le Dieu de l’Ancien Testament est parfois présenté sous des traits violents et même démoniaques. Il fallait tenter à tout prix d’expliquer le mystère du mal et d’affirmer que Yahvé était le seul Dieu s’érigeant au-dessus de toute idolâtrie.
[75] Le premier chapitre (Constitution fondamentale) de nos nouvelles constitutions réitère ce concept avec insistance. Jean de Dieu y est présenté comme un homme « transformé intérieurement par l’amour miséricordieux du Père qui vécut en une parfaite unité l’amour de Dieu et du prochain…et imita fidèlement le Sauveur dans ses attitudes et se gestes de miséricorde » (Const. 1)
[76] Les constitutions affirment ensuite que : « Notre Ordre Hospitalier est donc né de l’Evangile de la miséricorde (Mt 8,17; 25, 34 -46) tel que le vécut intégralement saint Jean de Dieu » (Const. 1). « Ce don nous porte à nous identifier avec le Christ compatissant et miséricordieux de l’Evangile; nous sommes consacrés par l’action de l’Esprit Saint, qui nous fait participer de façon singulière à l’amour miséricordieux du Père…Nous maintenons vivante dans le temps la présence miséricordieuse de Jésus de Nazareth » (Const. 2)
[77] 1 DS, 13
[78] Cf. Daniel
Innerarity, Etica de la
hospidalidad, ed. Peninsula,
Barcelona 2001
[79] Cf. N.B. Pagadut, Be hospitable, Claretian Publications,
Quezon City, Philippines 1992.
[80] Castro , p.73, 85.
[81] « …ce même témoin raconte qu’un jour il entra dans la cuisine et y trouva Jean de Dieu très joyeux, se frottant les mains et entonnant un chant pieux. A l’exclamation « vous êtes bien joyeux Père! » il répondit : « celui qui sert le Seigneur se doit d’être joyeux ». (Témoin 30 dans Gomez Moreno, o.c. p. 214)
[82] 2 GL, 5.
[83] « Aimez Notre Saigneur Jésus-Christ par-dessus tout ce qui est au monde; parce que, quel que soit votre amour pour lui, il vous aime bien davantage. Ayez toujours la charité car là où il n’y a pas de charité, Dieu n’est pas, bien qu’il soit en tout lieu ». (LB, 15).
[84] Const. 1587, chap. 17. o.c.,p. 95.
[85] Const. 2c; 3a; 5a.
[86] Cf. SG. 22; Const. 20.
[87] « Le renouvellement comporte deux aspects essentiels. Tout d’abord éliminer de notre vie les faiblesses et les barrières qui empêchent notre communion fraternelle. S’efforcer ensuite de découvrir quels sont « nos points forts » pour progresser dans une union toujours plus semblable à celle qui existe entre le Père et le Fils ». (P. Marchesi, Les fondements du renouvellement, Rome, 1978, p.18).
[88] « ….nous sommes conscients que le bien fondamental dont l’homme a besoin n’est pas un bien matériel mais celui d’être reconnu comme une personne digne de ce nom, digne d’être soignée avec sollicitude quelle que soit sa culture, sa religion, sa race ou sa classe sociale ». (P. Marchesi, L’humanisation, Madrid 1981, p. 18).
[89] « A l’arrivée de Jean à la Cour, le comte de Tendilla et d’autres seigneurs qui le connaissaient, avertirent le Roi et le renseignèrent sur l’œuvre de Jean de Dieu, qu’ils firent entrer dans le palais. Jean s’adressa au Roi en ses termes : ‘ Seigneur, j’ai l’habitude d’appeler tout le monde frère en Jésus-Christ’ » (Castro, o.c. p. 76).
[90] Cf. Ordre Hospitalier de saint Jean de Dieu, Frères et Collaborateurs, unis pour servir et promouvoir la vie.
[91] Pendant les années 1980 dans l’esprit du mouvement d’humanisation, l’Ordre a examiné comment réorganiser sa mission en tenant compte des nouveaux besoins de l’humanité tout en ne négligeant pas son apostolat traditionnel. Il est intéressant de lire la conclusion des travaux de l’Assemblée des Provinciaux de 1981 : « Notre assemblée réitère son engagement à travailler avec espérance au renouvellement de l’Ordre. Nous sommes convaincus que celui-ci ne peut avoir lieu qui si tous les membres de l’Institut vivent dans une attitude de conversion permanente pour être fidèles aux exigences de notre consécration à Dieu comme religieux hospitaliers et répondre concrètement aux attentes de l’Eglise et de la société. En ce moment particulier de l’histoire du monde où les valeurs fondamentales de la personne sont à la fois revendiquées et violées, nous nous engageons à vivre le charisme de l’Ordre comme une réponse à l’urgence de défendre et de promouvoir le respect et la dignité de la personne. Nous sommes convaincus que l’humanisation , dans l’acception que ce terme revêt dans la personne de Jésus de Nazareth, constitue un élément d’unification et d’intégration pour nous aider à transformer le processus de renouvellement en source de vie ». (P. Marchesi, o.c., p.91-92)
[92] Cf. également le n. 10 « Nous nous trouvons à une époque où l’Esprit fait irruption, ouvrant de nouvelles possibilités. La dimension charismatique des diverses formes de vie consacrée, toujours en marche et jamais accomplie, prépare dans l’Eglise, en accord avec le Paraclet, l’avent de Celui qui doit venir, de Celui qui est déjà l’avenir de l’humanité en marche ». Voir également les numéros 18,21 etc.
[93] Cf. Gouvernement Général, Jean de Dieu est encore vivant aujourd’hui, Madrid, 1991, p.12-13.
[94] C’est ce qui se passa avec Jean de Dieu depuis Oropesa. En constatant qu’il n’avait pas de vraies racines, l’appel de laisser derrière lui ses activités habituelles de berger et de se consacrer au service du Seigneur résonna avec plus de force encore. « C’est avec une peine infinie qu’il voyait dans les écuries du Comte de Oropesa, les chevaux propres et bien portants alors que ses frères les pauvres étaient faibles, nus et maltraités. Aussi, se demandait-il : ‘Jean, ne serait-il pas préférable de soigner et de nourrir les pauvres de Jésus-Christ plutôt que les animaux des champs?’ ». (Castro, p.42 -43).
[95] S.C. 10
[96] « Dans l’Eucharistie en effet, le Seigneur Jésus nous associe à lui dans sa propre offrande pascale au Père : nous offrons et nous sommes offerts. La consécration religieuse elle-même assume une structure eucharistique : elle est un total don de soi, étroitement associé au sacrifice eucharistique. C’est là que se concentrent toutes les formes de prière, qu’est proclamée et accueillie la Parole de Dieu, que l’on est interpellé sur les rapports avec Dieu, avec les frères, avec tous les hommes : c’est le sacrement de la filiation, de la fraternité et de la mission. Sacrement de l’unité avec le Christ, l’Eucharistie est à la fois le sacrement de l’unité ecclésiale et de l’unité de la communauté des consacrés ». (Repartir du Christ, n. 26).
[97] « La permanente disponibilité du Seigneur à être réconfort, consolation et viatique des malades nous stimule à persévérer aux côtés de l’homme qui souffre pour l’accompagner dans sa douleur et dans sa solitude ».(Const. 30c)
[98]« L’Eglise a besoin de nous comme nous avons besoin d’elle… La
communication au sein de l’Eglise est indispensable. Il faut bien présenter au
monde des croyants notre vocation et le charisme de notre Ordre, son identité
et ses programmes. Ils doivent devenir pour eux un encouragement et un modèle,
une voie pour vivre la vocation baptismale commune à la sainteté ». (P.
Marchesi, L’Hospitalité des Frères de
saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000, Rome, 1986, n.89)
[99](P. Marchesi, L’Hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000, Rome, 1986, n 66 - 86)
[100] La spiritualité dans la mission se manifeste par l’enthousiasme, l’imagination prophétique, la créativité apostolique. Quand l’Esprit est absent, la routine, la monotonie et la simple répétition s’installent. La présence de l’Esprit embrase et recrée tout. Un Frère qui vit l’esprit hospitalier ne sera jamais routinier. Il découvrira tous les jours la nouveauté du Royaume de Dieu dans tout ce qu’il fait.
[101] Notre corps est en lien étroit avec la nature. C’est cette partie de la nature que nous avons maîtrisée davantage. Notre spiritualité présente des aspects écologiques auxquels nous devons être attentifs. Nous comprendrons mieux alors les potentialités, les faiblesses et les carences de tous les corps humains.
[102] L’éventualité du martyre est toujours présente à l’horizon de la vie du Frère. Le don extrême de la charité, la confession de la foi et la proclamation de l’espérance. Le martyre est un don et a toujours été reconnu comme tel. C’est un don pour le martyr et c’est également un don pour l’Ordre. Bien que paradoxal, ce don est réel. Nous pouvons le rejeter si nous refusons le danger et recherchons la sécurité. Une telle vie ne mérite pas le qualificatif d’hospitalière ni de miséricordieuse. La possibilité du martyre donne une nuance particulière à la vie hospitalière. Les engagements auprès des pauvres qui entraînent la marginalisation, l’exclusion et l’isolement sont des formes de martyre. Quand le frère hospitalier peut dire ‘j’étais en prison, j’étais chassé…’.
Ordre Hospitalier des Frères de saint Jean de Dieu. Projet de Formation des Frères de saint Jean de Dieu. Rome, 2000, n.132. Cf. La formation permanente dans l’Ordre. Rome 1991.
104. PFO, nn. 39 - 44
[105] Ibid. nn. 46 -57
[106] Ibid. n. 24.
[107] Ibid. nn 92 et 137c
[108] Ibid. n. 26h. La formation permanente dans l’Ordre, n. 33
[109] Ibid. n. 136. La formation permanente dans l’Ordre, n. 34
[110] Ibid, n.44. La formation permanente
de l’Ordre, nn. 35 et 36
[111] L’accompagnement spirituel est indispensable pour progresser dans la spiritualité, non seulement pendant le temps de la jeunesse, mais tout au long de sa vie. L’exemple de la relation qui existait entre saint Jean de Dieu et saint Jean d’Avila constitue un merveilleux modèle pour nous. Nous devons pouvoir communiquer en profondeur avec une sœur ou un frère expérimenté dans les voies du Seigneur. Nous en avons besoin comme référence, encouragement et miroir. Dans la mesure du possible, nos Supérieurs doivent se charger d’un service d’animation spirituelle auprès de chaque frère de la communauté.
[112] « Chaque Frère doit savoir intégrer et vivre tous les événements positifs ou négatifs dans le contexte de son histoire personnelle dans laquelle Dieu lui parle et le guide ». (Projet de formation des Frères de saint Jean de Dieu, n. 50)
[113] NMI 58
PRESENTATION
Conformément aux recommandations du Concile Vatican II et, en particulier, du Décret Perfectae Caritatis, nous, l’Ordre Hospitalier des Frères de saint Jean de Dieu, avons élaboré ces dernières années toute une série de réflexions pour mieux vivre le charisme légué par notre fondateur.
Nous nous sommes efforcés d’orienter, dans une dimension pastorale et évangélisatrice, la manière de vivre et de partager ce charisme avec nos collaborateurs laïcs. Nous avons insisté sur l’importance d’être à la hauteur au niveau technique tout en veillant à privilégier toujours l’humanisation de nos services. Nous avons voulu renforcer notre identité tout en respectant les convictions religieuses de ceux que nous servons ou qui travaillent à nos côtés. En matière de bioéthique, nous sommes restés attentifs et vigilants aux implications des actes que nous posons aujourd’hui dans l’exercice de notre service et nous nous sommes laissés guider par le Magistère de l’Eglise.
Cela fait plusieurs années déjà que nous avons entrepris un travail de réflexion sur notre spiritualité et je suis heureux de vous en présenter aujourd’hui les fruits. Le titre en est : « Progresser dans l’hospitalité comme saint Jean de Dieu. La spiritualité de l’Ordre Hospitalier ».
Ce travail souhaite répondre au désir exprimé depuis longtemps déjà dans différents secteurs de l’Ordre en particulier par les frères responsables de la formation et par de nombreux collaborateurs.
Nous voulions une réflexion moderne, actuelle sur notre spiritualité. Nous sentions la nécessité d’exprimer d’une manière adéquate comment nous interprétons aujourd’hui, dans notre vie personnelle et dans notre service auprès des malades et des démunis, l’esprit de saint Jean de Dieu.
De nombreux auteurs, dont beaucoup sont des Frères, avaient apporté leur contribution à cette réflexion mais manquait encore l’expression de l’Ordre comme tel.
Le LXIIIème Chapitre Général de 1994, après avoir examiné la question, prit la décision de faire ce travail. Le temps d’exécution d’un an prévoyait sa publication pendant la célébration du Vème centenaire de la naissance de saint Jean de Dieu, 1995-1996. L’élaboration du texte fut, comme cela arrive souvent, bien plus laborieuse que prévue demandant des délais plus longs.
Après le Chapitre on créa une commission formée de Frères de différentes cultures et d’un collaborateur, prêtre et sociologue: Valentin Riesco, Raphael The, Francisco Maranparampill, José Sanchez et le Professeur Pietro Quatrocchi. Le Père Camillo Macise, Supérieur général des Carmes Déchaux, consultant, eut deux rencontres avec la commission pour orienter le travail que chacun devait réaliser.
Sur le conseil du Père Macise, la décision fut finalement prise de rechercher un théologien de la vie spirituelle pour rédiger un texte sur la base du matériel réuni en intégrant les éléments nécessaires pour une bonne présentation de la spiritualité d’un institut religieux.
La personne compétente qui, au départ, avait accepté cette mission se trouva dans l’impossibilité de la réaliser car elle ne disposait pas de suffisamment de temps pour un travail de cette envergure.
Entre-temps, six années avaient passé et nous étions à la veille du LXVème Chapitre Général célébré à Grenade en l’an 2000. La rédaction du texte n’était toujours pas terminée, mais nous espérions résoudre la question rapidement car le Père José Cristo Rey Garcia Paredes s’était engagé à le faire.
A la fin du Chapitre Général on nomma une petite commission pour l’aider dans ce travail. Cette fois, tous les membres de la commission appartenaient au même régime linguistique afin de faciliter le travail. En faisaient partie les Frères Valentin Riesco, Jesus Etayo et Francisco Benavides. J’ai personnellement participé aux réunions de cette commission et au fur et à mesure que la rédaction progressait, j’ai lu les différents projets et dit ce que j’en pensais.
Maintenant, grâce au ciel, le travail est terminé et nous le présentons à l’Ordre, aux frères et aux collaborateurs, comme un instrument de réflexion pour les aider à mieux comprendre ce qu’est l’esprit de saint Jean de Dieu. Il nous soutiendra pour suivre le cheminement auquel nous sommes invités pour incarner concrètement dans notre service auprès des malades et des démunis les sentiments qui, à notre avis, seraient ceux de Jean de Dieu aujourd’hui.
Le texte que vous avez en mains a voulu vous présenter saint Jean de Dieu comme notre Père spirituel. Il nous a légué un héritage qui a été enrichi dans la suite par notre tradition. Nous devons l’accepter avec grande vénération et l’actualiser avec un zèle nouveau partout où nous nous trouvons. Nous devons, tout en lui conservant son caractère universel, trouver des formes nouvelles de le vivre dans ce monde globalisé qui a tant besoin de notre témoignage.
Personnellement je suis très satisfait de l’élaboration de cette réflexion.
Une première partie est consacrée à la mémoire, aux origines charismatiques et décrit la vocation de Jean de Dieu avec les quatre termes suivants : le vide, l’appel, la conversion et l’identification. L’itinéraire proposé est une invitation adressée à chaque lecteur. Il parcourt ensuite la tradition de l’Ordre pour aboutir à nos jours où Frères et Collaborateurs ont une mission à accomplir ensemble. Celle-ci exige un effort d’inculturation dans les cinquante pays où l’Ordre est présent.
La deuxième partie présente les fondements en partant de deux termes bibliques : miséricorde et hospitalité. Le document analyse d’abord la signification authentique de chacun d’eux pour arriver ensuite à cette synthèse des deux qu’est la spiritualité vécue par l’Ordre. Il aborde ensuite le moment présent avec ses exigences d’humanisation, d’être vraiment frère pour ses frères dans l’Institut et de vivre pleinement sa vocation de religieux consacré à la manière de Jean de Dieu.
La troisième et dernière partie nous parle de l’itinéraire spirituel. Notre spiritualité est un cheminement, une démarche que nous devons vivre en communauté avec tout ce que cela comporte d’exigences. Tous, Frères et Collaborateurs doivent, dans la mesure où ils se sentent invités à le faire, exprimer cette spiritualité dans leur vécu personnel et dans la mission. Ce partage manifeste que notre spiritualité jaillit et se vit dans le peuple de Dieu, que notre Institut veut vivre la mission en union avec nos collaborateurs et qu’il veut leur offrir la possibilité de se ressourcer à sa spiritualité. Celle-ci sera enrichie grâce à leurs expériences et aux valeurs qui leur sont chères. Un processus de ce genre exigera de nous tous une progression constante, le refus de s’installer et de rester sourd aux sollicitations du Seigneur.
J’ai beaucoup apprécié que chacune des trois parties termine par un rappel du moment présent et de ce que nous sommes appelés à vivre dans un proche avenir.
Le Magistère de Jean-Paul II a fort souligné la dimension spirituelle de la vie de l’Eglise et de la vie consacrée. Je rends grâces à Dieu pour ce que signifie ce document que nous donnons aujourd’hui à l’Ordre. Souvent il nous fera penser à notre Père saint Jean de Dieu et à confronter son esprit avec ce que nous sommes appelés à vivre chaque jour. Nous devons vivre notre spiritualité comme l’a fait Jean de Dieu en manifestant le Christ de la miséricorde et de l’hospitalité dans notre service auprès des malades et des démunis. Puissions-nous avoir la capacité comme lui de nous mettre en route, d’être des pèlerins, de ne jamais nous arrêter ni de nous installer.
Je confie tout cela à la Vierge Marie, toujours pure, comme l’appelait saint Jean de Dieu, jour de la fête du patronage de l’Ordre.
Frère Pascual Piles Ferrando
Supérieur Général
Solennité de Notre Dame du Patronage
La Havane, 15 novembre 2003
IVème centenaire de la présence de l’Ordre à Cuba