La Spiritualité de l’Ordre Hospitalier

Progresser dans L’Hospitalite comme Saint Jean de Dieu

CHEMIN D’HOSPITALITE SELON LE STYLE DE SAINT JEAN DE DIEU

 

PROGRESSER DANS L’HOSPITALITE  COMME SAINT JEAN DE DIEU.  LA SPIRITUALITÉ DE L’ORDRE HOSPITALIER

 



 

Traduction de l’espagnol par Kathleen Elslander

 

 

INTRODUCTION

 

  1. “Ce que commença pieusement Jean de Dieu »[1] « vers l’an 1538 à Grenade, dans une pauvre maison louée »[2] se poursuit de nos jours ; depuis 465 ans, son esprit et son charisme continuent à agir dans notre monde. Sa fécondité et sa capacité de toucher les cœurs sont telles que des hommes et des femmes de divers continents, de peuples, de races et d’époques le reconnaissent comme ‘père spirituel’. Dans sa lancée et touchés par son exemple, ils réalisent des projets d’accueil, de soutien, de santé et de rééducation en faveur des plus démunis.[3]
  2. Nous ne sommes pas seulement à une époque de changements mais à un changement d’époque. Les manières de penser, d’agir et de vivre d’hier semblent déjà obsolètes et dépassées ; les anciennes méthodes et institutions ont perdu de leur efficacité. C’est la raison pour laquelle l’héritage légué par Jean de Dieu doit non seulement être accueilli avec vénération, mais être nouvellement traduit dans les différentes cultures pour y être vécu avec élan et zèle.

 

  1. Le changement d’époque

 

3.  Ce changement d’époque caractérisé par la mondialisation,  la localisation et la postmodernité est lourd de répercussions pour l’Eglise et pour  l’Ordre.

 

 

La mondialisation et la localisation : Nous traversons à la fois une époque de mondialisation (mise en place de grands réseaux mondiaux) et une époque de localisation (affirmation des autonomies locales, des cultures autochtones et du privé par rapport au public). Ces deux tendances comportent des éléments qui sont à la fois positifs et négatifs. Une mondialisation humanisante, solidaire, qui n’exclut personne, offre des possibilités sans précédent de communion entre les nations, les groupes et les personnes. Une localisation qui ne se referme pas sur soi et ne succombe pas au piège du fondamentalisme peut révéler  des richesses et des perspectives jadis inimaginables. Notre charisme se mondialise et se localise au fur et à mesure qu’il s’enracine et prend corps dans différents lieux et cultures. Il nous faut répondre à l’appel pressant de l’Eglise de mondialiser la solidarité, la tendresse, la charité dans un monde où la globalisation économique exalte la discrimination et fauche d’innombrables victimes. Nous devons aussi défendre la valeur de ce qui est local et la dignité de chaque individu, surtout celle des exclus d’une société mondialisée.

La postmodernité : ce qui s’entend ici par  ce terme ne se limite pas aux traits qui caractérisent un changement d’époque ; cette expression décrit habituellement ‘un état d’esprit’ commun, mondialisé, présent sous une forme ou l’autre dans toutes les populations. Il nous dit que l’époque du totalitarisme, de l’absolutisme, des visions dogmatiques, du patriarcat appartient désormais au passé ; il nous dit que la vision eurocentrique du monde qui tentait de tout expliquer et de tout contrôler n’est plus de mise. Bien qu’elle nous affecte tous, cette mentalité postmoderne est particulièrement présente chez les jeunes. Elle nous demande de privilégier des explications humbles et fragmentaires de la réalité et d’opter pour de petits gestes concrets afin de la transformer plutôt que de rêver à des actes d’envergure visant à tout bouleverser. Elle nous demande d’accepter la pluralité, la diversité et de nous montrer hospitaliers et tolérants envers les autres en particulier ceux qui sont différents de nous. Dans un tel contexte, l’hospitalité et la miséricorde acquièrent un sens nouveau. Il nous faut relever le défi de les traduire à travers des institutions et des gestes adéquats pour notre temps. La postmodernité constitue également un défi pour notre spiritualité qui se définit davantage comme un cheminement que comme une loi morale ou une exigence abstraite. La postmodernité nous rend plus sensibles à la pluralité des formes de la vie humaine et chrétienne et nous ouvre  davantage  aux relations et à la communion. C’est la raison pour laquelle nous parlons de partager notre  mission, notre vie et notre charisme.

Possibilités et menaces : de merveilleuses possibilités s’ouvrent à nous, mais en même temps de terribles dangers nous guettent. Nous entrons dans une époque que nous ne maîtrisons pas et où il nous faut tracer de nouvelles pistes. Quoi qu’il en soit, les incidences de ces changements se répercutent dans tous les domaines : mental et physique,  social et individuel,  profane et  transcendant. Les relations qui existent entre nous ne sont plus celles d’antan. De nouveaux aspects émergent dans les relations entre les sexes imprimant un caractère singulier aux relations existantes entre l’homme et la femme, tant en famille qu’en société. Face à l’accumulation du pouvoir économique et politique aux mains de quelques privilégiés, surgissent des pouvoirs alternatifs menaçants (terrorisme et mafia). Des millions de personnes souffrent des conséquences de cet antagonisme. Notre humanité se caractérise par une mobilité surprenante –réelle ou virtuelle- qui empêche un développement serein selon des étapes prévisibles et nous entraîne dans un tourbillon d’incertitudes. La croissance économique est réelle, mais elle ne parvient pas à freiner la progression  de la pauvreté pour des millions d’êtres humains. Les contrastes et les pressions qui s’abattent sur le psychisme humain sont tels que nombreux  sont ceux qui trébuchent, se brisent et sont abattus au point d’en devenir fous. Nous sommes tous affectés, aujourd’hui plus que jamais auparavant, par une perte du ‘sens de la vie’ et de l’histoire.

 

 

  1.  L’Eglise et l’Ordre dans ce contexte

 

4. L’Eglise aussi est prise dans cet engrenage et n’est plus ce qu’elle était auparavant.

 

Elle prend un visage plus global, pluriculturel et pluriracial.

Elle comprend toutes les possibilités  qu’une nouvelle époque lui offre, tout en en  percevant les menaces et les problèmes.

 

L’Eglise, comme mère compatissante, souhaite accueillir tous ses enfants et en particulier les plus nécessiteux. Elle écoute avec attention et dans un esprit créatif les paroles du Ressuscité qui l’envoie comme missionnaire dans le monde entier annoncer l’Evangile et manifester la miséricorde de Dieu.

 

5. Dans un tel contexte, le charisme de Jean de Dieu connaît un regain d’actualité. L’Ordre est entré avec courage et audace dans le processus de renouvellement souhaité par le Concile Vatican II. Il a réfléchi en profondeur sur ce que signifie son charisme à notre époque et a relevé de nouveaux défis tout en se fixant de nouveaux objectifs. Il a pu de cette manière offrir une nouvelle physionomie au charisme de Jean de Dieu et l’adapter à notre temps[4]. Toutefois il ne faut pas s’arrêter là. Notre époque a besoin de la  créativité et de l’imagination dont peuvent si bien faire preuve les nouvelles générations. Dans le contexte historique d’un monde pluricentrique et global, d’une Eglise à la fois particulière et universelle, l’Ordre devra se montrer capable de comprendre les réponses à donner aujourd’hui, les voies nouvelles à suivre suggérées par  l’Esprit. D’autres personnes se sentant dépositaires du charisme de saint Jean de Dieu frappent à nos portes et nous sommes prêts à les accueillir. De nos jours nous définissons davantage l’identité de l’Ordre comme une mission et une spiritualité partagées. Les membres de l’Ordre  aujourd’hui appartiennent à  de nombreuses ethnies et cultures[5]. L’Ordre veut offrir le chemin spirituel suivi par Jean de Dieu à ces hommes et femmes qui ne se réclament pas nécessairement  de la culture occidentale.

 

6. Le défi de nous ouvrir à la richesse spirituelle des nations et à leurs cultures, sans pour cela rien perdre du patrimoine spirituel reçu, insuffle un élan nouveau à notre charisme historique. Les jeunes générations respirent un air culturel qui leur est propre entraînant une rupture qu’il serait regrettable de sous-estimer. Seuls ceux qui sont restés ouverts à la réalité la comprennent vraiment et peuvent accompagner les jeunes en quête d’un idéal. De nouveaux défis se présentent sans cesse  à nous. Il ne suffit plus d’accepter le charisme comme un héritage qui nous a été légué. Il faut le resituer, lui donner un visage nouveau et l’interpréter de manière plus actuelle. Il faut ‘embraser le cœur’ non seulement des membres de l’Ordre, mais de toute la société et de l’Eglise. La tâche de refonder la spiritualité serait une entreprise impossible si nous n’avions pas la conviction que l’Esprit agit et nous offre comme une grâce ce que nous recherchons avec ardeur. L’Esprit nous demande seulement d’être vigilants, capables d’accueillir et d’accepter avec docilité de nous lancer dans les nouvelles voies qui s’ouvrent à nous.

 

7. L’objectif du présent document est de vous offrir les éléments essentiels de la spiritualité de l’Ordre dans le nouveau contexte historique de pluralisme ethnique et culturel qui est le nôtre. Il sera divisé en trois parties.

I. La mémoire :les origines charismatiques

II. Les clés évangéliques : la miséricorde et l’hospitalité

III. L’itinéraire spirituel : la spiritualité de l’hospitalité pour notre temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I.LA MEMOIRE : LES ORIGINES CHARISMATIQUES

 

 

8. En parcourant le cheminement spirituel de Jean de Dieu,  nous découvrons l’origine de notre spiritualité qui se révèle lentement à nous, comme une icône.

 

  1. Le cheminement spirituel de saint Jean de Dieu

 

9. Jean de Dieu était toujours en marche . On peut affirmer que toute sa vie ne fut qu’un long pèlerinage. C’est en cheminant qu’il ébaucha son itinéraire spirituel. Pieds nus et sur un sentier rocailleux[6], il tendait vers le sommet. D’une manière paradoxale, il atteignit la cime lorsqu’il se pencha sur l’abîme de la misère humaine. Quatre étapes fondamentales ont marqué son existence : le vide, l’appel, la conversion et l’identification.

 

a)      Le vide : faire place à la grâce – première étape.

 

10. Après toute une série d’échecs, Jean fit l’expérience du vide et découvrit la plénitude de Dieu. « Dieu avant et au-dessus de toutes les choses du monde ! »[7]  Ses premières tentatives militaires se soldèrent négativement. Désarçonné, il tomba de cheval comme l’apôtre Paul. Menacé de toutes parts, il n’attendait de secours que du ciel[8]. Sa carrière de soldat prit fin quand il risqua la pendaison pour s’être fait voler le butin. Bien que sauvé in extremis, il fut chassé du camp et se retrouva plus pauvre que jamais. En route pour Oropesa, Jean se rendit compte de « la piètre récompense qu’offre le monde à qui le suit servilement »[9]. Après neuf ans de silence, il s’engagea de nouveau dans l’armée de l’Empereur pour combattre les Turcs. De retour de Vienne, il débarqua au port de Coruña, proche de sa terre natale. Il souhaitait revoir ses parents auxquels il avait été enlevé à l’âge de huit ans et  éprouva un profond chagrin en apprenant leur mort[10]. Il se sentait vidé et expérimenta l’incohérence de la vie [11]: « Fussions-nous maîtres du monde entier, cela ne nous rendrait en rien meilleurs ni plus heureux que nous le sommes »[12] ; il prit la résolution « de ne pas se fier à soi »[13].

 

b)      L’appel : se mettre définitivement au service du Seigneur – la deuxième étape

 

11. Son oncle lui proposa de rester dans la maison de ses parents, mais il rejeta cette offre avec les mots suivants : «Je veux trouver un endroit où je pourrai servir Notre Seigneur… Je suis sûr que Notre Seigneur Jésus-Christ me fera la grâce d’exaucer mon désir.[14] » Il redevint berger dans la région de Séville « …ne voyant pas encore le chemin que Notre Seigneur lui réservait dans ce but…il vaquait tristement à ses occupations »[15]. Il termina définitivement ses activités de berger et partit pour Ceuta où, pour secourir une famille en difficulté, il travailla « aux travaux de fortification des murailles » et « chaque soir, il remit sa paye de la journée »[16]. Il surmonta une grande crise spirituelle grâce au secours d’un Frère franciscain qui lui conseilla de retourner immédiatement en Espagne. De retour à Gibraltar, Jean fit une confession générale et au milieu de ses larmes pria intensément, « demandant paix  et tranquillité pour cette âme … pour vous servir et être votre esclave à jamais».

 

« Il demandait toujours à  Notre Seigneur , du fond de son cœur et avec beaucoup de larmes, de lui pardonner ses péchés et de lui montrer le chemin à suivre pour mieux le servir… » « Je vous supplie, mon Seigneur de m’indiquer le chemin à suivre pour vous servir »[17] .

 

12. Il acceptait tout travail qui se présentait  à lui et il fut même pendant un certain temps libraire ambulant .  Ce nouveau métier lui permettait de réaliser un authentique apostolat et de gagner suffisamment pour subvenir à ses besoins et de faire la charité. « Il décida de se rendre à Grenade et d’y établir sa demeure »[18]. Il y ouvrit un magasin et se consacra à ses affaires tout en restant à l’écoute de la voix qui ne cessait de résonner en lui et le maintenait en attente. Le jour de la fête de Saint Sébastien, il se rendit à l’Ermitage des Martyrs pour suivre ‘avec un grand nombre de personnes de toutes conditions’ le sermon du Maître Jean Avila.[19] C’est là que le Seigneur l’attendait.

 

13. A partir de cette date, le Maître Avila devint son guide spirituel. Jean fut particulièrement impressionné par son commentaire sur les Béatitudes, Lc 6, 17-32, surtout celle concernant les pauvres.

 

« Le sermon terminé il sortit de là comme s’il  était hors de lui, demandant miséricorde à Dieu à voix haute….Il continua ainsi jusque chez lui où il avait la boutique…il prit les livres et les donna gratuitement à qui les demandait par amour de Dieu…et il fit de même de tout ce qu’il avait à la maison… En peu de temps il ne lui resta plus rien et se retrouva privé de tout bien matériel. Il donna même les vêtements qu’il portait…Et ainsi,nu, nu-pieds et nu-tête il retourna dans les rues principales de Grenade, voulant suivre nu le Christ nu et devenir totalement pauvre pour celui qui, étant riche, se fit pauvre pour montrer le chemin de l’humilité »[20].

 

c)      La conversion : transformé par la Parole de Dieu – troisième étape

 

14. A partir de ce moment la vocation de Jean de Dieu se définit comme une volonté de suivre, nu, le Christ nu et de devenir totalement pauvre pour celui qui se fit pauvre pour lui.

 

« Des personnes honorables mues de compassion…se rendirent compte qu’elles ne se trouvaient pas en présence d’un fou habituel…elles le conduisirent à la demeure du Père Avila…Le prêtre, Maître Avila, rendait grâce au Seigneur devant les signes manifestes de contrition du nouveau pénitent…Il lui offrit ses conseils en ces termes : ‘Frère Jean, comptez sur Notre Seigneur Jésus-Christ et ayez confiance en sa miséricorde. Il a commencé cette œuvre et il la mènera à bien. Soyez fidèle et constant dans ce que vous entreprenez…Allez en paix avec la bénédiction du Seigneur et la mienne. Je suis certain que Notre Seigneur ne  vous refusera pas sa miséricorde. Réconforté par les paroles et les bons conseils de ce saint homme, Jean de Dieu retrouva la force d’humilier et de mortifier sa chair au risque d’être traité par le peuple de fou et d’individu dangereux, méprisable et déshonoré, animé qu’il était par le désir de plaire à Jésus-Christ et de le mieux servir. Il considérait que c’est au Seigneur seul qu’il avait à rendre des comptes pour la grâce que le Très Haut lui avait accordé de sa main.[21]

Deux hommes de bien de la ville, pris de compassion le conduisirent à l’Hôpital Royal où sont enfermés et soignés les fous de la ville…L’essentiel du traitement consistait en effet à donner aux fous des coups de fouet, à les attacher solidement, en espérant que sous l’effet de la douleur et des coups ils se calmeraient et reviendraient à la raison. Ils l’attachèrent nu-pieds et mains liées puis, à l’aide d’un fouet à double corde, lui administrèrent une volée de coups de fouet »[22].

 

15. Jean trouva la réponse à sa recherche de servir le Seigneur pendant son séjour à l’Hôpital Royal. Il y fit l’expérience de se sentir traité comme ceux qui ont perdu leur bien le plus précieux, la raison. Comme eux, il fut rejeté dans l’abîme sans fond du mépris et de la pitié. Il se souvint alors du chemin parcouru par le Christ pour racheter le genre humain et lui rendre sa dignité. Il devint évident que lui aussi devait s’incarner dans le monde de la misère humaine, supporter le mépris de ceux qui se croient sages et normaux, pour redonner dignité à ceux qui sont frappés par la maladie, la pauvreté et la folie. Il fallait qu’il devint l’un d’entre eux pour leur témoigner qu’ils étaient des personnes et des enfants de Dieu, tout comme lui.

 

« Devant le châtiment qu’on infligeait aux fous qui étaient avec lui, il s’écriait : ‘Jésus-Christ, donnez-moi le temps et faites-moi la grâce d’avoir un hôpital. Je recueillerai les pauvres abandonnés et ceux qui ont perdu la raison et je les servirai du mieux que je pourrai’ »[23].

 

 

16. L’infirmité de Jean était ‘d’être malade de l’amour du Christ’[24]. C’est à l’hôpital que le Christ lui fit ‘mériter la grâce qu’il lui accorda ensuite’[25] en lui permettant d’être solidaire des pauvres et des malades en subissant les mêmes traitements qu’eux.

 

d)Identification : pauvre comme Jésus et comme les pauvres – quatrième étape.

 

17. Il entreprit son nouvel et ultime itinéraire ; il allait chercher du bois et le vendait et avec ce qu’il gagnait il se nourrissait peu et mal et donnait tout le reste aux pauvres. Il fixait sa demeure dans les arcades des places et sous les porches des rues de Grenade ; il partageait les souffrances et la misère de ses frères ; avec eux il souffrait de la chaleur et du froid. Il décida de venir à leur secours en demandant l’aumône  et criait : « Qui fait le bien pour soi-même ? Faites le bien par amour de Dieu, mes frères en Jésus-Christ »[26].

 

18. En voyant les pauvres « transis, nus, recouverts de plaies et affligés d’infirmités il fut ému profondément et décida plus que jamais à chercher une solution pour soulager leurs maux »[27]. Avec l’aide de plusieurs âmes charitables il loua une maison et acheta l’indispensable.  « Il commença par y emmener  des pauvres infirmes sur ses épaules »[28]. Jésus-Christ lui accordait enfin la grâce de réaliser son rêve : un hôpital où il pourrait soigner les pauvres et les malades comme le lui dictait son cœur.

 

19.Pour Jean de Dieu l’hôpital était un espace sacré, la maison de Dieu, un hôpital foyer ouvert à tous les malheureux sans distinction aucune, parce que le Seigneur fait briller le soleil sur tous, qu’Il est le maître et Jean son esclave :

 

« La ville est grande, en effet, et comme il y fait très froid, surtout par ces temps d’hiver, les pauvres affluent en cette maison de Dieu…aussi y reçoit-on, d’ordinaire, toutes sortes de malades et toutes sortes de gens. Il y a des perclus, des manchots, des lépreux, des muets, des aliénés, des paralytiques, des teigneux, des vieillards et beaucoup d’enfants sans parler des nombreux voyageurs et passants qui s’arrêtent ici »[29].

 

20. Le peuple ne comprenait pas comment  ‘Notre  Seigneur l’ayant introduit dans son cellier, l’avait comblé de charité’[30]. Jean progressait dans la contemplation de la grande miséricorde de Dieu. ‘Il portait secours à tous, chacun selon ses besoins et ne renvoyait personne sans l’avoir réconforté’[31]. ‘Il vivait dans l’anxiété de se donner de mille façons différentes’[32]. Le peuple disait que ‘sa charité éveillait l’envie’[33] ‘Il ne cessait de faire la charité et de donner l’aumône’[34]. ‘Il lui arrivait souvent de passer des nuits entières,  gémissant, pleurant, demandant à Notre Seigneur pardon et soutien pour les besoins du monde’[35]. Jean de Dieu reconnaissait que ‘le bien que l’homme fait, il n’est pas sien, mais à Dieu. A ce Dieu donc, honneur, gloire et louange, car tout lui appartient !  Amen  Jésus’[36]. ‘Il avait  reçu de Notre Seigneur une telle abondance de dons que tout ce qu’il donnait et faisait lui paraissait insignifiant’,[37] car il était tellement conscient de l’infinie miséricorde de Dieu ‘qui lui avait accordé de si nombreux bienfaits’[38]. Sa plus grande souffrance était de ne pouvoir secourir toutes les souffrances, il en avait le cœur brisé.[39] ‘Jean était tellement imprégné de l’amour de Dieu qu’il ne refusait jamais ce qui lui était demandé en son nom…il éprouvait une immense pitié pour son prochain’[40]. Jean de Dieu mangeait peu ‘La plupart du temps c’était un oignon cuit ou quelque autre aliment bon marché’. ‘Il dormait sur une simple natte, par terre…avec une vieille couverture pour se réchauffer…dans une étroite petite chambre sous l’escalier’[41]. Dans son propre hôpital, il vécut la pauvreté de ses pauvres.

 

 

 

21. Jean découvrit un jour qu’il pouvait  s’offrir en gage, comme garantie contre les dettes qu’il ne cessait de contracter pour soulager toutes les peines qu’il rencontrait. Il n’hésita pas une seconde et ses dettes augmentèrent rapidement. ‘Je dois plus de deux cents ducats’[42] . Le problème semblait insoluble. ‘Mes besoins et mes angoisses ne cessent de croître .. plus lourdes aussi d’un jour à l’autre sont mes dettes, et plus nombreux mes pauvres’[43]. Les dettes étaient telles que ses créditeurs lui fermèrent leur porte : ‘Les fournisseurs ne veulent plus me faire crédit car déjà je leur dois beaucoup’[44]. Les besoins de ses pauvres l’acculèrent dans une impasse sans issue. ‘A la pensée de mes si lourdes dettes, il m’arrive bien souvent de n’oser sortir de la maison’[45].

 

22. Dans la prière il découvrait le sens réel des choses : ‘Voilà comment je me trouve ici, endetté et captif pour Jésus-Christ seul’[46]. Il ne se dégagera plus de ces dettes, ni de cette prison. Peu avant sa mort, il remettra à l’Archevêque de Grenade, Don Pedro Guerrero le cahier où étaient inscrites  ‘les dettes que j’ai contractées par amour de Jésus-Christ’[47]. ‘Comme il sentait qu’il allait bientôt mourir, il se leva du lit, s’agenouilla par terre, serrant fort un crucifix et dit après être resté silencieux un moment : Jésus, Jésus, je me confie à toi. Il dit cela d’une voix forte, bien claire et rendit l’âme à son Créateur’[48].

 

23. Jean de Dieu connut l’épreuve de l’angoisse et de la souffrance. Comme Jésus,  il  devint un dément parmi tant d’autres mais, parce que fidèle, il reçut le don de la vraie sagesse. Il comprit  l’authentique dignité de la personne, celle de la richesse  du cœur. Comme Jésus,  il découvrit que lutter contre le mal et la souffrance est un impératif, comme lui, il se consacra à faire le bien en commençant par les plus défavorisés : les malades, les pécheurs, les prostituées…au risque d’être méprisé et calomnié. Comme Jésus,  il contempla le monde des hommes avec un regard rempli de miséricorde et de tendresse et, parce que son amour était  infini, il parvint à le transmettre et à devenir le frère de tous. Il commença l’aventure de la solidarité hospitalière. Comme Jésus, il alla à la rencontre de la souffrance humaine se laissant enfermer à l’Hôpital Royal. Dieu continua à se manifester à Jean dans les cris, les gémissements et la souffrance de ses compagnons d’infortune. Sa recherche se transforma ainsi en décision de ‘suivre nu, le Christ nu et devenir totalement pauvre pour celui qui, étant riche, se fit pauvre pour montrer le chemin de l’humilité’[49].

 

Synthèse :  L’itinéraire spirituel de Jean de Dieu le fit passer du dépouillement total jusqu’à la folie, par amour de Jésus-Christ. Il connut les bas-fonds de Grenade, la pauvreté et la marginalisation au point d’atteindre une identification mystique avec les plus pauvres, et, comme son Maître, se charger d’opprobres et de dettes jusqu’à sa mort.

 

  1. Tradition : transmission de l’esprit de notre Père Fondateur

 

 

a)      Père et frère dans l’Esprit : les premiers frères

 

25. Jean de Dieu exerçait un authentique rayonnement. Son amour pour les pauvres et les malades était communicatif. Beaucoup de personnes appuyèrent son œuvre de charité. La plupart, des bienfaiteurs, en lui faisant l’aumône ; certains en se mettant directement au service des démunis ; d’autres, peu nombreux, en décidant de vivre avec lui et de choisir un nouveau style pour suivre et imiter Jésus. Jean constitua avec ces derniers une communauté de frères. Comme règle il leur donna son exemple personnel.

 

26. Son expérience  lui avait enseigné que servir Jésus dans ses pauvres n’est pas une sinécure. Il le rappelait avec des mots simples et précis à quiconque souhaitait vivre avec lui et comme lui. Il fallait être disposé à se dépouiller totalement ‘faire bon marché de « votre peau »’[50] , surmonter les doutes et les incertitudes et cesser d’aller ‘comme une barque sans rames, comme la pierre qui roule’ [51]; il invitait à prendre conscience de ses propres faiblesses, ne pas se laisser guider par des enthousiasmes de brève haleine et se souvenir qu’il faut ‘être bien disposé, accoutumé à souffrir et à faire beaucoup de bien, malgré les contrariétés des plus mauvais jours’ [52]. Il fallait donc prendre du temps pour discerner cet appel et ‘recommander beaucoup cette affaire à Notre Seigneur Jésus-Christ’[53]  et faire un peu d’ascèse ‘Il serait bon de vous mettre un peu à endurer les misères de la vie : faim, soif, déshonneur, opprobres, chagrins, peines et ennuis, le tout pour Dieu ; car si vous veniez ici, il vous faudrait endurer tout cela pour son amour’[54]. Il invitait à vivre en relation étroite avec Dieu et à recevoir fréquemment les sacrements. ‘Tous les jours de votre vie ayez le regard fixé sur Dieu et entendez la messe toujours en entier. Confessez-vous souvent si possible’[55]. En un mot, pour vivre avec lui et comme lui,  il fallait connaître intimement Jésus-Christ au point de vouloir imiter son exemple en aimant Dieu et son prochain comme Lui. Jean ne se contentait pas de demi-mesures. Il proposait tout de suite le niveau le plus élevé de l’amour : ‘Souvenez-vous de Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte Passion. Il a rendu le bien pour le mal et ainsi devez-vous faire, mon fils Baptiste, afin que quand vous viendrez en cette maison de Dieu, vous sachiez discerner le bien et le mal’[56]. Il ne cachait pas les difficultés ni les exigences d’un tel style de vie. ‘Venant ici, vous devrez obéir et travailler beaucoup plus que vous ne l’avez fait…car les travaux les plus pénibles sont le partage de l’enfant plus aimé… enfin vous dépenser sans cesse au service des pauvres…le tout pour Dieu, car si vous veniez ici,il vous faudrait endurer tout cela pour son amour’[57]. Le dernier critère était celui qui avait inspiré toute son existence : ‘Aimez Notre Seigneur Jésus-Christ par-dessus tout ce qui est au monde ; parce que, quel que soit votre amour pour lui, il vous aime bien davantage. Ayez toujours la charité, car là où il n’y a pas de charité, Dieu n’est pas, bien qu’il soit en tout lieu’[58].

 

27. Il voulait des frères qui aient expérimenté la tendresse et la miséricorde de Dieu[59]. Ils pourraient ainsi à leur tour faire preuve de compassion et de sollicitude. Ils seraient serviables et attentionnés, fidèles, compréhensifs, tolérants, capables de pardonner et de vivre unis. Jean de Dieu leur transmit une confiance inébranlable dans son charisme. Bien vite les Grenadins virent ‘des Frères aller dans les rues à la recherche des pauvres  pour les emmener à l’hôpital en les portant dans leurs bras ou sur leurs épaules… Il les soignaient avec une grande charité’[60]. L’Ordre des Frères de saint Jean de Dieu était né dans l’Eglise.

 

b)      L’esprit hospitalier légué aux premiers compagnons

 

28. Les premiers compagnons [61]de Jean de Dieu partagèrent son approche et diffusèrent son œuvre. Antoine Martin était comme un prolongement de Jean de Dieu. Il fonda et dirigea l’Hôpital de Notre Dame de l’Amour de Dieu à Madrid qui prit son nom à sa mort[62]. Pierre Velasco, touché par la grâce, se réconcilia avec Antoine Martin dont il était l’ennemi et qu’il voulait faire exécuter. Il s’unit au saint, imita son exemple et mourut dans l’Hôpital de Grenade. La miséricorde divine les toucha tous les deux grâce au témoignage de Jean. Ils devinrent des exemples extraordinaires de réconciliation et de fraternité hospitalière. Des témoins mentionnent  la présence d’autres compagnons hospitaliers très proches des pauvres et des malades et qui reconnaissaient Jean de Dieu comme leur chef de file[63]. Ils imitaient son hospitalité sans frontières[64]. Son esprit hospitalier demeurait encore bien vivant vingt ans après sa mort.

 

29. Cet esprit est resté vivant tout au long de l’histoire de l’Ordre. Rappelons d’abord ceux que l’Eglise a reconnus comme saints, bienheureux et vénérables:  saint Jean Grande, saint Richard Pampuri, saint Benoît Menni ; de nombreux bienheureux martyrs ; d’autres frères dont la cause de béatification a été introduite : François Camacho, Jose Olallo Valdes, Eustache Kugler, William Gagnon. Beaucoup d’autres frères souffrirent le martyre et furent  persécutés pour la cause du Christ et de l’hospitalité, au Brésil, en Colombie, au Chili, en Pologne, aux Philippines, en France, en Espagne et récemment dans d’autres pays encore.

 

30. Les fondateurs et refondateurs de communautés ou d’œuvres contribuèrent également à pérenniser la spiritualité de l’Ordre : Pierre Soriano (Italie) ; Jean Bonelli (France) ; Gabriel Ferrara et Jean-Baptiste Cassinetti (Empire Austro-germanique) ; François Hernandez (Amérique). A une époque plus récente, Paul de Magallon (France), Eberhard Hacke et Magnobon Markmiller (Allemagne), Jean-Marie Alfieri (Italie) et saint Benoît Menni (Espagne, Portugal et Mexique). L’esprit hospitalier se manifesta clairement chez des collaborateurs qui participaient à la mission de l’Ordre.

 

31. Les valeurs spirituelles étayant cette longue histoire à partir de l’expérience première de Jean de Dieu sont les suivantes :

 

  • Expérience profonde de la grâce et de la miséricorde de Dieu qui  permet de se reconnaître pécheur, de se faire pardonner et d’accueillir le don de l’hospitalité que Dieu a accordé si libéralement à Jean de Dieu et à ses disciples[65]. Jean de Dieu a connu personnellement l’amour infini du Père. La contemplation de la passion et de la mort de Jésus-Christ l’a poussé à conduire sa vie à l’enseigne de la miséricorde. Il l’exprime très simplement dans ces mots qu’il adresse à la Duchesse de Sessa : Si nous considérions combien est grande la miséricorde de Dieu, jamais nous ne cesserions de faire le bien quand nous le pouvons ; car, donnant aux pauvres, pour son amour, ce que lui-même nous a donné, c’est le centuple qu’il nous promet…et nous prie, les bras ouverts, de nous convertir, de pleurer nos péchés, de faire la charité, en premier lieu à nos âmes et ensuite à nos semblables. (1 DS, 13). Il invitait à contempler la passion de Notre Seigneur pour motiver à la prière d’action de grâces et de contemplation et pour raviver notre espérance en Jésus-Christ en qui nous trouvons refuge et consolation dans les difficultés et les souffrances. Cette prière incite à faire le bien et la charité aux pauvres et aux personnes nécessiteuses. (Cf. 3 DS, 8.9 ; 2 DS, 9,19). Depuis Jean de Dieu, la Passion du Christ occupe une place privilégiée dans notre itinéraire spirituel[66].
  • Suivre le Christ compatissant et miséricordieux[67] : En Jésus nous découvrons l’incarnation et l’expression humaine du Dieu Miséricorde, qui est à la source de notre hospitalité (Const. 20) ; nous imitons ses gestes et ses attitudes (Const. 2c ; 3a) ; nous le reconnaissons dans la personne du malade et du nécessiteux que nous accueillons et servons avec sollicitude et bienveillance.
  • Dévotion à la Vierge Marie comme exemple vivant et sublime d’hospitalité. Accueil, service, intercession et compassion envers celui qui souffre[68].
  • Vivre en intime relation l’amour envers Dieu et envers le prochain nécessiteux[69].
  • Persévérance spirituelle face aux obstacles : l’expérience de la grâce est telle que ni les difficultés ni la souffrance ne peuvent interrompre notre action en faveur des pauvres, des malades et des nécessiteux.
  • Hospitalité rayonnante : les disciples de Jean de Dieu ont reçu comme lui le don d’une hospitalité dynamique et contagieuse. Ceux qui en sont témoins se sentent invités à participer à leurs projets et à entrer en communion avec leur charisme et à recevoir une formation spirituelle adéquate.  
  • L’attention à la personne malade ou démunie  constitue la contribution de l’Ordre à la mission de l’Eglise[70].
  • Professionnalisme : toute notre  tradition démontre à quel point l’Ordre  a toujours eu à cœur d’unir la mission hospitalière aux progrès techniques et scientifiques et de se moderniser conformément aux exigences de chaque époque.
  • Dévouement total jusqu’à la mort : nombreux sont les disciples de Jean de Dieu qui se sont donnés sans réserve jusqu’à sacrifier leur vie pour le bien des malades et des nécessiteux. Beaucoup de faits héroïques jalonnent l’histoire de l’Ordre et en sont la preuve pendant les guerres, les épidémies et au milieu des dangers.
  • Inculturation auprès des pauvres ou humilité hospitalière : la ‘kénosis’ porte les frères à renoncer à un style de vie confortable et aux  honneurs pour s’adapter au style de vie simple et humble des pauvres et des malades.

 

  1. L’aujourd’hui du charisme de Jean de Dieu : Mission partagée et inculturation.

 

32. Jean de Dieu partagea le don qu’il avait reçu avec des gens de toutes conditions qui se sentaient contaminés par sa manière de vivre le christianisme et de traiter les pauvres. Des gens simples se joignaient à lui pour servir les malades, des bienfaiteurs anonymes et des personnages de haut rang mettaient leurs biens à la disposition de son œuvre, des membres du clergé  offraient le secours de la religion aux résidents de son hôpital et beaucoup d’autres encore, bénévoles, médecins et serviteurs collaboraient avec lui et avec ses premiers compagnons.

 

33. L’hospitalité selon le style de Jean de Dieu a exercé un grand rayonnement même sur des personnes qui ne se réclament pas de la foi chrétienne. Le charisme s’est diffusé en déployant une grande créativité et une capacité d’adaptation aux différentes circonstances de temps et de lieux. Nous sommes de plus en plus conscients que ce charisme transcende  le groupe des frères qui ont fait profession dans l’Ordre. Nous concevons toujours davantage  l’Ordre comme étant une famille et nous accueillons comme un authentique don de l’Esprit à notre temps cette possibilité de partager notre charisme, notre spiritualité et notre mission[71]. Cette réalité qui a lentement pris forme parmi nous constitue un défi pour vivre ‘tellement pénétrés de notre mission que nos collaborateurs se sentent poussés à agir de même façon’[72]. Les œuvres de l’Ordre sont devenues très complexes, surtout dans les pays industrialisés. Plus  impératif encore est notre devoir de partager avec joie et gratuitement ce que nous avons reçu gratuitement du Seigneur, à savoir annoncer l’évangile de la miséricorde pour le bien de la communauté ecclésiale.

 

34. Les frères missionnaires ‘ad gentes’ ont permis la diffusion et l’inculturation du charisme de saint Jean de Dieu. L’étape suivante qui est celle que nous vivons actuellement, est le passage de l’inculturation à l’incarnation du charisme et de la mission de l’Ordre par les frères autochtones. Ceci demandera aux frères la capacité de vivre la consécration dans l’hospitalité, non plus conformément au style des pays d’où venaient les missionnaires, mais de promouvoir un style propre à chaque culture, tout en conservant l’authenticité et la pérennité du charisme. Les exigences sont encore plus considérables pour ce qui concerne la mission. Il faudra passer progressivement d’un service de santé et d’assistance avec des patrons du premier monde pour arriver à l’exercice d’une hospitalité adéquate  et incarnée dans chaque réalité socioecclésiale sans renoncer toutefois à l’exigence traditionnelle de l’Ordre de promouvoir une assistance digne, fondée sur les progrès scientifiques et techniques avec des frères et des collaborateurs bien formés.

 

35. De cette manière, et, à mesure que le charisme de Jean de Dieu s’enrichit des valeurs inhérentes à chaque culture, l’Ordre continuera à être conscience critique partout où les services de santé et sociaux présentent des carences. Il encouragera de la sorte un sain développement des structures adéquates de santé et d’assistance auxquelles tous pourront avoir accès et en particulier les plus démunis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II. LES FONDATIONS : LA MISERICORDE ET L’HOSPITALITE

 

 

36. L’Ordre a exprimé le charisme de Jean de Dieu par deux mots fort proches l’un de l’autre : miséricorde et hospitalité [73]que nous retrouvons déjà dans la Bible. De nos jours également ces termes évoquent des valeurs humaines reconnues dans toutes les cultures. Nous vous présentons ci-dessous quelques réflexions sur chacun d’eux comme axes porteurs de la spiritualité de l’Ordre. A cet effet nous parlerons :

  • de la miséricorde comme catégorie biblique et anthropologique
  • de l’hospitalité dans son acception biblique et anthropologique
  • du sens donné à ces deux termes par rapport au charisme de l’Ordre en tenant particulièrement compte des dernières Constitutions.

 

1. Hypothèse préalable : miséricorde et hospitalité, faute et violence.

 

37. La miséricorde est avant tout la capacité de comprendre, de compatir, de pardonner, de réconcilier. Elle se manifeste comme réaction devant la faute, le péché. Les êtres humains peuvent soit obéir soit désobéir au dessein de Dieu ; ils ont la liberté de respecter ou non les lois ou les pactes conclus. Vivre en fonction de ce que l’on est, de ses attitudes positives, engendre l’harmonie et favorise, dans un climat de sérénité et de solidarité, l’épanouissement de la personne. Par contre, les transgressions et la négation de ce que l’on est provoquent un déséquilibre psychologique. Nous devenons conscients de la faute, nous nous sentons en faute et cela affecte toutes les dimensions de notre vie.

  • Nous parlons de péché lorsque nous nous savons coupables devant Dieu.
  • Nous parlons de  faute morale ou éthique lorsque nous nous savons coupables à nos propres yeux et au regard d’autrui.
  • Nous éprouvons un sentiment de culpabilité lorsque nous violons gravement notre système de valeurs.

 

38. Il n’est pas bon dès lors de nier la faute, ni de favoriser le complexe de culpabilité qui exagère ou défigure la réalité. Pardonner – savoir pardonner et savoir se pardonner – signifie dépasser la faute, surmonter le péché.

 

39. L’hospitalité est avant tout la capacité de s’ouvrir à autrui et de l’accueillir. C’est également une réaction face à la violence. La violence existe là où il y a de l’antagonisme entre nous et lorsque nous ne sommes plus capables de vivre en paix, de nous retrouver comme personnes. La violence intérieure nous fait préférer le conflit, la lutte, la dégradation. La violence déclenche nos pires instincts (les péchés capitaux) et stimule notre agressivité. La violence originelle ne fut pas la guerre de tous contre tous, mais l’hostilité d’une communauté humaine – famille, hameau, nation, religion, entité culturelle – contre les autres, les étrangers. Quand la violence de l’esprit s’érige en loi universelle, elle réclame le monopole de la civilisation et lutte contre la diversité humaine. Là où la diversité est niée et rejetée s’instaure le règne de la violence.

 

40. La violence religieuse confesse « Dieu est avec nous ! » et nie la présence de Dieu chez ceux qui sont différents. Celui qui est convaincu que Dieu est seulement avec lui ne doit rien à personne. Ceci engendre l’égoïsme sacré « pour pouvoir être, il faut que l’autre ne soit pas ». C’est pour cela que la violence sacrée est fondamentaliste et homicide pour autrui, tout en étant destructrice pour ceux qui l’exercent. Seuls l’accueil de l’autre, du divers,  l’hospitalité – la philoxénie et non pas la xénophobie - peuvent s’opposer à la violence.

 

2.La miséricorde

 

a)      Le Dieu de  miséricorde

 

41. La caractéristique suprême de Dieu selon l’Ancien Testament est la miséricorde et non la violence[74]. La miséricorde dépasse de loin la colère : « pendant un instant, dans un accès de colère, je t’ai caché mon visage ; mais mon amour pour toi est éternel » (Is 54,8). Le texte paradigmatique qui définit l’identité de Dieu comme étant miséricorde se trouve au chapitre 34 du livre de l’Exode, versets 6 et 7 : « Le Seigneur passa devant lui et proclama : « Le SEIGNEUR, le SEIGNEUR, Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté, qui reste fidèle à des milliers de générations, qui supporte la faute , la révolte  et le péché, mais sans rien laisser passer, qui poursuit la faute des pères chez  les fils et les petits-fils sur trois et quatre générations… »

 

42. Dieu est  qualifié ici de ‘Rahun’ celui qui possède un amour infini, maternel, viscéral et aime de tout son cœur. Cet amour miséricordieux est totalement gratuit, il n’est pas une réponse à des mérites mais une exigence du cœur. La miséricorde est donc la bonté, la tendresse, la patience, la compréhension, la promptitude à pardonner malgré l’infidélité.

 

43. La miséricorde de Dieu se manifeste chaque fois que l’être humain ne respecte pas le pacte de l’Alliance. Le peuple, conscient de son infidélité, invoquait la miséricorde de Dieu. Les transgressions de l’Alliance suscitaient sa colère et son courroux. Toutefois, avec les prophètes du Deutéronome - Ezéchiel et  Isaïe - les menaces se transforment en annonces et promesses de consolation ainsi qu’en manifestations de miséricorde, en évangile (bonne nouvelle) pour les pauvres (Is 40, 61).

 

b)      L’incarnation de la miséricorde

 

44. Le texte de l’épître aux Philippins nous dit que  Dieu « s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur se faisant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix » (Phil 2,6-11). Le Dieu tout puissant renonce à sa volonté de pouvoir : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert ». (Lc 22, 27 ; cf. Mt 22, 25-28). Dieu le Tout Puissant ne détruit pas systématiquement le mal et la mort, mais il l’assume. C’est pour cela que devant la souffrance des innocents ou les épisodes absurdes de la vie, notre Dieu apparaît dans une faiblesse invincible. Dieu se manifeste comme un être vulnérable qui assume la souffrance des hommes. La souffrance est le pain que Dieu partage avec nous. La miséricorde divine est le repentir de Dieu, la faiblesse de Dieu et celle-ci correspond à la faiblesse de l’être humain. Notre Dieu se présente toujours comme le protagoniste du pardon. C’est en pardonnant et en exerçant la miséricorde  que Dieu se révèle à l’être humain en tant que Dieu.  

 

45. Le Nouveau Testament nous présente Jésus comme celui qui pardonne par excellence, le thérapeute du pardon. En lui se manifeste toute la miséricorde de Dieu. Jésus assume la fonction de Dieu le Père dans l’intimité du pardon de Dieu (Cf. Mc 2,7 ; Lc 15). Jésus se soucie de la personne dans sa totalité, il pénètre au plus intime de son cœur mais ne se limite pas à l’âme, au psychisme. Il guérit également le corps. « Jésus lui-même était la thérapie qu’il offrait » (Hanna Wolft). En pardonnant, Jésus déclenche chez celui ou celle qui est pardonné un processus de redressement total. La miséricorde et non la violence se révèle en Jésus. L’incarnation est l’anéantissement de Dieu (kénosis de Dieu). C’est le signe que Dieu n’est pas violent. Il aime la faiblesse et se fait faible. Jésus n’apparaît pas avec le caractère absolu d’une personne sacrée, mais comme « un parmi d’autres » (Phil 2,7), un laïc.  Jésus se fait proche de tous sans exception. Il aime tout le monde car il est l’icône de Dieu et Dieu est Amour (1Jn 4,7). Il rejette toute forme de violence et présente son Abbá, non pas comme un maître mais comme un ami, non pas comme un patron mais comme un serviteur. Il affirme que les choses essentielles ne sont pas révélées aux sages mais aux petits (Mt 11, 25 ; Lc 10, 21). Le fil conducteur de l’histoire commencée par Jésus est la réduction des structures fortes, le renoncement à la violence et à l’efficacité à tout prix. C’est pour cela qu’il recommande tellement de pardonner et invite à recommencer sans cesse (jusqu’à septante fois sept fois ! (Mt 15,22). Jésus se manifeste ainsi comme le grand éducateur qui conduit aux sources d’eau tranquille et enseigne comment dépasser la violence tant sociale que sacrée.

 

46. L’hymne au début de l’épître aux Ephésiens met l’accent sur la magnificence de Dieu qui, en Jésus et par lui, nous accorde le pardon de nos péchés. S’il est vrai que la gratuité est un des traits qui met en évidence ce qui étonne en Dieu, la miséricorde nous le rend proche et accessible. Dieu n’est pas seulement gratuité mais, en pardonnant, il se manifeste comme le miséricordieux. Etre miséricordieux est le propre de Dieu. Dieu manifeste sa présence parmi les hommes en pardonnant. « Qui donc peut pardonner les péchés si ce n’est Dieu seul ? » (Lc 5,21 ; Mc 2,7). Jésus assume une des fonctions réservées à Dieu. L’incarnation du Fils de Dieu a été la manifestation suprême de la miséricorde. « Abbá est le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation » (2 Cor 1,3)

 «  Dieu le Père, riche en miséricorde » (Eph 2,4).

 

47. Jésus ne s’identifie pas seulement avec l’être humain en général mais, en particulier, avec ceux qui ont faim ou soif, qui sont prisonniers, réfugiés, malades ou dans le besoin (Mt 25, 34-45). Il signale ainsi jusqu’où va sa miséricorde. Jésus lui-même est victime de la violence comme ceux auxquels il s’identifie. Lui-même ne reçoit pas de miséricorde. Sur la croix il se demande : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 45).  Toutefois le Fils fut entendu et sa prière aboutit à la résurrection. Il ressuscita des entrailles du Père : Tu es mon Fils que j’ai engendré aujourd’hui (Cf. Ps 2, 7 ; Heb 1,5). Il naquit pour la vie éternelle des entrailles miséricordieuses du Père, Abbá.

 

c)      La miséricorde dans le charisme de l’Ordre

 

48. La miséricorde est le pivot du charisme et de la spiritualité de Jean de Dieu[75] et de son Ordre[76]. Nous nous efforçons d’être dans l’Eglise une icône vivante et collective de la miséricorde.

 

·        Point de départ : nous reconnaissons que nous sommes miséricordieux dans la mesure où, touchés par la miséricorde divine, nous l’avons expérimentée dans notre vie. Jean de Dieu en a fait l’expérience : « Si nous considérions combien la miséricorde de Dieu est grande, nous ne cesserions jamais de faire le bien »[77]. Nous nous sentons habilités et consacrés à être miséricordieux. Nous voulons « aimer Jésus plus que tout au monde, et en vertu de son amour et de sa bonté faire le bien et la charité envers les pauvres et les nécessiteux » ; nous voulons imiter Notre- Dame, la Vierge Marie, toujours pure, dans son amour maternel. (Const. 4b.c)

·        Notre objectif spirituel consiste à « incarner toujours davantage les sentiments du Christ envers l’homme malade et nécessiteux et à les manifester avec des gestes de miséricorde », « se faire faible avec le faible », « être pour lui le signe et l’annonce de la venue du Royaume de Dieu » (Const. 3). En répondant à notre vocation, nous alimentons un amour toujours plus ardent pour les pauvres, les nécessiteux et les pécheurs.

·        Le style qui nous caractérise s’exprime dès nos origines par les vertus suivantes : « service humble, patient et responsable ; respect et fidélité envers la personne ; compréhension, bienveillance et abnégation ; partage des angoisses et des espérances d’autrui. » (Const. 3b).

 

  1. L’hospitalité

 

49. La tradition de l’Ordre exprime notre charisme par le terme d’hospitalité. Ce terme n’a rien perdu de sa force à notre époque. Certains le proposent même comme un élément essentiel d’une nouvelle morale pour notre temps.[78] Il est donc important d’en faire l’objet de notre réflexion en tant que fondement sur lequel s’appuie la spiritualité spécifique de notre Ordre. 

 

a)Qu’est-ce que l’hospitalité ?

 

50. L’hospitalité évoque des relations qui s’établissent entre un invité et celui qui l’accueille. Ces relations sont marquées par des obligations et des responsabilités. L’invité et l’hôte sont en relation de réciprocité, l’un n’existe pas sans l’autre. L’invité est un absent qui peut devenir présent à tout moment et revendiquer son droit à l’hospitalité. Là où cette hospitalité existe, l’invité a des droits à l’égard de son hôte, celui d’être accueilli, et l’hôte, bien qu’il ne soit pas encore établi comme tel, a des devoirs envers l’invité qui s’approche : celui de l’accueillir.

 

51. Pourquoi les êtres humains sont-ils hospitaliers ? La raison n’en est pas évidente et quelle qu’elle soit, l’hospitalité n’est pas un fait mécanique car l’invité peut partir ou l’hôte lui refuser sa porte ; toutefois elle n’est pas arbitraire, car l’hôte se sent moralement obligé d’accueillir un invité même si ce dernier lui semble inopportun.

 

52. La caractéristique fondamentale de l’hospitalité est l’accueil de l’invité par l’hôte.

·        L’hospitalité est pour ainsi dire un fait universel. N’importe qui peut devenir un invité. Reconnaître ce fait signifie accepter que tous les êtres humains pourraient être virtuellement des invités. Tout être humain est soit un invité soit un hôte virtuel. Dans beaucoup de cultures il est défendu de demander à l’invité d’où il vient, quel est son nom, comme s’il représentait symboliquement l’absent. La protection de l’anonymat de l’invité est le signe qu’en lui nous voyons n’importe quel être humain. Nos devoirs envers les invités de passage sont très concrets. Leur manifester un manque de curiosité par rapport à leur origine ou provenance n’est pas synonyme d’indifférence ou de mépris mais un signe d’accueil sans aucune exception.

·        L’hospitalité révèle un sens élevé de la morale et de la politique. L’invité n’est pas seulement accueilli en tant qu’individu, mais comme ambassadeur substituable, comme représentant d’autrui. Les êtres humains forment des groupes, des communautés, des sociétés, des nations. Chaque individu est inséré dans un de ceux-ci. L’hospitalité nous situe donc devant quelque chose d´une grande importance éthique et politique : l’accueil de l’étranger, de l’autre, de celui qui n’appartient pas « aux miens ». L’hospitalité c’est reconnaître les ‘autres’,  en leur donnant le droit d’être différents de nous.

·        L’hospitalité est virtuellement sacrée. Chez de nombreux peuples, cet ‘autre’, quel qu’il soit, est enveloppé de mystère, comme s’il était habité par le sacré. Il pourrait être un dieu. Ce  thème  revient souvent dans la mythologie grecque, dans la Bible et dans de nombreuses traditions culturelles. Très souvent, les dieux se déguisent et demandent  de l’aide aux humains. L’épître aux Hébreux nous dit que certains ont accueilli des anges sans le savoir (Heb 13,2). Le droit à l’hospitalité est ainsi ratifié. Il faut traiter les étrangers comme s’il s’agissait de dieux. Une certaine ambiguïté  accompagne toutefois cette notion : l’invité ou l’hôte est présenté comme quelqu’un occupant un espace incertain où quelque chose d’important se joue pour nous. C’est à la fois un lieu  de crainte et de désir. L’invité devient un médiateur entre des sphères différentes et distinctes. Au moment de l’accueil, une rencontre a lieu entre des êtres de différentes catégories. Le divin, le lointain, l’illimité et l’inconcevable sont accueillis dans un milieu humain. Cette rencontre prend parfois le caractère d’une irruption violente qui détruit l’ordre habituel et bouleverse ce qui nous est familier. Quoi qu’il en soit, quelque chose d’impondérable et de  déconcertant se passe.

·        L’hospitalité est un événement. Il est imprévisible et incontrôlable. Nous ignorons quand il aura lieu et avec qui. L’hôte doit toujours être préparé car l’invité peut se présenter à tout moment et à l’improviste.

·        Chaque rencontre d’hospitalité est unique,  axée sur une personne concrète, et doit être accomplie et interprétée en tenant compte des  traits caractéristiques de l’invité et de son hôte. Leurs devoirs sont de nature générale mais s’accomplissent dans un cadre bien déterminé. Quelqu’un pourrait être disposé à remplir ses obligations d’hôte envers un semblable indépendamment de ses qualités ou de ses défauts, simplement parce qu’il fait partie du genre humain. Il ne pourra les remplir toutefois qu’envers une personne bien concrète. Un hôte qui attendrait l’invité universel, le seul qui mériterait véritablement son attention et refuserait d’accueillir les autres qui frappent à sa porte sous prétexte qu’aucun d’entre eux ne correspond vraiment à l’idée qu’il se fait de la condition humaine, nierait la notion même  d’hospitalité.

 

b) L’hospitalité dans la Révélation

 

53. La révélation judéo-chrétienne est particulièrement attentive à l’hospitalité.[79] Elle commence par mettre en évidence comment Dieu a accueilli l’homme dans son jardin d’Eden : il œuvre pour son invité (‘Le Seigneur Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger’), il lui offre la nourriture et le vêtement (‘Tu pourras manger de tout arbre du jardin…Il fit pour Adam et sa femme des tuniques de peau dont il les revêtit’) (Gen 2,8-9, 15-17). La révélation se termine par la demande d’hospitalité de Dieu à l’être humain : ‘Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je prendrai la cène avec lui et lui avec moi.’ (Ap3,20).

 

54. L’hospitalité a fait des êtres humains les invités de Dieu et de Dieu l’invité des êtres humains. Depuis, les humains s’invitent et s’accueillent mutuellement. Adam et Eve furent les invités de Dieu dans son jardin  d’Eden. Abraham puis le peuple qui était en Egypte furent conduits comme invités de Dieu  vers la terre qui produit du lait et du miel: ‘La terre est à moi, vous n’êtes chez moi que des émigrés et des hôtes’(Lev 25,23 ; cf. Ps 23,5 ; 27,10). Dieu fut l’invité d’Abraham et trouva un refuge sous sa tente, à Mambré ; il fut ensuite l’invité du peuple qui cheminait dans le désert et fit sa demeure dans la tente de la rencontre. Finalement il accepta de demeurer dans la maison du Temple : ‘La gloire du Seigneur remplissait la maison du Seigneur’ (1Rois 8,10-11). L’hospitalité permettait aux humains d’ouvrir les yeux, de se voir et de se reconnaître invités les uns des autres. Abraham et Moïse  étaient conscients d’être des émigrés en terre étrangère ; il en va de même pour le peuple hébreux en Egypte. Ils ont tous compris que l’être humain est hospitalité.

 

55. L’hospitalité commence par l’accueil de tout être dans le sein maternel. Elle englobe l’accueil reçu dans des tentes, maisons, villes ou pays. Qui en bénéficiait pouvait compter sur la protection de son hôte contre d’éventuels ennemis. Il était inclus dans son cercle, sa personne était respectée et ses besoins existentiels satisfaits.

 

56. Les icônes par excellence traduisant l’hospitalité dans l’Ancien Testament sont celles  d’Abraham accueillant les trois hommes, celle de la veuve de Sarepta qui accueille Elie  et est accueillie par lui ;  celle de la prostituée de Jéricho, de Rahab qui accueille les  envoyés de Josué, celle du vieillard accueillant le lévite et son épouse (Juges 19), celle de Tobie, de l’archange Raphaël, celle de Ruth.

 

57. Le Nouveau Testament est une explosion d’hospitalité. Jésus est le sacrement de Dieu. Il nous accueille, nous sert, nous soigne, nous rend notre dignité et notre santé. Il s’identifie à nous, nous lave les pieds et meurt pour nous. Il convient de contempler la personne de Jésus dans l’évangile de Luc pour déceler un cheminement authentique d’hospitalité. Jésus accepte l’hospitalité des humains. Tout d’abord celle de la Vierge Marie qui l’accueille en son sein. Celle ensuite de certains pharisiens, de Marthe et de Marie, de Zachée etc. La spiritualité chrétienne attache une telle importance à l’hospitalité qu’elle reconnaît la présence de Jésus dans les pauvres, les prisonniers, les malades et en tous ceux qui sont en droit d’attendre le témoignage de notre solidarité, de notre amour et ont besoin  de notre service.

 

58. La grande parabole chrétienne de l’hospitalité est la parabole du Bon Samaritain. A la question du docteur de la loi ‘Qui est mon prochain ?’ Jésus répond par une parabole. On pourrait supposer que le prochain était celui qui était tombé aux mains des bandits, celui qui se trouvait dans le besoin. Mais Jésus précise la question du docteur de la loi et lui demande à nouveau ‘Lequel de ces trois s’est fait le prochain de l’autre ?…’(Lc 10,36) Ce qui importe pour Jésus, ce n’est pas l’existence du prochain ni celle  de personnes dans le dénuement, mais c’est d’acquérir le statut de prochain en exerçant la miséricorde envers les nécessiteux. C’est pour cela que le docteur de la loi ne doit pas se soucier de trouver des personnes dans le besoin. Il doit se faire prochain et exercer la miséricorde comme l’a fait le bon Samaritain. Dans cette parabole, la miséricorde et l’hospitalité  ne font qu’un.

 

 

 

 

 

 

c)      L’hospitalité chez notre Père saint Jean de Dieu

 

59. Jean de Dieu a fait de toute sa vie un acte d’hospitalité et de miséricorde. Il a toutefois perçu qu’il devait répondre à cet appel anthropologique et biblique en s’occupant des plus pauvres et des plus abandonnés. Il devait se tourner vers les malades physiques et mentaux sans exclusion ni discrimination.  Comprise de cette façon, l’hospitalité est devenue sa raison d’être et il a vécu ce charisme avec une telle intensité qu’on en reste  à la fois étonné et interdit. Il accueillait tout le monde. Il allait vers autrui en lui donnant tout. Il s’identifiait à l’autre  et lui consacrait tout son temps. Il a découvert le caractère sacré de l’autre c’est-à-dire  de celui qui est différent de soi.

 

60. Il accueillait et servait le malade comme s’il était un frère très cher. Son souci principal était de le consoler et de le réconforter par des paroles pleines de sollicitude tout en lui procurant tout ce dont il avait besoin pour son bien-être physique et spirituel : « Le matin avant de sortir de la maison…. Et le soir quand il rentrait, bien que fatigué, il n’allait jamais se coucher sans avoir visité au préalable tous les malades, l’un après l’autre, leur demandant comment s’était passée leur journée, comment ils se sentaient et ce qu’ils avaient reçu à manger et il les réconfortait avec des paroles très affectueuses ».[80]  Aimer le Seigneur dans la personne des pauvres et des malades le remplissait d’une si grande joie qu’il ne pouvait la cacher.[81]

 

61. La charité de Jean était empreinte de créativité. Une des descriptions de son hôpital le prouve clairement. « C’est un hôpital général ; aussi y reçoit-on, d’ordinaire, toutes sortes de malades et toutes sortes de gens. Il y a des perclus, des manchots, des lépreux, des muets, des aliénés, des paralytiques, des teigneux, des vieillards et beaucoup d’enfants, sans parler des nombreux voyageurs et passants qui s’arrêtent ici ».[82] Sa manière de demander l’aumône en est une autre démonstration. Il rappelait à tous ceux qui lui donnaient quelque chose qu’ils en étaient les premiers bénéficiaires. Sa charité était illimitée et englobait  pauvres et riches car elle trouvait son origine dans l’amour de Jésus-Christ en qui il reconnaissait et aimait tout le monde comme ses frères et ses sœurs.

 

62. Jean de Dieu est devenu un bon maître de miséricorde car il s’est identifié au Christ. Dieu lui a donné un cœur compatissant et profondément humain. Comme le faisait Jésus, il enseignait plus par ses gestes que par ses paroles. Jamais il ne s’est soucié de rédiger des statuts ou des normes pour le bon fonctionnement de son œuvre. Il s’est contenté de vivre pleinement le don qui l’animait, d’accomplir le bien et de faire oraison pendant de longues heures, la nuit. Il visitait les malades un à un et écoutait tout le monde avec beaucoup de patience.  Il réconfortait et donnait à chacun ce dont il avait besoin dans la mesure de ses possibilités. Comme Jésus,  il a vécu pour aimer et servir. Il a donné sa vie pour les autres. Comme Jésus, il n’a légué qu’un seul commandement qui éclairera ses disciples plus tard quand des règles s’avéreront nécessaires pour garder son esprit bien vivant chez ses successeurs et dans les œuvres de l’Ordre.[83] Les Frères qui ont adopté son style de vie ont appris de lui comment accueillir, servir et aimer les pauvres malades en imitant ses gestes et ses attitudes qu’ils ont ensuite codifiés dans les Constitutions de l’Ordre pour pérenniser le modèle d’hospitalité hérité du Fondateur.

 

«Il faut veiller que dans nos hôpitaux le service fait à Notre Seigneur dans la personne de ses pauvres Lui soit agréableAvant de mettre le malade au lit avec toute la charité requise, il faudra lui couper les cheveux et les ongles si cela ne fait pas de tort à sa santé. On lui lavera les mains et les pieds et, si c’est nécessaire, tout le corps avec de l’eau chaude parfumée à cet effet. On le revêtira ensuite d’une chemise propre et d’un bonnet de nuit et on le couchera dans un lit avec des draps frais et un oreiller propre. En hiver on bassinera le lit et on lui donnera ensuite  les remèdes nécessaires »[84].

 

d )L’hospitalité dans les Constitutions et les documents de l’Ordre

 

63. La raison d’être de la vocation du Frère de saint Jean de Dieu est de « maintenir vivante la présence miséricordieuse de Jésus de Nazareth »[85], en incarnant « ses sentiments envers le malade et le nécessiteux » pour  manifester ainsi « qu’il demeure vivant parmi les hommes ». (Const. 2 c ;3a.) Jésus de Nazareth est la « source et la couronne de notre spiritualité »[86]. Le Frère est le dépositaire d’une mission toute particulière : il doit représenter Jésus dans son service auprès des malades, dans son accueil des pauvres et des exclus. Jésus annonçait la paix du Royaume à ceux qui étaient fatigués et découragés, la libération à ceux qui se sentaient écrasés par le mal et les maladies, la sérénité à ceux qui se sentaient troublés et inquiets.

 

64. L’objectif des Constitutions est d’offrir un encadrement spirituel novateur  pour des temps nouveaux. L’Ordre a compris que sans un engagement spirituel solide et sans une démarche   de  conversion, le renouvellement demandé par le Concile s’avérait impossible[87]. L’Ordre a donc proposé plusieurs pistes.

  • L’humanisation de l’assistance : la première finalité de l’Ordre est de défendre la dignité du malade (Const. 10d ; 12c ; 23a ; 28b ; 43d)[88]. L’apostolat hospitalier s’identifie ainsi à l’humanisation. L’Ordre découvre simultanément la nécessité d’humaniser la vie religieuse et de renforcer certains aspects de la vie des Frères : « avoir soin de soi, tout en soignant les autres ». Si les Frères négligent cet aspect, ils oublieront le sens même de leur charisme.
  • L’objectif de la vocation hospitalière est d’établir une alliance avec ceux qui souffrent ; c’est notre manière charismatique de manifester  l’Alliance avec Dieu.
  • La création de liens fraternels.  Jean de Dieu se sentait le frère de tous et de toutes, des plus pauvres au futur Roi Philippe  II.[89] Créer des liens de ce genre devrait caractériser le Frère. Tout d’abord,  il doit se sentir frère de celui qui souffre et de ceux qui partagent avec lui le ministère  de l’hospitalité (45b ; 46b.c ;23) : les professionnels, les bénévoles et les bienfaiteurs, en un mot de tous ceux avec qui il est appelé à construire une alliance pour promouvoir et servir la vie[90].
  • L’option préférentielle pour les pauvres et l’humanisation (Const. 5a)[91] doivent inspirer notre hospitalité au service des malades et des nécessiteux en général.

 

4.Repenser la miséricorde et l’hospitalité pour notre temps. La relation à l’autre.

 

a) La relation à l’autre

 

65. L’hospitalité et la miséricorde évoquent des relations : avec le prochain, le frère ou autrui.  Cet ‘autre’ peut être un ami (communion) ou un ennemi (hostilité), l’étranger qui nous effraye ou notre corps quand il nous fait souffrir, ou encore l’aliénation par rapport aux répercussions de nos actes (cf. Rom 7). La rencontre avec l’ami, l’ennemi, l’étranger,  en un mot avec ‘l’autre’, peut provoquer diverses réactions : joie, accueil, solidarité, irritation, peur, curiosité, intérêt. L’inconnu éveille la crainte ; il apparaît comme un être à la fois menaçant et fascinant. Menaçant parce qu’il entre en compétition avec nous ; fascinant parce qu’il déploie des horizons jusque là inconnus.

 

66. L’autre est toujours celui qui apparaît à l’extérieur de notre milieu, de notre espace, celui qui s’oppose à nous. Il représente l’incompréhensible, l’insolite, l’hétérogène, l’indisponible. La réalité nous semble ‘autre’ quand nous pouvons établir un lien par rapport à ce qui est ‘mien’ ou ‘sien’. Avant de pouvoir décider si quelque chose est ‘autre’ ou ‘sien’, il faut être capable de reconnaître la relation qui existe entre ces deux termes. ‘L’autre’ est tel quand il nous appartient dans une certaine mesure. Nous reconnaissons ce qui nous est propre à partir de l’autre et l’autre à partir de ce qui nous est propre. L’invité n’est plus le voyageur qui va et vient, mais celui qui vient et demeure. Il reste par intermittence et occupe un espace frontalier. Ceci est  également vrai pour son hôte car l’espace que tous deux occupent désormais n’est plus exclusivement le sien.

 

67. L’autre est également, et surtout, celui qui surgit en dehors du temps qui nous est propre. Chaque individu vit « son » temps. Nous pouvons parler des autres comme « d’autres temps » d’autres rythmes. Vivre ensemble signifie adapter les temps et les rythmes, harmoniser le temps d’autrui avec le mien. L’hospitalité est étroitement liée au respect du temps des autres, peut-être encore plus qu’au respect de leur cadre et de leur espace.   Considéré sur le plan de la temporalité, l’autre est en général un importun qui précipite les choses ou les retarde. Il est soit plus lent ou plus rapide que nous. Il occupe une temporalité qui, pour quelle que raison que ce soit, nous semble étrange ou inopportune. Les autres ne sont pas tant ceux qui vivent loin, mais ceux qui vivent un temps distinct. Le marginalisé ne vit pas dans la périphérie de l’espace mais littéralement dans un autre temps. L’hospitalité est par conséquent fort liée à la capacité de ‘perdre son temps’, ou ‘de consacrer son temps’.

 

68. L’autre, tant dans l’espace que dans le temps, est toujours celui qui nous interpelle, celui qui nous arrive à l’improviste, de manière incontournable. Il attend une réponse de notre part. Refuser de lui répondre est déjà une forme de réponse. C’est neutraliser les questions futures pour se protéger d’un avenir imprévisible. L’autre peut provoquer une crise d’identité. Grâce et risque à la fois,  l’expérience culturelle de l’autre suppose toujours une confrontation avec ses propres choix existentiels et les met à l’épreuve. L’autre est une réserve où puiser pour enrichir  et corriger les limites de nos prises de position. Durkheim disait à ce propos que la qualité morale d’une culture  se mesure à sa relation à l’autre. Celui auquel nous répondons est toujours plus grand que la réponse que nous pouvons lui offrir.

 

b) L’apprentissage de l’hospitalité et de la miséricorde

 

69. L’hospitalité comprise de la sorte et la miséricorde en tant qu’amour et non violence, nous révèlent les vrais fondements de l’être humain. L’homme découvre qui il est lorsqu’il sort de lui-même pour aller à la rencontre de l’autre. La découverte de soi est un acte intersubjectif. Nous connaissons nos droits et nos devoirs dans la mesure où nous allons à la découverte de l’autre. Se découvrir comme invité ou comme hôte, comme celui qui est accueilli ou qui accueille signifie découvrir une identité qui comporte  des obligations et des responsabilités. Les individus ne deviennent des personnes que par l’approbation ou la réprobation d’autrui.

 

70. L’aphorisme de Merleau-Ponty est sage : « Apprendre à considérer ce qui est sien comme autre et ce qui est autre comme le sien ». Encore faut-il être capable d’atteindre une forme d’hospitalité et de miséricorde libérée de la dépendance ou de l’indifférence, capables d’accepter ce qui est hétérogène et de dépasser sa propre contingence ainsi que celle d’autrui. L’hospitalité et la miséricorde s’apprennent lorsqu’on acquiert l’habitude de s’intéresser à l’autre, de le respecter et de l’accepter avec ses singularités.

 

c) La mission de l’hospitalité et de la miséricorde aujourd’hui

 

71. De nos jours la mobilité est facilitée et l’expérience de l’autre se multiplie. Les mouvements migratoires sont fortement accentués. Nous vivons dans une société globalisée en perpétuel mouvement,  dans des groupes sociaux pluriculturels qui manifestent de manière tangible le pluralisme ambiant. On nous demande de faire preuve de tolérance envers l’autre, c’est-à-dire celui qui est différent de nous. Une telle situation nous révèle que les blocs homogènes et compacts d’autrefois n’existent plus. Nous sommes  étonnés de constater que ce qui nous était propre semble désormais autre et étrange. Par contre, ce qui, au départ, nous semblait étrange et autre s’est glissé dans nos habitudes. Dans les sociétés aussi complexes où l’un ou l’autre groupe social affirme son identité de façon excessive, une plus grande sensibilité est requise pour s’intéresser aux exclus. Les individus de notre société contemporaine ont peu de poids. Ils sont moins liés que jadis aux confins d’un territoire. Ils sont moins contrôlables. Ils connaissent une plus grande indépendance et autonomie. Nous nous trouvons devant une situation où insister sur l’identité comme quelque chose de définitivement circonscrit n’a pas beaucoup de sens. Aujourd’hui nous préférons parler  « d’identité complexe » (Amin Maalouf). L’autre me permet de mieux comprendre qui je suis.

 

72. Les situations perverses de notre monde ne sont que trop bien connues. Le nombre de pauvres et d’exclus ne fait qu’augmenter malgré l’apparition des nouvelles technologies et la globalisation. La conception sacrée de la personne cède le pas aux idoles devant lesquelles les sociétés modernes se prosternent. L’éducation (mass media et climat socio-économique) que cette société offre aux nouvelles générations ne met pas en évidence la valeur de l’hospitalité mais accorde une place privilégiée à l’individualisme, au matérialisme et à l’hédonisme. Il devient impossible avec une telle mentalité de freiner des phénomènes pervers tels la consommation à outrance, le trafic de drogues, la pornographie, les désordres amoureux avec ses répercussions sur la dignité de la sexualité humaine, la croissance de la pauvreté et de l’injustice. En outre, l’apparition d’un grand nombre de nouvelles maladies  constitue un véritable fléau pour des millions d’êtres humains.  Il faut joindre à cette perte du sens d’humanité, la dégradation de l’environnement (eau - zones côtières, ressources maritimes mises en danger suite aux activités industrielles et minières -,  pollution de l’air – industries textiles, agro-alimentaires, raffineries de pétrole…-, manipulations génétiques), l’exploitation incontrôlée de la nature, l’épuisement des ressources et la menace d’un déséquilibre écologique.

 

73. L’explosion démographique lance un défi à l’hospitalité. Chaque jour, l’humanité enregistre 220.000 nouvelles naissances. Ce taux de croissance démographique pose de nouveaux problèmes : déracinement des familles, urbanisation, exploitation insoutenable des ressources  disponibles pour satisfaire les demandes croissantes de la population. Dans de nombreux lieux, l’être humain semble avoir perdu la notion du sens sacré de la vie. Guerres fratricides, violences contre les femmes sans défense, exploitation des enfants innocents, capitalisme sauvage qui creuse toujours plus le fossé entre les riches et les pauvres. Il y a une grande inégalité entre les  30% de la population mondiale qui vivent dans une abondance matérielle et les 70% condamnés à la pauvreté et privés des biens élémentaires pour mener une vie digne de ce nom. Même les richesses culturelles des pauvres sont menacées par manque de ressources, sans parler de la séduction irrésistible qu’exercent les modèles étrangers du développement matérialiste.

 

74. Les attitudes d’accueil, de reconnaissance, de service et de solidarité (hospitalité) de nos contemporains déploient toute leur splendeur dans de nombreuses institutions et initiatives. ONG, bénévolat, institutions sociales de tous genres, armées de la paix

services civils, mouvement de justice et de paix, défense de l’écologie, de la dignité humaine, refus de toute forme de xénophobie, etc. De nombreux peuples conservent encore jalousement leurs précieuses traditions d’hospitalité.  Il faut toutefois reconnaître que celles-ci accusent un certain déclin à cause d’un soucis excessif et prédominant de sécurité. Les guerres, la violence, le terrorisme, les crimes et l’insécurité ambiante sont tels qu’ils influent négativement sur les valeurs traditionnelles de l’hospitalité. L’Ordre et les Frères de saint Jean de Dieu se situent dans ce contexte  avec toute leur tradition.  L’Ordre souhaite être à la hauteur des temps et répondre, avec un nouvel élan, à sa vocation spécifique en offrant des milieux de vie où l’organisation, le professionnalisme, la technique et l’humanisation se conjuguent et s’harmonisent avec des gestes et des attitudes de service, d’accueil, de solidarité et de guérison pour le corps et pour l’esprit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III. L’ITINERAIRE SPIRITUEL

 

PARCOURIR  AUJOURD’HUI

LE CHEMINEMENT SUIVI PAR JEAN DE DIEU

 

  1. La spiritualité aujourd’hui

 

75. L’Eglise et le monde ont une profonde soif de spiritualité. Devant la perte de sens, l’accumulation de problèmes en apparence insolubles, le vertige provoqué par une mobilité incessante, tous éprouvent  le besoin de se connecter au Mystère, à l’Esprit qui procure stabilité et raison d’être. Nous sommes assoiffés de spiritualité. L’Eglise répond à cette soif en proposant plusieurs chemins de spiritualité.

 

76. Nous assistons aujourd’hui à une forme de mondialisation de la spiritualité. Le dialogue interreligieux a généré de merveilleuses initiatives en ce sens mais certains revendiquent une dimension plus locale de la spiritualité. Une spiritualité aux traits africains, asiatiques, américains ou européens est en train de voir le jour. En ce début de siècle, nous concevons la spiritualité de manière plus intégrale, c’est-à-dire englobant à la fois le corps et l’âme, l’individu et la communauté ou la société, le local et le mondial, le particulier et l’œcuménique…Ce même phénomène se répercute dans notre Ordre. Celui-ci est le dépositaire d’une spiritualité globalisée qui répond au don reçu mais,  en même temps, adopte différentes caractéristiques locales selon la région où elle s’implante.

 

77. Nous comprenons que la spiritualité est un processus, un cheminement ; elle passe par plusieurs étapes. Nos Constitutions nous indiquent le but mais il nous faut trouver le chemin adéquat pour l’atteindre. L’Esprit est notre ‘maître intérieur’. Il nous conduit à la perfection de l’Amour et de l’Alliance, de l’union avec Dieu, avec les autres et avec le cosmos. Nous n’atteindrons jamais le but fixé dans cette vie. C’est pour cela que les paroles de Grégoire de Nysse dans sa ‘Vie de Moïse’  sont si éloquentes :

 

« S’arrêter en cours de route sur le chemin de la vertu est le début de la course vers le vice…Tout ce qui se trouve encadré par des limites n’est pas vertu. Pour ce qui est de la vertu, la seule limite de la perfection est de n’avoir aucune limite…L’apôtre, en se hâtant toujours sur le chemin de la vertu, sans cesse tend à aller plus loin car il lui semble dangereux de s’arrêter en route… La perfection de la nature humaine consiste peut-être à toujours être disposé à rechercher le plus grand bien ».

 

78. Dans son document ‘Repartir du Christ’, l’Eglise nous présente une perspective identique.

 

« C’est précisément dans l’existence quotidienne que la vie consacrée se développe en mûrissant progressivement pour devenir l’annonce d’un mode de vie différent de celui du monde de la culture dominante…Outre la présence active de nouvelles générations de personnes consacrées qui rendent vivante la présence du Christ dans le monde et la splendeur des charismes ecclésiaux, la présence cachée et féconde de consacrés, hommes et femmes, qui ont l’expérience de la vieillesse, de la solitude, de la maladie et de la souffrance, est également particulièrement significative. Au service déjà rendu et à leur sagesse, qu’ils peuvent partager avec d’autres, ils joignent leur précieuse contribution en s’unissant, par le don d’eux-mêmes, au Christ patient et glorifié en faveur de son Corps qui est l’Eglise (cf. Col, 1, 24)[92].

 

  1. Le modèle de notre cheminement spirituel

 

79. « Notre hospitalité a son origine dans la vie de Jésus de Nazareth » (Const. 20) que notre Fondateur saint Jean de Dieu a fidèlement imité, en se consacrant totalement au service et au salut des pauvres et des malades (Const. 1a). Aujourd’hui, nous sommes Jean de Dieu. Nous partageons son don, sa foi, sa sensibilité devant la souffrance humaine, son dévouement inconditionnel dans le service, son humilité et sa créativité dans la charité[93]. Son itinéraire spirituel est la proposition pédagogique que nous offre l’Esprit Saint pour développer en nous le charisme de l’hospitalité. Nous aussi, comme lui,  sommes en route. Nous sommes  des pèlerins dans un monde complexe et globalisé. Son pèlerinage intérieur, son cheminement spirituel vers le fond de l’abîme, vers la misère humaine constituent  pour nous la proposition par excellence d’une spiritualité axée sur la  mission et la communion (Const.5). Nous nous trouvons devant une authentique école de spiritualité.

 

80. Les étapes parcourues par Jean de Dieu – « vide – appel –conversion – identification » - nous montrent quels sont les stades de notre propre cheminement.  Il ne faut pas les comprendre dans un sens linéaire et chronologique mais comme une spirale, car elles peuvent se répéter à tout âge et à différents moments de la vie. Jean de Dieu devient pour nous un symbole qui nous indique la voie de la  kenosis ; celle-ci, de dépouillement en dépouillement, nous guide dans le service jusqu’à la mort (Cf. Phil 2, 6-11).

 

a) L’expérience du vide : se désinstaller pour renaître

 

81. Tout itinéraire comporte un point de départ et un point d’arrivée. Le départ implique une désinstallation. Tout ce qui faisait la trame de nos jours semble perdre sa raison d’être . Nous nous sentons des étrangers dans notre propre environnement. Le processus qui marque le début d’un cheminement dont nous ne savons trop dès le départ où il nous mènera, commence de la sorte. Nous sommes Jean de Dieu et, comme lui, nous devons éprouver le néant des choses de ce monde. Avec lui,  nous vivons l’expérience de nous désinstaller.

 

82. Cette expérience se reflète merveilleusement dans la figure biblique de Moïse et du Peuple de Dieu. Au départ, Moïse affronte la vie avec la sagesse des Egyptiens. Petit à petit, pendant son long cheminement dans le désert, il découvre que Yahvé est Celui qui conduit sa vie et celle de son Peuple. Il renonce alors aux sécurités immédiates et aux faux dieux et accepte dans sa vie la présence du Dieu unique qui l’invite à lever le camp, à continuer sa route et à surmonter tous les obstacles. Les barrières mentales et les sentiments de peur, de découragement, de paresse devant l’effort requis pour conquérir l’avenir promis s’avèrent plus forts et plus violents que la traversée du désert et des fleuves.

 

83. Ce cheminement spirituel débute quand on fait une  première expérience des limites du monde et de celles de sa vie.  La contingence de toute chose nous apparaît clairement, grâce à Dieu. Nous avons l’impression que rien n’est absolument nécessaire. Nous recherchons le sens de la vie, de l’histoire mais ne rencontrons que des réponses partielles ou contradictoires. Les promesses s’avèrent fallacieuses. Les carences affectives, les frustrations, les déceptions et les échecs (famille, amitiés, étude, projets…) nous poussent à nous interroger sur les valeurs qui prédominent dans notre société et à rechercher ce qui peut donner un sens à notre vie. Le plus grand succès peut être insuffisant pour calmer l’angoisse du cœur humain. « Tu nous as fait pour toi Seigneur et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en Toi » (saint Augustin). Jésus nous dit aussi « Quel avantage l’homme a-t-il à gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ?» (Lc 9,25). L’expérience de l’appel, de la vocation est en général le premier pas vers un changement de vie. La voix de Dieu est puissante et réduit les autres voix au silence. Elle invite à ‘aller plus loin’ et éveille le désir de quelque chose de différent.

 

84. Cette expérience peut se répéter indéfiniment tout au long de la vie. Il faut apprendre à ‘renaître de nouveau’ après de grands échecs intérieurs ou extérieurs. Toute vie comporte des moments difficiles, chaotiques, avec des expériences de mort qui semblent bloquer toute issue vers le futur. L’expérience du vide peut provoquer soit le découragement ou l’inertie devant la réalité soit la tentation de se laisser porter par la vie au lieu de l’orienter et de la vivre. Elle peut également être un signal d’alarme pour reprendre le contrôle de son existence et laisser résonner en son âme les questions  et les intuitions qui y sommeillent encore[94]. L’expérience du vide - qu’on l’accueille ou que l’on y résiste - permet la grâce d’une recréation et d’une restauration intérieure à condition de ne pas l’apaiser ni de l’étouffer superficiellement.

 

85. Thérèse de Jésus appelait cette étape celle des premières demeures, et Jean de la Croix, le début de la montée au Mont Carmel. Saint Jean de Dieu nous la décrit comme une expérience de mort dans un monde de mort et sans issue. Jean d’Avila, maître spirituel de notre Père saint Jean de Dieu,  la décrit comme l’étape de la non-écoute du langage du monde, du démon et de la chair (« Audi, filia », I A).

 

b) ‘L’appel’ et les appels tout au long de sa vie : « Ecoute, mon fils »

 

86. Quand la personne ne se replie pas sur elle-même, elle découvre le dessein mystérieux de sa vie, alors elle devient capable d’écouter la voix de Dieu et d’expérimenter le dynamisme de l’Esprit qui la conduit vers ‘l’inconnu’. L’expérience d’une vocation a été comparée à une séduction ou à une attraction irrésistible. Jésus, le Fils de Dieu vient à notre rencontre, il barre notre route et nous invite à changer notre itinéraire afin de le suivre.

 

87. L’appel  survient d’abord d’une manière presque imperceptible. Les événements heureux ou les moments de découragement à la suite de frustrations ou de déceptions sont le langage utilisé par Dieu. La voix de Dieu résonne au fond de la personne en un moment concret de son existence et écarte tout ce qui l’empêche de se mettre en syntonie avec elle : « Ecoute, mon fils, tends l’oreille ». On expérimente alors la séduction d’un style de vie  qui manifeste l’amour de Jésus de Nazareth pour son Père et pour ses frères, les hommes, que celui-ci corresponde à ses aspirations les plus profondes ou  s’y oppose diamétralement. On comprend alors l’urgence de changer de vie, de rompre avec la monotonie répétitive des pratiques chrétiennes grâce auxquelles on espérait inconsciemment  se gagner la bienveillance de Dieu.

 

88. La séduction du Mystère ne se passe pas toujours dans des milieux de pure transcendance, d’isolement ou de prière intime avec Dieu. Cette séduction s’exerce - comme c’est d’ailleurs souvent le cas dans la vie de Jean de Dieu - dans la rencontre avec les crucifiés du monde, les exclus, les méprisés. En eux, on découvre le visage de Dieu et son appel se fait encore plus pressant et incontournable. Dans le visage des défigurés, on découvre la présence du Transfiguré.

 

89. L’appel est une étape qui nécessite le discernement, l’accompagnement spirituel, la réponse à de nombreuses questions. Les maîtres spirituels nous parlent du « début du chemin » ou de la troisième demeure. Il faut néanmoins faire un grand effort d’ascétisme pour adapter sa vie à celle que Dieu nous propose.

 

90. De ‘nouveaux appels’ surgissent tout au long de notre vie permettant d’approfondir et de consolider le premier. Alors nous découvrons une nouvelle orientation ; nous nous sentons appelés à changer notre mode de penser (metanoia), nous éprouvons le besoin d’être envoyés vers de nouvelles frontières de mission. Répondre aux injonctions de Dieu dans de telles circonstances,  est tout aussi important qu’à l’origine de notre appel. Sans réponse de notre part, le cheminement spirituel s’enlise.

 

91. Pour accéder au cheminement spirituel, il faut un appel mais celui-ci doit s’accompagner d’une réponse. Cette dernière  prend corps avant tout dans la prière et dans l’obéissance empreinte d’humilité et d’esprit de service. Saint Jean d’Avila demandait ‘ d’écouter tout d’abord la Parole de Dieu…car Dieu seul est toute la Vérité’ (Audi, Filia, I,B)1), ‘pour la foi’ (Audi, Filia, I.B),2).

 

c) Conversion et consécration

 

92. Celui qui se sait appelé par Dieu, invité  à suivre l’exemple de Jean de Dieu et qui répond positivement connaît une transformation intérieure mystérieuse et graduelle. Habité par l’Esprit et comme consacré, il adopte un style de vie dépouillé et de renoncement de soi.

 

93. Dieu nous parle, comme il l’a fait à Jean de Dieu, dans les cris que nous lancent les pauvres, les malades et toutes les victimes de l’injustice. L’amour compatissant et miséricordieux, l’accueil, la bienveillance, le sens de la solidarité et de la fraternité s’éveillent  et s’incrustent en nous. Nous modifions notre échelle de valeurs. Au moment de nous consacrer dans l’hospitalité, l’Esprit Saint nous rend capables ‘de manifester dans notre vie l’amour particulier du Père envers ceux qui souffrent et de continuer à notre époque le style de vie de Jésus de Nazareth, en vivant la chasteté, la pauvreté, l’obéissance et l’hospitalité et en coopérant à la mission de l’Eglise, en servant Dieu dans l’homme qui souffre.’ (Const. 1.d ; 2b ; 7b).

 

94. Cette action transformatrice de l’Esprit est célébrée et accueillie au cours de la célébration liturgique de notre profession religieuse (Cf. ET. 47 ;Const.9a).  Nous reconnaissons ainsi que Dieu nous consacre dans tous les événements de notre vie.

 

95. Il ne suffit pas de participer aux rites de la consécration, nous devons nous laisser consacrer. Alors seulement Dieu accomplit tout le reste. Nous passons par une étape mystique dans laquelle Dieu, par la médiation de Jésus et de l’Esprit, devient le grand protagoniste de la vie de son élu. Les maîtres spirituels définissent cette étape comme les quatrièmes demeures, comme la transition d’une étape ascétique vers une autre plus mystique. Jean de Dieu n’a pas connu cette étape dans un isolement contemplatif mais dans la contemplation mystique au sein d’une action caritative, miséricordieuse et hospitalière. Il s’est senti consacré par l’Esprit dans son contact avec la misère humaine. Nous devons suivre ce même chemin de consécration permanente. Saint Jean d’Avila enseigne comment l’écoute de la voix de Dieu introduit le croyant dans une nouvelle vision. Il s’incline devant la volonté du Seigneur qui le presse à partir et à oublier ce monde mauvais jusqu’à et y compris, la maison paternelle. (Audi, Filia, II-V).

 

d) Identification mystique avec Jésus, pauvre, marginalisé et souffrant

 

96. Le cheminement dans les voies de l’Esprit a pour objectif l’identification avec le Christ. Il ne prend jamais fin en cette vie. Les dernières étapes nous placent devant une transformation ou une transfiguration toujours plus intense. Elle peut être décrite comme ‘mariage mystique’, une symbiose authentique : « Ce n’est plus moi qui vis mais le Christ qui vit en moi » (Gal, 2,20). L’Esprit se manifeste et agit en nous en tant qu’Hospitalité ; Il nous configure au Christ compatissant et miséricordieux de l’Evangile pour maintenir sa présence vivante dans le temps. (Const. 2)

 

97. Ces dernières étapes de la vie spirituelle nous permettent de découvrir le potentiel secret de notre vie qui dépasse toute imagination et tout  désir. Qui renonce à aller jusqu’au bout se sentira frustré. Les Maîtres spirituels désignent ces étapes  sous le nom de ‘dernières demeures’ ou ‘arrivée au sommet de la montagne’ ou ‘le moment où Dieu se sent prisonnier  de l’ âme du croyant’ (Audi, Filia, VI).

 

  1. Participer au cheminement du Peuple de Dieu

 

98. Notre cheminement spirituel charismatique, communautaire et personnel s’inscrit dans le grand cheminement spirituel du Peuple de Dieu, l’Eglise. Le cycle sacramentel et liturgique le révèle d’une manière exemplaire. C’est aussi notre cheminement. Le cycle de l’année liturgique est le contexte général de notre itinéraire spirituel. Tout au cours de son déroulement, nous entrons en contact avec la totalité du message révélé. La lecture suivie que nous propose notre Mère l’Eglise, jour après jour, au fil des semaines, constitue le meilleur aliment spirituel, le meilleur guide dans les voies de l’Esprit.

 

99. Le Concile Vatican II nous rappelle que « La liturgie est  le sommet auquel tend l’action de l’Eglise et en même temps la source d’où découle toute sa vertu…C’est donc de la liturgie , et principalement de l’Eucharistie, comme d’une source, que la grâce découle en nous et qu’on obtient avec le maximum d’efficacité cette sanctification des hommes dans le Christ, et cette glorification de Dieu que recherchent comme leur fin, toutes les autres œuvres de l’Eglise »[95]. Dans le contexte du cycle liturgique : la célébration quotidienne de l’Eucharistie

  • nous incorpore au sacrifice de Jésus et au culte qu’Il offre au Père (Const. 7c) ;
  • elle exprime et réalise notre mission en tant que famille hospitalière [96]; l’amour de Jésus, présent dans l’Eucharistie, renouvelle notre esprit hospitalier (Const. 30).
  • La réserve eucharistique et la présence de Jésus dans nos tabernacles transforment nos communautés en d’authentiques écoles d’hospitalité[97]. Notre hospitalité eucharistique est la source de notre hospitalité charismatique. Notre hospitalité charismatique vivifie et renforce l’hospitalité eucharistique que nous exprimons dans la célébration quotidienne de l’Eucharistie et dans l’accueil recueilli de la présence réelle du Seigneur dans nos oratoires.

 

100. Pendant les temps de pénitence prescrits par l’Eglise, comme lors des célébrations communautaires et personnelles de réconciliation, nous célébrons la Miséricorde de Dieu. Nous reconnaissons notre collaboration et participation au mal, nous nous ouvrons à Dieu et à la communauté et accueillons la grâce qui transforme tout. Le Sacrement de la Réconciliation se situe au centre de notre spiritualité qui préconise la miséricorde,l’accueil inconditionnel et hospitalier de l’autre.

 

101. Le sacrement de l’onction des malades a toujours occupé une place privilégiée dans notre service pastoral. Jean de Dieu y veillait avec grande sollicitude. La tradition de l’Ordre l’a maintenu comme une manifestation d’amour authentique envers le malade. Notre Mère l’Eglise nous offre la possibilité de célébrer la proximité miséricordieuse et transformatrice de Jésus dans le sacrement de l’onction des malades. La célébration communautaire de ce sacrement – que nous soyons les sujets de la célébration ou membres de la communauté qui le célèbre – nous permet d’expérimenter la présence réelle et thérapeutique de notre Seigneur Jésus dans le monde de la maladie et de la souffrance. Participer à la prière et à l’onction de l’Eglise en faveur des malades constitue un des moments forts de notre croissance spirituelle comme Frères hospitaliers.

 

102. L’office divin auquel nous participons régulièrement nous unit intensément au Peuple de Dieu. La prière des psaumes, l’écoute de la Parole, plus efficace qu’une épée à double tranchant, guide notre vie de manière infaillible sur les voies du Seigneur. C’est la raison pour laquelle nous ne  pouvons pas nous dispenser de ce rythme vital. Quand nous participons à la prière de l’Eglise, nous entrons aussi en communion avec l’humanité et plus particulièrement avec les hommes et les femmes qui souffrent, l’Eglise de la souffrance. Il est important de reprendre conscience de cette dimension de notre spiritualité. Nous sommes la voix qui bénit, loue, rend grâces et supplie le Dieu de la vie et le Père de miséricorde au nom de ceux qui sont dans l’impossibilité de le faire personnellement ou qui ne connaissent pas le bonheur de la filiation divine.

 

  1. Participer au cheminement spirituel de l’Ordre

 

a)Transmission charismatique

 

103. Notre chemin spirituel est celui de l’Ordre et celui des communautés auxquelles nous appartenons. La spiritualité prend corps grâce à un processus de transmission, de contagion, de communion. L’importance de la communauté, de l’Ordre (présent et passé) en tant qu’école de spiritualité est indéniable. Nous partageons le charisme de l’hospitalité dans une communauté de Frères, réunis par le Seigneur Jésus  pour marcher ensemble vers le Père et manifester le Royaume de Dieu dans le monde de la santé (Const. 26a). Entrer dans la communauté de l’Ordre signifie s’insérer dans une grande tradition spirituelle et s’y engager avec une  fidélité créatrice pour que l’Esprit stimule, par notre intermédiaire, le don de l’hospitalité chez ceux qui en sont dépositaires.

 

104. Dans un tel contexte les Frères et les Institutions plus anciennes acquièrent un relief particulier. Ils sont les témoins, les ministres d’une tradition spirituelle. Leur contact stimule la vie. Leur présence et leur influence sont particulièrement importantes là où existe, en raison de la jeunesse des Frères, le danger de se couper de leurs origines. Il revient aux Frères aînés et à ceux qui ont été formés au sein de la grande tradition d’exercer une fonction de paternité charismatique.

 

b) L’amour fraternel

 

105. Nous sommes invités à nouer des liens de fraternité en suivant l’exemple de Jean de Dieu. Une des conséquences les plus

négatives de la sécularisation est la perte d’identité sociale du religieux dans nos sociétés. Nous devenons des marginalisés dans la mesure où la société ne reconnaît plus notre rôle de consacrés. L’être humain a besoin  de se sentir encadré, accepté par ses semblables. Si ceci fait défaut, il doit trouver un groupe d’appartenance permettant de nouer de solides relations primaires qui lui assurent le soutien social nécessaire pour renforcer sa propre identité. Pour nous, la communauté dans laquelle nous vivons est ce lieu. Toutefois, si celle-ci par excès d’individualisme spirituel n’assure pas cet appui, il n’est pas étonnant que certains de ses membres recherchent ailleurs ou privatisent cette dimension. Ils s’efforcent alors de s’identifier à leur travail, (infirmier, assistant social…), réduisent l’appartenance à leur communauté à la tâche qu’elle réalise et s’identifient non pas à ce qu’elle est mais à ce qu’elle fait. 

 

106. Le don de l’hospitalité rend tout d’abord capable de vivre et de manifester des attitudes d’accueil, de compréhension, de bienveillance  dans sa propre communauté (Const. 36b). En vertu de la miséricorde que nous avons expérimentée dans notre vie, nous  valorisons nos Frères, dépositaires du même don. Nous développons les liens de communion que l’Esprit nous inspire pour témoigner que des différences d’âge, de culture et de race se relativisent quand les relations se basent sur le respect et l’acceptation de l’autre tel qu’il est.

 

107. Le témoignage de la vie fraternelle en communauté,tel que le souhaitait Jésus, conserve toute son actualité.  Il est une invitation à croire en Lui, l’envoyé du Père. Il manifeste que nous sommes ses disciples (Cf. Jn 13,35 ; 17, 21 ; Const. 26b). Ce témoignage - toujours perçu comme une valeur évangélique – est compris  par la société dans la mesure où nous sommes capables de nous aimer et de vivre comme des frères. « La communion fraternelle, avant d’être un instrument pour une mission déterminée, est l’espace théologal dans lequel on peut expérimenter la présence mystique du Seigneur ressuscité ». (Cf. Mt 18,20 ; VC 42).

 

c) Partager l’expérience de Dieu et discerner sa volonté en communauté

 

108. La communauté de l’hospitalité miséricordieuse est le cadre idéal pour vivre  notre spiritualité. Elle est et doit être biocénose, biotope, lieu de vie et de croissance existentielle . La communauté sera ‘école de spiritualité’ dans la mesure où nous reconnaissons que notre expérience personnelle de Dieu est la raison fondamentale qui nous invite à nous connaître et à vivre ensemble. Nous apprécierons alors que « la communauté est le lieu privilégié où l’expérience de Dieu doit pouvoir être atteinte en plénitude et  communiquée aux autres » (Const. 27 ; cf. DCVR 15). Nous devons nous efforcer de surmonter l’individualisme dans la vie intérieure, promouvoir la communion dans l’esprit et les partages de foi ;  parler des difficultés rencontrées et des moyens de mieux vivre sa foi ; nous engager et nous efforcer de cheminer ensemble, dans le dialogue, la correction fraternelle et la communication de l’expérience de Dieu.

 

109. Les célébrations liturgiques, la prière et les réunions communautaires constituent des moments où, guidés par l’Esprit et situant le Christ au centre de nos assemblées, nous pouvons et devons partager notre foi, revoir et évaluer notre vie, rechercher et accueillir la volonté de Dieu sur la communauté et sur chacun de nos Frères (Cf. Const. 38,3) .

 

110. Une communauté hospitalière est clairement invitée à être experte en discernement spirituel. C’est probablement un des aspects que nous devrons travailler davantage dans l’avenir. Le discernement des esprits dépasse l’entendement intellectuel.  Personne ne peut se sentir supérieur à autrui dans ce domaine. Lors d’un discernement, la communauté se situe humblement devant Dieu dans le désir de découvrir sa volonté. Ceci exige prière, écoute de Dieu et des Frères, conscience que Dieu révèle habituellement ses mystères aux plus petits, les simples, les pauvres et les jeunes.

 

d) Une communauté en mission

 

111. L’hospitalité, la mission de l’Ordre, est au centre de sa vie et s’incarne dans la communauté locale. Communion et mission ont besoin l’une de l’autre et se complètent mutuellement. (Cf. Const. 41a ; 43c).

 

112. Nous n’agissons pas à titre individuel, c’est la communauté qui nous envoie et nous soutient. Elle nous confirme dans notre identité de Frères de saint Jean de Dieu (Cf. Const. 43c). Tous les Frères s’engagent dans la communauté pour annoncer l’évangile aux pauvres et aux malades. Certes, tous ne peuvent pas se consacrer directement à leur service mais tous soutiennent et participent à celui des autres. Ces derniers se sentent appuyés et encouragés par ceux qui, en raison de leur âge, des infirmités ou de leur fonction,  ne peuvent accomplir un travail professionnel.  Ce sentiment de communion dans la mission doit toujours se cultiver et se vivre surtout dans les communautés où l’âge avancé des Frères et les législations en vigueur ne leur permettent plus de travailler officiellement au service des malades et des nécessiteux.

 

113. Nous avons été convoqués pour constituer une communauté de vie apostolique (Cf. Const. 5b ; cf. Mc 3, 13-14). Notre communauté trouve toute sa raison d’être dans la mission. (Const. 41a) C’est là que les fruits de la rencontre avec Dieu et avec les Frères se révèlent. Dans la mission, la transfiguration de notre identité de croyants devient visible. Là  se manifeste en nous le Christ compatissant et miséricordieux de l’Evangile. En nous et par nous Il accueille les malades et les nécessiteux et se consacre entièrement  à leur service. (Const. 2c ; 5a). Aucune des dimensions de notre vie, prises séparément ne peut définir notre identité. Cette transformation est le fruit de l’Hospitalité (Const. 2b). La vie apostolique ne peut se dissocier de la prière et de la vie fraternelle en communauté. Croire que seuls l’activité apostolique et le travail accompli nous transforment en présence du Christ est inacceptable. L’Hospitalité fait de nous des apôtres. Nous le sommes quand nous travaillons professionnellement et même quand, pour des raisons de santé ou autres, nous ne pouvons plus rester au chevet des malades ou des pauvres pour les soigner et les servir. Nous sommes hospitalité. Ce fait inspire  tous nos gestes et toutes nos activités.

 

114. Les activités apostoliques ne supposent pas un arrêt de la vie communautaire (Const. 43c). Celle-ci s’affirme au contraire dans la dispersion de ses membres pour des raisons de service. Notre spiritualité exige que nous soyons conscients des liens qui nous unissent quand nous sommes éloignés. Même de loin nous devons prendre part au programme spirituel de notre communauté. Nous ne devrions jamais nous sentir seuls. S’insérer au milieu des gens est une manière de vivre la dispersion apostolique dans l’hospitalité. Cette expérience de vie communautaire nous prouve que notre communauté existe pour les autres et non pour nous-mêmes. (Const. 5b ; 41a).

 

e) Une communauté ecclésiale

 

115. Nous formons des communautés qui appartiennent à la grande communauté qu’est l’Eglise ainsi qu’aux Eglises particulières avec leurs pasteurs respectifs. Ne l’oublions jamais. Pour cette raison, laissons-nous guider par ses orientations spirituelles, son magistère et l’action de l’Esprit qui se manifeste en elle. Nous collaborons à sa mission pour annoncer le Royaume (Const. 1d ;5a ;41a) et sommes conscients que sans le service caritatif et la mission de guérison l’Eglise de Jésus serait incomplète. Les œuvres apostoliques de l’Ordre doivent être des lieux où l’on confesse, proclame et pratique publiquement la charité chrétienne à l’instar de la paroisse où l’on confesse et célèbre publiquement sa foi[98].

 

116. La communion avec l’Eglise confirme, dans le Frère, sa vocation d’exercer, « un sacerdoce compatissant et miséricordieux » (Cf. Const. 7c ; 30b) en suivant l’exemple de Jésus. Au sein du peuple qui souffre, il offre au Père le culte de l’oblation de sa propre vie,  celle des pauvres et des malades. Il est le prophète du Dieu de miséricorde qui descend dans le monde des pauvres pour leur exprimer son amour et dénoncer les injustices sociales  et structurelles. Le Frère incarne dans l’Eglise le commandement de Jésus qui a manifesté son amour jusqu’à la fin et s’est abaissé devant ses disciples en leur lavant les pieds. Jésus demande de pérenniser ce geste d’hospitalité et de service pour que sa présence dans l’Eucharistie ne soit pas un rite répétitif mais un mémorial du don qu’il a fait de lui-même pour donner la vie et placer les hommes, ses frères, au même plan de dignité de vie  (Cf. Jn 13, 1-17 ; Lc22, 17-21).

 

  1. Notre cheminement spirituel personnel

 

117. Partager le cheminement du peuple de Dieu ne suffit pas. Tout être humain est unique. Tout cheminement spirituel comporte une dimension individuelle dont chacun de nous doit assumer seul la responsabilité.

 

a)La prière personnelle comme médiation de spiritualité

 

118. « La principale source de notre mission est l’amour miséricordieux du Père.(Cf. 1Jn 4, 10-11) Personnellement et en communauté nous devons favoriser, dans le dialogue de la prière, l’intégration entre la vie intérieure et l’activité apostolique, pour pouvoir vivre l’amour de Dieu en syntonie avec l’amour du prochain ». (Const. 28a). Dans la prière, Jésus veut réaliser avec nous des merveilles de miséricorde (saint Benoît Menni). Il se penche sur notre faiblesse, nous regarde avec une tendresse infinie, nous accueille avec tout son amour. C’est ainsi qu’il  s’est penché au chevet des malades, qu’il a regardé les enfants et les pécheurs, qu’il a accueilli Marie-Madeleine, Zachée et Pierre. Au cours de la prière, nous sommes invités à nous laisser regarder par Jésus. Nous devons permettre que la lumière de sa vie illumine notre esprit et notre cœur afin de discerner quelle est la volonté de Dieu sur nous en tout moment et la suivre avec une docilité filiale.

 

119. Dans la prière personnelle le Frère découvre la vérité et le dynamisme de son cheminement par rapport à la vie dans l’Esprit. La rencontre amoureuse et régulière avec le Dieu Trinité devient toujours plus intense et plus longue au point d’en arriver à prier sans cesse. La qualité du dialogue interpersonnel avec Dieu indique jusqu’où l’Esprit s’empare de nous. Il est vrai que nous ne savons pas prier comme il faut mais l’Esprit vient à notre secours (Rom 8, 26-27). Il guide nos progrès dans la prière. Ses inspirations nous surprennent. Quand les soucis du quotidien  et le travail ne permettent pas l’épanouissement de notre vie de prière, notre cheminement spirituel s’arrête et régresse.

 

b) Un projet personnel de spiritualité

 

120. Chaque Frère doit élaborer son cheminement spirituel à l’intérieur d’un projet de vie personnel. Il doit en faire l’objet d’un discernement sérieux avec son maître ou son accompagnateur et, dans la mesure du possible, en faire part aux Frères de sa communauté.

 

121. Le projet de vie personnel devient ainsi l’expression de sa réponse à sa vocation. Il doit la réactualiser chaque jour ; c’est

la meilleure preuve qu’il assume la responsabilité de sa vocation et qu’il est prêt à la traduire à tous moments dans des gestes concrets. Pour appartenir à la famille de Jésus et être Frères, nous ne pouvons nous limiter à l’écoute de la Parole ; nous devons aussi la mettre en pratique.

 

122. Notre projet de vie est une réponse à l’Alliance de Dieu et met l’accent sur le Royaume de Dieu qui vient. La chasteté, la pauvreté, l’obéissance et l’hospitalité qui caractérisent notre engagement dans le cadre de l’Alliance de Dieu avec son peuple acquièrent tout leur sens dans le contexte du Royaume de Dieu et de la sequela Christi. Par la pratique de ces conseils évangéliques, l’Esprit nous stimule à être des prophètes qui dénoncent l’injustice, la discrimination, l’oppression et la violence. Les charismes dont l’Esprit nous a pourvus pour une vie d’hospitalité se développent dans la mesure où nous vivons notre mission avec zèle et passion. Nous nous insérons toujours plus dans l’histoire du peuple que nous  servons et nous aimons en nous identifiant avec les plus démunis de la terre.

 

123. La disponibilité est un élément essentiel de ce projet de vie personnel. Etre disponible à tout moment comme Frère de saint Jean de Dieu est l’expression par excellence de notre spiritualité hospitalière. Celle du don de soi, du service permanent, de l’accueil sans réserve. C’est la piste qui conduit aux cimes de l’amour et qui, comme ce fut le cas pour Jésus et Jean de Dieu, s’épanouit en venant au secours des misères  les plus profondes de la fragilité humaine. Nous devenons solidaires  des angoisses et des espérances des hommes en nous consacrant à l’assistance de celui qui souffre avec les gestes et les attitudes caractéristiques du Frère de saint Jean de Dieu : service humble, patient et responsable ; respect et fidélité à l’égard de la personne ; compréhension, bienveillance et abnégation. (Const. 3b)

 

c) Contemplatifs dans la mission

 

124. L’apostolat n’est pas seulement un acte extérieur. Il représente le caractère sacré de la mission de l’Esprit et du Seigneur Ressuscité. Ceci exige la capacité d’intégrer la vie intérieure à l’activité apostolique ( Cf. Const.28a ; 103a). Dans la mission nous sommes sans cesse avec le Christ, unis à Lui d’une façon toute spéciale. Il est bon de se souvenir qu’un « danger constant qui guette les ouvriers de l’évangile est de se laisser tellement prendre par leur apostolat pour le Seigneur qu’ils en oublient le Seigneur de tous les apostolats ». (Jean-Paul II). Une des étapes particulièrement importante de notre spiritualité est la préparation au service caritatif. Nous reprenons alors conscience que c’est Jésus lui-même que nous servons dans la personne des plus démunis. La mystique de l’hospitalité nous stimule à vivre dans une attitude contemplative. Nous avons le privilège de pouvoir contempler en permanence le Christ : les petits – tout être humain est petit et faible – sont les icônes vivantes de Jésus. S’approcher d’un corps pour le soigner, comme le faisait Jésus, pour lui rendre sa dignité et le transformer en un lieu d’expérience religieuse et chrétienne, est essentiel pour nous.

 

125. La fécondité de notre apostolat acquiert une vigueur nouvelle quand nous nous sentons solidaires de ceux qui souffrent, conscients que notre amour miséricordieux à leur égard n’est pas un don unilatéral. (Const. 42c). L’apostolat hospitalier est source de spiritualité. Par son action évangélisatrice, le Frère est à son tour évangélisé. Les autres nous révèlent Dieu, en particulier ceux qui ont besoin de notre aide. En eux, Dieu se fait plainte, prière, gratitude… et nous invite à écouter et à discerner ses messages. L’émigré, le malade  sont cet ‘autre’. L’Esprit s’incarne en eux et  veut nous surprendre. Découvrir les valeurs présentes dans les différents groupes sociaux et permettre qu’elles nous  interpellent et nous enrichissent  est source de spiritualité. Ses répercussions, comme l’Esprit, sont imprévisibles.

 

126. L’apostolat hospitalier est un authentique creuset d’humanisation. Il nous stimule à grandir en tant que disciples de Jésus de Nazareth qui a rendu au genre humain le visage que le Père avait conçu dès l’origine. Nous nous humanisons dans la mesure où nous nous purifions de tout égoïsme et que nous devenons plus solidaires. Alors notre accueil, notre  compréhension, notre service et notre  dévouement se transforment  en d’authentiques gestes de miséricorde et de sollicitude. Dans sa faiblesse le malade n’est pas seulement un destinataire mais un agent de compréhension et d’amour. C’est notre ‘université’ (P.Marchesi) qui nous aide à acquérir la vraie science, l’authentique sagesse de l’art de vivre, sans qu’il soit besoin de théories. Nous partageons cet apostolat avec les personnels de la santé et avec tous ceux qui travaillent à un titre ou l’autre dans les œuvres de l’Ordre. Sans cesse nous devons revoir nos attitudes et nos motivations afin de vérifier si celui qui souffre est vraiment au centre de notre activité et de toutes nos préoccupations (Const. 103b) , si nous consacrons tous nos talents et nos énergies au service de Dieu dans la personne des malades et des nécessiteux (Const. 22b ; 1d),  si, personnellement et communautairement, nous sommes un guide moral, une conscience critique, si  nous sommes capables de créer [99]-  nous parlerions aujourd’hui de refondation [100]– un style d’hospitalité fidèle à celui de Jean de Dieu,  si nous maintenons son esprit vivant et si nous le promouvons (SG 127b) , si nous vivons en nous identifiant à un tel point à la mission que nos collaborateurs se sentent motivés à faire de même (Const. 23a). Nous nous sommes engagés, avec tous ceux qui travaillent avec nous, à promouvoir les valeurs de la personne et à contribuer au développement de ce que nous appelons désormais ‘une culture de l’hospitalité’.

 

 

d) Dimension corporelle de notre spiritualité

 

127. L’incarnation du Verbe se poursuit dans le temps et devient réalité dans la personne du Frère ou dans celle du malade ou du pauvre qu’il sert. La corporéité est la médiation indispensable à toute relation humaine et fait partie du processus spirituel. Notre corps est le temple de l’Esprit et membre du corps du Christ. Sa mission est de glorifier Dieu. Toute notre histoire est inscrite dans notre corps. Il garde nos souvenirs les plus profonds. Le corps est le lieu de notre aventure existentielle. Il a une vocation eucharistique. Il tend à se convertir en un corps totalement donné comme celui de notre Père Jean de Dieu. La vertu de chasteté, vécue comme Frères Hospitaliers, est semence de fécondité personnelle. Dans l’apostolat nous accomplissons la mission de servir et de favoriser la vie et nous affirmons la dignité et  la valeur du corps (Const. 10d).

 

128. L’unité psychosomatique nous révèle qu’il ne peut y avoir de spiritualité sans passer par le corps, ni de culte du corps sans déboucher sur l’esprit. L’interrelation entre l’équilibre psychosomatique et la vie spirituelle est indéniable. Assurer et cultiver un équilibre corporel est fondamental. La paix, la sérénité intérieure, l’affection et la délicatesse se transmettent par les sens. Jésus imposait les mains sur les malades quand il les guérissait (Lc 4,40)[101] .

 

e)Vigilance et ouverture à l’Esprit

 

129. Nous voulons toujours et partout rester attentifs à l’action de l’Esprit. Cette vigilance nous mènera parfois à vivre notre spiritualité dans des situations  d’oppression[102]. La passion plus que l’action caractérise alors notre  mission.  Dans les contextes où le dialogue interreligieux est impératif nous sommes des humbles  témoins de notre Seigneur Jésus, serviteur de tous, Corps livré pour nous. Nous découvrons chez les laïcs et en communion avec eux, force et soutien pour persévérer dans notre engagement ‘ad vitam’ et être des artisans de justice et de paix dans les situations difficiles et conflictuelles.

 

  1. La formation comme cheminement de spiritualité

 

130. ‘L’initiation charismatique’, condensé du cheminement spirituel, se fait au cours des premières années de la vie dans l’Ordre. La formation permanente qui se poursuit tout au long de la vie approfondit cette première étape[103].

 

a)Première étape :initiation charismatique

 

131. Pendant les premières années de vie religieuse, le Frère apprend les rudiments de la vie qui sera la sienne : il étudie, se familiarise avec la prière et la méditation, en un mot il acquiert les pratiques nécessaires pour devenir un bon religieux. C’est le stade des ‘aspirations idéales’ – de sainteté, de communauté, d’incarnation dans le monde[104]. C’est l’époque d’une perception critique des autres, de ceux qui n’ont pas été à la hauteur de leur idéal. Lui, par contre, agira différemment parce qu’il pratiquera ce qu’il sait et sent. C’est la phase où la réalité est perçue avec « les yeux des méthodes », c’est-à-dire à travers la lorgnette d’une méthodologie qu’il s’approprie progressivement.  Nous ne nous adaptons pas à la réalité telle qu’elle est. Nous n’entrons pas en contact avec la réalité elle-même mais avec l’idée que nous nous en faisons. Il n’est donc pas étonnant qu’au fur et à mesure que nous entrons dans la vie réelle, nous constatons que l’idéal rêvé ne correspond pas au vécu quotidien. Les frustrations et les déceptions peuvent servir d’école ‘d’incarnation’ à partir de l’expérience et de l’acceptation de sa propre fragilité, de l’incohérence de nos idées,  des limites et richesses des autres, des structures[105].

 

132. Des expériences semblables se répètent dans l’apostolat quand arrive le moment de quitter son travail pour des raisons de santé ou d’âge. Ces moments de crise sont des invitations à prendre du recul, à s’appuyer sur  la force de l´hospitalité pour redécouvrir que nous avons été appelés et consacrés pour être hospitalité et annoncer le Royaume en suivant l’exemple de Jésus (Const.21) qui a connu l’échec, la souffrance, l’angoisse, la faiblesse, l’abandon, la croix et la mort ;  pour comprendre et être capable de compatir et de libérer ceux qui souffrent et meurent dans l’abandon (Cf. Heb 2, 14-18)[106]. 

 

b) Deuxième étape :insertion et responsabilité dans la mission

 

133. Après l’étape de formation initiale, le Frère s’insère totalement dans l’apostolat. Passer d’une vie protégée et guidée à une autre chargée de responsabilités opérationnelles exige un accompagnement particulier et intense pour apprendre à vivre pleinement la fraîcheur de l’amour et l’enthousiasme pour le Christ[107].

 

134. Faute de résultats,  l’âge moyen nous fait courir le risque de  la routine et du découragement  . Le moment vient alors  de revoir, à la lumière de l’Evangile et de notre charisme, l’origine de notre vocation et de notre premier amour.  Nous acquérons ainsi un nouvel élan et de nouvelles raisons de persévérer dans la voie choisie. Au cours de cette période, l’accent est mis sur l’essentiel[108].

 

135. L’âge mûr nous expose au piège de l’individualisme, d’une certaine fermeture ou d’un laisser aller. Si nous poursuivons notre cheminement spirituel nous pourrons potentialiser notre énergie vitale, nous purifier et  nous livrer dans une oblation généreuse. Cette étape nous offre la possibilité de mûrir dans le don et l’expérience de la paternité spirituelle[109].

 

c) Troisième étape : les limitations augmentent

 

136. La vieillesse se caractérise par un éloignement graduel du monde du travail. Bien qu’elle s’accompagne souvent de grandes souffrances, c’est une période qui donne au Frère la possibilité de se laisser modeler par le mystère pascal. La mission prend alors les couleurs de la passion qui nous identifie à la passion du Seigneur. L’itinéraire mystérieux de spiritualité, entrepris longtemps auparavant, se réalise alors dans toute sa plénitude. La mort est attendue et préparée comme un acte d’amour suprême et de don total[110].

 

d) Les moments forts

 

137. Indépendamment de ces étapes, toute  vie doit à certains moments faire des choix décisifs. Des facteurs externes comme  un échec, un événement historique ou des facteurs internes comme une maladie, une dépression, un deuil, une amitié, une crise de foi ou d’identité peuvent provoquer d’incroyables tensions. La vie semble alors basculer et se briser. L’accompagnement spirituel[111], la prière, l’affection des Frères, la présence des amis jouent un rôle crucial à ces moments. Le Frère peut alors redécouvrir le sens de son alliance avec Dieu, la primauté et la fidélité de Dieu. L’épreuve est un instrument providentiel de l’Esprit pour grandir et progresser en tant que disciple du Christ crucifié et s’identifier à lui[112]. 

 

 

CONCLUSION

 

138. Quand nous laissons la soif de spiritualité qui nous habite   monter à la surface, nous devenons attentifs aux surprises de l’Esprit. Quelque chose de neuf naît en nous, nos déserts fleurissent, nous étanchons notre soif. Nous nous transformons en  messagers joyeux de la Bonne Nouvelle, de la Miséricorde et de l’Hospitalité. Nous sommes la parabole d’un monde nouveau au sein de la souffrance et de la marginalisation.

 

139. Le peuple de Dieu et toute la société ont besoin de notre témoignage. Celui-ci doit humaniser en mettant l’accent sur la force spirituelle qui nous vient de Dieu et de son peuple saint. Dans la mesure où nous nous sentons pleinement membres de l’Eglise, du peuple de Dieu et de l’humanité, nous développons en nous une spiritualité qui devient de plus en plus profonde et pertinente. Nous sommes invités à vivre notre spiritualité en partageant notre don et en acceptant celui des autres.

 

140. Prophètes de Miséricorde, inspirés par l’esprit de saint Jean de Dieu, nous accueillons l’invitation que nous adresse Jean-Paul II au début de ce IIIème millénaire dans son encyclique Novo Millenio Ineunte : « ‘Duc in altum’ ! Avançons avec espérance »[113]. Que le Christ Jésus, notre espérance (1 Tim 1,1), soutienne notre fidélité dans notre mission prophétique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIERES

 

INTRODUCTION

 

1.      Le changement d’époque

2.      L’Eglise et l’Ordre dans ce contexte

 

    1. LA MEMOIRE : LES ORIGINES CHARISMATIQUES

 

1.      Le cheminement spirituel de saint Jean de Dieu

a)     Le vide : faire place à la grâce – première étape

b)    L’appel : se mettre définitivement au service du Seigneur - deuxième étape

c)     La conversion : transformé par la Parole de Dieu – troisième étape

d)    Identification : pauvre comme Jésus et comme les pauvres – quatrième étape

 

2.      Tradition : transmission de l’esprit de notre Père        Fondateur

a)      Père et frère dans l’Esprit : les premiers frères

b)      L’esprit hospitalier légué aux premiers compagnons

     3. L’aujourd’hui du charisme de Jean de Dieu : mission    partagée et inculturation

 

    1. LES FONDATIONS : LA MISÉRICORDE ET L’HOSPITALITÉ

1.      Hypothèse préalable : miséricorde et hospitalité, faute et violence

2.      La miséricorde

a)     Le Dieu de la miséricorde

b)    L’incarnation de la miséricorde

c)     La miséricorde dans le charisme de l’Ordre

3.      L’hospitalité

a)     Qu’est-ce que l’hospitalité ?

b)    L’hospitalité dans la Révélation

c)     L’hospitalité chez notre Père saint Jean de Dieu

d)    L’hospitalité dans les Constitutions et les documents de l’Ordre

4.      Repenser la miséricorde et l’hospitalité pour notre temps : la relation à l’autre.

a)     La relation à l’autre

b)    L’apprentissage de l’hospitalité de la miséricorde

c)     La mission de l’hospitalité et de la miséricorde aujourd’hui

 

    1. L’ITINERAIRE SPIRITUEL : PARCOURIR AUJOURD’HUI LE CHEMINEMENT SUIVI PAR JEAN DE DIEU

1.      La spiritualité aujourd’hui

2.      Le modèle de notre cheminement spirituel

a)     L’expérience du vide : se désinstaller pour renaître

b)    ‘L’appel’ et ‘les appels’ tout au long de sa vie : « Ecoute mon fils »

c)     Conversion et consécration

d)    Identification mystique avec Jésus, pauvre, marginalisé et souffrant

3.      Participer au cheminement du Peuple de Dieu

4.      Participer au cheminement spirituel de l’Ordre

a)      Transmission charismatique

b)      L’amour fraternel

c)      Partager l’expérience de Dieu et discerner sa volonté en communauté

d)      Une communauté en mission

e)      Une communauté ecclésiale

 

5.      Notre cheminement spirituel personnel

a)      La prière personnelle comme médiation de spiritualité

b)      Un projet personnel de spiritualité

c)      Contemplatifs dans la mission

d)      Dimension corporelle de notre spiritualité

e)      Vigilance et ouverture à l’Esprit

        

6.      La formation comme cheminement de spiritualité

a)      Première étape : initiation charismatique

b)      Deuxième étape : insertion et responsabilités dans la mission

c)      Troisième étape : les limitations augmentent

d)      Les moments forts

 

                 CONCLUSION

 

 

 



[1] Regla y  Constituciones para e ’Hospital de Joan de Dios de Granada (1585) Titre.1, 1º Constitution, dans Primitivas Constituciones, Madrid 1977, p.12

[2] Constituciones de 1587, Introduction, dans o.c. pp. 81-82.

[3]«  Jean de Dieu ne nous appartient pas. Il appartient à la société et à l’Eglise. Nous ne sommes pas les seuls responsables de pérenniser son esprit au cours des siècles. Toutefois, nous devons, avec l’aide de Dieu ,faire en sorte que l’Ordre continue à vivre dans l’avenir ». Fr. Pascual Pieles Ferrando, Laissez-vous guider par l’Esprit (Gal, 5,16). Lettre circulaire aux Frères de l’Ordre, Rome, 24 octobre 1996, (9.3).

[4] Cf. Déclarations du LXVème Chapitre Général (Documentation), Grenade 6 -24 novembre 2000; Charte de l’Hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu, Rome, 8 mars 2000; Frères et collaborateurs ensemble pour servir et promouvoir la vie, Madrid, 8 mars 1992; Jean de Dieu est encore vivant aujourd’hui, Madrid, octobre 1991; La nouvelle évangélisation et la nouvelle hospitalité au seuil du troisième millénaire. LXIII Chapitre Général de l’Ordre, Santa Fe de Bogota, 2 -28 octobre 1994; L’hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000, P. Marchesi, Rome, 1986; Laissez-vous guider par l’Esprit (Lettre circulaire aux Frères de l’Ordre), P. Piles Ferrando, Rome, 24 octobre 1996; L’Hospitalité au début du troisième millénaire. Réalisation de la prophétie de saint Jean de Dieu (Lettre circulaire), Rome, 2 février 2001.

[5] « L’Ordre hospitalier de saint Jean de Dieu  compte 1.500 frères, quelques 40.000 collaborateurs, employés et bénévoles et près de 300.000 bienfaiteurs et sympathisants. Il est présent sur cinq continents, dans 46 pays. Il est réparti en 21 provinces religieuses, 1 vice province, 6 délégations générales et 5 délégations provinciales pour travailler au service des malades, des pauvres et de ceux qui souffrent dans 293 œuvres. Tous, nous sommes membres d’un même corps, l’Ordre, mais nous vivons des réalités très différentes. Certains d’entre nous vivent et travaillent dans des sociétés hautement technicisées, alors que d’autres se trouvent dans des  sociétés en voie de développement. Certains vivent dans des pays où règne la paix alors que d’autres subissent la violence et la guerre ou doivent faire face aux séquelles de conflits meurtriers. Certains vivent dans un climat de liberté alors que d’autres en sont privés et se voient nier leurs droits fondamentaux. Certains se dévouent dans des activités strictement hospitalières et d’autres s’occupent davantage de questions sociales et de marginalisation. Certains offrent leur soutien pour aider à mieux vivre, d’autres accompagnent les mourants pour les aider à mourir avec dignité. Tous nous travaillons pour offrir une assistance intégrale et  holistique mais en mettant l’accent sur des domaines différents : santé physique, santé psychique ou conditions de vie dignes que ce soit dans l’hémisphère Nord ou dans l’hémisphère Sud, dans une culture occidentale ou orientale » Charte de l’Hospitalité des Frères de Saint Jean de Dieu, Fondation Jean de Dieu, Rome, 8 mars 2000, p.5 

[6] Jean de Dieu n’ignora pas que pour atteindre la plénitude il faut surmonter de nombreux écueils et être vigilant : « Allez de l’avant; de nuit et de jour, ayez le pied à l’étrier » « mais si vous courriez le risque de vous perdre en chemin » : cf. saint Jean de Dieu (SJD), Lettres, Première lettre à la Duchesse de Sessa (1DS)7, p.77; Lettre à Louis-Baptiste (LB), 6 p.29; dans J. Sanchez, Origen y camino de nuestra espiritualidad.

[7] SJD, Cartas, passim

 

[8] Pendant le siège à Fuenterrabia, Jean de Dieu se porta volontaire pour aller chercher du ravitaillement. « Il monta à cru et sans brides, une jument française prise à l’ennemi, il s’achemina vers les hameaux ou fermes avoisinantes. La jument reconnaissant les chemins où elle avait l’habitude d’aller commença à courir follement… Jean ne put la retenir et elle galopa tant et si bien qu’elle le renversa au pied de la montagne, contre des rochers. Il resta là sans connaissance, comme mort et perdant du sang…Reprenant conscience, souffrant du coup reçu lors de la chute et, non moindre péril , courant le risque d’être fait prisonnier par l’ennemi…sans aucun secours il se mit à genoux; alors levant les yeux au ciel, il invoqua le nom de la Vierge Marie…Puis faisant un gros effort sur lui-même, il se saisit d’un bâton trouvé là et s’aidant de ce support, il se mit en marche très lentement vers le camp… Ses compagnons le mirent au lit » . Francisco de Castro, Historia de la vida y sancta obras de Juan de Dios, dans Manuel Gomez Moreno, Primicias Historicas de San Juan de Dios, Madrid 1950, p.33, dans J. Sanchez, o.c.

[9] Castro, p.37

 

[10] « Il grandit dans la maison de ses parents jusqu’à l’âge de huit ans. Un clerc l’emmena à leur insu » (Castro p. 33)

 

[11] « Tout passe, sauf les bonnes œuvres…en cet exil, en cette vallée de larmes » (1DS6; 2 DS 10) « La mort en effet, pensez-y bien, détruit tout, nous dépouille de tout ce que nous a donné ce misérable monde, et ne nous laisse emporter qu’un pauvre morceau de toile usée et mal cousue » (3DS 15).

[12]  1 DS 10

[13]  2 DS 15

[14] Castro p. 41

[15] « Ne voyant pas encore le chemin que Notre Seigneur lui réservait pour le servir…il vaquait tristement à ses occupations ne trouvant ni tranquillité ni repos, perdant même l’envie de garder les moutons. » Castro p. 43

[16] Castro, pp. 44 - 47

[17] Ibid. p. 49

[18] Ibid. p. 50

[19] Ibid. p. 51

[20] Ibid. pp. 52, 53

[21] Ibid. p. 57

[22] Ibid. pp. 58,59.

[23] Ibid. p. 62

[24] Ibid. p. 59

[25] Cf. Castro, p.43

[26] Castro pp. 70,71

[27] Ibid. p. 69

[28] J. Sanchez Martinez  « Kenosis-diaconia » en el itinerario espiritual de San Juan de Dios, Jerez, 1995, p.331,441.

[29] 2 GL,5

[30] Castro, p. 84

[31] Ibid., p.73

[32] Ibid., p.84

[33] Processo de Beatificacion de San Juan de Dios L 52/1.23, f 81. Cf. J. Sanchez Martinez, « Kenosis-diaconia » p. 190-191.

[34] Ibid., L 52/1.20, f 73v

[35] Castro p. 107

[36] 1 GL,11

[37] Castro p. 84

[38] Ibid., p.84

[39] 1 DS 15. Castro affirme « qu’il avait le cœur brisé de ne pouvoir soulager les maux de ses pauvres » p. 69

[40] Castro p.  84

[41] Ibid., p.103

[42] 2 GL, 7

[43] 2 DS, 2

[44] 2 GL, 17

[45] Ibid., 8

[46] Ibid., 7

[47] Castro p.122

[48] Ibid., p.123

[49] Ibid., p.53

[50] LB, 13

[51] Ibid.,8,9

[52] Ibid., 6

[53] Ibid., 7

[54] Ibid., 9

[55] Ibid., 15

[56] Ibid., 10

[57] Ibid., 11,13, 9.

[58] Ibid., 15

[59] Cf. 1 DS, 13

[60] J. Sanchez Martinez  « Kenosis – disaconia », p. 292, 307, 393.

[61] Peu de mentions sont faites de ces premiers compagnons. Castro parle seulement d’Antoine Martin au chapitre XX de sa biographie. Par contre, ‘ Le Procès’ qui est antérieur à la biographie de Castro mentionne fréquemment des frères  portant l’habit de saint Jean de Dieu; les biographies de Dionisio Celi et d’Antonio Govea parlent de ses compagnons. Jean d’Avila, que le saint appelle Angulo dans ses lettres, mentionne le nom de quatre compagnons de Jean de Dieu : Antoine Martin, Pedro Pescador, Alonso Retingano et Domingo Benedicto.

[62] L. Ortega Lazaro, El hermano Anton Martin y su hospital en la calle Atocha de Madrid  (1500-1936), Madrid 1981, p.31. cf. 17-19.

[63] Cf. J. Sanchez Martinez « Kenosis – diaconia », TT 8/5; T 9/5; T10/5, p.346,364.

[64] Cf. J. Sanchez Martinez « Kenosis – diaconia », T11/20, p.383 On y accueillait tous les pauvres quelle que soit leur maladie sans aucune discrimination entre maures et chrétiens et sans exclure personne.

 

[65] Les premières constitutions soulignent déjà cet aspect essentiel.

[66] Comme ce fut le cas pour Jean de Dieu, nous sommes particulièrement attirés par le don total du Christ qui a livré sa vie pour nous : aussi la contemplation de la Passion du Christ, « homme des douleurs »(Is 53,3),occupe-t-elle une place de choix dans notre spiritualité (Const. 33). La tradition de l’Ordre remonte à notre Fondateur qui était très dévot de la passion du Christ. En contemplant le Christ crucifié, notre Père voyait ses souffrances mais surtout son amour infini qui l’avait poussé à les accepter au point de pardonner à ses ennemis. C’est de cet amour que Jean de Dieu parle dans sa lettre à Louis-Baptiste : « Souvenez-vous de Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa  sainte Passion. Il a rendu le bien pour le mal et ainsi devez-vous faire, mon fils Baptiste ». (n10). Jean de Dieu ne nous invite pas à imiter le Christ dans ses souffrances en menant  une vie de pénitences et de sacrifices mais bien à l’imiter dans son amour au service de ceux qui souffrent. Dans le visage déformé par la souffrance des malades, dans la vie brisée des pauvres, Jean découvre et contemple le Christ. Les servir n’est pas une croix pour Jean, ni un sacrifice mais la manifestation que l’amour de Dieu a tellement comblé sa vie qu’il ne peut s’empêcher d’aimer son prochain surtout quand il est défavorisé et sans défense.

[67] Notre spiritualité est essentiellement christocentrique. Jean de Dieu fut un amant passionné du Christ. Nous devons apprendre de lui comment centrer notre vie sur le Christ et à Le contempler dans sa manière de servir, d’aimer et de guérir les malades. Jésus de Nazareth est le Maître par excellence qui nous enseigne les gestes et les attitudes que nous devons incarner à notre tour pour continuer son oeuvre d’amour. Nous devons nous sentir émus comme Jésus devant le désarroi et la misère des gens (Cf. Mt 9,36); comme lui nous devons nous mettre à leur service pour les réconforter (Cf. Mc 6, 34-44); comme Jésus nous faisons l’expérience de la force intérieure qui se dégage de nous quand nous nous approchons des malheureux pour les soutenir (Cf. Lc 8, 40 -48) ; en contemplant Jésus qui s’identifie avec les pauvres et se charge de leurs souffrances et de leurs infirmités (Cf. Mt 8,17) nous renouvelons notre décision de consacrer notre vie au service des blessés de la vie. Comme lui nous assumons la condition du serviteur  qui livre sa vie pour défendre et promouvoir celle des pauvres (Cf. Mt 12, 15-21; 20, 28).

[68] La Vierge Marie , membre suréminent de l’Eglise et la première de toutes les personnes consacrées (Cf. VC 112) est pour nous un modèle de service au  Christ dans l’hospitalité. Jean de Dieu aimait intensément la Vierge Marie. Il la vénérait et imitait son mode de vie. Toutes ses lettres commencent par   « Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et de Notre Dame la Vierge Marie toujours pure » et souvent il la mentionne  « Plaise à Notre Seigneur Jésus-Christ que vos actions soient toutes pour son service et celui de Notre Dame la Vierge Marie » (1 GL 12). Il invoquait la Vierge en priant le chapelet et invitait ceux qu’il rencontrait à faire de même : « Le rosaire, je puis vous l’affirmer m’a toujours fait grand bien : j’espère que Dieu me fera la grâce de le réciter aussi souvent que je le pourrai et qu’il le désirera » (LB 17). Il fut capable de transmettre à ses compagnons sa confiance en la  Vierge Marie et son désir de l’imiter dans son service auprès des malades et des pauvres. En est la preuve ce passage du testament d’Antoine Martin : « Au nom de la très Sainte Trinité… et de la Bienheureuse Vierge Glorieuse, Notre Sainte Vierge Marie, sa Mère que je vénère comme patronne et avocate dans toutes mes actions….. au service de Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa glorieuse Mère ». (L. Ortega Lazaro, El Hermano Anton Martin y su Hospital en la C. Atocha de Madrid. 1550-1936, Madrid, 1981, p. 8).

Conformément  à la tradition de l’Ordre,  les Constitutions ont repris la dimension mariale de notre spiritualité : la Vierge Marie est le modèle de notre consécration à Dieu (n. 25), elle eut un sens profond de l’hospitalité …dans l’intime et fidèle amour qu’elle a manifesté à son Fils (n.42b). Son exemple nous invite à un pèlerinage dans la foi(Cf. LG 58) et à l’imiter en nous dévouant avec sollicitude au service de ceux qui souffrent en nous associant de cette manière au sacrifice de son Fils qui se prolonge dans la souffrance de l’humanité (34a; Cf. 4d). Marie, Santé des  malades et Mère miséricordieuse occupe une place particulière dans notre communauté hospitalière (42b) et dans le cœur de chaque frère. Nous voulons l’honorer et imiter sa simplicité, sa disponibilité,  son dévouement et sa fidélité à Dieu.(Cf. Const. 4c). Nous la vénérons avec un sentiment de piété filiale, célébrons ses fêtes surtout celle de son patronage spécial et la prions avec les dévotions traditionnelles en particulier  le chapelet. (Cf. Const. 4d ; 42b). La Vierge du Magnificat met en évidence un des aspects les plus évidents des notre spiritualité : notre Dieu  miséricordieux accomplit ses promesses de libération. Il élève les petits et les humbles et renverse les puissants qui les oppriment. Comme Marie, nous sommes invités à nous sentir en communion et en solidarité  avec eux et à vivre l’évangile en nous engageant pour leur libération intégrale. (Cf. Lc 2, 46-53). Dans sa visite à sa cousine Elisabeth, Marie nous est présentée comme un modèle d’hospitalité; elle  se met au service de sa cousine avec disponibilité et simplicité. Dieu a manifesté  son salut en s’incarnant en son sein et en la choisissant comme médiatrice pour communiquer son Esprit à Elisabeth et à l’enfant  qu’elle portait (Cf. Lc 2, 41 -44). Elle transforme les gestes de l’hospitalité en sacrement salvifique.

[69] Const. 103a

[70] Ibid., 103c

[71] VC, 54

[72] Dans la lancée du Concile Vatican II, depuis 1980 l’Ordre a encouragé un mouvement, une alliance avec les collaborateurs. L’Eglise a reconnu récemment que les laïcs travaillent pour la mission et collaborent avec la mission des religieux; ils partagent le charisme et la mission des religieux . Un nouveau chapitre,  riche d’espérances est en train de naître et scelle l’alliance entre personnes consacrées et laïques. Cf. Const. 23a.

[73] Cf. V.A. Riesco, La Hospitalidad manifestacion del Ser de Dios en favor del hombre. Fundamento biblico de nuestra espiritualidad.

[74] Il n’est guère aisé d’expliquer pourquoi le Dieu de l’Ancien Testament est parfois présenté sous des traits violents et même démoniaques. Il fallait tenter à tout prix d’expliquer le mystère du mal et d’affirmer que Yahvé était le seul Dieu s’érigeant au-dessus de toute idolâtrie.

[75] Le premier chapitre (Constitution fondamentale) de nos nouvelles constitutions réitère ce concept avec insistance. Jean de Dieu y est présenté comme un homme « transformé intérieurement par l’amour miséricordieux du Père qui vécut en une parfaite unité l’amour de Dieu et du prochain…et imita fidèlement le Sauveur dans ses attitudes et se gestes de miséricorde » (Const. 1)

[76] Les constitutions affirment ensuite que : « Notre Ordre Hospitalier est donc né de l’Evangile de la miséricorde (Mt 8,17; 25, 34 -46) tel que le vécut intégralement saint Jean de Dieu » (Const. 1). « Ce don nous porte à nous identifier avec le Christ compatissant et miséricordieux de l’Evangile; nous sommes consacrés par l’action de l’Esprit Saint, qui nous fait participer de façon singulière à l’amour miséricordieux du Père…Nous maintenons vivante dans le temps la présence miséricordieuse de Jésus de Nazareth » (Const. 2)

[77] 1 DS, 13

[78] Cf. Daniel  Innerarity, Etica de la hospidalidad, ed. Peninsula, Barcelona 2001

[79] Cf. N.B. Pagadut, Be hospitable, Claretian Publications, Quezon City, Philippines 1992.

[80] Castro , p.73, 85.

[81] « …ce même témoin raconte qu’un jour il entra dans la cuisine et y trouva Jean de Dieu très joyeux, se frottant les mains et entonnant un chant pieux.   A l’exclamation «  vous êtes bien joyeux Père! » il répondit : « celui qui sert le Seigneur se doit d’être joyeux ». (Témoin 30 dans Gomez Moreno, o.c. p. 214)

[82] 2 GL, 5.

[83] « Aimez Notre Saigneur  Jésus-Christ par-dessus tout ce qui est au monde; parce que, quel que soit votre amour pour lui, il vous aime bien davantage. Ayez toujours la charité car là où il n’y a pas de charité, Dieu n’est pas, bien qu’il soit en tout lieu ». (LB, 15).

[84] Const. 1587, chap. 17. o.c.,p. 95.

[85] Const. 2c; 3a; 5a.

[86] Cf. SG. 22; Const. 20.

[87] « Le renouvellement comporte deux aspects essentiels. Tout d’abord éliminer de notre vie les faiblesses et les barrières qui empêchent notre communion fraternelle. S’efforcer ensuite de découvrir quels sont « nos points forts » pour progresser dans une union toujours plus semblable à celle qui existe entre le Père et le Fils ». (P. Marchesi, Les fondements du renouvellement, Rome, 1978, p.18).

[88] « ….nous sommes conscients que le bien fondamental dont l’homme a besoin n’est pas un bien matériel mais celui d’être reconnu comme une personne digne de ce nom, digne d’être soignée avec sollicitude quelle que soit sa culture, sa religion, sa race  ou sa classe sociale ». (P. Marchesi, L’humanisation, Madrid 1981, p. 18).

[89] « A l’arrivée de Jean à la Cour, le comte de Tendilla et d’autres seigneurs qui le connaissaient, avertirent le Roi et le renseignèrent sur l’œuvre de Jean de Dieu, qu’ils firent entrer dans le palais. Jean s’adressa au Roi en ses termes : ‘ Seigneur, j’ai l’habitude d’appeler tout le monde frère en Jésus-Christ’ » (Castro, o.c. p. 76).

[90] Cf. Ordre Hospitalier de saint Jean de Dieu, Frères et Collaborateurs, unis pour servir et promouvoir la vie.

[91] Pendant les années 1980 dans l’esprit du mouvement d’humanisation, l’Ordre a examiné comment réorganiser sa mission en tenant compte des nouveaux besoins de l’humanité tout en ne négligeant pas son apostolat traditionnel. Il est intéressant de lire la conclusion des travaux de l’Assemblée des Provinciaux de 1981 : « Notre assemblée réitère son engagement à travailler avec espérance au renouvellement de l’Ordre. Nous sommes convaincus que celui-ci ne peut avoir lieu qui si tous les membres de l’Institut vivent dans une attitude de conversion permanente pour être fidèles aux exigences de notre consécration à Dieu comme religieux hospitaliers et  répondre concrètement aux attentes de l’Eglise et de la société.  En ce moment particulier de l’histoire du monde où les valeurs fondamentales de la personne sont à la fois revendiquées et violées, nous nous engageons à vivre le charisme de l’Ordre comme une réponse à l’urgence de défendre et de promouvoir le respect et la dignité de la personne. Nous sommes convaincus que l’humanisation , dans l’acception que ce terme revêt dans la personne de Jésus de Nazareth, constitue un élément d’unification et d’intégration pour nous aider à transformer le processus de renouvellement en source de vie ». (P. Marchesi, o.c., p.91-92) 

[92] Cf. également le n. 10 « Nous nous trouvons à une époque où l’Esprit fait irruption, ouvrant de nouvelles possibilités. La dimension charismatique des diverses formes de vie consacrée, toujours en marche et jamais accomplie, prépare dans l’Eglise, en accord avec le Paraclet, l’avent de Celui qui doit venir, de Celui qui est déjà l’avenir de l’humanité en marche ». Voir également les numéros 18,21 etc.

[93] Cf. Gouvernement Général, Jean de Dieu est encore vivant aujourd’hui, Madrid, 1991, p.12-13.

[94] C’est ce qui se passa avec Jean de Dieu depuis Oropesa. En constatant qu’il n’avait pas de vraies racines, l’appel de laisser derrière lui ses activités habituelles de berger  et de se consacrer au service du Seigneur résonna avec plus de force encore. « C’est avec une peine infinie qu’il voyait dans les écuries du Comte de Oropesa, les chevaux propres et bien portants alors que ses frères les pauvres étaient faibles, nus et maltraités. Aussi, se demandait-il : ‘Jean, ne serait-il pas préférable de soigner et de nourrir les pauvres de Jésus-Christ plutôt que les animaux des champs?’ ». (Castro, p.42 -43).

[95] S.C. 10

[96] « Dans l’Eucharistie en effet, le Seigneur Jésus nous associe à lui dans sa propre offrande pascale au Père : nous offrons et nous sommes offerts. La consécration religieuse elle-même assume une structure eucharistique : elle est un total don de soi, étroitement associé au sacrifice eucharistique. C’est là que se concentrent toutes les formes de prière, qu’est proclamée et accueillie la Parole de Dieu, que l’on est interpellé sur les rapports avec Dieu, avec les frères, avec tous les hommes : c’est le sacrement de la filiation, de la fraternité et de la mission. Sacrement de l’unité avec le Christ, l’Eucharistie est à la fois le sacrement de l’unité ecclésiale et de l’unité de la communauté des consacrés ». (Repartir du Christ, n. 26).

[97] « La permanente disponibilité du Seigneur à être réconfort, consolation et viatique des malades nous stimule à persévérer aux côtés de l’homme qui souffre pour l’accompagner dans sa douleur et dans sa solitude ».(Const. 30c)

[98]« L’Eglise a besoin de nous comme nous avons besoin d’elle… La communication au sein de l’Eglise est indispensable. Il faut bien présenter au monde des croyants notre vocation et le charisme de notre Ordre, son identité et ses programmes. Ils doivent devenir pour eux un encouragement et un modèle, une voie pour vivre la vocation baptismale commune à la sainteté ». (P. Marchesi, L’Hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000,  Rome, 1986, n.89)

[99](P. Marchesi, L’Hospitalité des Frères de saint Jean de Dieu en vue de l’an 2000,  Rome, 1986, n 66 - 86)

[100]  La spiritualité dans la mission se manifeste par l’enthousiasme, l’imagination prophétique, la créativité apostolique. Quand l’Esprit est absent, la routine, la monotonie et la simple répétition s’installent. La présence de l’Esprit embrase et recrée tout. Un Frère qui vit l’esprit hospitalier ne sera jamais routinier. Il découvrira tous les jours la nouveauté du  Royaume de Dieu dans tout ce qu’il fait.

[101] Notre corps est en lien étroit avec la nature. C’est cette partie de la nature que nous avons maîtrisée davantage. Notre spiritualité présente des aspects écologiques auxquels nous devons être attentifs. Nous comprendrons mieux alors les potentialités, les faiblesses et les carences de tous les corps humains.

[102] L’éventualité du martyre est toujours présente à l’horizon de la vie du Frère. Le don extrême de la charité, la confession de la foi et la proclamation de l’espérance. Le martyre est un don et a toujours été reconnu comme tel. C’est un don pour le martyr et c’est également un don pour l’Ordre. Bien que paradoxal, ce don est réel. Nous pouvons le rejeter si nous refusons le danger et recherchons la sécurité. Une telle vie ne mérite pas le qualificatif d’hospitalière ni de miséricordieuse. La possibilité du martyre donne une nuance particulière à la vie hospitalière. Les engagements auprès des pauvres qui entraînent la marginalisation, l’exclusion et l’isolement sont des formes de martyre. Quand le frère hospitalier peut dire ‘j’étais en prison, j’étais chassé…’.

Ordre Hospitalier des Frères de saint Jean de Dieu. Projet de Formation des Frères de saint Jean de Dieu. Rome, 2000, n.132. Cf. La formation permanente dans l’Ordre. Rome 1991.

104. PFO, nn. 39 - 44

[105] Ibid. nn. 46 -57

[106] Ibid. n. 24.

[107] Ibid. nn 92 et 137c

[108] Ibid. n. 26h. La formation permanente dans l’Ordre, n. 33

[109] Ibid. n. 136. La formation permanente dans l’Ordre, n. 34

[110] Ibid, n.44. La formation permanente de l’Ordre, nn. 35 et 36

[111] L’accompagnement spirituel est indispensable pour progresser dans la spiritualité, non seulement pendant le temps de la jeunesse, mais tout au long de sa vie. L’exemple de la relation qui existait entre saint Jean de Dieu et saint Jean d’Avila constitue un merveilleux modèle pour nous. Nous devons pouvoir communiquer en profondeur avec une  sœur ou un frère expérimenté dans les voies du Seigneur. Nous en avons besoin comme référence, encouragement et miroir. Dans la mesure du possible, nos Supérieurs doivent se charger d’un service d’animation spirituelle auprès de chaque frère de la communauté.

[112] « Chaque Frère doit savoir intégrer et vivre tous les événements positifs ou négatifs dans le contexte de son histoire personnelle dans laquelle Dieu lui parle et le guide ». (Projet de formation des Frères de saint Jean de Dieu, n. 50)

[113] NMI 58

PRESENTATION

PRESENTATION

 

Conformément aux recommandations du Concile Vatican II et, en particulier, du Décret Perfectae Caritatis, nous, l’Ordre Hospitalier des Frères de saint Jean de Dieu,  avons  élaboré ces dernières années toute une série de réflexions pour mieux vivre le charisme légué par notre fondateur.

 

Nous nous sommes efforcés d’orienter, dans une dimension pastorale et évangélisatrice, la manière de vivre et de partager ce charisme avec  nos collaborateurs laïcs. Nous avons insisté sur l’importance d’être à la hauteur au niveau technique tout en veillant à privilégier toujours l’humanisation de nos services. Nous avons voulu renforcer notre identité tout en respectant les convictions religieuses de ceux que nous servons ou qui travaillent à nos côtés.  En matière de bioéthique, nous sommes restés attentifs et vigilants aux implications des actes que nous posons aujourd’hui dans  l’exercice de  notre service  et nous nous sommes  laissés guider par le Magistère de l’Eglise.

 

Cela fait plusieurs années déjà que nous avons entrepris un travail de réflexion sur notre spiritualité et je suis heureux de vous en présenter aujourd’hui les fruits. Le titre en est : « Progresser dans l’hospitalité comme saint Jean de Dieu. La spiritualité de l’Ordre Hospitalier ».

 

Ce travail souhaite répondre au désir exprimé depuis longtemps déjà dans différents secteurs de l’Ordre en particulier par les frères responsables de la formation et par de nombreux collaborateurs.

 

Nous voulions une réflexion moderne, actuelle sur notre spiritualité. Nous sentions la nécessité d’exprimer d’une manière adéquate comment nous interprétons aujourd’hui, dans notre vie personnelle et dans notre service auprès des malades et des démunis, l’esprit de saint Jean de Dieu.

 

De nombreux auteurs, dont beaucoup sont des Frères,  avaient apporté leur contribution à cette réflexion mais manquait encore l’expression de l’Ordre comme tel.

 

Le LXIIIème Chapitre Général de 1994, après avoir examiné la question, prit la décision de faire ce travail. Le temps d’exécution  d’un an prévoyait sa publication pendant la célébration du Vème centenaire de la naissance de saint Jean de Dieu, 1995-1996. L’élaboration du texte fut, comme cela arrive souvent, bien plus laborieuse que prévue demandant des délais plus longs.

 

Après le Chapitre on créa une commission formée de Frères de différentes cultures et d’un collaborateur, prêtre et sociologue: Valentin Riesco, Raphael The, Francisco Maranparampill, José Sanchez et le Professeur Pietro Quatrocchi. Le Père Camillo Macise, Supérieur général des Carmes Déchaux, consultant, eut deux rencontres avec la commission pour orienter le travail que chacun devait réaliser.

 

Sur le conseil du Père Macise, la décision fut finalement prise de rechercher un théologien de la vie spirituelle pour rédiger un texte sur la base du matériel réuni en intégrant les éléments nécessaires pour une bonne présentation de la spiritualité d’un institut religieux.

 

La personne compétente qui, au départ,  avait accepté cette mission se trouva dans l’impossibilité de la réaliser car elle ne disposait pas de suffisamment de temps pour un travail de cette envergure.

 

Entre-temps, six années avaient passé et nous étions à la veille du LXVème Chapitre Général célébré à Grenade en l’an 2000. La rédaction du texte n’était toujours pas terminée, mais nous espérions résoudre la question rapidement car le Père José Cristo Rey Garcia Paredes s’était engagé à le faire.

 

A la fin du Chapitre Général on nomma une petite commission pour l’aider dans ce travail. Cette fois,  tous les membres de la commission appartenaient au même régime linguistique afin de faciliter le travail. En faisaient partie les Frères Valentin Riesco, Jesus Etayo et Francisco Benavides. J’ai personnellement participé aux réunions de cette commission et au fur et à mesure que la rédaction progressait, j’ai lu les différents projets et dit ce que j’en pensais.

 

Maintenant, grâce au ciel, le travail est terminé et nous le présentons à l’Ordre, aux frères et aux collaborateurs, comme un instrument de réflexion pour les aider à mieux comprendre ce qu’est l’esprit de saint Jean de Dieu. Il nous soutiendra pour  suivre le cheminement auquel nous sommes invités pour incarner concrètement dans notre service auprès des malades et des démunis  les sentiments qui, à notre avis, seraient ceux de Jean de Dieu aujourd’hui.

 

Le texte que vous avez en mains a voulu vous présenter saint Jean de Dieu comme notre Père spirituel. Il nous a légué un héritage qui a été enrichi dans la suite par notre tradition. Nous devons l’accepter avec grande vénération et l’actualiser avec un zèle nouveau partout  où nous nous trouvons. Nous devons, tout en lui conservant  son caractère universel, trouver des formes nouvelles de le vivre dans ce monde globalisé qui a tant besoin de notre témoignage.

 

Personnellement je suis très satisfait de l’élaboration de cette réflexion.

 

Une première partie est consacrée à la mémoire, aux origines charismatiques et décrit la vocation de Jean de Dieu avec les quatre termes suivants : le vide, l’appel, la conversion et l’identification. L’itinéraire proposé est une invitation adressée à chaque lecteur. Il parcourt ensuite la tradition de l’Ordre pour aboutir à nos jours où Frères et Collaborateurs ont une mission à accomplir ensemble. Celle-ci exige un effort d’inculturation dans les cinquante pays où l’Ordre est présent.

 

La deuxième partie présente les fondements en partant de deux termes bibliques : miséricorde et hospitalité. Le document analyse d’abord la signification authentique de chacun d’eux pour arriver ensuite à cette synthèse des deux qu’est la spiritualité vécue par l’Ordre.  Il aborde ensuite le moment présent avec ses exigences d’humanisation, d’être vraiment frère pour ses frères dans l’Institut et de vivre pleinement sa vocation de religieux consacré à la manière de Jean de Dieu.

 

La troisième et dernière partie nous parle de l’itinéraire spirituel. Notre spiritualité est un cheminement, une démarche que nous devons vivre en communauté avec tout ce que cela comporte d’exigences. Tous, Frères et Collaborateurs doivent, dans la mesure où ils se sentent invités à le faire, exprimer cette spiritualité  dans leur vécu personnel et dans la mission.  Ce partage manifeste que notre spiritualité jaillit et se vit dans le peuple de Dieu, que notre Institut veut vivre la mission en union avec nos collaborateurs et qu’il veut leur offrir la possibilité de se ressourcer à sa spiritualité. Celle-ci sera enrichie grâce à leurs expériences et aux valeurs qui leur sont chères. Un processus de ce genre exigera de nous tous une progression constante, le refus de s’installer et de rester sourd aux sollicitations du Seigneur.

 

J’ai beaucoup apprécié que chacune des trois parties termine par un rappel du moment présent et de ce que nous sommes appelés à vivre dans un proche avenir. 

 

Le Magistère de Jean-Paul II a fort souligné la dimension spirituelle de la vie de l’Eglise et de la vie consacrée. Je rends grâces à Dieu pour ce que signifie ce document que nous donnons aujourd’hui à l’Ordre. Souvent il nous fera penser à notre Père saint Jean de Dieu et à confronter son esprit avec ce que nous sommes appelés à vivre chaque jour. Nous devons vivre notre spiritualité comme l’a fait Jean de Dieu en manifestant le Christ de la miséricorde et de l’hospitalité dans notre service auprès des malades et des démunis. Puissions-nous avoir la capacité comme lui de nous mettre en route, d’être des pèlerins, de ne jamais nous arrêter ni de nous installer.

 

Je confie tout cela à la Vierge Marie, toujours pure, comme l’appelait saint Jean de Dieu, jour de la fête du patronage de l’Ordre.

 

Frère Pascual Piles Ferrando

Supérieur Général

 

Solennité de Notre Dame du Patronage

La Havane, 15 novembre 2003

IVème centenaire de la présence de l’Ordre à Cuba

 

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