Histoire de la vie et des œuvres de S. Jean de Dieu

Première biographie de Saint Jean de Dieu

SAINT JEAN DE DIEU

FRançois de Castro

 

 

 

 

 

 

Saint Jean de Dieu

 

L’ami des pauvres

 

 

Sa vie et ses œuvres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Introduction

 

 

 

Quatre siècles plus tard

 

 

Environ quatre siècles se sont écoulés depuis la première biographie de Saint-Jean de Dieu écrite par François de Castro à Grenade et la traduction faite et publiée à Rome par François Bordini.

 

Castro l’écrivit presque trente ans après la mort de Jean de Dieu, bien avant que fussent entrepris les Procès de béatification dans divers diocèses : ordinaire, 1622-1623, Apostolique, 1625-1626. Il ne lui fut donc pas possible de recourir aux dépositions des 460 témoins du Procès Ordinaire et des 163 témoins du Procès Apostolique[1].

 

Avant la béatification de Jean de Dieu, qui eut lieu en 1630, deux autres biographies furent écrites et publiées : l’une à Burgos en 1617 écrite avec beaucoup de fantaisie par le frère Dionisius Celi ; l’autre à Madrid en 1624 par l’évêque de l’Ordre des Augustins. Ce dernier écrivit une œuvre sobre et équilibrée, se référant en grande partie aux témoignages du premier procès[2].

 

Cependant la biographie-modèle à laquelle se réfèrent soit les deux auteurs mentionnés plus haut, soit leurs nombreux successeurs, est celle de Castro, brève, sobre et limpide comme l’eau de source.

 

Même récemment tant de choses ont été dites et écrites sur Jean de Dieu, sa personnalité et son œuvre humanitaire et sociale, lui faisant dire et faire des choses qu’il n’a jamais dites ni faites, que le profil du Saint se complique, et qu’il perd cette merveilleuse simplicité linéaire qui le caractérise en tant qu’homme, apôtre  et saint.

 

C’est pour cette raison, et aussi afin de retourner aux sources premières de sa vie, que j’ai pensé faire revivre après quatre siècles (exactement 390 ans) une version moderne aussi fidèle que possible de la biographie écrite par Castro, en conservant sa façon simple et claire de raconter des faits, comme il nous les aurait décrits lui-même.

 

François de Castro

 

Mais qui était François de Castro ? Les seuls renseignements que nous ayons sur sa vie proviennent en grande partie des deux dédicaces de son livre à l’archevêque de Grenade. De ces maigres informations, nous pouvons en déduire quelques autres, mais pas davantage.

 

Le « maître » (c’est-à-dire le théologien) François de Castro était, presque certainement, natif de Grenade.

 

Il était « recteur » de l’Hôpital de Jean de Dieu, c’est-à-dire père spirituel et aumônier, devant exercer son ministère pastoral auprès des Frères, des malades et du personnel : célébration de la sainte messe, administration des sacrements, assistance des mourants. Ainsi dans les constitutions de l’Hôpital de Grenade, publiées en 1585, les sept articles du chapitre six, sont entièrement consacrés à la « tâche du recteur ». On peut  y lire ce qui suit : « Pour parer à toute éventualité, il lui est commandé de résider habituellement à l’Hôpital afin de faire face aux besoins qui peuvent se présenter ». Le recteur devait aussi participer aux chapitres et aux assemblées des religieux convoqués en cours d’année, par le Frère majeur. Ces assemblées ne pouvaient être tenues en l’absence du recteur, qui devait également participer à d’autres réunions servant à assurer le bon fonctionnement de l’Hôpital. Ces dernières sont d’ailleurs toutes indiquées à différents points des constitutions[3].

 

Nous ne savons pas en quelle année Castro fut nommé recteur de l’Hôpital par Monseigneur Mendez Salvatierra, lui-même archevêque de Grenade à partir du 11 septembre 1577, succédant à Monseigneur Pierre Guerrero, mort le 2 avril 1576[4]. François de Castro mourut entre la fin de 1583 et le début de 1584. Il fut donc recteur de l’Hôpital environ cinq ans. Sa mère, Catherine, nous dit que son fils mourut à l’Hôpital de Jean de Dieu, ce qui nous porte à croire que Castro y demeurait et  y vivait habituellement, comme nous pouvons en déduire à la lecture des constitutions déjà mentionnées.

 

Comme nous l’indiquent François de Castro et sa mère, il écrivit ce livre dans le but d’édifier les fidèles, de les inciter à aimer Dieu et leur prochain, mais aussi et surtout pour éclairer les disciples de Jean de Dieu : « Ce dernier fut l’exemple et le modèle le plus parfait, donnant par sa propre conduite la preuve éclatante de ce que devaient être leur vie et leur apostolat de charité envers les pauvres ». Il l’écrivit aussi pour « répondre aux obligations qu’il avait envers l’Hôpital de Jean de Dieu et à l’amour qu’il portait aux frères ». Selon sa mère, ce fut enfin « pour exprimer sa gratitude à l’archevêque Mendez » qui lui avait toujours montré une grande bienveillance tout au long de sa vie.

 

 

Recherche et critique historique

 

 

François de Castro prit à cœur et se documenta soigneusement avant d’entreprendre la rédaction de l’« Histoire de la vie et des saintes œuvres de Jean de Dieu ».

 

Il nous parle lui-même des difficultés rencontrées pour « mettre à jour une histoire vraie » et pour « vérifier et rétablir les faits ensevelis et oubliés au fil des ans ».

 

C’est certes une tâche  ardue. On s’en rend compte quand Castro, s’adressant, avec la sobriété qui le caractérise, à l’archevêque de Grenade, prie ce dernier de bien vouloir accepter son « petit service » ainsi que l’ensemble de son travail entrepris, « par amour du Seigneur qui, vrai modèle de tous », l’a soutenu « pour lui faire découvrir la lumière ». Cela fut aussi noté sur l’Ordonnance d’approbation du livre où Philippe II, se référant à Catherine de Castro, mentionne les « longues heures de travail » que le recteur dut fournir pour l’écrire.

 

Bien qu’une trentaine d’années se fussent écoulées depuis la mort du Saint, Castro, en tant que recteur de l’Hôpital, eut l’occasion de consulter le nombreuses personnes qui avaient vécu avec Jean de Dieu, l’avaient approché, ou avaient été en contact avec lui, en un mot, avec tous ceux qui l’avaient connu. Il nous dit textuellement que « les renseignements les plus fructueux proviennent des notes laissées par un de ses compagnons, avec lequel il avait des affinités d’esprit, qui le suivait dans tous ses déplacements  et qui écrivit, dans un langage simple, ce dont il se souvenait en tant que témoin « oculaire ». Ce que fut ce fidèle et admirable compagnon de Jean de Dieu, nul ne le sait malgré les différentes hypothèses avancées à son égard.

 

Par conséquent Castro sollicita et recueillit un grand nombre de témoignages principalement oraux sur la vie et les œuvres de Jean de Dieu. Il les examina posément avec beaucoup d’attention et de sens critique pour en vérifier l’authenticité historique ; il  en fit une sélection rigoureuse, en élimina plusieurs pourtant remarquables mais dont il était impossible d’établir la véracité nécessaire pour qu’ils puissent être rapportés.

 

Historien et narrateur honnête, rigoureux et objectif, comme le sont nombre d’historiens et narrateurs modernes, Castro mérite d’avoir toute notre confiance.

 

Certains écrivains pensent qu’en 1582 il avait déjà terminé son travail ou qu’il était sur le point de le terminer. En effet au chapitre XXIII, il est dit que l’année précédente, les Constitutions  de l’Hôpital de Grenade ainsi que la Bulle « Licet ex debito » de Saint Pie V avaient été envoyés aux présidents de certains hôpitaux des Indes Occidentales[5].

 

Dans le même chapitre, Castro mentionne « les Constitutions – certainement déjà écrites – et pas pour l’instant, mais plutôt dans un autre chapitre de son livre. Comme nous le verrons, il ne le fit point. Evidemment il se réfère à la Règle et aux Constitutions – certainement déjà écrites – et publiées à partir de 1585 par Monseigneur Mendez Salvatierra, archevêque de Grenade. Ce dernier en les présentant demanda qu’elles soient données aux Frères de Jean de Dieu, suite au rapport que le juge diocésain, le licencié Antoine Barba, lui fit après avoir visité l’Hôpital l’année précédente (1584) à la demande de l’archevêque.

 

L’allusion faite par Castro semble nous indiquer qu’il est bien probable que la Règle et les Constitutions aient été écrites par Maître François de Castro lui-même, qui, demeurent habituellement à l’Hôpital en tant que recteur et délégué archiépiscopal, était certainement la personne la mieux qualifiée pour faire un tel travail.

 

 

La première édition (1585)

 

La mort surprit Maître François de Castro avant qu’il n’ait eu la satisfaction de publier lui-même le travail commencé avec tant d’amour. L’initiative de publier son livre fut prise par sa mère, Catherine de Castro. Elle aussi, imitant son fils, voulut dédier l’œuvre à l’archevêque de Grenade, Mendez Salvatierra, proclamé par tous « père et refuge des pauvres ». Ce dernier l’avait souvent bénie et secourue dans les moments difficiles.

 

L’Histoire de la vie et des saintes œuvres de Jean de Dieu fut publiée à Grenade en 1585 aux frais de l’archevêque.[6]

 

Le permis d’impression fut délivrée par une Ordonnance de Philippe II de Madrid, le 8 juin 1584. Il fut toutefois défendu d’y apporter les constitutions mentionnées par Castro, clause assez normale puisqu’il s’agissait de règles et de normes législatives destinées seulement aux Frères et à l’Hôpital de Jean de Dieu ; elles devaient être publiées à part et promulguées officiellement par l’archevêque de Grenade.

 

L’Ordonnance mentionne en préambule : « Catherine de Castro, mère et héritière du Maître François de Castro, vous avez bien voulu nous signaler, pour votre part, que votre fils avait écrit un livre sur la vie et les bonnes mœurs de Jean de Dieu en y ajoutant certaines indications sur les Constitutions que les Frères de l’Hôpital étaient tenus d’observer. Vous avez souligné par ailleurs l’intérêt que pouvait présenter ce livre auquel Maître de Castro avait consacré le meilleur de ses efforts. Vous nous avez demandé et supplié de vous accorder la permission de l’imprimer ou de faire comme cela nous conviendrait… nous vous donnons la permission et la possibilité d’imprimer ledit livre… à condition qu’il y soit traité uniquement de la vie et des mœurs de Jean de Dieu et que les constitutions soient retirées du livre ».

 

Onze mois plus tard, le 28 mai 1585, Christophe de Léon, secrétaire du Conseil de sa Majesté, communiquait à Catherine de Castro que les membres du Conseil avaient décidé que chaque exemplaire serait au prix de cinq blancas et que cette décision devait être mentionnée en première page[7].

 

L’unique exemplaire de la première édition (1585) connu encore aujourd’hui, est conservé à la Bibliothèque Apostolique Vaticane (emplacement : Loreto, VI,5) ; de même, l’unique exemplaire de la seconde édition (1588) se trouve à la Bibliothèque du Musée Britannique de Londres (emplacement : 4866, 13, 5695)[8].

 

Les dix-sept pages qui précèdent le premier chapitre sont reproduites dans l’ordre suivant : l’Ordonnance de Philippe II, une ode en latin de maître Jean Latino à l’archevêque, un portrait de Jean de Dieu agenouillé devant le crucifix, un sonnet en espagnol à l’archevêque du licencié Jean Lopez Serrano, la lettre de dédicace par la mère de l’auteur, le préambule de Castro au « lecteur chrétien », la lettre de dédicace de ce dernier à l’archevêque de Grenade, le préambule de l’auteur et enfin, le décret sur le prix du livre.

 

Le volume, in= 24°, se compose de vingt-six chapitres : les 22 premiers relatent la vie de Jean de Dieu ; le 23ème traite de l’Hôpital ; les 24-25 rappellent la vie de Pierre le Pécheur ; le 26ème reproduit une version espagnole de la Bulle, par laquelle Saint Pie V approuva l’Institut des Frères Hospitaliers.

 


La traduction italienne (1587)

 

A peine arrivée à Rome, l’œuvre de Castro fut traduite en italien en 1586 et publiée l’année suivante.

 

La traduction  fut faite par Jean-François Bordini, l’un des plus illustres disciples de saint Philippe de Néri, lettré et poète, théologien et juriste. Romain de naissance, il était entré tout jeune à l’Oratoire de Rome. Après avoir accompli de nombreuses missions à la curie romaine il fut nommé évêque de Cavaillon en France en 1592 e archevêque d’Avignon (en 1598) où il mourut en 1609.

La traduction eut un succès et se répandit si rapidement qu’elle fut tout de suite rééditée en 1588 à Naples et en 1589 à Florence.

 

Bien que n’échappant pas aux défauts communs de l’époque, son style reste alerte et plein de vie.

 

Dans la première édition, on ne trouve aucun portrait du Saint[9].

 

Bordini omet ce qui, dans la version espagnole, précédait les deux préambules de Castro au lecteur chrétien, et inclut par contre la pieuse dédicace à Sixte V des « très humbles et dévoués serviteurs, Fils et Frères de Jean de Dieu », datée du 15 mai 1587.

 

Il fait suivre la vie de Jean de Dieu de celle du jeune moine Jean Calybite, titulaire de l’église et de l’Hôpital des Frères de saint Jean de Dieu sur l’Ile du Tibre, écrite par Siméon Métaphraste et  qu’il a traduite du latin. Il se permet d’inclure une partie de ses mémoires ascétiques adressées aux mêmes religieux.[10]

 

Dans la première édition, au chapitre XXIII, f. 60v., Bordini ajoute, après l’allusion au cardinal Savelli, « Sa Sainteté le Pape Sixte V, avec gratitude et amour, aide et protège aujourd’hui cette œuvre puisqu’il a concédé à ses frères, la permission de former une Congrégation et leur a demandé de se rendre au Chapitre qui aurait lieu l’année suivante (1587) pour discuter de la bonne marche des affaires religieuses… De nouveaux hôpitaux ont été fondés dans d’autres parties de l’Espagne ».

 

A l’exception de cette allusion au sujet du Bref de Sixte V « Etsi pro debito » du 1er Octobre 1586, à savoir que les Frères de Jean de Dieu venaient d’être élevés au rang d’Ordre religieux, tout le reste est conforme au récit original espagnol de Castro.

 


 

La personnalité de Jean de Dieu

 

Le célèbre dominicain Frère Louis de Grenade (1504-1588) dit au sujet de l’œuvre de Castro, qu’elle a été « bien écrite »[11]. Son jugement complètent reste valable aujourd’hui.

 

Castro, en effet, ne se laisse pas aller à des panégyriques exagérés ni à un enthousiasme facile mais raconte simplement ce qu’il a pu vérifier « avec certitude et vérité ». Il se montre presque excessivement prudent et omet certains faits miraculeux, non qu’il nie à priori, mais parce que – dit-il – « il vaut mieux qu’il reste des choses à ajouter, plutôt que de dire des choses qui ne soient pas absolument certaines ».

 

Ce n’est qu’au chapitre XVIII qu’il narre quelques faits se rapportant à des apparitions surnaturelles du diable, « très plausibles mais aussi peut-être susceptibles d’une explication rationnelle »[12], ainsi que quelques phénomènes occultes.

 

Tout en estimant et en admirant Jean de Dieu, la fondation de son Hôpital et de ses autres œuvres humanitaires et sociales, il prend un certain recul, comme l’ont fait – que l’on me pardonne le rapprochement – les évangélistes pour nous parler des « faits et gestes et de l’enseignement de Jésus » (Actes 1,1).

 

François de Castro ne fait pas une étude psychologique approfondie de Jean de Dieu et se préoccupe peu des dates et des lieux, contrairement à nos habitudes contemporaines : il s’intéresse surtout – conformément aux habitudes de son époque – à narrer les faits purement et simplement.

 

Cependant il nous présente Jean de Dieu tel qu’il était en réalité, avec ses défauts et ses qualités, ses velléités de jeune homme « d’aller à la guerre » et de « voir le monde et jouir de cette liberté que ceux qui vont à la guerre ont l’habitude de s’octroyer » (ch.1) ; et avec son courage, sa générosité, et sa réceptivité aux besoins corporels et spirituels de son prochain. Il nous présente sa recherche incessante de Dieu et de la mission qu’il devait accomplir sur la terre afin de soulager les souffrances humaines, sa progression spirituelle qui l’a conduit à sa « conversion ultime » ; son union continuelle avec Dieu, son incessante activité apostolique, son dernier sacrifice : mourir loin des pauvres qui lui étaient chers, sa dernière grande préoccupation pour les dettes à payer et les nécessiteux à aider.

 

Tout cela est dit sans emphase, sans rhétorique, avec naturel. Son récit est émaillé de quelques phrases dites simplement, véritables échappées de lumière nous montrant l’âme, la personnalité et l’ardeur apostolique de Jean de Dieu quand, par exemple, entre deux épisodes, il observe : « Nu, nu-pieds, nu-tête, il se remit à crier dans les rues principales de Grenade voulant suivre nu la nudité de Jésus-Christ » (Ch. VII).

 

« Son infirmité (c’est-à-dire ce qu’on prétend être sa folie » était d’avoir été touché par l’amour de Jésus-Christ » (Ch. VIII).

 

Quand le majordome de l’Hôpital Royal lui remit de son propre chef un certificat de guérison, « il le reçut en toute humilité, se satisfaisant de l’opinion commune selon laquelle il était véritablement fou » (Ch. X).

 

Jean de Dieu « avait l’anxiété des saints, de donner, c’est-à-dire qu’il voulait se donner de mille façons par amour pour celui qui l’avait comblé de sa générosité » (Ch. XIV).

 

« Au milieu des plus grandes injures et des affronts, il restait tranquille et joyeux, n’ayant d’autre volonté que celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, se glorifiant seulement de la Sainte-Croix » (Ch. XV).

 

« Son cœur ne supportait pas de voir  un pauvre souffrir de privations sans y remédier » (Ch. XVI).

 

« Du grand amour que Jean de Dieu avait pour Notre-Seigneur, découlait le fervent désir de le voir honoré dans toutes ses créatures. C’est pourquoi les œuvres qu’il accomplissait tendaient principalement à glorifier et honorer Notre-Seigneur, de façon à ce que les soins du corps soient le moyen de sauver l’âme » (Ch. XIX).

 

« Il s’appliqua, tout le temps qu’il consacra au service de Notre-Seigneur, à s’annihiler, à se mépriser, à se diminuer de la façon la plus abjecte et à s’humilier par tous les moyens et de toutes les manières » (Ch. XXI).

 

Le même épisode de la « folie » de Jean de Dieu – qui a fait couler tant d’encre aux historiens modernes – et ses bruyantes manifestations publiques de repentir et de pénitence, si déroutantes pour nous, hommes du XX siècle, prennent dans la narration de Castro une autre tonalité, une autre dimension en parfaite harmonie avec l’ascétisme du temps et la façon d’exprimer les sentiments religieux au XVI siècle et même après. La preuve en est que, tout comme François de Castro, saint Jean d’Avila et le Frère Louis de Grenade ne prennent pas pour de la folie les « excès » ascétiques de Jean de Dieu.

 

Tel est le caractère de Jean de Dieu décrit par son premier biographe : un homme qui sut unir parfaitement, dans le même acte d’amour, Dieu et le prochain, sans faire des théories, sans contester, mais en pratiquant humblement et en payant généreusement de sa personne ; un saint qui reste présent, même aux hommes de notre époque atomique, en répétant l’ardente exhortation à résonance biblique qu’il adressait aux habitants de Grenade : « Faites le bien, frères, faites-vous du bien pour l’amour de Dieu ». N’est-il pas exact en effet que celui qui fait du bien à son prochain, se fait du bien à lui-même plus qu’aux autres.

 

 

 

 

 

 


 

Chronologie

 

La narration de Castro étant naturellement incomplète, il m’a semblé utile de faire un résumé chronologique de certaines dates principales concernant Saint Jean de Dieu.

 

1495

Naissance à Montemor-o-Novo (Portugal)

1503

Départ de la maison paternelle et entrée à Oropesa (Espagne) dans la maison de François Cid, dit « el Mayoral ».

1523

Soldat à Fuenterrabia dans les Pyrénées.

1524

Retour à Oropesa dans la maison du Mayoral.

1532

Soldat à Vienne contre les Turcs.

1533

Retour en Espagne, visite de Saint-Jacques de Compostelle et voyage à Montemor-o-Novo.

1535

Voyage à Ceuta (Maroc) ; il travaille aux fortifications des murs de la ville, soutient par son travail un noble exilé portugais et sa famille qui se trouvent dans le besoin.

1538

Retour en Espagne où il vend des livres à Gibraltar.

1538

(dernier mois) : départ pour Grenade où il ouvre une petite librairie.

1539

le 20 janvier : conversion totale à Dieu après avoir entendu un sermon de saint Jean d’Avila.

1539

le 16 mai : sortie de l’Hôpital Royal où il avait été hospitalisé parce qu’on le croyait fou.

1539

(automne) : fondation de l’Hôpital de la rue Lucena.

1539

novembre-décembre : reçoit l’habit religieux des mains de l’évêque de Tuyons, Sébastien Ramirez Fuenteal, président de la Chancellerie Royale de Grenade.

1546

(dernier mois) : il accueille les deux premiers disciples Anton Martin et Pierre Velasco, convertis à Dieu grâce à son zèle et à sa charité.

1547

au début de l’année : transfert de l’Hôpital sur la montée des Gomérez.

1548

Il passe par Tolède puis y envoie son disciple Fernand fonder un Hôpital semblable à celui de  Grenade.

1548

Avril-mai : départ pour la Cour de Valladolid afin de demander à Philippe II des subsides pour son Hôpital.

1549

3 juillet : il sauve les malades de l’incendie de l’Hôpital Royal.

1550

8 mars : il meurt à genoux, dans la maison des Pisa.

1622-1623

 

Procès Ordinaire pour sa béatification.

1625-1626 

 

Procès Apostolique pour sa béatification.

1630

21 septembre : il est déclaré Bienheureux par Urbain VIII.

1690

16 octobre : il est canonisé par Alexandre VIII.

1886

27 mai : il est proclamé Céleste Patron des hôpitaux et des malades par Léon XIII.

1930

28 août : il est proclamé céleste Patron des infirmiers et de leurs associations par Pie XI.

1940

6 mars : il est proclamé deuxième céleste Patron de Grenade par Pie XII.

 

 

P. Gabriel RUSSOTTO, O.H.

 


 

Lettre de la mère de l’auteur à l’archeveque de Grenade

 

 

 

Monsieur Don Jean Mendez de Salvatiera

Archevêque de Grenade

Du Conseil de sa Majesté

 

Maître François de Castro à qui Votre illustre Éminence confia la charge de l’Hôpital de Jean de Dieu de Grenade, entreprit d’écrire la vie et l’œuvre de ce saint homme que fut Jean de Dieu, voulant ainsi s’acquitter des devoirs et exprimer  l’amour qui l’unissait à cette maison dans laquelle il est mort.

 

S’il s’est penché sur cette vie empreinte de sainteté et sillonnée d’œuvres admirables, c’est aussi parce qu’il souhaitait ardemment que les Frères qui à sa suite entreraient dans l’Ordre et embrasseraient la profession, puissent s’inspirer, dans leur conduite et dans leurs actes, de ce modèle de sainteté et de piété.

 

Avant de mourir, mon fils a manifesté dans sa dédicace le désir de dédier cette œuvre à Votre Eminence.

 

A sa mort, ayant reçu de sa Majesté[13] l’autorisation de faire paraître ce livre, j’ai voulu, par amour maternel et fidélité à sa cause, dédier une nouvelle fois cette œuvre à Votre Éminence.

 

A qui en effet pourrais-je dédier l’histoire de la vie d’un pauvre sinon à celui qui s’est revêtu de pauvreté pour mieux secourir les pauvres, en menant une vie simple et dépouillée dans une masure aussi pauvre que la plus misérable chaumière de la ville ?

 

A qui d’autres pourrais-je dédier l’œuvre d’un pauvre mieux qu’à celui que le peuple appelle communément père et refuge des pauvres, en raison des aumônes innombrables qu’il n’a cessé de distribuer dan cette ville et dans tout l’archidiocèse, avec une discrétion et une délicatesse admirables, en tenant compte des besoins et de la condition de chaque pauvre ?

 

Apprécié des riches et des grands parce que vous leur ôtez le souci de secourir  les nécessiteux, vous êtes glorifié par les pauvres et les humbles pour votre générosité sans borne.

 

La récente maladie de Votre Eminence en a donné une preuve éclatante. Tous ont été profondément affectés de voir votre vie en si grand danger ; mais, grâce aux prière, aux jeûnes et aux sacrifices incessants, Dieu a bien voulu vous soustraire à ce péril. Tous ont été touchés par les paroles, ô combien émouvantes ! que vous avez prononcées quand vous étiez malade, paroles qui augmentaient encore la peine et la souffrance qu’éprouvaient les fidèles à voir Votre Eminence e le peuple tout entier plongés dans l’affliction. Quel signe évident de l’amour et de la bonté immense que vous témoignez pour les pauvres ! Vous disiez alors que vous n’étiez pas effrayé à l’idée de mourir parce que Dieu décidait de vous rappeler à lui.  Ce qui vous accablait le plus était de penser que les pauvres allaient se retrouver seuls et abandonnés à un moment où ils avaient tant besoin d’aide. Vous craigniez aussi que les riches ne s’approprient la partie du patrimoine de l’Eglise qui appartient de droit aux pauvres.

 

  Je prie Votre Eminence de bien vouloir agréer la présente œuvre que mon fils, recteur de l’Hôpital des pauvres de Jean de Dieu, a écrite, en reconnaissance de la grande bienveillance que durant toute sa vie vous n’avez cessé de lui témoigner. Je vous prie instamment d’user de votre rayonnement personnel pour faire en sorte que ce livre rencontre un accueil chaleureux et suscite l’estime générale. Les pauvres en particulier seront réconfortés à la pensée que cet infatigable ministre des pauvres qu’était Jean de Dieu a été placé sous la protection de Votre Eminence, dont le principal devoir est de les accueillir et de les protéger.

 

Je vous serais très obligée pour cette nouvelle faveur, moi qui ne suis qu’une pauvre parmi tant d’autres, que vous avez secourue et réconfortée en maintes occasions.

 

Notre-Seigneur saura vous récompenser pour cette action méritoire.

 

Que Dieu protège Votre Eminence et lui accorde longue vie ; c’est le vœu de tous les pauvres et en particulier de votre humble servante.

 

Très illustre et très révérend Monseigneur, veuillez accepter le modeste témoignage du respect et de l’amour que je porte à votre sainte personne.

 

 

Catherine de Castro

 

 


PREFACE AU LECTEUR CHRETIEN

 

 

Comment douter, cher lecteur chrétien, des preuves d’amour que Notre-Seigneur Dieu n’a cessé de donner à ce monde depuis qu’Il l’a créé ?

 

Il a doté la nature d’une richesse extraordinaire en toutes choses, dans sa volonté d’assurer la conservation et la beauté de la création. Il s’est montré plus généreux encore sur le plan spirituel (parce que le plus important à ses yeux) : non seulement a-t-il dicté au monde ses enseignements et ses saintes lois, mais encore lui a-t-il donné des hommes qui par leur vie héroïque et leurs œuvres remarquables puissent être des maîtres et des modèles pour les autres fidèles, à chaque étape de leur vie. Dieu a voulu que le peuple, en s’inspirant de leur exemple, puisse rester dans le droit chemin et contribuer plus efficacement à la construction de l’édifice spirituel. Il a voulu que tous les hommes, en observant ses commandements, aient à cœur de réaliser le but pour lequel ils ont été créés.

 

Ainsi Notre-Seigneur a éveillé en son Eglise un nombre infini de patriarches et de guides adaptés à chaque type d’individu, animés du même désir d’extirper des âmes les racines du mal ainsi que de les préparer à recevoir la semence de la vertu en leur prêchant la bonne parole et en distribuant les sacrements. Et pourtant il manquait, semble-t-il, un Ordre qui se consacrât tout particulièrement à secourir, recueillir et réconforter les pauvres et les malheureux, tâche  à  laquelle notre-seigneur attachait une très grande importance. Comme il n’existait aucun Ordre pour subvenir aux besoin des pauvres, ceux-ci ne pouvaient recevoir les soins charitables et l’attention qu’ils réclamaient. Laissés dans l’oubli, ils ignoraient les exhortations à la pitié et les modèles de sainteté qui auraient pu les guérir  dans leur âme et dans leur corps, selon l’exemple donné par notre Rédempteur.

 

Le sauveur a voulu dans sa grande bonté que ce nouvel Ordre voie le jour à notre époque grâce à un homme, semblant insignifiant et inutile aux yeux des hommes, mais très important et très utile aux yeux de Dieu, au point de mérite son nom : Jean de Dieu.

 

Renonçant complètement au modèle, à ses pompes et à ses œuvres (on l’a vu dans le récit de sa vie), cet homme a combattu la vanité humaine à la manière de David.

 

Il est dans les Saintes Ecritures, au chapitre 17 du premier livre des Rois, brûlant de zèle au service du Très  Haut, fut profondément peiné par les propos méprisants que tenait l’orgueilleux Goliath sur les armées de Dieu. Se sentant incapable de combattre avec les armes du roi Saül qu’il venait de revêtir, il se débarrassa de cette armure et s’en alla affronter l’ennemi, vêtu de son simple habit de plâtre,   armé d’un bâton  et de cinq pierres dissimulées dans sa besace. Fort de ces seules armes et de l’aide du Seigneur en qui reposait toute sa confiance, il terrassa son adversaire et sa victoire délivra le peuple de Dieu de l’opprobre et de la consternation.

 

De même, Jean de Dieu, que Notre-Seigneur enflamma de zèle pour sa gloire, en opérant en lui une extraordinaire conversion, souffrait profondément de l’abandon dans lequel se trouvaient plongés les pauvres et les nécessiteux. Ils étaient mal secourus et la charité était devenue lettre morte. Il se dépouilla de l’armure de Saül, c’est-à-dire de tout ce qu’il possédait sur cette terre : biens, honneurs et autres ambitions de l’homme. Il partit combattre les choses de ce monde, armé du bâton  qu’il avait coutume de porter avec lui (et que portent encore ses successeurs ), c’est-à-dire de la sainte croix qu’il chargea sur ses épaules pour s’imposer pénitence, et ainsi mettre son corps durement mortifié à la disposition de l’esprit.

 

En guise de besace, de pierres et de fronde, il se munit d’une sébile (sorte d’écuelle de bois) et partit faire l’aumône. Il mendiait d’une voie forte et émouvante pour le bien surtout de ceux-là mêmes qui lui donnaient quelque chose et pour le bénéfice et le secours des pauvres. Jamais avant lui personne n’avait demandé l’aumône en disant : « Faites-vous du bien à vous-mêmes ».

 

C’est avec de telles armes et l’aide de Dieu qu’il combattit courageusement l’adversaire commun de tous. Il rencontra un tel succès qu’il suscita à travers l’Espagne un grand nombre d’œuvres charitables très fécondes aujourd’hui encore. Combien d’âmes égarées n’a-t-il pas arrachées aux griffes de Satan en leur offrant en exemple sa vie austère et en les exhortant pieusement et habilement à abandonner leur vie de péché pour embrasser la voie du Christ crucifié.

 

Il nous a quittés en fondant un Ordre de compagnons grâce auquel ses successeurs, employant les mêmes armes et animés du même zèle, militent et militeront avec l’aide de Notre-Seigneur. Cet institut au demeurant, de même que les saintes œuvres qui le caractérisent, connaît déjà un très grand rayonnement qui s’étendra chaque jour davantage.

 

Tel est, cher chrétien, l’homme que Notre-Seigneur a voulu te donner en exemple, pour que tu puisses commencer par apprendre comment te conduire toi-même avant de pouvoir porter secours aux autres. Ce modèle t’enseigne aussi la manière d’exercer les œuvres de charité et de miséricorde : il ne suffit pas de distribuer le superflu à tes frères dans le besoin. Encore faut-il  que tu te sacrifies toi-même en donnant le meilleur de toi et en traitant tes frères avec amour et mieux que pourrait le faire un père. Ainsi pourras-tu le soutenir de ton exemple et de tes exhortations et de bien d’autres manières encore, par amour pour le Christ qui s’est sacrifié pour toi et t’a donné avec une générosité sans limite tout ce qu’il pouvait te donner.

 

Tu apprendras aussi à connaître les récompenses que le Seigneur accorde, même sur cette terre, à ceux qui, par amour pour lui, travaillent à faire connaître sa cause. Tu sais combien Dieu exalte ceux qui font preuve de grande humilité en s’abaissant aux pieds des autres hommes. La réputation et les honneurs qui seront les tiens sont de ceux qui ne périssent jamais, à preuve l’histoire que tu vas lire.

 

Qu’il plaise au divin Créateur de nous donner sa lumière et de nous enseigner à mépriser les choses humaines et périssables. Qu’il nous aide à imiter les modèles qu’il a suscités pour notre bien et à mériter un jour de contempler sa gloire et de recevoir la récompense éternelle promise à tous ceux qui suivent leur exemple.


LETTRE DE DEDICACE  DE L’AUTEUR A L’ARCHEVEQUE DE GRENADE

 

 

Grâce et félicité en Notre-Seigneur !

 

Très illustre et Révérend Monseigneur,

 

Le but du présent ouvrage est d’éclairer  l’ensemble des fidèles sur la vie et les actions admirables de Jean de Dieu et d’édifier les compagnons qui ont suivi la voie et l’exemple de ce saint homme. Pour bien des raisons, il n’est que justice que je dédie à Votre Eminence cette œuvre qui vous appartient de droit, à vous qui êtes le père, le protecteur et le maître de cette maison et de cet Ordre.

 

C’est à ce titre que vous gardez et protégez votre maison avec un amour digne de celui d’un père, sans jamais lésiner sur les secours que vous accordez aux pauvres qui viennent s’y faire soigner. C’est aussi en qualité de maître de cet Ordre que vous allez en personne visiter les pauvres et réchauffer le cœur de ceux qui travaillent à ce ministère afin qu’ils puissent se dévouer avec toujours plus d’ardeur au service de Notre-Seigneur.

 

Vous vous acquittez ainsi de votre devoir de pasteur qui doit aider les brebis et soulager les plus lasses et les plus faibles.

 

Nul doute que votre contribution sur le plan spirituel est tout aussi importante et que vous vous employez à secourir les âmes avec plus d’ardeur et de volonté encore, parce que cet aspect est le plus essentiel. Il s’agit avant tout en effet de conduire le troupeau vers les pâturages terrestres qui permettront d’accéder aux pâturages éternels.

 

Dans cette perspective, la lecture des livres saints et de vies exemplaires est d’un grand secours pour les fidèles en inspirant leur conduite. C’est pourquoi je suis assuré que Votre Eminence accordera très volontiers son appui et son enthousiasme à cette œuvre modeste, humble fruit d’un travail accompli par amour pour notre Modèle à tous, Notre-Seigneur.

 

Que Dieu préserve votre Eminence et lui accorde les faveurs divines que tous ses humbles serviteurs lui souhaitent ardemment afin qu’elle soit toujours agréable au Très Haut et puisse le rejoindre dans l’éternité. Amen.


 

AU LECTEUR  CHRETIEN

 

 

La principale difficulté à laquelle se heurte celui qui le premier entreprend de faire paraître une histoire qu’il désire aussi véridique que possible est de rechercher et de passer au tri les éléments d’une vérité entachée par de nombreuses années d’oubli. Cette difficulté a été la mienne lorsque j’ai décidé d’écrire ce livre.

 

Certes, peu de temps s’est écoulé depuis que Jean de Dieu a été rendu à la vie éternelle ; beaucoup de ceux qui l’ont connu vivent encore aujourd’hui. Mais il a manqué quelqu’un pour fixer par écrit les faits essentiels de sa vie. Nous savons, par ailleurs, que Jean de Dieu était un homme silencieux qui évitait de parler de choses n’ayant pas directement trait à la charité et au secours des pauvres. Toujours est-il que nous ignorons de nombreux éléments pertinents de l’histoire de se saint homme, je veux dire les événements importants qui ont marqué sa vie depuis le jour où Dieu lui a donné la vocation. Pour ces faits, nous en sommes réduits aux suppositions des personnes qui l’ont connu et notre souci constant de la vérité nous empêche de les introduire dans ce livre. En outre, après avoir pris connaissance de tous les éléments que nous avons pu rassembler avec certitude sur la vie de Jean de Dieu, ces mêmes personnes ont affirmé que bien d’autre événements, et pour beaucoup très importants, ont émaillé le cours de sa vie. Malheureusement – fragilité des choses humaines !– elles ne s’en souviennent plus aujourd’hui.

 

Ainsi donc, le récit qui suit ne contient que les faits dont la véracité ne fait pratiquement pas de doute.

 

Pour écrire ce livre, nous nous sommes appuyés, entre autres, sur le témoignage que nous a laissé un compagnon de vie de Jean de Dieu, très semblable à lui sur le plan spirituel. Il s’agit de simples notes écrites dans un style sobre et qui relatent tout ce que ce compagnon se souvient avoir observé chez Jean de Dieu. Nous nous sommes inspirés également des récits dignes de foi de personnes qui ont eu rapport avec lui et qui l’ont bien connu. Mais nous avons écarté tous les faits insuffisamment étayés, laissant au lecteur circonspect le soin de tirer ses propres déductions à partir de  ce qui a été écrit. En définitive, nous préférons que ce livre demeure incomplet, plutôt que de relater des faits que nous ne tenons pas pour absolument certains.

 

Que Notre-Seigneur vous accompagne !

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sa vie

 

et ses oeuvres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE I

Naissance et lieu d’origine de Jean de Dieu

 

 

En l’an de grâce 1538[14], l’empereur Charles Quint régnait en Espagne, Don Gaspard de Avalo[15] était l’archevêque de la ville de Grenade. C’était un pontife éminent, prudent et bon. Il eut la joie de voir s’épanouir au cours de son épiscopat des hommes qui se distinguèrent par leur sainteté et leur vertu. L’un d’entre eux, qui passait pour pauvre, humble et méprisable aux yeux des hommes jouissait d’une si grande estime auprès de Dieu qu’il mérita de porter son Nom : Jean de Dieu.

           

Il naquit qu Portugal dans le petit village de Montemor-o-Novo, dans le diocèse d’evora. Ses parents étaient de condition moyenne : ni riches ni pauvres[16].

 

Il grandit dans la maison de ses parents jusqu’à l’âge de huit ans. Un clerc l’emmena à leur insu à la ville d’Oropesa où il vécut longtemps dans la maison d’un brave homme appelé « Mayoral ».[17]

 

 Ce dernier envoya Jean, dès qu’il fut un peu plus grand, garder les bêtes à la campagne, avec ses autres serviteurs. Là, il s’occupait avec beaucoup de soins du ravitaillement journalier. Séparé de ses parents, très jeune, il avait soif d’affection ; il s’efforça donc, tant qu’il resta dans cette maison, de servir de son mieux ce brave homme en menant à bien les tâches qui lui étaient confiées ainsi que son travail de berger. Il était, en conséquence, aimé de tous et notamment de ses patrons.

 

Agé de 22 ans, il voulut partir en guerre et s’enrôla dans la compagnie d’infanterie du capitaine Jean Ferruz que le Comte d’Oropesa avait envoyé en renfort à l’Empereur afin de l’aider à secourir Fuenterrabia, occupée par le roi de France.[18]

 

Jean, mû par le désir de voir le monde et de jouir de cette liberté que ceux qui vont en guerre sont l’habitude de connaître, courant à bride abattue sur le chemin large mais fatiguant des vices, y rencontra beaucoup de tourments et de périls.

 

Un jour qu’ils se trouvaient à la frontière, ses compagnons et lui-même vinrent à manquer de vivres. Jeune et plein de bonne volonté, Jean se porta volontaire pour aller chercher de la nourriture auprès des hameaux ou fermes avoisinantes. Afin d’être aussi rapide que possible, il monta une jument française prise à l’ennemi. A deux lieues de son point de départ, la jument reconnaissant les chemins où elle avait l’habitude d’aller, commença à courir follement pour retourner chez elle. N’ayant qu’un licou en guise de bride, Jean ne put la retenir et elle galopa tant et si bien qu’elle le renversa au pied de la montagne, contre des rochers. Il resta là plus de deux heures comme mort, sans paroles, sans connaissances et trop isolé pour qu’il puisse trouver aide et secours.

 

Reprenant conscience, souffrant du coup reçu lors de la chute et, non moindre péril, courant le risque d’être fait prisonnier par l’ennemi, il se releva du mieux qu’il put, et, toujours sans parler, se mit à genoux ; alors levant les yeux au ciel, il invoqua le nom de la Vierge Marie pour laquelle il avait une grande dévotion, lui disant : « Mère de Dieu, venez à mon aide et à mon secours ; priez votre Fils afin qu’il me sauve du péril dans lequel je me trouve et qu’il ne permette pas que je sois pris par mes ennemis ».

 

Puis, faisant un gros effort sur lui-même, il se saisit d’un bâton trouvé là et s’aidant de ce support, il se mit en marche très lentement et arriva là où ses compagnons l’attendaient. Le voyant si mal en point et croyant qu’il avait subi l’assaut des ennemis, ces derniers s’inquiétèrent de ce qui lui était arrivé. Jean leur raconta sa mésaventure avec la jument. Alors ses compagnons le mirent au lit, le firent transpirer en l’enveloppant d’un grand nombre de couvertures. Au bout de quelques jours, Jean guérit, se retrouvant en bonne santé.

 


 

CHAPITRE II

Jean quitta l’armée

 

 

 

Quelques jours plus tard, Jean se trouva dans une situation encore plus dangereuse.

 

Son capitaine lui avait confié un paquet contenant des objets pris à des soldats français. Jean, distrait, ne l’avait pas mis en lieu sûr et se le fit voler.

Quand le capitaine l’apprit, il entra dans une telle colère qu’il condamna à être pendu à un arbre, sans vouloir écouter les supplications de ses soldats qui plaidaient la cause du pauvre Jean.

 

 Par chance, vint à passer une personne généreuse[19] que le capitaine tenait en grande estime. Cette personne apprenant le pourquoi de la condamnation le pria de ne pas faire exécuter un tel ordre. Le capitaine consentit à condition que Jean ne paraisse plus devant lui et qu’il quitte le camp immédiatement.

 

Jean, se rendant compte du péril où il s’était trouvé et de la piètre récompense qu’offre le monde à qui le suit servilement, décida de retourner à Oropesa, à la maison de son patron, le Mayoral, et de reprendre sa vie paisible de berger.

 

Son patron, qui l’aimait comme son fils, retrouva avec beaucoup de joie, ce Jean fidèle et diligent qui avait grandi dans sa maison.

 

Jean resta donc à son service quatre autres années. Or, un jour qu’il gardait les bêtes à la campagne avec ses compagnons, il apprit que le Comte d’Oropesa partait avec ses hommes pour la Hongrie, au service de l’empereur qui se rendait à Vienne pour y arrêter l’avance des Turcs[20].

 

Oubliant sa mésaventure de Fuenterrabia, Jean prit toutes les indications nécessaires et décida de s’enrôler sans tarder dans l’armée du Comte.

 

Pendant tout son séjour en Hongrie, Jean servit le Comte avec grande diligence, se gagnant ainsi l’amitié de  tous[21].

 

La guerre terminée et les Turcs partis, le Comte retourna en Espagne par mer et débarqua au port de la Corogne, pour se rendre à Oropesa. Jean l’accompagnait.

 

 

CHAPITRE  III

Jean de Dieu retourna dans son pays

 

 

 

Mais lorsque le Comte débarqua, Jean fut pris du désir de retourner dans son pays qu’il n’avait pas revu depuis l’âge de huit ans. Comme il n’en était guère éloigné et qu’il souhaitait en outre avoir des nouvelles de ses parents et de sa famille, il se mit en route et arriva à Montemor-o-Novo où il s’enquit de son père et de sa mère. Mais pas un des siens ne le reconnut. Il avait quitté le pays très jeune et personne ne sut le renseigner sur ses parents, dont Jean ignorait jusqu’au nom.

 

Allant de l’un à l’autre, il finit par rencontrer un de ses oncles, vieil homme menant une vie honorable. Ce dernier, soit par les indications que Jean donnait de ses parents, soit par les traits de sa physionomie, le reconnut et voulut savoir de ce qui lui était arrivé depuis qu’il avait quitté son pays.[22]

 

Jean lui raconta donc sa vie et le mit au courant de tout ce qui lui était arrivé depuis le jour où il avait été enlevé de la maison de son père.

 

Après qu’ils eurent parlé et se furent interrogés mutuellement pendant une bonne partie de la journée, l’oncle dit : « Mon fils, vous devez savoir que votre mère mourut peu de jours après que vous fûtes enlevé de ce pays. »

 

« La douleur et la peine qu’elle éprouva furent immenses : elle ignorait qui vous avait enlevé, et comment une telle chose avait pu se produire. Nous comprîmes tous que cette grande douleur lui avait enlevé toute envie de vivre et qu’elle fut la cause principale de sa mort. »

 

« Et votre père, se trouvant sans femme et sans enfant, alla à Lisbonne. Là il entra dans un monastère où il finit ses jours dans la sainteté, ayant pris l’habit de Saint-François.[23] »

 

« Ainsi mon fils, si vous voulez habiter ce pays et cette maison, je vous aiderai et vous considérai comme mon propre enfant, tant que vous voudrez rester avec moi. »

 

Jean s’en prit à lui-même de la mort de ses parents. Convaincu d’avoir été la cause de leur peine, il se mit à pleurer et à se lamenter, ce qui fit venir les larmes aux yeux de son oncle.

 

Jean remercia ce dernier de ses bonnes intentions et de son geste envers lui, puis se mit à réfléchir sur sa situation : sans parents, seul, inconnu de sa famille, que devait-il faire ? Alors, se tournant vers son oncle il lui dit : « Monsieur mon oncle, puisque Dieu a voulu rappeler à lui mes parents, je ne veux pas rester dans ce pays, je veux trouver un endroit où je pourrai servir Notre-Seigneur, hors de mon pays, comme le fit mon père, dont je suivrai le bon exemple. Je n’ai été jusque-là qu’un misérable pécheur ; il est donc juste que je consacre au Seigneur qui me l’a donnée la vie qui me reste à vivre ainsi qu’à faire pénitence. Je suis sûr que Notre-Seigneur Jésus-Christ me fera la grâce d’exaucer mon désir. Donnez-moi, je vous prie, votre bénédiction et confiez-moi à Dieu afin qu’il me prenne par la main. Que le Seigneur vous récompense de vos bonnes intentions et de l’accueil que vous m’avez fait dans votre maison. »

 

L’oncle le bénit et les deux hommes se séparèrent en s’embrassant et en pleurant beaucoup. Le bon vieillard regardant le ciel s’exprima ainsi : « Jean, partez heureux. J’espère que Notre-Seigneur vous aidera à réaliser vos pieux désirs et que les prières de vos chers parents vous aideront afin que vous puissiez un jour les retrouver. »

 

 


 

CHAPITRE IV

Ce qui arriva ensuite à Jean de Dieu

 

 

 

Après avoir quitté son oncle et reçu la bénédiction, Jean fut en Andalousie, dans la province de Séville. Là, il travailla pendant quelques jours comme berger, chez une dame, car ayant été élevé à la campagne, prendre soin des bêtes était son occupation préférée.[24]

 

Il semble que Notre-Seigneur ait voulu qu’il exerce pendant quelque temps ces deux métiers : l’élevage des moutons et la guerre ; tous deux faciles d’accès (celui de la guerre surtout) ouvrent grande porte à la vie spirituelle. En effet, la guerre apprend à l’homme qui suit cette voie qu’il ne faut jamais lâcher ses armes, mais au contraire combattre continuellement le démon, le monde et la chair, comme le fit précisément Jean. De même, l’élevage des moutons le prépara à être le berger et le guide de tous ces pauvres nécessiteux dont il tenta, avec une tendre sollicitude, de soigner le corps et de nourrir l’âme et l’esprit.

 

C’est avec une peine infinie qu’il voyait, dans les écuries du Comte de Oropesa, les chevaux propres et bien portants alors que ses frères les pauvres étaient faibles, nus et maltraités. Aussi, se demandait-il : « Jean, ne serait-il pas préférable de soigner et de nourrir les pauvres de Jésus-Christ plutôt que les animaux des champs ? » Puis il s’exclamait dans un soupir : « Que Dieu me donne in jour le pouvoir de le faire. »

 

C’est avec ce violent désir au fond du cœur, ne voyant pas encore le chemin que Notre-Seigneur lui réservait dans ce but (bien qu’il lui en ait déjà donné la volonté) qu’il vaquait à ses occupations ne trouvant ni tranquillité ni repos, perdant même l’envie de garder les moutons.

 

Ainsi, après être resté quelques jours chez cette dame, il se mit à examiner les différentes possibilités qui lui étaient offertes de renoncer au monde : un grand désir le prit de s’en aller sur les côtes d’Afrique, voir ce pays et y rester pendant quelque temps ; ce qu’il fit sans délai.

 

Prenant congé de sa patronne, il se rendit à Gibraltar, en face de Ceuta. Afin de lui faire mériter la grâce qu’il accorda par la suite, Notre-Seigneur le mit à l’épreuve en lui faisant accomplir certains actes de charité héroïques. Il lui fit rencontrer un chevalier portugais[25], qui, avec sa femme et ses quatre jeunes filles, se rendait à Ceuta.

 

Ce chevalier, ayant commis certains délits pour lesquels on lui avait confisqué tous ses biens, avait été exilé pendant quelques années par le roi du Portugal. Jean le mit au courant de ses intentions. Le chevalier l’engagea alors à son service lui promettant d’excellentes conditions et une bonne paye.

 

S’étant mis d’accord, les deux hommes s’embarquèrent et arrivèrent à Ceuta.[26]

 

 

CHAPITRE V

Son retour en Espagne

 

 

Alors qu’ils étaient à Ceuta, le pays s’avéra si inhospitalier au chevalier et à sa famille que tous tombèrent malades. Il est probable que la douleur de se voir exilés et ruinés contribua à cet état de choses ; ils durent donc dépenser le peu d’argent qu’ils avaient emporté et vinrent à en manquer.

 

Bien qu’ils ne le connaissaient que depuis peu, ils furent donc contraints de demander de l’aide à Jean de Dieu ; étant donné l’endroit et les circonstances, il était en effet la seule personne qui pouvait les aider. Ainsi le chevalier se décida à appeler Jean et à lui confier en secret sa gêne financière. Il ne fallait surtout pas que ses pauvres et honnêtes jeunes filles qui avaient grandi dans l’aisance, se doutent de quoi que ce soit. D’autre part, le chevalier ne sachant vers qui se tourner, pria Jean de Dieu de bien vouloir aller travailler aux travaux de fortification des murailles que le roi faisait construire à Ceuta, de façon à gagner assez d’argent pour pouvoir nourrir tout le monde.

 

Ces raisons, déjà touchantes en soi, attendrirent particulièrement le cœur d Jean tout enclin qu’il était à plaire à Notre-Seigneur de quelque façon ce soit. C’en était assez pour qu’il accepte immédiatement de faire ce qu’on lui demandait. Et pendant tout le temps où il demeura dans la maison du chevalier, il lui remit de bonne grâce, tous les soirs, sa paye de la journée, subvenant ainsi aux besoins des pauvres filles et de leurs parents.

 

Si par hasard, à cause d’un empêchement quelconque, Jean n’allait pas travailler ou qu’ayant travaillé, il n’était pas payé, personne ne mangeait. Tous enduraient cette pénible situation avec beaucoup de patience et sans en parler à quiconque.

 

Cette œuvre était si bonne et avait tellement l’air de plaire à Notre-Seigneur, que parfois Jean de Dieu disait avoir compris que Notre-Seigneur, dans sa grande bonté, l’éprouvait à dessein afin qu’il puisse mériter la grâce qui lui serait accordée par la suite.

 

Notre adversaire, le démon, voyant les résultats bénéfiques que cette bonne œuvre procurait à celui qui la faisait et à ceux qui la recevaient, essaya avec sa malice habituelle de la contrecarrer de la façon suivante : ceux qui travaillaient aux travaux de fortifications étaient malmenés par les ministres du Roi, tant en paroles qu’en actes, comme s’ils étaient des esclaves. N’étant pas libres d’aller où ils voulaient dans les pays chrétiens, rendus intolérants à la suite de mauvais traitements, certains d’entre eux, de mauvaises mœurs, comme on peut s’en douter, s’enfuyaient à la ville voisine de Tétouan et se faisaient maures.

 

Parmi eux se trouva un compagnon et ami de Jean ; tenté par le diable, il s’enfuit et se fit maure sans même lui en avoir rien dit.

 

La douleur de Jean fut si grande devant la trahison de son compagnon, qu’il ne faisait que pleurer et gémir, disant : « Oh pauvre de moi ! Quels comptes j’aurai à rendre pour ce frère qui a voulu se séparer de notre Mère la sainte Eglise et qui a renié la vérité de sa foi pour n’avoir pas voulu supporter quelques souffrances ! » Alors qu’il s’adonnait à de telles pensées, le démon lui suggéra que tout cela était arrivé par sa faute. Dans sa faiblesse, Jean ne sut lui résister et en arriva presque à douter de son propre salut et fut tenté d’imiter son compagnon.

 

Mais Notre-Seigneur veillait et comme il destinait Jean à de grandes œuvres, il lui vint en aide, comme il a l’habitude de le faire à tous ceux qui le prient dans les moments de grand désespoir. Il se contenta cependant de lui ouvrir les yeux de l’âme et lui fit comprendre le péril où il se trouvait afin d’éviter à Jean de tomber dans la tentation. Il le guida afin qu’il cherche le secours spirituel qu’il avait lui-même demandé avec larmes et soupirs, implorant le secours de la Vierge notre Mère. Le Seigneur permit que Jean, lors de sa visite à un couvent de l’Ordre de Saint-François situé à Ceuta, rencontre un religieux sage et pieux. Jean lui fit une longue confession et lui ouvrit son cœur. Le religieux lui donna le remède qui lui convenait, lui recommandant expressément  de quitter ce pays et de retourner en Espagne pour surmonter cette tentation diabolique ; un remède efficace s’imposait. Jean suivit son conseil et s’en alla très rapidement, bien que cette décision lui coûtât beaucoup de peine en pensant à la perte que son départ occasionnait à ses patrons. Mais poussé par la nécessité, il se rendit, chez eux et leur dit que son départ était indispensable au salut de son âme et qu’il lui était impossible d’agir autrement. Il leur demanda de lui pardonner, expliquant qu’il aurait bien voulu continuer à leur rendre service avec cette bonne volonté dont il avait fait preuve durant tout ce temps, mais que Notre-Seigneur lui ordonnait de prendre une autre voie ; que Dieu, en tant que père, prendrait soin d’eux et leur viendrait en aide comme il l’avait fait jusqu’à présent, qu’ils devaient avoir confiance en Lui. Ils lui donnèrent la permission de partir.

 

On ne peut imaginer la douleur qu’éprouvèrent le père et ses filles en apprenant la nouvelle. Voyant qu’ils ne pouvaient rien faire, tous lui donnèrent la permission en pleurant, espérant qu’il plaise au seigneur de le secourir et de l’aider dans cette période difficile, comme les avait secourus.

 

Sur ce, Jean prit congé, s’embarqua et arriva à Gibraltar.

 


 

CHAPITRE VI

Sa conversion

 

 

A peine débarqué à Gibraltar, Jean de Dieu entra dans une Eglise et, s’agenouillant au pied d’un crucifix, il rendit grâce à Notre-Seigneur en ces mots : « Soyez béni, Seigneur, d’avoir daigné, dans votre immense bonté, me délivrer d’une terrible illusion et d’une aussi grande tentation, à laquelle mes péchés m’ont poussé à succomber, moi grand pécheur, dépourvu de mérite. Une fois de plus, vous m’avez conduit à bon port. Je m’efforcerai de vous servir de tout mon être, si vous m’en donnez la grâce. Par conséquent, je vous supplie, mon Seigneur, de me la donner afin que je ne détourne pas les yeux de votre clémence et de m’indiquer le chemin à suivre pour vous servir et être votre esclave à jamais. Donnez enfin paix et tranquillité à cette âme qui le désire de toutes ses forces et avec raison, Seigneur, puisque vous êtes digne d’être servi et loué par votre créature, vous qui méritez qu’elle se donne à vous de tout son cœur et de toute sa volonté.»

 

Il resta là quelques jours, durant lesquels il prépara et fit une confession générale. Chaque fois qu’il pouvait, il entrait dans une église pour y prier. Il demandait toujours à Notre-Seigneur, du fond de son cœur et avec beaucoup de larmes, de lui pardonner ses péchés et lui montrer le chemin à suivre pour mieux le servir.

 

Il acceptait tout le travail qui se présentait à lui. Comme il se contentait de peu pour subsister, il économisait l’argent de sa paye journalière et réussit ainsi à mettre de côté une petite somme avec laquelle il acheta des livres pieux, catéchismes et images pour vendre à son tour dans son voisinage. Il pensait en effet qu’un tel travail lui permettrait de vivre plus tranquille et d’une façon plus vertueuse qu’il l’avait fait jusque-là et lui donnerait l’occasion de prodiguer des conseils susceptibles d’être utiles à bien des gens. Il faisait également le commerce de livres profanes, conseillant aux personnes qui désiraient les lui acheter d’en choisir d’autres, bons et pieux. En outre, il donnait de bons conseils plus spécialement aux enfants.

 

Grâce à ce pieux commerce, il enseignait d’excellentes choses et offrait à bas prix les livres pieux afin d’inciter ses clients à les acheter, réduisant par ce moyen la marchandise temporelle au profit de la spirituelle ; ils espérait ainsi obtenir le salut éternel tel qu’il le souhaitait. Il en était de même pour images : il persuadait tous et chacun de ne pas s’en priver, parce que les voir continuellement raviverait leu dévotion et leur rappellerait ce qu’elles évoquent et représentent. Ainsi en était-il des catéchismes qui permettaient aux parents d’enseigner la doctrine chrétienne à leurs propres enfants.[27]

 

Il faisait tout cela avec une si bonne grâce ; il était si humain et affable avec tous, que plusieurs achetaient ce qu’ils n’avaient même pas l’intention d’acheter, convaincus par tant de délicatesse et d’amour.

 

En peu de temps, il arriva à augmenter le capital spirituel et temporel, car par ses bonnes œuvres, il incitait les gens à lire de bons livres 8on connaît les bienfaits de la lecture) ; il agrandit son fonds de livres, étant ainsi à même d’en acquérir d’autres et de meilleurs.

 

Mais il fut bientôt épuisé d’aller d’un endroit à l’autre, son baluchon sur l’épaule. Il décida donc de se rendre à Grenade et d’y établir sa demeure. Il y arriva à l’âge de 46 ans[28], prit maison et ouvrit son magasin à la porte Elvire où il travailla jusqu’à ce que Notre-Seigneur lui indique une autre voie pour mieux le servir.[29]


 

CHAPITRE VII

De la conversion au Seigneur

 

 

Tandis que le bon Jean de Dieu se consacrait à son travail, le Seigneur se souvint de lui et de la grâce qu’il voulait lui accorder ; tournant vers Jean son regard miséricordieux, il fit de ce grand pécheur un grand pénitent, juste et entièrement dévoué aux pauvres.

 

Le jour de la Saint Sébastien, bienheureux martyr, se célébrait alors à Grenade une fête solennelle à l’Ermitage des Martyrs, qui se trouve dans la ville haute en face de l’Alhambra.[30] Il arriva qu’un excellent homme, maître de théologie, appelé Maître Avila, véritable modèle de sainteté, sage et lettré aux yeux de tous  ses contemporains, vint prêter dans cette Eglise. Grâce à son bon exemple et à sa doctrine, Notre-Seigneur fit une grande moisson d’âmes de toutes conditions, telle qu’il faudrait, pour en parler, une narration beaucoup plus détaillée.

 

Ses sermons étaient si célèbres qu’un grand nombre de personnes le suivaient. Ce qui fut aussi le cas ce jour-là. Parmi ceux qui allèrent l’écouter se trouvait Jean de Dieu[31].

 

Son âme étant suffisamment préparé, par ses confessions et ses actes de charité, comme nous l’avons dit, la parole de Dieu y fructifia.

 

Ce prédicateur exaltait avec ardeur la récompense que le Seigneur avait donné à son saint martyr, Sébastien, pour avoir souffert tant de tourments par amour pour lui. Il conclut en montrant à quel point un chrétien doit s’exposer pour servir son Seigneur, et souffrir plutôt mille morts que de l’offenser.

 

 Avec l’aide de la grâce du Seigneur, ces paroles, auxquelles il donna vie, se fixèrent au plus profond de l’âme  de Jean et furent si efficaces que leur force et leur puissance se manifestèrent sur-le-champ. Le sermon terminé, il sortit de là comme s’il était hors de lui, demandant miséricorde à Dieu, à voix haute. Plein de mépris pour lui-même (comme s’il estimait déjà ce qui doit être estimé) il se jeta à terre, la tête contre les murs, s’arrachant la barbe et les sourcils, se fustigeant de toutes sortes de manière. Cette attitude fit penser qu’il avait perdu la raison.

 

Sautant, courant, répétant les mêmes mots, il entra dans la ville suivi de plusieurs personnes, surtout des enfants qui criaient derrière lui : « Au fou ! Au fou ! » Il continua ainsi jusque chez lui (où il avait la boutique et tout ce qu’il possédait).

 

A peine entré, il prit les livres qu’il possédait et réduisit en pièces, à l’aide des mains et des dents, tous ceux qui traitaient de chevalerie et de sujets profanes. Quant à ceux qui parlaient de la vie des saints et de la bonne doctrine, il les donnait gratuitement à qui les lui demandait par amour de Dieu. Il fit de même avec les images et tout ce qu’il avait à la maison. Ceux qui recevaient ses livres étaient si nombreux qu’en peu de temps il ne lui resta plus rien et qu’il se retrouva privé de tous les biens matériels. Il donna même les vêtements qu’il portait, se déshabillant, donnait tout ce qu’il avait, tant et si bien qu’il ne lui restait qu’une chemise et un pantalon qu’il garda pour couvrir sa nudité.

 

Et ainsi, nu, nu-pieds et nu-tête il retourna à nouveau crier dans les rues principales de Grenade, voulant suivre nu le Christ nu et devenir totalement pauvre pour celui qui, étant riche, se fit pauvre pour montrer le chemin de l’humilité. C’est ainsi que Jean alla demander miséricorde au seigneur dans les rues de Grenade. Beaucoup de gens le suivaient pour voir ce qu’il faisait. Arrivé à la grande église[32], il se mit à genoux et commença à crier en disant : « Miséricorde, miséricorde, Seigneur Dieu, ayez pitié de ce grand pécheur qui vous a offensé ! » Et s’égratignant, se donnant des gifles et des coups, se jetant par terre, il ne cessait de pleurer, de crier, de demander au Seigneur le pardon de ses péchés.

 

Des personnes honorables mues de compassion devant ces démonstrations excessives, se rendirent compte qu’elles se ne trouvaient pas en présence d’un fou habituel. Le relevant et le réconfortant par de bonnes paroles, elles le conduisirent à la demeure du Père Avila, car c’était après l’avoir écouté que Jean s’était converti. Elles racontèrent au Père ce qui était arrivé après le sermon. Ce dernier demanda à tous ceux qui l’avait emmené de partir et il resta seul avec lui. Jean de Dieu se jeta à genoux à ses pieds et lui fit un court récit de sa vie passée. Il manifesta beaucoup de signes de contrition de ses propres péchés et lui demanda de le prendre sous sa protection et de le guider. Le Seigneur, ayant, à travers lui, commencé à le combler de grâces, il le prenait à cet instant pour son père et pour le prophète du Seigneur et il était prêt à lui obéir jusqu’à la mort.

 


 

 

CHAPITRE VIII

« Fou » aux yeux des hommes

 

 

Le prêtre, Maître Avila, rendait grâce au Seigneur devant les signes manifestes de contrition du nouveau pénitent et la douleur qu’il exprimait pour avoir offensé le Seigneur. Il accepta de l’accueillir dès ce moment comme son fils spirituel et lui offrit ses conseils en ces termes. 

 

« Frère Jean, comptez sur Notre-Seigneur Jésus-Christ et ayez confiance en sa  miséricorde. Il a commencé cette œuvre et la mènera à bien. Ne regardez pas en arrière et ne vous laissez pas tenter par le démon. Sachez que ceux qui combattent en vrais soldats dans les milices du seigneur partageront sa gloire éternelle. Ceux qui tournent le dos comme des lâches tomberont entre les  mains de leurs ennemis et périront pour l’éternité. Dans les moments de dépression et d’affliction (que vous connaîtrez certainement ), lorsque vous serez aux prises avec les tentations qui se présentent à ceux qui combattent pour Notre-Seigneur, venez chez moi car je sais quels sont les coups et les blessures qui vous feront le plus souffrir et les embûches que vous tendra l’adversaire.  Mais la grâce et la bonté de Notre-Seigneur vous procureront le remède salutaire à votre âme et de nouvelles forces pour combattre vos ennemis. Allez en paix avec la bénédiction du Seigneur et  la mienne. Je suis persuadé que Notre-Seigneur ne vous refusera pas sa miséricorde ».

 

Réconforté par les paroles et les bons conseils de ce saint homme, Jean de Dieu retrouva la force d’humilier et de mortifier sa chair au risque d’être traité par le peuple de fou et d’individu dangereux, méprisable et déshonoré, animé qu’il était par le désir de plaire à Jésus-Christ et de le mieux servir. Il considérait que c’est au Seigneur seul qu’il avait à rendre des comptes pour la grâce que le Très-Haut lui avait accordé de sa main. Aussi, dès qu’il quitta le Père Avila, il décida d’aller à la place Bibarrambla[33]. Là se trouvait une mare de boue dans laquelle il se roula longuement ; puis, le visage maculé il commença à confesser à haute voix (en présence des nombreuses gens du peuple qui se trouvaient là) tous les péchés qui lui venaient à l’esprit, disant : « J’ai été un très grand pécheur et j’ai offensé mon Dieu en faisant tel et tel péché. Le châtiment d’un pareil traître à la cause n’est-il pas d’être battu, maltraité par tous, tenu pour l’homme le plus vil du monde, et jeté dans la boue au milieu des immondices ? »

 

Devant ce spectacle les gens du peuple crurent qu’il avait perdu la raison. Mais comme il était déjà tout plein de grâce de Dieu, qu’il désirait mourir pour lui, parmi les clameurs et le mépris de tous, et dans un ardent désir d’être mis à mal par la foule, il se releva et recouvert de boue il se mit à courir  dans les rues principales de la ville en sautant et gesticulant comme un dément.

 

En le voyant, les enfants et une grande partie de la populace commencèrent à le suivre, criant, chahutant, lui lançant des cailloux, de la boue et tout ce qu’ils trouvaient à ramasser. Il supportait tout cela avec beaucoup de patience et de joie comme si c’était une fête. Il s’estimait heureux de pouvoir ainsi satisfaire ses désirs de souffrir pour celui qu’il aimait par-dessus tout sans faire de mal à personne.

 

Il portait une croix en bois qu’il donnait à baiser à la foule. Si quelqu’un lui disait d’embrasser la terre par amour de Jésus, fût-ce  un enfant, il s’empressait de lui obéir même si le sol était recouvert de boue.

 

Il parcourut ainsi la ville pendant plusieurs jours avec tant de ferveur et très souvent il tombait par terre de fatigue, étourdi par les clameurs, les chocs et les coups qu’il recevait. Il savait feindre la folie avec une telle habileté que tous le croyaient réellement devenu fou. Il était si faible à cause des souffrances qu’on lui infligeait et du manque de nourriture, qu’il ne pouvait plus se tenir debout. Pourtant il était loin d’être rassasié d’opprobres ; le visage serein, sans se lamenter ni protester, il offrait son corps aux pierres et aux coups des enfants.

 

Deux hommes de bien de la ville, pris de compassion devant tant d’ignominies, résolurent de le soustraire à la furie du peuple et le conduisirent à l’Hôpital Royal où sont enfermés et soignés les fous de la ville[34]. Ils prièrent le majordome de l’hospitaliser, de le soigner, de le faire se reposer dans une chambre où il ne pourrait voir personne. Ainsi guérirait-il de cet accès de folie, pensaient-ils.

 

Le majordome qui l’avait vu marcher à travers la ville et souffrir mille tourments le reçut tout de suite et donna ordre à un infirmier de l’hospitaliser.

 

Pris de compassion à la vue de ses vêtements en lambeaux et des blessures et meurtrissures qui lui avaient été infligées, les infirmiers le soignèrent tout le suite. Ils le traitèrent au début avec beaucoup de délicatesse pour qu’il puisse se ressaisir et supporter les traitements habituellement donnés aux fous. (L’essentiel du traitement consistait en effet à donner aux fous des coups de fouet, à les attacher solidement, en espérant que sous l’effet de la douleur et des coups, ils se calmeraient et reviendraient à la raison). Ils l’attachèrent nu-pieds et mains liés puis, à l’aide d’un fouet à double corde, lui administrèrent une volée de coups de fouet.

 

Son infirmité était d’être malade d’amour de Jésus-Christ, et voulant être plus maltraité et recevoir plus de coups de fouet, par amour pour lui, Jean de Dieu s’adressa aux infirmiers en ces termes : « Oh, traîtres ennemis de la vertu ! Pourquoi traitez-vous si mal et avec tant de cruauté, ces pauvres malheureux, mes frères, qui se trouvent dans cette maison de Dieu avec moi ? Ne serait-il pas mieux d’avoir pitié d’eux et de leurs souffrances, de les laver, de leur donner à manger avec plus de charité et d’amour que vous ne le faites, puisque les Rois Catholiques ont donné  ce qu’il fallait pour subvenir aux frais de cet hôpital ? »

 

En entendant cela les infirmiers pensèrent qu’à la folie s’ajoutait la malice et décidés à le guérir de l’une et de l’autre, ils lui donnèrent, en plus des coups de fouet, de très violents coups réservés seulement aux vrais fous.

 

Jean de Dieu n’en continuait pas moins à leur reprocher leurs coupables négligences. Pour toute réponse les infirmiers redoublaient de coups de fouet. Bénissant cette souffrance, il s’offrait tout entier à Celui par amour duquel il se trouvait dans cette si cruelle situation.

 

 

 

CHAPITRE IX

A l’hôpital

 

 

Lorsque le maître apprit que Jean de Dieu avait été enfermé comme fou à l’Hôpital Royal, et connaissant la vraie raison de son infirmité et de sa folie, il envoya tout de suite un de ses disciples lui témoigner son admiration pour les souffrances que Jean éprouvait par amour de Jésus. Le disciple le priait aussi, au nom de Dieu, de se comporter comme un bon et courageux soldat qui risque sa vie pour son roi et seigneur et d’accepter avec humilité et patience toutes les souffrances que le ciel lui enverrait. Il présenta en exemple les souffrances de notre Rédempteur sur la croix pour lui montrer combien celles qu’il endurait étaient dérisoires. Il lui dit encore : « Exercez-vous Frère Jean, alors que vous en avez le temps, afin d’être prêt à combattre les trois ennemis quand vous retournerez au monde. Ayez confiance, le Seigneur ne vous abandonnera pas. »

 

Frère Jean fut très réconforté par les paroles du disciple que lui envoyait son bon père et maître  Avila. C’était en effet une grande consolation pour Jean qui était dans cette prison, oublié de tous, sauf du Père Avila et du Seigneur qui le soutenaient dans ses souffrances. Pleurant de joie devant cette grâce que le Seigneur lui envoyait, il dit au disciple : « Que le Christ rende visite à mon bon père et qu’il le récompense pour la bonne action qu’il vient d’accomplir. Dites-lui que son esclave acheté pour une juste cause a plein espoir en la miséricorde du seigneur, que je suis son serviteur malgré ma méchanceté et ma paresse et que, par amour de Notre-Seigneur, il n’oublie pas de me recommander dans ses prières au Dieu suprême. Dites-lui que je serais heureux d’avoir le Seigneur à mes côtés partout et en tout temps. »

 

Les deux se voyaient secrètement et se comprenaient à travers ses paroles.

 

Les infirmiers de l’hôpital veillaient sur lui avec beaucoup d’attention et lorsqu’il lui arrivait – souvent, nous l’avons vu de perdre la raison – ils lui administraient des coups de fouet de plus belle dans l’espoir de le guérir comme ils avaient essayé de guérir les autres. Jean les recevait allègrement et disait : « Frappez, frères, cette chair traîtresse, ennemie du bien, cause de tous mes maux. Ayant cédé à la chair, il est juste que nous expiions corps et esprit, parce que nous avons péché tous les deux. »

 

Devant le châtiment qu’on  infligeait aux fous qui étaient avec lui, il s’écriait : « Jésus-Christ, donnez-moi le temps et faites-moi la grâce d’avoir un Hôpital. Je recueillerai les pauvres abandonnés et ceux qui ont perdu la raison et les servirai du mieux que je pourrai ». Notre-Seigneur l’exauça pleinement comme on le verra par la suite.

 

Jean de Dieu fut interné pendant plusieurs jours au cours desquels il endura mille souffrances sans se plaindre et toujours animé de la même secrète volonté de réaliser son vœu le plus cher : servir Notre-Seigneur en aidant les pauvres. L’heure étant venue de réaliser son désir, Jean de Dieu redevint calme et rendit grâce à Dieu en sanglotant : « Soyez béni, Seigneur, de  m’avoir guéri et délivré, moi qui ne le mérite pas, de la douleur et de l’angoisse que je ressentais dans mon cœur pendant ces derniers jours. »

 

Le majordome et les autres officiers étaient très contents de le voir plus reposé et de l’entendre dire qu’il allait mieux. Ils lui ôtèrent ses liens et lui permirent de se promener librement dans l’Hôpital. Il se mit sans attendre à servir les pauvres avec beaucoup d’amour, frottant, balayant et nettoyant partout.

 

Heureux  de voir que leur patient était guéri, qu’il avait retrouvé toute sa raison et se dévouait  à servir les pauvres avec charité et diligence, les infirmiers rendaient grâce au Seigneur d’une telle guérison.


 

 

CHAPITRE X

pèlerin à Notre Dame de Guadeloupe

 

 

Le jour de la Fête des onze mille vierges, alors que Jean, tout à ses nouvelles occupations, était assis sur le seuil de l’Hôpital, réfléchissant aux tâches qui l’attendaient et aux grâces qu’il avait reçues de Dieu, vit défiler dans la rue un long cortège de gens à cheval et de nombreux membres du clergé qui portaient et accompagnaient la dépouille de l’impératrice, (la femme de l’empereur Charles Quint). On l’emportait dans sa dernière demeure, c’est-à-dire la chapelle royale de Grenade[35]. S’étant informé, Jean fut très touché à la vue de ce cortège et voulut sortir tout de suite de l’Hôpital et mettre ses bons désirs en œuvre. Nous avons dit qu’il souhaitait servir Notre-Seigneur en donnant à manger aux pauvres, en recueillant les abandonnés et les pèlerins. En ce temps-là en effet, dans la ville (l’Espagne était un pays conquis depuis peu) il n’existait pas encore d’Hôpital où ils auraient pu se réfugier.

 

Dans ce but, il se rendit chez le majordome et lui dit : « Frère, que Notre-Seigneur Jésus-Christ vous récompense pour l’aumône et la charité qui m’ont été données dans cette maison de Dieu lorsque j’étais malade. Maintenant, bénis soit Notre-Seigneur, je suis sain et de nouveau prêt à travailler. Donc pour l’amour de Dieu donnez-moi, si vous le voulez bien, la permission de partir ».

 

Le majordome lui répondit : « J’aurais voulu vous garder quelques jours de plus dans cette maison pour vous vous remettiez sur pied et que vous repreniez des forces parce que vous êtes très faible encore à cause de vos souffrances passées. Mais puisque telle est votre volonté de partir, allez avec la bénédiction de Dieu et prenez avec vous cette autorisation de partir afin que les gens qui vous voient ne vous ramènent pas à l’Hôpital, en croyant que vous n’êtes pas encore guéri de votre maladie ».

 

Jean prit cette lettre avec beaucoup d’humilité car il voulait que tous continuent à croire qu’il avait perdu la raison.

 

Prenant congé des personnes qui habitaient l’Hôpital et qu’il aimait beaucoup, Jean de Dieu, les vêtements en lambeaux, nu-pieds, nu-tête, se mit tout de suite en route pour Notre-Dame de Guadeloupe[36]. Il s’en allait rendre visite à Notre Dame la Vierge pour la remercier de l’aide et des faveurs reçues et pour lui demander de le secourir dans la nouvelle vie qu’il comptait entreprendre. Il avait toujours senti son influence et son aide dans tous ses instants de souffrance et de lutte.

 

Au cours de ce pèlerinage, il souffrit beaucoup de la faim et du froid, exposé qu’il était de l’hiver. Sans argent, il lui fallait mendier pour manger et il était nu-pieds.[37]

 

Cependant pour ne pas arriver les mains vides, il avait pris l’habitude, chaque fois qu’il arrivait quelque part (ou qu’il devait manger ou s’arrêter pour la nuit), d’apporter un fagot de bois qu’il transportait sur ses épaules à l’Hôpital du lieu s’il y en avait un. Il laissait ce bois aux pauvres puis il s’en allait mendier de quoi subvenir à ses maigres besoins.

 

Arrivé à Guadeloupe, il entra à genoux à l’église et avec beaucoup de dévotion et de larmes, présenta à Notre-Seigneur d’autres requêtes. Il le remercia de tout ce qu’il avait déjà reçu, puis se confessa et communia. Il consacra quelques jours à la prière puis décida de s’en retourner.

 

 

 


 

CHAPITRE XI

Retour à Grenade

 

 

Son pèlerinage terminé, Jean reprit le chemin de Grenade. Arrivé à Baeza[38] il apprit que son bon maître le Père Avila se trouvait là pour prêcher comme il le faisait dans d’autres villes et villages. Il alla lui rendre visite aussitôt et l’informa de son voyage. Ce dernier l’accueillit avec beaucoup de joie. Jean resta avec lui quelques jours au bout desquels il lui demanda de le conseiller sur ce qu’il devait faire. Il lui dit : « Frère Jean, il vaut mieux que vous retourniez à Grenade, où vous fûtes appelé par le Seigneur. Il connaît votre intention, votre désir ; il vous montrera donc quel chemin prendre pour le servir. Qu’il demeure présent dans toutes vos entreprises et n’oubliez pas qu’il vous regarde. Agissez comme s’il était à vos côtés. Arrivé à Grenade, choisissez-vous un confesseur qui soit, comme je vous l’ai déjà dit, votre père spirituel et ne faites rien d’important sans lui demander conseil[39]. Si jamais vous avez besoin de mon conseil, écrivez-moi en quelque endroit où je me trouve, car avec l’aide de Notre-Seigneur, je ferai pour vous tout ce que la charité m’engage à faire ».

 

Sur ces mots, Jean le quitta et se dirigea vers Grenade. Arrivé de bon matin, il s’en alla sur la montagne ramasser du bois après avoir assisté à la messe. Au retour il éprouva une telle honte à entrer dans la ville chargé d’un fagot de bois, qu’il n’osa pas franchir ainsi la porte des Moulins pourtant assez éloignée du centre animé de la ville. Il préféra le donner à une pauvre veuve qui semblait en avoir besoin.

 

Le lendemain, honteux de sa lâcheté de la veille, il se leva de bon matin, assista à la messe et retourna ramasser du bois sur la montagne. Arrivé en ville il recommença à avoir honte. Mais s’encourageant à aller de l’avant, il dit à son corps : « Frère âne qui ne voulez pas entrer à Grenade chargé de bois parce que vous avez honte et qui ne voulez pas perdre votre fierté, vous la perdrez pourtant et vous porterez ce bois jusqu’à la grande place afin que vous puissiez être vu et reconnu de tous. Voilà comment vous perdrez cette vanité et cet orgueil ».

 

Ainsi parvint-il jusqu’à la place principale. Dès qu’elles l’aperçurent ployant sous le bois, (elles ne l’avaient pas vu depuis le dernier épisode sur la place) plusieurs personnes étonnées de le revoir, l’entourèrent et certaines qui aimaient rire et se moquer des autres le tournèrent en dérision. « Que vous arrive-t-il, frère Jean ; êtes-vous devenu bûcheron ? Comment cela s’est-il passé à l’Hôpital Royal avec les infirmiers ? Vous êtes certes incompréhensible : vous changez tous les jours de métiers et de façon de vivre ». Ainsi se moquaient de Jean les jeunes oisifs de la ville.

 

Il acceptait les moqueries sans rien perdre de sa gaîté et sans s’offusquer le moins du monde allant même jusqu’à participer à leur jeu et plaisanter avec eux : « Frères, c’est le jeu du «birlimbao » : plus vous le verrez, moins vous le comprendrez »[40].

 

Ainsi s’en allait-il parlant de son passé avec humour et dissimulant la grâce qu’il avait reçue du Seigneur. Il se réjouissait secrètement d’être pris pour le dernier des hommes ou presque. Cette attitude lui réussissait fort bien, au point que les gens qui l’écoutaient  étaient persuadés que sa folie ne l’avait pas quitté tout à fait. Il en fut ainsi jusqu’au jour où la semence enfoncée en terre portât enfin ses fruits divins.

 

Il continua ainsi pendant plusieurs jours à descendre du bois de la montagne et à se nourrir de cette façon. Ce qu’il recevait, il le distribuait aussitôt aux pauvres. Il en découvrait sous les porches et les arcades, transis, nus, recouverts de plaies et affligés d’infirmités. Cette foule de malheureux l’émut profondément et le décida plus que jamais à chercher une solution pour soulager leurs maux.

 


 

CHAPITRE XII

Le premier Hôpital

 

 

Résolu à venir en aide aux pauvres, Jean de Dieu s’entretint avec plusieurs âmes charitables qui l’avaient soutenu dans ses tourments. Avec leur aide il loua une maison à la poissonnerie de la ville idéalement située près de la Place  Bibarrambla. C’est là en effet qu’il recueillait les malheureux, les infirmes et les estropiés[41]. Il acheta ensuite quelques nattes de jonc et de vieilles couvertures sur lesquelles ils puissent s’étendre. Faute d’argent, il ne pouvait faire mieux pour l’instant. « Frères, disait-il aux pauvres, rendez grâce à Dieu qui vous a attendus longtemps pour que vous puissiez faire pénitence et expier les offenses que vous lui avez faites. Je vous conduirai à un médecin spirituel qui guérira vos âmes.  Nous trouverons remède à vos souffrances physiques. Ayez confiance en Notre-Seigneur ; il pourvoira à tout comme il a l’habitude de le faire avec ceux qui donnent le meilleur d’eux-mêmes. »

 

Puis il s’en allait chercher un prêtre et les faisait tous se confesser. Son esprit de charité était si éloquent qu’il n’avait aucune peine à trouver un prêtre pour une bonne œuvre.

 

Ensuite il partait dans les rues de la ville, un  lourd panier sur les épaules et une casserole dans chaque main, criant à la foule : « Qui fait le bien pour soi-même ? Faites le bien par amour de Dieu, mes frères en Jésus-Christ ! »

 

Au début il sortait le soir, sous la pluie parfois, à l’heure où les gens se trouvent chez eux. Surpris de cette nouvelle façon de demander l’aumône, les gens apparaissaient aux portes et aux fenêtres. La voix émouvante et persuasive que lui avait donnée le Seigneur touchait profondément l’âme de chacun. L’austérité de sa vie avait fait de lui un être frêle et affaibli qui touchait les cœurs au point que les gens sortaient et lui donnaient une obole, chacun selon ses moyens : de l’argent, des morceaux de pain ou des pains entiers, des restes de repas, de la viande, etc. Ils déposaient leur aumône dans le panier qu’il emportait toujours avec lui.

 

Ensuite, il s’en retournait vers ses pauvres. A peine arrivé il disait : « Dieu vous sauve, frères ; priez le Seigneur pour qui vous fait du bien.»

 

Ensuite il faisait réchauffer cette nourriture et la distribuait à chacun d’eux. Une fois que les pauvres avaient mangé et prié pour leurs bienfaiteurs, Jean se chargeait de laver les assiettes et les écuelles et de frotter les casseroles ; puis il balayait et nettoyait la maison ; ensuite il prenait deux grandes cruches et allait chercher de l’eau à la fontaine. Les gens se souvenant qu’on l’avait enfermé comme fou et le trouvant bizarre, ne voulaient pas l’aider dans son travail. Il en fut ainsi jusqu’à ce que le monde reconnaisse en lui ce qu’il était réellement.

 

Comme il servait les pauvres avec beaucoup d’amour, ils étaient nombreux à venir à lui. Malheureusement, la maison était trop étroite et les malades trop nombreux. Jean ne pouvait accueillir tous ceux qui accouraient à lui, attirés par sa réputation. Il n’y avait pas de place pour ceux-là mêmes que Jean de Dieu cherchait avec tant d’affection et d’amour et qui, malgré leurs supplications, n’avaient pu être acceptés dans les autres hôpitaux.

 

Il fut donc obligé de louer une autre maison, plus grande, plus spacieuse, où il transporta un à un sur ses épaules les estropiés et les infirmes qui ne pouvaient marcher seuls. De même il transporta chacun des grabats qui servaient de couches aux malades et aux pèlerins. Mais dans cette nouvelle maison il mit davantage d’ordre et d’harmonie, s’arrangeant pour procurer des lits aux malades les plus atteints . Notre-Seigneur lui envoya des infirmiers pour le remplacer pendant qu’il allait demander l’aumône et les médicaments nécessaires.[42]

 

L’esprit de charité dont faisait preuve Jean de Dieu porta enfin ses fruits et il réussit à se procurer tout ce qui était nécessaire à l’aménagement de la maison de Dieu. En effet, les gens commençaient à se rendre compte de la valeur de son œuvre. De nombreuses personnes dignes et respectées de Grenade et d’ailleurs, le tenaient en grande estime, constatant qu’il persévérait dans ses efforts, administrait sa maison avec beaucoup d’ordre et se dévouait chaque jour davantage.

 

S’apercevant que non seulement il logeait les pèlerins et les abandonnés comme au début, mais qu’il avait aussi des lits prêts pour les infirmes à qui il apportait des soins, tous commencèrent à avoir une grande confiance en lui et lui accordèrent volontiers ce dont il avait besoin pour les pauvres. Les aumônes devenaient plus généreuses et maintenant on allait jusqu’à donner des couvertures, des draps, des matelas, des vêtements et d’autres choses encore.

 

Venaient à lui toutes sortes de pauvres nécessiteux, des veuves et des orphelins très respectés qui le visitaient en secret, des personnes aux prises avec la justice, des déserteurs, des paysans pauvres (ces derniers étant plus nombreux cette année-là parce que les récoltes avaient été mauvaises). Il portait secours à tous, chacun selon ses besoins et ne renvoyait personne sans l’avoir réconforté. Aux uns, en effet quand il pouvait donner tout de suite il le faisait avec joie ; aux autres il les réconfortait par de bonnes paroles gaies et affectueuses, leur redonnant confiance en Dieu, qui pourvoirait à leurs besoins. C’est ce qui arrivait : personne ne repartait les mains vides. Le Seigneur procurait toujours à  Jean le moyen de les aider.

 

Il ne suffisait pas de soigner ceux dont il avait la charge ; il prenait en outre la peine d’aller chercher les pauvres qui avaient honte de venir à lui ; jeunes filles retirées, religieuses et sœurs dans le besoin, femmes mariées à la recherche de conseils. Généreux et bon, il leur fournissait le nécessaire, demandant l’aumône à des dames riches et aisées. Il leur achetait le pain, la viande, le poisson, le charbon et tout le nécessaire pour survivre et leur épargner ce travail et afin qu’elles puissent consacrer tout leur temps à cultiver la vertu et le recueillement.

 

Une fois leurs subsistance assurée, Jena de Dieu ne négligea point d’occuper leurs mains pour qu’elles ne restent pas oisives. Dans ce but il se procura de la soie chez les marchands ou encore du lin à filer et de l’étoupe. Il s’asseyait un peu avec elles, les encourageait au travail, leur tenait un bref  discours spirituel, les exhortant à aimer la vertu et à haïr le vice. Il cherchait les mots qui portent, les arguments qui frappent et qui sont encore aujourd’hui vivants dans la mémoire de tous ceux qui les entendirent. Il les persuadait de faire le bien car ainsi elles ne manqueraient jamais de rien pour vivre et gagneraient la grâce du Seigneur. Il allait même jusqu’à offrir des prix aux plus assidues au travail. C’est ainsi qu’il les poussait à vivre dans la vertu et à servir Notre-Seigneur.

 

Les envieux ne manquaient pas non plus comme dans toutes les autres initiatives qu’il entreprenait. Satan ne cesse jamais de faire la guerre, lui ou ses suppôts, à ceux qui échappent à son contrôle et se mettent au service de Notre-Seigneur. Il s’en trouvait en effet pour se moquer de lui et le calomnier. Tout ce qu’il faisait, disaient-ils, n’est que le reflet de sa récente folie à l’époque où il errait, privé de raison, dans les rues de Grenade. Ils étaient certains de le voir s’écrouler bientôt parce qu’il ne pouvait s’appuyer sur aucune base solide.

 

Ainsi, tapis dans l’ombre, ils l’épiaient, observant les maisons où il entrait et se tenant au courant de ses moindres faits et gestes. Mais ils restèrent étonnés, confus, et interloqués devant son magnifique exemple, son honnêteté et la sainteté  de ses paroles et de ses actes. Certains même, quand ils le rencontraient, le louaient et lui donnaient l’aumône comme malgré eux.

 

Dans tout cela, Jean de Dieu n’oubliait pas ses pauvres qui demeuraient sa préoccupation de tous les instants. Le matin avant de sortir de la maison, il les consolait et leur donnait ce dont ils avaient besoin. Après avoir donné ses instructions (chacun avait une tâche bien définie) et conscient que ses compagnons feraient leur devoir, il partait et allait mendier jusqu’à dix heures ou onze heures du soir.

 

 


 

CHAPITRE XIII

Autres œuvres

 

Frère Jean de Dieu était rempli d’une grande vénération pour la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est à la source de notre rédemption. Il avait puisé en elle un grand réconfort et une grande douceur.

 

C’est pourquoi, désireux de faire partager à son prochain cette richesse spirituelle qu’il avait acquise, il prit la résolution, par amour de Dieu, d’aller tous les vendredis, (jour de la rédemption) à la maison des femmes de mauvaise vie. Il voulait à tout prix arracher aux griffes du démon quelques-unes de ces âmes perdues depuis longtemps.

 

A peine entré, il s’adressait à celle qui lui semblait plus égarée et sui moins que les autres pensait à changer de vie. « Ma fille, disait-il, je te donnerait un autre et même plus. Je voudrais te dire deux mots, dans te chambre ».

 

Entré dans sa chambre il la faisait s’asseoir ; lui s’agenouillait devant un petit crucifix qu’il portait toujours sur lui ; il commençait à confesser es propres péchés, pleurant amèrement, demandant pardon à Notre-Seigneur avec tant d’affection, qu’il suscitait en cette femme le repentir pour les fautes commises. C’est ainsi qu’il retenait son attention et commençait à lui raconter la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il le faisait avec tant de dévotion que la femme était émue jusqu’aux larmes.

 

Il lui disait alors : « Regarde, ma sœur, ce que tu as coûté à Notre-Seigneur et pense à ce qu’Il a souffert pour toi. Ne sois pas toi-même la cause de ta perdition. Pense à la récompense éternelle qu’il a préparée pour les justes et au châtiment  éternel qu’il réserve à ceux qui, comme toi, vivent dans le péché. Ne le provoque pas davantage ; de peur qu’Il ne te délaisse complètement comme le méritent ts péchés. Veux-tu donc te précipiter comme une lourde pierre au fond de l’enfer ? » Le Seigneur lui inspirait ces paroles et d’autres encore. Quelques-unes des femmes, corrompues jusqu’au tréfonds de l’âme, ne prêtaient aucune attention à ses paroles ; d’autres par contre guidées par Dieu, devenaient pleines de contrition et se confessaient à Jean de Dieu, disant : « Frère, Dieu sait que je voudrais servir avec vous les pauvres de l’Hôpital, mais je me suis engagée et personne ne me laissera partir avec vous ».

 

Sous l’effet de la joie, Jean répondit : « Fille, aie confiance en Dieu ; ayant illuminé ton âme, Il te donnera le nécessaire pour ton corps. Songe que tu veux Le servir et non l’offenser. Prends la ferme résolution de préférer mourir plutôt que retourner au péché. Reste ici en attendant que je revienne ».

 

Et il se rendit en hâte chez les nobles dames de la ville qui l’aidaient fréquemment et s’adressait à elles en ces termes : « Mes sœurs en Jésus-Christ, sachez qu’il y a une esclave sous l’emprise du démon. Aidez-moi, pour l’amour de Dieu à la racheter et libérons-la de ce misérable esclavage ».

 

Ces personnes avaient un tel sens de la charité qu’il était rare que Jean revienne les mains vides.

 

Quand il ne trouvait pas de solution, il établissait un reçu par lequel il s’engageait à régler les dettes de toutes les femmes qu’il enlevait à ceux qui en avaient la charge.

 

Il les conduisait tout de suite à l’Hôpital et les envoyait à l’infirmerie. Là elles retrouvaient d’autres femmes ayant exercé le même métier qu’elles et pouvaient ainsi se rendre compte des conséquences néfastes que réserve ce genre de vie à celles qui persistent dans ce métier. Certaines, en effet, avait la tête putréfiée ; on devait leur enlever des morceaux d’os ; d’autres avaient des parties de leur corps putréfiées et l’on détachait les morceaux de peau, à l’aide d’un cautère enflammé, ce qui provoquait d’atroces douleurs et les rendait laides et horribles à regarder.

 

En les observant, Jean de Dieu essayait de déceler les dispositions propres à chacune de ses femmes.

 

Certaines d’entre elles avaient plus que d’autres besoin de la lumière du Seigneur. Elles réfléchissaient sur leur vie, puis décidaient de se retirer du monde et de faire pénitence. Il les conduisait au monastère des Retraitées et leur donnait le nécessaire. A d’autres qui n’étaient pas portées vers le recueillement, mais plutôt vers la vie de famille, Jean leur trouvait une dot et un mari et les mariait aussitôt. C’est ainsi que, grâce à lui, plusieurs de ces femmes reçurent le sacrement de mariage. La première fois qu’il se rendit à la Cour, avec les aumônes qu’il avait recueillies, il maria 16 femmes en une seule fois, comme en témoignent encore aujourd’hui certaines d’entre elles qui sont veuves et qui ont vécu et vivent encore dans la droiture et la chasteté.

 

L’exercice de son devoir n’alla pas chez Jean de Dieu sans d’innombrables mortifications et tourments. Mais il fit preuve en tout temps de cette patience admirable et héroïque dont Notre-Seigneur l’avait pourvu.

 

La plupart de ces femmes étaient très obstinées, perdues, endurcies dans leurs péchés. C’est pourquoi de nombreux serviteurs de Dieu, s’abstenaient de traiter avec elles, en déplorant toutefois  leur perdition.

 

Quand il arrivait à arracher quelques-unes d’entre elles à cette vie de débauche, les autres criaient, l’insultaient, le couvraient d’injures, le calomniaient en disant  que derrière ce dévouement se cachaient de mauvaises intentions.

 

Il ne répondait pas, mais supportait tout cela avec beaucoup de patience, en s’abstenant de rendre le mal pour  le mal. S’il arrivait que quelqu’un les réprimandât en disant : « Pourquoi êtes-vous si bien ? », Jean de Dieu s’interposait : « Laissez-les, ne leur dites rien, ne me privez pas de ma couronne, parce qu’elles me connaissent, savent qui je suis et me traitent comme je le mérite ».

 

A ce propos il se produisit un fait particulier, digne d’être raconté, davantage pour en souligner le caractère extraordinaire que pour servir d’exemple, parce qu’il traduit bien cet ardent désir qui habitait Jean de Dieu de travailler au salut des âmes susceptibles de rachat à un prix inestimable. Voici ce fait : Alors qu’il s’était rendu une nouvelle fois dans une maison close et avait réussi à persuader quelques femmes d’abandonner leur mauvaise vie, quatre parmi elles s’étant mises d’accord, firent semblant de se repentir de leur passé.

 

Elles lui dirent qu’elles venaient de Tolède et qu’elles quitteraient leur mauvaise vie à condition qu’il les conduisît là-bas, car elles avaient à régler certaines choses qui pesaient sur leur conscience. En elles lui promettaient de le suivre en tout ce qu’il leur commanderait de faire.

 

Jean accepta, pensant qu’il avait là l’occasion de racheter l’âme de ces quatre femmes.

 

Il décida donc de les y conduire. Il prépara les montures et les vivres, et fit à pied le chemin avec elles. Il emmena avec lui un serviteur de l’Hôpital, du nom de Jean d’Avila, un homme circonspect et de bonne vie (mort récemment après s’être dévoué de longues années durant au service de cette maison), qui a rapporté la présente anecdote[43].

 

Ils partirent donc avec elles. Tous les voyageurs qu’ils rencontraient s’étonnaient de voir deux hommes portant l’habit en compagnie de quatre femmes de mauvaise vie. Ils les tournaient en dérision, sifflaient à leur passage, les invectivaient ou leur chuchotaient qu’ils vivaient en concubinage avec elles et d’autres paroles du même acabit.

 

Jean de Dieu se taisait et supportait tout cela avec beaucoup de patience, même quand Jean d’Avila, irrité de s’entendre traiter de tous les noms, le réprimandait et lui demandait à quoi servait ce voyage avec ces personnes perverses qui ne leur apportaient que des affronts. La mesure fut à son comble lorsque, traversant Almagro[44], l’une des femmes décida de rester dans ce ville et que, une fois arrivés à Tolède, les trois autres s’enfuirent, deux d’entre elles disparaissaient totalement.

 

Alors son serviteur le réprimanda encore plus violemment en ces termes : « Ce voyage était une folie ! Ne vous avais-je pas dit qu’on ne peut rien attendre de bon de cette engeance perverse ? Laissons-les et retournons chez nous, elles sont toutes de la même race ».

 

A tout cela il répondit avec patience : « Frère Jean, réfléchis, si tu t’étais rendu à Motril[45] avec quatre paniers de poissons et qu’au retour, durant le voyage, trois se soient gâtés sauf un, est-ce que tu aurais jeté le bon avec ceux qui sont gâtés ? Eh bien, des quatre femmes que nous avons accompagnées, il nous en reste une qui démontre de bonnes intentions. Sois patient je t’en prie et retournons à Grenade avec elle. J’ai confiance en Dieu que si nous rentrons avec cette femme, notre voyage n’aura pas été vain et nous aurons gagné une âme de plus ».

 

Les choses se passèrent comme Jean de Dieu l’avait prévu. Le saint homme la ramena à Grenade et la maria à un homme de bien. Vivant dans la vertu et le recueillement, elle mène encore aujourd’hui une vie de veuve exemplaire. Sa réputation est telle et elle montre un tel exemple de vie chrétienne que, de toute évidence, c’est Notre-Seigneur qui l’a guidée dans cette voie mystérieuse et lui a donné sa lumière.

 

 


 

CHAPITRE XIV

Sa grande charité

 

 

Notre-Seigneur avait doté son serviteur d’une si grande charité qu’Il lui inspirait des actions fort singulières au point que certains, le jugeant superficiellement, l’accusaient d’être prodigue et dissipateur. Ils ne comprenaient pas que Notre-Seigneur, l’ayant introduit dans son cellier, l’avait comblé de charité et enivré de son amour[46]. Jean était tellement imprégné de l’amour de Dieu qu’il ne refusait jamais ce qui lui était demandé en son nom. Cet esprit de charité était si grand que, lorsqu’il n’avait rien à donner, Jean enlevait le peu de choses qui le couvrait et restait nu. Autant il était sévère et rigoureux envers lui-même, autant il éprouvait une immense pitié pour son prochain.

 

Il avait reçu de Notre-Seigneur une telle abondance de dons que tout ce qu’il donnait et faisait lui paraissait insignifiant par rapport aux bienfaits que le ciel avait bien voulu lui accorder.

 

Il se sentait davantage encore débiteur du Seigneur. Il vivait dans cette anxiété qui est le propre des saints : il n’avait de cesse qu’il ne soit donné de mille façons différentes par amour de Celui qui avait été si magnanime, si généreux à son égard. En effet, les hommes spirituels se trouvent en possession de tant de richesses, de tant de trésors spirituels que leur plus ardent désir est de tout donner à tous. Pour ces hommes. Donner est un geste si noble et si doux qu’ils n’accepteraient jamais de recevoir quelque chose.

 

Toute la journée il s’occupait de différentes œuvres de charité. De retour à la maison, le soir, même s’il était très fatigué, il ne se retirait jamais avant d’avoir rendu visite à tous les malades. Il leur demandait s’ils avaient passé une bonne journée, si tout allait bien, s’ils avaient besoin de quelque chose. Il les réconfortait dans leur corps et dans leur âme par des paroles affectueuses.

 

Puis il faisait le tour de la maison, soulageant les pauvres malheureux qui l’attendaient et leur donnant ce dont ils avaient besoin. Il ne renvoyait jamais quelqu’un sans l’avoir réconforté.

 

Il donnait l’aumône à tous sans s’interroger sur la sincérité de ces gens et sans chercher à savoir qu’ils mendiaient par amour de Dieu.

 

Certains lui disaient : « Faites attention, cet homme mendie alors qu’il n’a besoin de rien ».

 

A ceux-là Jean répondait : « Ce n’est pas moi qu’il trompe. Qu’il rende compte de son acte à sa conscience. Je lui fais l’aumône par amour de Dieu.

 

Lorsqu’il n’avait plus rien à donner (ayant distribué ses vêtements, il lui arrivait de ne porter sur lui qu’une simple couverture), et pour n’avoir pas à refuser à ceux qui lui demandaient la charité, il remettait à chacun d’eux une lettre de présentation et leur demandait de s’adresser à telle ou telle personne pieuse qui leur viendrait en aide.

 

Il lui arriva une histoire digne d’être racontée. Un jours à Grenade, il alla demander de l’aumône au marquis de Tarifa, don Pierre Enriquez[47]. Ce dernier était en train de jouer avec d’autres seigneurs. Jean reçut  d’eux vingt-cinq ducats.

 

Il faisait déjà nuit lorsque Jean retourna à l’Hôpital avec l’argent reçu.

 

Or, le marquis, connaissant par ouï-dire la grande charité de Jean de Dieu, voulut mettre le saint homme à l’épreuve en lui jouant un tour : il se déguisa (c’était la première fois que Jean le voyait) et s’en alla à sa rencontre en lui : « Frère Jean, je suis un noble seigneur dans le besoin. Je ne suis pas d’ici. Je suis venu dans cette ville pour une raison spéciale et je me dois de conserver ma dignité. J’ai entendu parler de votre charité. Je vous en prie, aidez-moi, sinon je finirai par offenser Dieu ».

 

Voyant les gestes délicats de cet homme et ayant écouté ce qu’il lui avait dit, Frère Jean lui répondit : « Je fais don de moi-même à Dieu (il s’exprimait toujours ainsi) ; tout ce que je possède, je vous le donne ».

 

Il sortit sa bourse et lui donna les vingt-cinq ducats qu’on lui avait remis.

 

Ce dernier les prit, remercia et s’en alla. Stupéfait il retrouva ses amis, leur raconta ce qui était arrivé. Ils le complimentèrent et s’émerveillèrent devant une action si charitable. Tous savaient que Jean de Dieu avait beaucoup de pauvres à secourir et malgré cela il s’était montré généreux envers un seul, tellement grande était sa confiance en la providence de Dieu. Sa confiance ne fut certes pas déçue. La marquis, en effet, ému par une telle bonté d’âme, lui fit demander, le lendemain matin, de ne pas sortir de la maison parce qu’il voulait visiter l’Hôpital. Une fois arrivé, le marquis commença à le taquiner et à lui dire : « Quelle est cette rumeur qui circule dans la ville ? J’ai entendu dire, frère Jean, qu’hier soir on vous a volé de l’argent ! »

 

Jean répondit : « Vous pouvez me croire, moi qui fais don de ma personne à Dieu, personne ne m’a volé ».

 

Après qu’ils eussent échangé quelques mots entre eux en plaisantant et en riant, le marquis lui dit : « Allons, frère, vous ne pouvez pas nier ce vol. Dieu lui-même en effet a fait tomber cet argent entre mes mains. Voici les vingt-cinq qu’on vous a volés, ainsi que cent cinquante écus d’or pour vos pauvres. Soyez prudent la prochaine foi ».

 

Puis le marquis demanda à ses gens de lui apporter cent cinquante pains, quatre moutons et huit poules et ordonna que, tout le temps qu’il resterait à Grenade, on apporte chaque jour à Jean cette quantité de vivres. Il quitta l’Hôpital grandement édifié par l’esprit de charité avec lequel on secourait tant de pauvres de toutes conditions.

 

Un autre épisode, au cours duquel Jean faillit laisser sa propre vie, témoigne de sa charité envers ses frères.

 

L’Hôpital Royal de Grenade, fondé par les Rois Catholiques, don Fernand et doña Isabelle, fut, un jour, ravagé par un incendie si violent qu’il ne resta presque rien de ce qu’il avait été. Dès qu’il l’apprit, Jean de Dieu accourut pour secourir les pauvres qui s’y trouvaient. Il fut si prompt à intervenir qu’il réussit, à lui tout seul ou presque, à dégager un à un, en les portant sur ses épaules, tous les pauvres, hommes et femmes, qui demeuraient dans l’Hôpital. Puis il jeta par la fenêtre, avec une rapidité presque surhumaine, les lits et tout ce qui s’y trouvait. Ayant mis les pauvres en sécurité, il monta à l’étage au-dessus, là où le danger était encore plus grand, pour aider les autres à éteindre le feu. Soudain, l’endroit où il se trouvait s’embrasa et il fut enveloppé par les flammes. Bientôt, il s’éleva une fumée si épaisse que tous ceux qui le regardaient d’en-bas crurent que les flammes l’avaient brûlé et consumé. Le bruit courut aussitôt dans toute la ville que Jean de Dieu était mort dans l’incendie.

 

Peu après, au moment où ils s’y attendaient le moins, ils virent Jean de Dieu jaillir des flammes, indemne de toutes brûlures. Seuls ses cils furent atteints lorsqu’il traversait le feu. Dieu avait voulu se manifester en opérant en lui ce prodige.

 

Le maire de la ville (à l’époque où ce fait se produisit) ainsi que d’autres personnes dignes de foi, témoignèrent par la suite du miracle qui s’était accompli sous leurs yeux.[48]

 

On pourrait raconter beaucoup d’autres faits semblables, mais nous les omettons pour ne pas trop allonger notre récit.

 

Je dirai seulement que n’importe qui aurait pu se rendre compte tout de suite, en entrant dans son Hôpital, de l’immense charité de cet homme.

 

Il aurait pu voir qu’on y soignait des pauvres affligés de toutes sortes d’infirmités : hommes, femmes ; on ne refusait personne (comme aujourd’hui encore). Les uns avaient de la fièvre, d’autres de bubons, d’autres encore étaient couverts de plaies.  L’Hôpital était rempli d’estropiés incurables, de blessés, d’abandonnés, d’enfants atteints par la teigne, (Jean se chargeait d’élever de nombreux enfants qui avaient été abandonnés devant sa porte), de fous, d’idiots, sans compter les nombreux étudiants qu’il aidait, et les pauvres qui avaient honte de se présenter à lui et dont j’ai déjà parlé.

 

Il eut une très bonne idée qui fit son chemin : il prépara une salle avec cheminée pour que les mendiants et les pèlerins trouvent un toit pour dormir et un feu pour se réchauffer. Cette pièce était si grande et si bien arrangée qu’elle pouvait contenir facilement plus de deux cents pauvres. Tous pouvaient profiter de la chaleur du feu qui se trouvait au milieu de la pièce et trouver un banc pour dormir : certains avaient des matelas, d’autres des treillis de jonc, d’autres encore des nattes, chacun selon ses besoins. Il en est de même encore aujourd’hui.

 

Recevant ainsi la charité, ces gens évitaient d’offenser Notre-Seigneur. Jean lui-même, en effet, allait les chercher dans les rues et empêchait les unions malsaines d’hommes et de femmes. Certains étaient conduits de force à l’Hôpital. Jean éloignait les femmes des hommes et nettoyait ainsi les places publiques des gens de mauvaise vie.

 


 

CHAPITRE XV

Sa patience et sa grande humilité

 

 

Jean de Dieu possédait à un tel degré cette patience qui est le couronnement des soldats du Christ, que jamais personne ne le vit en proie à une quelconque contrariété. Jamais une parole irritée ne sortait de sa bouche, malgré les tourments qui l’accablaient. Au milieu des pires injures et des pires affronts, il restait calme et serein n’ayant d’autre volonté que celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La seule chose qui lui importait était de célébrer la gloire de la croix du Christ, comme on l’a vu à plusieurs reprises et comme on le verra plus loin.

Un matin, Jean descendait la rue des Goméles pour aller chercher de la nourriture pour les pauvres. Comme il y avait beaucoup de monde (surtout ceux qui descendaient de la rue de l’Alhambra…) Jean, un panier sous le bras, poussa sans s’en apercevoir quelqu’un qui remontait la même rue et fit tomber son manteau.

 

L’homme se retourna en colère : « Idiot, lui cria-t-il, ne peux-tu pas faire attention où tu marches ? » Sans rien perdre de son calme, Jean répondit : « Pardonnez-moi, frère, je ne me suis pas rendu compte de ce je faisais ».

 

S’entendant vouvoyé et appelé « frère » (Jean avait l’habitude de s’adresser ainsi à tous), l’homme se fâcha encore davantage et, s’approchant, il le gifla.

 

Jean de Dieu lui dit : « C’est moi qui me suis trompé, je mérite cette gifle ; donnez-m’en une deuxième ».

 

Mais l’autre s’entendant vouvoyé de plus belle dit à ses serviteurs : « Donnez donc une leçon à cet idiot ».

 

L’incident avait attiré une foule de curieux. Peu de temps après, un homme distingué nommé Jean de la tour sortit de chez lui et demanda : « Qu’est-ce qui se passe, frère Jean de Dieu ? »

 

Celui qui l’avait injurié, à peine entendit-il ce nom, qu’il se jeta aux pieds de Jean et lui dit qu’il ne se lèverait pas là tant que lui et ses serviteurs n’auraient pas été embrassés. Il s’écria dans sa surprise : « Celui-là serait-il don Jean de Dieu, le saint homme renommé dans tout le pays ? »

 

Jean de Dieu le releva et l’embrassa, et, les larmes aux yeux, ils se demandèrent pardon l’un à l’autre.

 

L’homme voulut inviter Jean de Dieu à déjeuner, mais Jean s’excusa disant qu’il devait s’en aller.

 

Par la suite, Jean reçut cinquante ducats d’or pour ses pauvres.

 

Une autre aventure lui arriva qui mit sa patience à rude épreuve. Il était entré demander l’aumône  pour les pauvres à la vieille maison de l’Inquisition. Au centre de la cour il y avait une vasque pleine d’eau. Tout à coup, un page espiègle s’approchant de lui, le poussa violemment et le fit tomber dans la vasque (à cause de son séjour à l’Hôpital Royal, certains le considéraient encore comme fou).

 

Toujours très patient, Jean sortit de cette posture en plaisantant et remerciant même  le page pour son geste. Ceux qui assistèrent à cette scène furent très étonnés et l’estimèrent davantage à partir de cet instant-là.

 

Une des femmes qu’il avait fait sortir de la maison de tolérance et qu’il avait mariée à un homme de bien, avait appris l’habitude exaspérante de venir voir Jean chaque qu’il lui manquait quelque chose. Jean, de son côté, faisait de son mieux pour lui procurer ce qu’elle réclamait. Elle y allait plusieurs fois par jour. Une fois, elle trouva Jean de Dieu enroulé dans une couverture, parce que n’ayant rien à donner, il avait distribué ses propres vêtements.

 

Il lui dit qu’il ne lui restait rien et lui demanda de revenir un autre jour.

 

De mauvaise humeur, la femme commença à l’injurier en le traitant de méchant homme et de saint hypocrite.

 

Jean lui répondit : « Voici deux réaux, cours et va le dire à haute voix sur la place.

 

La femme continua à l’insulter, criant de plus en plus fort.

 

La voyant dans cet état, Jean lui dit : « Tôt ou tard, je dois te pardonner, alors je te pardonne tout de suite ».

 

La grande patience dont il fit preuve, en cette occasion, porta ses fruits. En effet, le jour de ses obsèques, cette même femme suivit d’autres femmes qui, tout comme elle, avaient été arrachées à leur vie dissolue. Elle allait dans les rues, se lamentant, parlant mal d’elle-même, disant beaucoup de bien de Jean de Dieu, confessant ses propres péchés, déclarant qu’elle avait été très cruelle et que grâce au bon exemple et aux saints conseils de Jean elle avait abandonné la voie du péché. Elle disait aussi beaucoup de choses que les gens écoutaient, les larmes aux yeux.

 

L’humilité de Jean était telle que jamais il ne parlait de ses bonnes actions mais toujours de ses manquements et de ses défaillances. Il détournait toujours la conversation, cherchant plutôt le mépris et les humiliations, faisant en sorte d’édifier partout et toujours son prochain fuyant toute espèce de vanité qui est le ver rongeur de la vie spirituelle.

 


 

CHAPITRE XVI

Achat d’une maison (transfert de son Hôpital)

 

 

La réputation de Jean de Dieu était si grande que sa maison (dont il a été question jusqu’ici) devint rapidement incapable de contenir toutes les personnes qui accouraient à lui, touchées par son immense charité.

 

C’est pour cette raison que de pieuses et honorables personnes de la ville décidèrent de lui acheter une maison pouvant les accommoder toutes. Ainsi fut acheté un ancien couvent de religieuses[49], situé dans la rue des Goméles.

 

Une nouvelle fois, donc, Jean de Dieu transféra ses pauvres et fit de cette maison sa de meure. Il organisa les choses de façon à ce que la charité soit exercée envers tous avec pudeur et dignité.

 

Telle était la foule qui accourait le voir que bien souvent la maison suffisait à peine.

 

Assis au milieu d’eux, Jean écoutait avec une patience infinie les problèmes de chacun. Jamais quelqu’un ne s’en allait qui n’ait reçu quelque réconfort, sous la forme d’une aumône ou d’une parole chaleureuse.

 

Au début de la journée, Jean sortait de sa cellule, et, se plaçant à un endroit d’où tout le monde pouvait l’entendre, il s’adressait en ces termes : « Frères, remercions Notre-Seigneur comme le font les oiseaux ». Il récitait ensuite les quatre prières[50].

 

Puis le sacristain allait se placer à une fenêtre d’où tout le monde pouvait l’entendre et commençait à lire la doctrine chrétienne. Ceux qui le pouvaient participaient. Dans la salle principale, un autre disciple se chargeait de lire la doctrine aux pèlerins. Avant que ces derniers ne repartent, Jena allait les voir en personne, distribuant à ceux qui étaient nus, les vêtements recueillis sur les morts. Aux jeunes pleins de santé, il disait : « Venez avec moi, frères, venez servir les pauvres de Jésus-Christ ». Et tous ensemble ils s’en allaient chercher du bois dans la forêt, puis revenaient chacun avec son fagot. Il trouva ainsi tous les jours beaucoup de jeunes qui s’offraient généreusement à ramasser du bois pour les pauvres.

 

Les frais de la maison étaient si élevés que l’obole que lui octroyait la ville n’était pas suffisante. Mais la charité de Jean ne connaissait pas de bornes, si bien qu’il finit par accumuler trois, puis quatre ducats de dettes.

 

Considérant les graves besoins de la ville et ne voulant pas être importun ni trop charger les habitants de Grenade en leur demandant la charité jour et nuit, il pensa alléger leur fardeau en allant demander l’aumône à certains seigneurs de l’Andalousie. Ces derniers avaient entendu parler de lui et de ses bonnes œuvres (sa renommée s’étendait jusqu’en Castille) et acceptaient de grand cœur de l’aider à régler ses dettes.

 

Parmi les seigneurs de l’Andalousie et de la Castille, celui qui lui vint le plus en aide, fut le duc de Sessa[51]. Alors qu’il était tout jeune encore, ce duc prenait grand soin des pauvres et de l’Hôpital de Jean, et c’est lui qui très souvent régla les différentes dettes de Jean à Grenade. En outre, pendant les fêtes[52], il envoyait des chemises et des chaussures aux pauvres.

 

Sa femme, la duchesse, faisait de même. Elle lui donna souvent l’aumône et l’aida beaucoup. Elle désirait ardemment que Jean et ses pauvres intercèdent pour elle et son mari auprès de Notre-Seigneur en demandant pour eux la vie éternelle et le réconfort dans les moments difficiles de la vie.

 

Ces dons généreux ne suffisaient pas cependant, et, partagé entre l’angoisse qui lui causaient ses nombreuses dettes et le désir de secourir ceux qui venaient à lui, Jean décida de se rendre à la cour (située à l’époque à Valladolid)[53], demander au Roi et aux grands seigneurs de lui venir en aide. Pendant son absence, il confia l’Hôpital à son compagnon et ami, Antoine Martin[54], pour qu’il prenne soin des pauvres et de la maison jusqu’à son retour. A l’arrivée de la Jean à la Cour, le comte de Tendilla[55] et d’autres seigneurs qui le connaissaient, avertirent le Roi et le renseignèrent sur l’œuvre de Jean de Dieu, qu’ils firent alors entrer dans le palais.

 

Jean s’adressa au Roi en tes termes : « Seigneur, j’ai l’habitude d’appeler tout le monde frères en Jésus-Christ. Vous êtes mon Roi et mon seigneur, je vous dois obéissance. Comment voulez-vous que je vous appelle ? »

 

Le Roi répondit : « Jean, appelez-moi comme bon vous semble ».

 

Sachant qu’il était en présence d’un prince couronné roi, Jean de Dieu conclut : « Eh bien, je vous appellerai bon prince. Que Dieu vous guide dans votre règne, qu’il vous éclaire dans votre manière de gouverner pour vous agissiez en toute honnêteté et qu’Il vous accorde longue vie pour que vous puissiez gagner votre salut et le paradis éternel ». Il s’entretint avec lui pendant un long moment.

 

Puis le Roi fit signe à ses sujets de donner en son nom l’aumône au saint homme. Les infantes, ses sœurs, firent de même. Jean leur rendait visite tous les jours et recevait de leurs mains de nombreux bijoux et diverses offrandes qu’il s’en allait distribuer aux pauvres et nécessiteux de Valladolid.

 

Parmi ces dames se trouvait doña Marie de Mendoza, femme du Commandeur en Chef, don François des Cobos[56]. Lorsque son mari mourut, Notre-Seigneur lui fit la grâce immense de l’aider à mener une vie des plus exemplaires. Elle a distribué sans compter son patrimoine considérable aux pauvres et continue de le faire aujourd’hui encore. Elle octroyait de fortes rentes aux hôpitaux et couvents de religieuses dans le besoin. Ses aumônes étaient si nombreuses et ses bonnes œuvres si variées que le temps manque ici pour les énumérer toutes.

 

Cette dame (marque de sa générosité) accueillit Jean dans sa propre maison, pendant son séjour à Valladolid. Elle lui donna nourriture et logement avec un esprit de charité et une cordialité exemplaires. Elle contribua également et dans une large mesure, sous forme de dons, à soulager les malheureux qui avaient honte de leur pauvreté.

 

Jean de Dieu partait distribuer tous ces dons. Il connaissait déjà bon nombre de maisons où femmes et hommes avaient besoin de ses vivres et de ses visites, tout comme à Grenade.

 

Certaines personnes qui le connaissaient, le voyant distribuer l’aumône aux gens  de Valladolid ne pouvaient s’empêcher de lui dire : « Frère Jean de Dieu, pourquoi ne gardez-vous pas l’argent pour vos pauvres de Grenade ? »

 

A cela il répondait : « Frères, le donner ici ou à Grenade, c’est toujours faire le bien pour l’amour de Dieu, qui est partout. »

 

Il séjourna neuf mois à Valladolid puis s’en retourna à Grenade en emportant les dons que doña Marie de Mendoza, le marquis de Mondéjar[57] et d’autres seigneurs lui firent pour payer ses dettes et subvenir aux besoins de ses pauvres.

 

Il souffrit beaucoup pendant le voyage : le terrain sur lequel il marchait pieds nus était dur et parsemé de ronces. Ses pieds gercés étaient couverts de blessures  ouvertes par les cailloux du chemin. Le tissu rêche de sa tunique, qu’il portait sans chemise à même la peau, lui avait mis tout le corps à vif. Il arriva, le visage, le cou, la tête tuméfiés et brûlés par le soleil (il marchait tête nue). Il avait hâte d’arriver à Grenade pour voir ses pauvres et soulager leurs souffrances.

 

Lorsqu’il entra dans la ville, la joie fut à son comble. Les habitants de Grenade étaient soulagés de revoir celui qu’ils aimaient tant ; ses pauvres eux aussi l’attendaient avec impatience, surtout les pauvres couverts de honte et les femmes qu’il avait mariées ; c’étaient elles qui avaient souffert le plus de son absence, n’ayant pas d’autre père, ni personne à qui s’adresser.

 

Avec ce qu’il rapporta  de la Cour, il régla une partie de ses dettes, et put faire face aux nouveaux besoins : trouver des maris aux femmes pauvres et les établir. Malgré les apports de Valladolid, il devait encore quatre cents ducats. En effet, pour régler les nouveaux problèmes, il dut s’endetter à nouveau, son cœur ne supportant pas de voir le pauvre dans la misère sans lui apporter de soulagement.

 

Aussi son inquiétude persistait-elle à voir que le problème des dettes n’était pas résolu. C’était une situation presque impossible, étant donné que, dès qu’un besoin se présentait, Jean donnait ce qu’il avait sans regret.

 


 

CHAPITRE XVII

Sa pénitence – Les débuts de son Ordre

 

 

Les efforts continus que Jean de Dieu accomplissait pour recueillir des fonds et ainsi pouvoir subvenir aux besoins de ses pauvres, sans compter les demandes incessantes et le harcèlement des gens, étaient en eux-mêmes une grande pénitence et une mortification de la chair. Pour un être fort et en bonne santé mais ne devant compter que sur ses seules forces, cette pression constituerait un poids à peine supportable.

 

Et pourtant, le frère Jean de Dieu ne s’en contentait pas ; en plus il mortifia sa chair à force de sacrifices et de privations pour l’assujettir à son esprit.

 

Il prenait un seul aliment et en mangeant peu. Si quelqu’un, pris de compassion, l’invitait à venir manger chez lui, Jean choisissait toujours la nourriture la plus humble. La plupart du temps c’était un oignon cuit ou quelque autre aliment bob marché.

 

Les jours d’abstinence prescrits par l’Eglise, il jeûnait, c’est-à-dire qu’il mangeait encore moins qu’à l’ordinaire, « oubliant » même le repas du midi. Le vendredi il se nourrissait de pain et d’eau. Ce jour-là, en plus (et cela pendant toute l’année) il se mortifiait durement à l’aide de cordelettes à nœuds se fouettant jusqu’au sang, même s’il était au bord de l’épuisement.

 

Il dormait sur une simple natte, par terre, avec une pierre en guise d’oreiller et une vieille couverture pour se réchauffer.  Il lui arrivait d’aller dormir, avec une simple couverture, dans une voiture, dans une voiture ayant appartenue à un paralytique et de s’installer dans une étroite petite chambre sous l’escalier.

 

En ville comme dans ses voyages, il allait toujours nu-pieds, nu-tête, barbe et cheveux coupés ras. Délaissant la chemise, il portait pour tout vêtement un manteau de drap grossier de couleur grise et des pantalons en toile de laine[58].

 

Il ne  se déplaçait jamais autrement qu’à pied, et ce, même en voyage, malgré la fatigue et l’état pitoyable de ses pieds. Depuis le jour où il entra au service du Seigneur jusqu’à sa mort, il alla toujours tête nue, indifférent à la pluie comme à la neige.

 

Et pourtant il compatissait profondément avec les souffrances, aussi légères fussent-elles, de ses semblables et n’avait de cesse de les adoucir, comme si lui-même vivait dans un bien-être continuel.

 

Un soir d’hiver, alors que le ciel était davantage encore assombri par l’orage, Jean de Dieu s’en retournait à l’Hôpital par la montée de Goméles, un plein panier à la main et portant sur les épaules un pauvre (qu’il avait trouvé à la « Nouvelle Place ») quand soudain, sous la violence de la pluie, tous les deux furent précipités à terre.

 

Attiré par l’orage et les gémissements du pauvre, un homme de bonne réputation (qui plaidait en ce temps-là une cause importante) se pencha à la fenêtre. Il entendit Jean de Dieu qui se faisait des reproches à coups de bâton : « Pauvre imbécile, disait-il, incapable, grossier, paresseux, fainéant, lâche ; n’as-tu pas mangé aujourd’hui ? Si tu as mangé, frère âne, pourquoi ne travailles-tu pas ? Ne vois-tu pas que ces pauvres pour qui tu travailles ont besoin de manger ? Ne vois-tu pas l’état de ce pauvre moribond que j’étais en train de porter ? »

 

Sur ces paroles, il se releva péniblement (il était à genoux), puis se remit en marche, s’enfonçant dans l’eau jusqu’aux chevilles.

 

Jean disait tout cela à voix basse, et n’aurait dû être entendu de personne. Mais celui qui rapporte l’anecdote a pu en témoigner, parce que, sans être vu, il observé la scène de sa fenêtre. Le lendemain quand cette  même personne lui demanda des nouvelles de sa chute, Jean s’esquiva silencieusement.

 

C’était sa façon habituelle d’agir ; quand il trouvait un pauvre, il le chargeait sur ses épaules, sans attendre l’aide de personne, et l’amenait à son Hôpital, avec beaucoup de difficulté d’ailleurs, car il était lui-même faible et malade.

 

Il convient de noter que la forme de l’habit et le nom que Jean choisit de porter n’allèrent pas à l’époque sans un certain mystère. Bien que le choix de cet habit soit fondé sur le seul fait que le saint homme l’ait porté, le mérite tout le respect, d’autant que, comme nous le verrons par la suite, c’est Notre-Seigneur lui-même qui est à son origine.

 

Voici comment les choses arrivèrent : Un jour que Jean de Dieu prenait son repas en compagnie de l’évêque de Tuy (dont la charge à l’époque était à Grenade)[59], celui-ci lui demanda son nom. Il répondit qu’il s’appelait Jean. L’évêque lui suggéra de s’appeler désormais Jean de Dieu. Il répondit : « Si Dieu le veut ». A partir de cet instant tous commencèrent à l’appeler Jean de Dieu.

 

D’autre part, lorsque Jean de Dieu donnait ses vêtements à un pauvre, il revêtait en échange les vêtements de celui-ci.

 

L’évêque le voyant plutôt mal en point, misérablement vêtu, après lui avoir suggéré un nom, lui dit : « Frère Jean de Dieu, sur votre honneur, puisque c’est moi qui ai choisi votre nom, je vais vous donner aussi un habit. Celui que vous portez présentement répugne à ceux qui, par dévotion, veulent venir vous voir ou vous inviter à partager leur repas. Portez donc une chemise et les pantalons gris avec un manteau couleur cendre, trois vêtements qui rappelleront l’image de la Sainte Trinité ».[60]

Jean accepta d’emblée. L’évêque fit acheter le costume tout de suite et le bénit de ses mains.

 

C’est ainsi que Jean de Dieu s’en alla avec le nom et l’habit que l’évêque lui avait suggérés et bénis. Il devait les porter jusqu’à sa mort.

 


 

CHAPITRE XVIII

Prière et obstacles

 

 

Bien que frère Jean de Dieu fût appelé par Notre-Seigneur à s’occuper essentiellement comme Marthe, des besoins du corps, il pensait, comme Marie, aux besoins de l’âme. Quand il lui restait du temps, il le passait en prières et en méditations. Il lui arrivait souvent de passer des nuits entières gémissant, pleurant, demandant à Notre-Seigneur pardon et soutien pour les besoins du monde. Ses soupirs et ses  gémissements venaient du plus profond de lui-même, la prière étant le fondement et la racine de toute vie spirituelle. C’est grâce à elle que se résolvent toutes les questions que l’on pose à Dieu. Sans elle, plus rien n’a de valeur. C’est pourquoi Jean n’entreprenait rien sans s’en être d’abord confié à Notre-Seigneur ni sans lui avoir demandé sa protection.

 

Il se battait souvent contre le démon et sortait toujours victorieux de ces escarmouches. Il eut de nombreux combats visibles et invisibles avec le malin. En voici quelques-uns, notamment ceux grâce auxquels Notre-Seigneur a voulu parfaire son serviteur.

 

Alors que Jean priait dans sa cellule, l’un de ses serviteurs qui dormait à proximité l’entendit gémir et lutter contre quelqu’un. En entendant ce bruit il accourut, le trouva à genoux, en nage, épuisé, disant : « Jésus, délivre-moi de satan. Jésus, reste avec moi ».

 

Le serviteur, tournant sa tête vers une petite fenêtre donnant sur la rue, vit une figure féroce qui devait être le démon. Il appela en criant les autres serviteurs disant : « Ne voyez-vous pas le démon à la fenêtre ? Le feu lui sort de la bouche ». Ces derniers eurent beau regarder, ne virent rien, le démon ayant  disparu.

 

Ils portèrent donc frère Jean de Dieu à l’infirmerie et le gardèrent au lit pendant huit jours à cause des coups de blessures dont il était marqué ; mais il ne dit mot sur ce qui lui était arrivé. Parfois, cependant, il faisait le signe de la croix, se disant en lui-même : « Crois-tu, traître, que je vais abandonner ce que j’ai commencé ? »

 

Une autre fois, quelques jours plus tard, alors qu’il priait dans cette même chambre dont la porte était fermée, une très belle femme se présenta devant lui. Il lui demanda par où elle était entrée, ce à quoi elle répondit : « Je n’ai pas besoin de porte, je peux entrer où je veux ».

Jean répondit : « Il est impossible que tu puisses entrer ainsi à moins d’être un démon » : Il se leva pour voir si la porte était toujours fermée ; elle l’était en effet. Quand il se retourna, la femme avait disparu. Il alla immédiatement dans la salle où se trouvaient les infirmes, pleurant et disant : « Frères, pourquoi ne priez-vous pas Dieu pour qu’il me soutienne de sa main ? »

 

Une autre fois encore, sortant le soir de la maison d’un seigneur honorable de Grenade, il marchait dans une rue, quand un porc lui passa entre les jambes, le fit tomber et l’empêchant de se lever, tourna autour de lui pendant presque une heure en le fouillant de son groin, le piétinant jusqu’à la maison d’un médecin qui avait nom Beltran. Là, des personnes vinrent à son secours. Elles lui demandèrent ce qui lui était arrivé. Jean répondit qu’il n’en savait rien, qu’on l’avait poussé, fait tomber et traîné dans la boue. Elles voulurent l’amener chez le docteur, ce que Jean refusa, demandant plutôt d’être amené chez ses pauvres, où il fut conduit. Il resta là plus d’un mois, le visage battu, couvert de bleus et d’écorchures.

 

Une autre foi, sortant de l’infirmerie par une porte située près de l’escalier, il reçut une poussée (alors qu’il n’y avait personne) qui le fit dégringoler les escaliers jusque dans la cave, disant : « Jésus, reste avec moi ! »

 

Les personnes de la maison accoururent au bruit qu’il fit et virent comment il était tombé. Lui se levant, se retira dans sa chambre et tenant un crucifix dans ses mains, commença à prier  et à parler en pleurant.

 

Une autre fois, Jean, qui avait l’habitude de demander de l’aumône le soir, traversait la place ; un homme vint à sa rencontre, disant : « Fais-moi l’aumône  ».  Jean lui répondit : « Au nom de qui me la demandes-tu ? » L’homme ne répondit pas et disparut quelques minutes après et quelques mètres plus loin, l’homme revint à sa rencontre et lui demanda pourquoi il lui refusait l’aumône.

 

Jean lui répondit qu’il lui était impossible de faire l’aumône à qui ne la lui demandait pas par amour de Jésus-Christ. Tandis que Jean parlait, l’homme lui asséna un coup de poing dans la poitrine qui le fit reculer de quelques pas, puis disparut.

 

Une autre fois, il était en train de prier dans sa cellule ; il se mit à crier et à dire : « Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, secourez-moi ».

 

En entendant ce cri, tous accoururent et ouvrant la porte, le trouvèrent serrant un crucifix et prosterné devant une image de l’Annonciation.

 

Comme on lui demandait ce qu’il avait eu, il répondit qu’on l’avait transporté en l’air, porté autour de la chambre puis laissé tomber par terre où il s’était violemment frappé contre le plancher.

 

Ils le soulevèrent et l’amenèrent immédiatement à l’infirmerie et le mirent par hasard près d’un infirme qui était à l’agonie depuis huit jours.

 

Le lendemain matin, Jean de Dieu dit à l’infirme (qui avait toute sa lucidité) : « Alors traître, pourquoi ne dis-tu pas la vérité ? Ne vois-tu pas le démon qui est prêt à prendre ton âme ? »

 

L’infirme lui demanda : « Comment le sais-tu ? » - « Je le sais », lui répondit Jean, « et afin que tu saches que je le sais, je te dis : tu es marié deux fois et les deux femmes sont vivantes. En outre, tu as commis un péché de sodomie et, par orgueil, tu ne l’as jamais confessé. Confesse-le parce que Dieu le sait et tu sauveras ton âme ».

L’infirme fut très étonné parce que lui seul était au courant de ce fait ; il demanda qu’on lui amène un confesseur sur-le-champ. Jean lui amena un frère de Saint-François. L’infirme se confessa, reçut le Saint-Sacrement et mourut plein de dévotion et de repentir.

 

Pour le bien et l’avantage de l’âme des pauvres qui lui étaient confiés, Jean reçut de Notre-Seigneur le don de prescience. Grâce à Jean, Notre-Seigneur accordait à ces âmes la rémission de leurs péchés. De nombreux saints ont été favorisés du même don de prescience. Et voici un cas que nous tenons d’une personne digne de foi.

 

Vivait à l’Hôpital de Jean de Dieu une femme malade douée de toute sa raison, qui  criait sans arrêt demandant d’être traînée sur la place Bibarrambla.

 

Une nuit, Jean de Dieu, l’entendant crier, monta chez elle et lui demanda : « Pourquoi cries-tu ? » Elle répondit : « Parce que je veux être traînée sur la place ».

 

Il lui dit : « Chasse le démon de ton cœur et tu arrêteras tout de suite de demander d’être traînée : je sais que depuis dix ans tu vis en concubinage ». La femme acquiesça, ajoutant qu’elle n’avait jamais osé dire la vérité.

 

Jean de Dieu, l’exhorta avec ces paroles charitables  de demander pardon à Dieu et à confesser ses péchés, ce qu’elle fit. Elle put donc mourir chrétiennement.

 

Se trouvant une fois de plus malade à l’infirmerie de l’Hôpital, Jean de Dieu appela un infirmier et lui dit d’aller dans la salle au-dessus, mettre une bougie dans la main d’un enfant qui était en train de mourir.

 

L’infirmier alla, trouvant l’enfant tel qu’il le lui avait décrit. Il était vraiment stupéfait de voir que Jean était au courant puisque lui-même ignorait qu’il y avait un enfant malade. Il lui mit la bougie dans la main et l’enfant expira une heure après.

 

Une personne dévote raconte que Jean de Dieu lui avait dit plusieurs fois qu’il mourrait entre un vendredi et un samedi, ce qui s’est vérifié puisque Jean mourut une demi-heure après minuit. Il avait dit aussi dit qu’il aurait de nombreux disciples portant son habit pour s’occuper des pauvres dans le monde entier, ce qui s’est également vérifié comme on le verra bientôt.

 

 

 

 

 


 

CHAPITRE XIX

son zèle ardent

 

Du grand amour que Jean de Dieu avait pour Notre-Seigneur émanait le désir fervent de Le voir honoré dans toutes ses créatures. Ainsi, dans toutes les œuvres qu’il accomplissait, son but principal était d’honorer et de glorifier Notre-Seigneur ; les soins donnés au corps n’étaient qu’un moyen de sauver l’âme. Jamais, en effet il ne donna une aide temporelle sans procurer par la même occasion un remède à l’âme au moyen de saints conseils. Il faisait cela de la meilleure façon possible, poussant chacun sur le chemin du salut, prêchant par l’exemple plutôt qu’en paroles le mépris du monde et la vanité de ses mensonges, invitant chacun à porter sa propre croix et à suivre Jésus-Christ. Tout cela ressort clairement de l’histoire de sa vie.

 

Du même amour découlait la grande patience de Jean. Il supportait n’importe quelle offense ou injure si cela pouvait lui rapporter (en bon commençant qu’il était) quelques gains ou profits, Dieu étant ce qu’il offrait. Sur ce sujet, on pourrait raconter plusieurs faits qui lui arrivèrent ; j’en citerai un seul qui m’a été rapporté par une personne digne de foi.

 

Une femme très belle mais pauvre, veuve d’ailleurs, se trouvait à Grenade pour suivre une cause judiciaire.

 

Jean de Dieu, étant dans la maison d’un avocat, y trouva cette femme. En observant ses gestes et sa façon d’agir, il eut l’intuition qu’elle était sur le point d’offenser Notre-Seigneur. Alors, il l’appela, lui posa des questions sur sa vie. Elle lui répondit et lui fit part de ses besoins.

 

Jean lui dit alors : « Je vous prie, Madame, pour l’amour de Dieu, de suive son conseil qui vous aidera à prendre soin de vous et de mieux suivre le déroulement de votre cause. Laissez-moi vous expliquer : je vous amènerai à la maison  de certaines femmes qui vivent retirées ; vous resterez avec elles dans une chambre à part, à l’aise comme l’exige votre condition. Je vous nourrirai et plaiderai votre cause afin que vous meniez une vie retirée, sans avoir besoin d’aller dehors et de mettre votre honneur en péril ».

 

La femme accepta bien volontiers sa proposition. Comme il l’avait dit, il la logea dans une maison honorable, lui donnant le nécessaire, plaidant sa cause, allant la voir de temps en temps pour lui apporter des provisions et la tenir au courant du procès. Il l’exhortait en pleurant, à genoux, de ne pas sortir de la maison, de penser à son honneur, de ne pas offenser Dieu puisqu’il la nourrissait et plaidait sa cause.

 

Un soir qu’il allait mendier, il passa devant cette maison, entra, trouva la femme seule dans sa chambre, habillée avec recherche. Il commença à la gronder sévèrement sur son accoutrement, - parce qu’elle était seule à cette heure-là, - lui disant des choses qui la firent pleurer. Il lui donna quelques conseils, lui remit des provisions et s’en alla.

 

Or cette femme, qui ne craignait pas Dieu, cachait derrière son lit un jeune homme avec lequel elle allait pécher et qui avait assisté à toute la scène.

 

Les paroles de Jean de Dieu, la charité dont il faisait preuve en l’honneur de Dieu et pour le bien de cette âme, impressionnèrent tellement le jeune homme que le feu de cette immense charité étreignit complètement en lui le feu de la concupiscence.

 

Il sortit de sa cachette en pleurant, fermement converti. Il commença à exhorter la femme à être chaste, à ne pas être ingrate vis-à-vis de Dieu et de ce saint qui, en son nom, subvenait à ses besoins, lui enseignait la vérité et lui donnait de bons conseils. A l’instant même, il sortit de cette maison et prit la ferme résolution de ne plus jamais offenser Notre-Seigneur mais de Le servir. Il tint vraiment sa promesse. A partir de ce moment, il changea de vie et mourut pieusement, d’une façon exemplaire.

 

Ce fait nous montre comment Notre-Seigneur, dans sa grande bonté et magnanimité, ne permit pas que l’œuvre accomplie par son serviteur par amour pour Lui ne porte pas de fruits. Puisque cette femme refusait le grand bien qu’on lui offrait (comme le font la majorité de ces femmes), la divine Majesté fit en sorte que d’autres reçoivent sa grâce, afin que s’accomplissent les paroles du prophète Isaïe, ch. 55 : « Ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche : elle ne retourne point à moi sans effet, sans que n’aient été exécutée ma volonté et accompli mes desseins ».

 


 

CHAPITRE XX

sa mort

 

Les efforts fournie par Jean de Dieu pour soulager les souffrances des autres, étaient tels (les kilomètres parcourus au cours de ses voyages, le froid dont il souffrait beaucoup, le travail quotidien en ville) qu’ils le minèrent profondément. Comme il ne s’occupait pas de sa propre santé, il souffrait énormément, dissimulant du mieux qu’il pouvait sa douleur pour que les pauvres ne s’aperçoivent de rien et ne  s’attristent pas en le voyant se sentir mal. Toutefois, il devint si fatigué, affaibli, sans force, qu’il ne pouvait plus le cacher.

 

Entre temps, il advint que cette année le fleuve Genil[61] monta beaucoup à la suite de pluies torrentielles. On lui dit que le fleuve en crue charriait énormément de bois et de bûches. Comme c’était un hiver très rigoureux à cause de la neige et du froid, il décida d’aller recueillir le bois, avec l’aide des personnes en bonne santé de la maison, pour que les pauvres puissent avoir du feu pour se chauffer.

 

Ayant marché dans l’eau glacée alors qu’il était déjà malade, il prit froid ; ses douleurs habituelles augmentèrent et il dut s’aliter.

 

Jean était dans les eux du fleuve pour porter secours à un garçon qui, se trouvant parmi les pauvres gens venus ramasser le bois, se pencha imprudemment au bord du fleuve et fut emporté par le courant. Se portant à son secours, Jean de Dieu s’avança dans l’eau le plus loin possible mais ne put sauver le garçon qui se noya. Jean en eut tant de peine que sa maladie s’aggrava.

 

Le moment que Notre-Seigneur avait choisi pour donner à son serviteur le prix et la récompense de ses fatigues était arrivé. Profitant de l’immobilité de Jean terrassé par la maladie, certaines personnes voulant faire du zèle alors qu’elles avaient observé les choses superficiellement, et comprenant mal le  mode de conduite habituel de Jean de Dieu, allèrent trouver l’archevêque de Grenade, don Pierre Guerrero[62]. Elles lui dirent qu’à l’Hôpital de Jean de Dieu on rencontrait des individus de tous genres : certains auraient pu travailler et gagner leur vie s’ils n’avaient pas habité l’Hôpital ; des femmes de mauvaise vie y résidaient également, qui déshonoraient Jean de Dieu, sans aucun respect pour le bien reçu.

 

Elles demandaient donc à l’archevêque de mettre ordre à cette situation puisque c’était son devoir.

 

Entendant cela, l’archevêque (en bon pasteur et prélat qu’il était , plein de zèle pour le salut de ses ouailles) envoya chercher Jean de Dieu, ne sachant pas qu’il était malade.

 

A peine Jean fut-il averti qu’il se leva et tant bien que mal se rendit en hâte chez l’archevêque, arrivé en sa présence, il lui baisa la main et ayant reçu sa bénédiction, lui dit : « Que voulez-vous, mon bon prélat et père ? »

 

L’archevêque lui dit : « Frère Jean de Dieu, j’ai entendu dire que dans votre Hôpital vous receviez des hommes et des femmes de mœurs douteuses que leur mauvaise réputation vous créait personnellement du tort. Renvoyez-les tout de suite, nettoyez l’Hôpital de ces personnes, afin que les pauvres y résidant puissent vivre tranquilles et en paix, et que vous en soyez plus affligé et maltraité par cette engeance ».

 

Jean de Dieu écouta avec beaucoup d’attention ce que le prélat lui disait. Avec douleur et humilité, il répondit : « Mon bon prélat, mon père, c’est moi qui suis le méchant, l’incorrigible, l’inutile méritant d’être chassé de la maison de Dieu. Les pauvres de mon Hôpital sont bons et n’ont pas de vices. Et puisque Dieu tolère les bons et les méchants, que le soleil se lève tous les jours sur tous, il me paraît peu raisonnable de chasser les abandonnés et les affligés de leur propre maison ».

 

La réponse de Jean de Dieu plut vraiment à l’archevêque. Voyant l’amour paternel et la tendre affection qu’il portait à ses pauvres, allant jusqu’à les excuser de toutes les fautes qui leur étaient attribuées, l’archevêque fut très touché. Etant un homme sage, religieux, il le comprit.  Un tel homme méritait toute sa confiance ; il lui donna sa bénédiction et lui dit : « Frère Jean de Dieu, allez en paix, béni de Dieu. Faites comme bon vous semble à l’Hôpital, je vous en donne la permission ».

 

Jean de Dieu le quitta et retourna à son Hôpital.

 

Voyant que son mal s’aggravait (peu de temps après il commença  à avoir des frissons et de la fièvre) et se doutant du diagnostic, il fit de gros efforts sur lui-même, - (Notre-Seigneur lui donnant la force) -, prit un cahier neuf, de quoi écrire, et, accompagné d’un homme capable, il alla à travers la ville, de maison en maison, marquant les noms de ceux à qui il devait donner quelque chose, écrivant à côté la somme due et la raison pour laquelle il donnait cet argent : il avait des dettes que les créanciers eux-mêmes avaient oubliées. Il mit en ordre toutes ses notes, les recopia dans un autre cahier pour en avoir un double, gardant un cahier de par soi et laissant l’autre à l’Hôpital. De cette façon, si Dieu le rappelait à lui ou si un cahier se perdait, on pouvait toujours recourir à l’autre afin de payer les moments dus, tout s’y trouvant expliqué clairement. Ce fut son testament.

 

Ayant terminé, il retourna sans sa cellule si fatigué qu’il ne tenait plus debout, et se coucha.

 

Ne pouvant plus se lever du lit, il continuait à s’occuper des pauvres dans le besoin, au moyen de billets. Et Notre-Seigneur veillait à tout avec abondance. Tout se passait comme s’il n’avait pas été malade. Tous les seigneurs et les habitants de la ville ayant su qu’il était malade, donnèrent plus généreusement en même temps qu’ils poussaient son compagnon Antoine Martin à remplacer Jean de Dieu partout où c’était nécessaire.

 

Donna Anna Ossorio, femme du « Vingt-quatre »[63] Garcia de Pisa, d’une piété exemplaire (le frère Jean de Dieu l’aimait beaucoup pour cette raison), ayant appris qu’il était malade, alla lui rendre visite. Voyant combien il souffrait et le peu de soulagement qu’il recevait (les pauvres qui l’entouraient ne lui laissaient pas la possibilité de se reposer un peu et lui ne se plaignait pas du tout), elle le pria avec insistance d’accepter de venir chez elle pour qu’elle puisse le soigner. Elle lui préparait un lit et tout le nécessaire. Il reposait en effet sur une table avec un panier en guise de coussin.

Lui s’excusait autant qu’il le pouvait, ne voulant pas être séparé de ses pauvres parce qu’il voulait mourir et être enterré au milieu d’eux. A la fin, la dame eut gain de cause. Elle lui dit qu’il prêchait l’obéissance à tous et maintenant c’était à son tour d’obéir par amour pour Dieu.

 

On le mit sur une chaise pour le transporter. Quand on l’y eut installé, les pauvres, ayant appris qu’on voulait  l’emporter se levèrent. Tous ceux qui pouvaient se mettre debout l’entourèrent. Ils voulaient s’opposer à son départ tellement ils l’aimaient. Ces personnes ne sachant réagir à leurs propres malheurs et souffrances qu’au moyen de larmes et de gémissements, commencèrent, hommes et femmes, à crier et gémir si fort qu’ils émouvaient les cœurs les plus durs jusqu’aux larmes.

 

Les voyant si affligés, les entendant pleurer, Jean leva les yeux au ciel et leur dit : « Mes frères, Dieu sait que je voudrais mourir au milieu de vous. Mais puisque Dieu veut que je meure sans vous voir, que sa volonté soit faite ». Puis, bénissant chacun individuellement, il dit : « Soyez en paix, mes enfants, si nous ne devons plus nous revoir, priez Notre-Seigneur pour moi ».

 

A ces mots, les pauvres se mirent à crier et à gémir de plus belle. Jean de Dieu en fut si profondément affecté qu’il s’évanouit sur la chaise.

 

Reprenant connaissance et pour ne pas prolonger davantage l’affliction, il se fit conduire à la maison de cette dame[64]. Commençant à obéir, décidé à le faire et voulant donner l’exemple (jusqu’à présent, même malade, il n’avait jamais changé ses vêtements rêches et humbles), il fit tout ce qu’on lui commandait. On lui mit une chemise puis il s’étendit sur un lit. On le soigna avec diligence et charité. On fit venir des médecins qui lui donnèrent des médicaments, lui procurant tout ce dont il avait besoin.

 

Des personnes très distinguées, des seigneurs vinrent le voir et se confondirent en louanges sur ses bonnes œuvres ì. Tout cela ne lui faisait pas plaisir. Seul le fait de voir que c’était par esprit de charité que tous ces soins lui étaient prodigués lui permettait d’endurer toutes ces démonstrations d’amitié. On ne lui laissait pas voir les pauvres. Un portier, à l’entrée, leur interdisait d’entrer parce que chaque fois qu’il les voyait, il s’attristait et se mettait à pleurer.

 

Quand l’archevêque sut que Jean de Dieu approchait de la fin, il alla lui rendre visite, le réconfortant avec de saintes paroles, lui donnant du courage pour affronter ses derniers instants. Et il demanda à Jean de lui faire part des choses qui l’affligeaient, peut-être pourrait-il y remédier.

 

Jean répondit : « Mon bon prélat et père, trois choses me préoccupent. La première, c’est de voir à quel point j’ai peu servi Notre-Seigneur après avoir tant reçu de Lui. La deuxième est le soin des pauvres dont j’ai la charge, des personnes qui ont quitté la voie du péché et de la mauvaise vie et des pauvres honteux. La troisième concerne les dettes que j’ai contractées par amour de Jésus-Christ et que je dois payer ». Et il lui mit dans les mains le cahier où tout était inscrit.

 

L’archevêque  lui répondit : « Mon Frère, vous dites n’avoir pas servi Notre-Seigneur ; ayez donc confiance en Sa miséricorde parce qu’avec les mérites de Sa passion, Il suppléera à toutes vos faiblesses.

 

Quant aux pauvres, je les reçois et les prends à ma charge, comme c’est mon devoir.

 

Quant aux dettes que vous avez, dès maintenant, j’en prends la responsabilité et je m’en charge. Je prendrai votre place.

 

Par conséquent, demeurez en paix, pensez seulement à votre salut et recommandez-vous à Notre-Seigneur. »

 

Jean de Dieu fut bien soulagé par la visite de son évêque et par ses promesses.

 

L’archevêque le réconforta encore avec d’autres paroles. Après  que Jean de Dieu lui eut baisé la main, il le bénit et s’en alla directement visiter l’Hôpital.

 

Sa maladie s’aggravant de plus en plus, Jean de Dieu reçut le sacrement de Pénitence (bien qu’il se confessât très souvent). On lui apporta l’Hostie pour qu’il l’adore (sa maladie ne lui permettant pas de recevoir le Corps du Seigneur). Il fit appeler son compagnon Antoine Martin, lui recommanda fortement les pauvres, les orphelins, les pauvres honteux et, avec de saintes paroles, l’exhorta à continuer son œuvre.

 

Comme il sentait qu’il allait bientôt mourir, il se leva du lit, s’agenouilla par terre, serrant fort un crucifix, et dit après être resté silencieux un moment : « Jésus, Jésus, je me confie à toi ». Il dit cela d’une voix forte, bien claire et rendit l’âme à son Créateur, à l’age de cinquante-cinq ans, après avoir passé douze années de sa vie au service des pauvres de l’Hôpital.

 

Un fait étrange se produisit, qui, à notre connaissance, n’arriva à aucun autre saint, si l’on excepte Saint Paul, premier ermite. Il fut, dit-on trouvé mort à genoux et resta dans cette position un quart d’heure sans tomber. Et Saint Paul y serait encore dans cet état, n’eût été la présence d’esprit des personnes qui, le trouvant ainsi et voulant l’habiller, ne crurent pas opportun de le laisser refroidir ainsi. Ils le soulevèrent avec beaucoup de difficulté, l’étendirent et lui firent prendre sa position à genoux.

 

C’est également de cette manière que mourut Jean de Dieu. Assistaient à sa mort des dames très distinguées et quatre prêtres. Tous étaient émerveillés et rendaient grâce à Notre-Seigneur de la façon dont il était mort, tout à fait en harmonie avec sa vie. Il mourut un samedi matin, une demi-heure après les matines, le 8 mars 1550.[65]

 


 

CHAPITRE XXI

Funérailles grandioses

 

 

A la mort de Jean de Dieu, s’accomplit la parole de Dieu, Notre Rédempteur, dans l’Evangile selon Saint Mathieu, chap. 23 : « Quiconque s’abaissera sera élevé ». En effet, tout le temps qu’il servit Notre-Seigneur, il passa à s’humilier, à se mépriser de toutes les façons, de toutes les manières possibles, se mettant toujours au rang le plus bas et le plus humble. On s’en rend bien compte en suivant l’histoire de sa vie.

 

C’est pour cela que Notre-Seigneur, accomplissant pleinement Sa parole, se plut à l’élever, à l’honorer tant de son vivant qu’après sa mort. L’on peut dire que sa dépouille reçut des funérailles grandioses. Jamais aucun prince, empereur ou monarque ne reçut de tels honneurs. Il est vrai qu’aux obsèques de certains princes, un grand nombre de personnes et de seigneurs défilèrent ; le sentiment qui, toutefois, les animait était bien différent du véritable honneur rendu à Jean de Dieu.

 

Aux funérailles de ceux-ci, les gens accoururent plutôt par intérêt, pour faire plaisir au successeur ou même par devoir (n’en est-il pas ainsi de tous les hommages du monde ?). Mais pour Jean, au contraire, il en alla différemment. Il était si pauvre si méprisé, ne possédait rien sur la terre, que l’on ne peut accuser ceux qui vinrent l’honorer, d’aucune des trois choses qui, comme le dit saint Jean, éblouissent les hommes du monde.

 

Le jour se leva. Apprenant la mort de Jean de Dieu, des gens de toutes les conditions accoururent. Partout, personne ne les avaient appelés, fait extraordinaire qui souleva l’étonnement.

 

Ils vêtirent le corps, le mirent sur un lit somptueusement orné, dans une grande salle où l’on érigea trois autels. Un grand nombre de messes furent célébrées par tous les Religieux et les prêtres de la ville jusqu’au moment où on emporta le corps de Jean pour l’enterrer. Chacun récitait sa propre prière sur le corps.

 

A neuf heures du matin, une telle foule était assemblée pour assister aux obsèques que ni la maison, ni les rues ne pouvaient la contenir.

 

Ils commencèrent à se mettre en marche. Le marquis de Tarifa et le marquis de Cervalbo[66], le don Pierre de Bobadilla et don Juan de Guevara mirent le corps sur leurs épaules et le descendirent jusqu’à la rue. Là, les discussions commencèrent pour savoir qui le porterait. A ce moment se présenta un Père vénérable, d’une grande sainteté, de l’Ordre des Frères Mineurs, appelé Carcamo, accompagné de ses condisciples. Il dit : « Il nous revient de porter le corps de Jean de Dieu, puisque de son vivant il imitait beaucoup notre Père Saint François dans la pauvreté, la pénitence et le dépouillement de soi ». Ils le transportèrent donc une grande partie du trajet. Puis, ce fut le tour des religieux des autres Ordres qui à tour de rôle, les uns après les autres, le portèrent pendant un court trajet, jusqu’à ce qu’ils arrivent à Notre dame de la victoire.

 

Le Maire[67] et les représentants de la justice essayaient de contenir la foule : tâche difficile lorsqu’il s’agit d’une telle multitude.

 

Le cortège se déroula de la façon suivante.

 

Venaient d’abord les pauvres de son Hôpital et la plus grande partie des femmes qu’il avait mariées : les jeunes dans dot, les veuves, chacune tenant un cierge à la main, pleurant amèrement, disant à haute voix les dons et les aumônes qu’elles avaient reçus.

 

Suivaient ensuite toutes les confréries de la ville (plutôt nombreuses) par ordre, avec les cierges, les croix et les étendards respectifs. Ensuite, tout le clergé de la ville, les frères de tous les Ordres avec leurs cierges. Tout de suite après, la croix et le clergé de la paroisse, puis le Chapitre, les chanoines, les dignitaires de l’Église avec leur propre croix, l’archevêque, les aumôniers de la Chapelle Royale, et enfin le corps.

 

Derrière, venaient les Vingt-Quatre Adjoints, les Jurés de la ville et avec eux, les chevaliers et les seigneurs, puis tous les officiers, les avocats de l’Audience Royale et une infinité d’autres gens qui pleuraient son trépas. Ce n’étaient pas seulement les vieux Chrétiens[68] qui pleuraient, mais aussi les Maures. Dans leur langue, ils proclamaient le bien, les aumônes et le bon exemple donné à tous et adressaient à la dépouille mille et une bénédictions.

 

Toutes les cloches de la grande église, celles des paroisses, des monastères sonnaient si fort qu’on avait l’impression qu’elles étaient humaines et manifestaient leur propre douleur à leur façon.

 

Arrivés à la petite place située devant la porte de Notre-Dame de la Victoire, ils s’arrêtèrent avec le corps, incapables, pendant un bon moment, d’entrer dans l’église tant il y avait de monde qui voulait y entrer aussi[69].

 

La foule, consciente qu’elle ne pourrait plus le voir en ce bas monde, pleine d’une immense dévotion pour lui, se pressait, sans qu’il soit possible de la contenir, pour voir et toucher et prendre des reliques. Certains le touchaient avec des chapelets, d’autres avec des livres de prières ou autres en guise de consolation.

 

Tous s’étaient regroupés autour de la dépouille, poussant des cris et pleurant qu’on ne pouvait les en détacher ni par la persuasion ni par la force. Si Dieu n’était pas intervenu, ils auraient même détruit le cercueil (comme ils avaient commencé à le faire) pour avoir quelques reliques et il aurait été impossible de l’enterrer.

 

Finalement, ils parvinrent à porter le corps dans l’église et le posèrent sur un riche catafalque qui avait été déjà préparé.

 

Les frères mineurs qui étaient restés là le reçurent. Ils allèrent le prendre avec le Supérieur Général (qui se trouvait alors à Grenade). Ce dernier célébra l’office, dit la messe[70] et un frère du même Ordre prêcha d’une façon remarquable, sur l’humilité et le mépris de ce monde et sur la manière dont, en cette vie, Notre-Seigneur élève les siens.

 

Ce jour-là, plusieurs messes furent dites, à la lumière de cierges et de flambeaux. Ils ensevelirent Jean de Dieu dans un sépulcre de la chapelle des Garcia de Pisa, appartenant à la famille de la dame chez qui il mourut.

 

Les dimanche et lundi suivants, la messe fut célébrée de la même façon, avec la même solennité (messe et sermon), suivie d’autres messes. Le peuple y assistait en grand nombre.

 

 Pendant plus d’un an à Grenade, il n’y eut pas de sermon où l’on ne reparlât de Jean de Dieu et de sa vie, pour mieux ancrer sa conduite et son exemple dans l’esprit du peuple.

 

Vingt ans après le jour de sa mort, des chevaliers qui désiraient le voir, entrèrent dans le petit sépulcre et le trouvèrent intact ; seule la pointe de son nez était rongée. Ils furent émerveillés, car son corps n’avait pas été embaumé, comme il arrivait parfois qu’on le fasse afin d’éviter la décomposition.[71]

 

On peut donc croire que, grâce à ses œuvres, à sa grande bonté et à la miséricorde de Notre-Seigneur, Jean de Dieu ait joui de cette divine Majesté et de cette gloire, réservées selon Sa parole à des hommes tels que lui. Que Dieu veuille guider nos pas, nous aider à mener une vie droite et à faire de bonnes œuvres de façon à ce que nous puissions mériter de vivre pour toujours avec lui. Amen.

 

 


 

CHAPITRE XXII

après sa mort

 

 

Comme nous l’avons déjà dit, Jean de Dieu, avant de mourir, confia l’Hôpital à son compagnon Antoine Martin[72], pour qu’il s’en occupe et en prenne soin à sa suite.

 

Suivant l’exemple de son maître sur le chemin de la charité et dans les soins apportés aux pauvres, il reste quelques jours à l’Hôpital exerçant sa charge avec grande diligence. Poussé par les besoins infinis de la maison, il décida de se rendre à la Cour pour demander des dons aux seigneurs et aux grands, comme faisait Jean de Dieu, afin de mener à bon terme l’œuvre commencé.

 

Là, certaines personnes pieuses et éminentes lui conseillèrent de fonder à Madrid un Hôpital comme celui de Grenade, ce qui s’avérait nécessaire pour que les malades et les pauvres puissent être secourus avec charité et diligence. Ces personnes étaient prêtes à l’aider à réaliser ce projet. Il accepta le conseil et entreprit de l’exécuter. L’Hôpital, qui porte le nom d’Antoine Martin, fut construit où il se trouve actuellement. Il s’agit d’un établissement de grande envergure, comme tout le monde le sait. De nombreux pauvres y sont secourus et plusieurs frères du même Ordre et de la même institution qu’à Grenade y travaillent. Ils se distinguent toutefois de leurs confrères de Grenade en ce que leur habit est d’une couleur bise un peu plus foncée et qu’ils portent leur panier sur le bras et non à l’épaule afin d’éviter de heurter les personnes distinguées : chevaliers et seigneurs avec lesquels ils traitent.

 

L’Hôpital ouvert à Madrid fonctionnant bien, Antoine Martin retourna à Grenade chargé des objets divers : couvertures, toiles, etc. et dons en argent qui lui avaient été confiés pour l’Hôpital de Grenade. Il fit un compte rendu à l’archevêque, don Pierre Guerrero, de la bonne ,arche de l’Hôpital à Madrid. Il demanda à l’archevêque la permission de retourner à Madrid où il vécut en accomplissant de saintes œuvres, tant de charité que de pénitence ; il fut un pénitent exemplaire et de bonnes mœurs jusqu’à la mort.

 

Comme sa vie avait répandu sur tous un parfum de vertu, seigneurs et grands de la Cour assistèrent à ses obsèques les rendant ainsi très solennelles. Il fut enterré dans la chapelle principale du monastère de Saint-François à Madrid, où il repose dans la paix du seigneur.

 

Mais retournons à notre histoire.

 

Lorsque Antoine Martin laissa Grenade, d’autres frères, dont je parlerai en détail plus loin, étaient restés à l’Hôpital. Disciples d’un tel saint, ils réussirent si bien que leur vie et leurs œuvres sont tout à fait dignes d’être connues.

 

Ils gouvernèrent et administrèrent l’Hôpital suivant le système de leur maître. Il y avait toujours un frère supérieur qui s’occupait de tout et auquel les autres obéissaient.

 

Or, il arriva que les pauvres affligés de toutes sortes de maux qui venaient ò l’Hôpital (on ne leur refusait jamais l’entrée comme c’était et comme c’est encore aujourd’hui l’habitude) étaient logés avec  difficulté à cause du manque de places, les pièces étant très étroites. Il fallait absolument trouver un autre endroit capable de les contenir tous en leur offrant un minimum de confort.

 

C’est dans ce but qu’ils s’adressèrent à l’archevêque, don Pierre. (Le moindre signe lui suffisait qu’il aille secourir immédiatement et de son mieux ceux qui étaient dans le besoin).

 

Se rendant compte de la situation, il s’empressa de chercher une solution, se demandant où trouver un endroit convenable, assez grand pour accueillir tout le monde, commode pour tous, légèrement à l’extérieur de la ville, pour avoir de l’air pur. C’est ainsi qu’il pensa à l’endroit où maintenant l’Hôpital. Ce terrain appartenant aux frères de Saint-Jérôme où se trouvait, disait-on, le vieux monastère de Saint-Jérôme.

 

L’archevêque entreprit des négociations avec la ville et les Frères, afin qu’ils donnent chacun une part de terrain pour que l’on puisse y construire l’Hôpital. Lui-même aiderait également et le reste des frais serait payé, grâce aux dons des fidèles. Les Frères eux-mêmes pourraient participer. Un évêque de Cadix, appelé don Antoine de Guevara et Avellaneda, leur avait laissé de l’argent à sa mort afin qu’ils l’emploient pour les pauvres et aux œuvres pieuses de cette ville. Une œuvre aussi bonne que celle-là répondait au désir de l’évêque de Cadix et son argent serait bien employé.

 

Tous se mirent d’accord et les travaux commencèrent. L’archevêque donna immédiatement 1600 ducats. Le Père Avila qui se trouvait là, répandit la nouvelle en chaire et demandait à tous de participer à la construction de l’Hôpital par leurs dons. L’ascendant de cet homme était tel, le peuple l’aimait tellement, qu’en peu de temps, tous participèrent, comme le firent les contemporains de Moïse à la construction et à l’ornementation du tabernacle de Dieu.

 

Certains, en effet, apportaient des sommes d’argent, d’autres du matériel ou différents objets et fournissaient des ouvriers. Les femmes donnaient leurs bracelets, boucles d’oreilles, bagues et toutes sortes de bijoux avec tant de ferveur et de dévotion, qu’en peu de temps, on recueillit beaucoup de dons. La construction avançait rapidement.

 

Les trois parties, qui existent encore aujourd’hui, furent terminées. L’archevêque donna de l’argent pour que l’on fasse, dans le plus bref délai, fenêtres et corridors afin de pouvoir transférer les pauvres, qui furent installés dans les nouvelles salles, où ils sont encore bien que l’œuvre ne soit pas terminé[73]. Mais le diable, toujours aux aguets et prêt à semer partout la zizanie, voyant que tout marchait si bien au service de Notre-Seigneur, s’immisça dans cette affaire et à l’aide de ses moyens habituels, fit surgir entre les moines et les Frères[74] des litiges qui ne sont toujours pas réglés aujourd’hui. Je ne compte pas en parler parce que ce sont des problèmes qui traînent en longueur juridiquement, mais qui seraient vite résolus s’ils étaient abordés dans une optique chrétienne. C’est d’ailleurs pour ce genre de raisons que très souvent les bonnes œuvres ne sont pas terminées ; mais laissons ce problème à Notre-Seigneur et revenons à l’Ordre des Frères.

 


 

CHAPITRE XXIII

L’Ordre des Frères

 

 

 

La vie exemplaire de Jean de Dieu influença un grand nombre de gens. Beaucoup se sentirent et se sentent encore poussés à l’imiter, à suivre son chemin, à servir Notre-Seigneur par l’intermédiaire de ses pauvres, à exercer l’hospitalité pour l’amour de Dieu. Pour cela, il n’est guère utile d’avoir des diplômes, mais plutôt un mépris du monde et de soi-même, beaucoup de charité et beaucoup d’amour de Dieu. C’est pour ces raisons que bien des personnes de tout âge et de toute condition se sentent encore encouragées à suivre cette voie. Elles ne pourraient être utiles aux autres Ordres, n’ayant acquis aucune instruction.

 

La règle d’admission pour le service de l’Hôpital est la suivante : les candidats sont analysés afin de s’assurer qu’ils ont vraiment l’intention de servir Notre-Seigneur. Si tel est le cas, ils sont acceptés, revêtus d’un modeste habit de couleur bise et sont alors mis au service des pauvres, au sein d’un département auquel ils sont affectés pour quelque temps ; certains pour deux, trois ou six ans, le cas échéant, de façon à ce que soient mises à l’épreuves leur humilité et leur modestie. Lorsqu’ils ont fait leurs preuves, on leur donne l’habit qui doit être demandé humblement au frère supérieur et au recteur[75]. Il en est ainsi pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’ils soient considérés dignes de faire leur profession.

 

Leur mode de vie, leur façon de procéder se trouvent dans les Constitutions de l’Ordre dont nous rappellerons plus loin[76].

 

Dans cette maison de Grenade, il y a ordinairement de dix-huit  à vingt Frères. Certains d’entre eux se dévouent à l’infirmerie, assistant les pauvres ; les autres travaillent dans différents départements. Quelques-uns par contre, vont demander l’aumône dans leur paroisse respective, ou dans les campagnes et les villages demandant du blé, du fromage, des raisins et autres aliments nécessaires.

 

C’est ainsi que peut-être assuré l’entretien de l’Hôpital dont les revenus sont très modestes. Notre-Seigneur y pourvoit de façon à ce qu’il y ait généralement à l’Hôpital 120 lits et 30 garçons de salles, en plus des Frères. En cas de besoin, il peut y avoir jusqu’à trois ou quatre cents lits. C’est à la Providence de Notre-Seigneur que l’on doit de pouvoir subvenir à tous ses besoins, ce qui étonne et émerveille tout le monde.

 

Cet Hôpital, en effet, a toujours suivi, depuis le début, une ligne de conduite héritée du bienheureux Jean : l’on ne refuse jamais un pauvre. Les lits ne sont pas limités et tous ceux qui se présentent y sont accueillis. S’il n’y a plus de lits, les Frères préfèrent coucher les infortunés qui s’adressent à eux sur une natte jusqu’à ce qu’un soit libéré, les nourrir, leur donner les sacrements, plutôt que de les laisser mourir dans la rue, sans secours.

 

Tous ceux qui travaillent ici servent leur prochain par charité, par amour de Dieu, sans recevoir aucun salaire. C’est ainsi que, dans cet Hôpital, on est mieux servi de tous les hôpitaux du monde parce que tous y travaillent pour sauver leur âme en exerçant la charité ; chacun fait de son mieux sans qu’aucune réprimande ne soit nécessaire.

 

Mais ce ne sont pas là les seuls résultats obtenus. De cette institution, comme d’une source, sont issus des Frères exemplaires qui ont fondé des hôpitaux dans beaucoup d’autres endroits où se font de nombreuses bonnes œuvres, germe de ce petit grain que Notre-Seigneur sema en Jean de Dieu en qui chacun découvre son modèle.

 

C’est de cette maison que sort en effet Marin de Dieu[77], fondateur de l’Hôpital de Cordoue, auparavant Hôpital de Saint-Lazare. Le Roi le donna à ce frère qui construisit une magnifique bâtisse contenant de nombreux lits et recueillant de bons revenus tant en argent  qu’en grain. Ce frère mena une vie très sainte ; ce fut un grand pénitent, marchant toujours pieds nus ; il mourut saintement.

 

Dans la ville de  Lucena en Andalousie appartenant au duc de Segorbe, un Frère lucénois, appelé Disciple de Saint-Pierre, fonda un Hôpital où l’on prend soin des pauvres vivant dans les alentours.

 

Dans la ville de Séville, le frère Pierre le Pécheur, natif de l’endroit, fonda l’Hôpital des Tables ainsi appelé parce que le Frère Pierre s’était fixé comme but initial de recueillir pour la nuit les pèlerins et les abandonnés. A cet effet, on avait placé des tables tout au long de la pièce où les gens dormaient tout habillés. Il installa ensuite une infirmerie où l’on soignait ceux qui étaient malades. Cet Hôpital, appelé Notre-Dame-de-la-Paix, fut ensuite transféré à la Place Saint-Sauveur, où il se trouve encore. Il contient soixante lits et est spécialisé dans les soins aux incurables[78]. L’Hôpital des Tables est resté jusqu’à maintenant destiné à recueillir des pèlerins pour la nuit. Ce sont les Frères de l’autre Hôpital qui en prennent soin. Ils sont douze et mènent une vie ordonnée et pieuse. Comme nous parlerons du Frère Pierre, dans un chapitre à part, sa personne étant digne d’être connue, je ne m’attarderai pas sur le sujet.

 

Il existe également des hôpitaux de cet Ordre à Rome et à Naples. Leur origine est la suivante : les Frères de la maison de Grenade étaient allés là-bas (quand le grand Pape Pie V, d’heureuse mémoire, était encore en vie), pour solutionner le conflit qu’ils avaient avec les Frères de Saint-Jérôme.  Leur Ordre leur prescrivait d’exercer l’hospitalité et non d’avoir des litiges. Ne sachant rester sans rien faire, le Frère Sébastien Arias commença à fonder un Hôpital dans la ville de Rome avec le soutien et la permission du saint-Père. Ce dernier se réjouit de cette nouvelle institution, admirant la charité avec laquelle les Frères aidaient et soignaient les pauvres. Il les soutint si fortement, les encourageant chaleureusement à entreprendre la construction de ce bâtiment, que cinq mois après, soixante lits étaient déjà prêts. Il leur prodigua également  la faveur d’élever les Frères au statut d’Ordre religieux. Pour qu’ils soient de vrais religieux, il émit une Bulle les autorisant à suivre la Règle de Saint-Augustin et à prononcer leurs vœux. Ils acceptèrent et firent leur profession comme on le verra en lisant la Bulle que je reproduirai intégralement plus loin.[79]

 

Notre Saint-Père Grégoire XIII, qui gouverne aujourd’hui l’Église Romaine avec bonheur, a toujours été très bienveillant à leur égard et leur a accordé la protection du très révérend cardinal Savelli, son Vicaire, pour qu’il les défende et les protège à tout moment avec charité et bienveillance[80].

 

Des hôpitaux de cet Ordre ont été fondés dans diverses parties d’Espagne, que je ne nommerai point par souci de concision.

 

Je dirai seulement qu’il n’a fallu que quelques jours pour que la renommée de Jean de Dieu et l’importante contribution de son Ordre dans l’implantation des hôpitaux parviennent jusqu’aux Indes Occidentales. Des lettres du Pérou, de Panama et de Nombre de Dios[81] ont été envoyés à la Maison de Grenade, de la part d’hôpitaux fondés là-bas. Les supérieurs demandaient de faire partie et de dépendre de cette Maison et de son Ordre et de leur obéir. Ils insistèrent pour que leur soient envoyés les règlements, les Constitutions des Frères ainsi que la Bulle obtenue, voulant introduire l’Ordre hospitalier, là où ils se trouvaient, pour que les pauvres soient secourus avec charité. On leur envoya ce qu’ils demandaient en 1581.

 

Il me semble qu’il serait assez raisonnable que tous les princes chrétiens soutiennent les Frères, donnant de l’essor à leurs maisons, les aidant de leurs dons puisqu’il s’agit du bien commun et universel ; et ce, d’autant plus qu’il est à leur avantage d’avoir un Ordre qui, avec charité et désintéressement, assiste et soigne les pauvres, supportant la puanteur et la saleté des malades. IL n’est guère facile de trouver des personnes qui acceptent de bien faire de telles choses, (travaux qui font horreur, d’habitude) sans aucun salaire. Et, à cet égard, la charité est certes l’arme efficace entre toutes.

 

Il n’est que justice de remercier Notre-Seigneur avec ferveur d’avoir suscité un Ordre plein de miséricorde dont le but principal est de Le servir à travers ses pauvres, par amour pour Lui, le cœur plein de charité. Que tous ceux qui l’apprennent et désirent sa gloire et le bien de tous, donnent aide et protection aux Frères. Ce sont des êtres vertueux donnant toujours le bon exemple. Il y a parmi eux de grands saints.

 

Et pour donner une idée de l’ampleur de la tâche accomplie par Jean de Dieu, j’exposerai brièvement la vie de l’un d’entre eux qui a déjà quitté ce monde. Je pourrais en mentionner bien d’autres, mais m’en abstiendrai, attendant que soient venus le temps et le lieu de le faire : certains d’entre eux sont encore vivants, d’autres sont morts mais leur souvenir demeure présent dans toutes les mémoires. Ils ont été connus de tout un chacun ; c’est la raison pour laquelle je n’ai pas jugé nécessaire de m’étendre sur cet écrit.

 


 

CHAPITRE XXIV

Pierre le Pécheur

 

 

La prudence et la sagesse des fils de Dieu sont bien différentes de celles des fils du siècle. Ces derniers, pleins d’hypocrisie, recherchent  la renommée et les titres, toutes choses qui, selon eux, sont fort honorables, prestigieuses et estimées du monde. Ils se servent de ces paravents pour cacher leurs défauts et leur peu de vertu, et pour paraître ce qu’ils ne sont pas. es fils de Dieu qui mériteraient qu’on les loue recherchent, au contraire, les noms les plus humbles et les plus méprisables. Mais s’ils réussissent à cacher aux yeux du monde le trésor qu’ils sont reçu du Seigneur, ils veulent proclamer sa grande clémence et travailler à sa gloire. Aussi Dieu leur distribue-t-il généreusement ses faveurs et ses grâces.

 

C’est pour cette raison que ce saint homme crut bon de prendre le nom de Pierre le Pécheur. Pénétré qu’il était de la foi et convaincu de l’image qu’il s’était forgé de Dieu (la Majesté divine l’éclairant de sa lumière), plus il approfondissait sa connaissance de sa propre misère et de son insuffisance lui était flagrante.  Afin d’être bien équipé pour une entreprise aussi ardue, la seule arme qui lui sembla assez noble consista à porter le nom de Pierre le Pécheur et d’être connu sous ce nom. Il montrait ainsi à quelle école  il avait été formé. Sa  vie fut très semblable à celle de ces hommes rendus illustres par la volonté de Notre-Seigneur, qui leur imposait pour leur bien un nouveau nom.

 

Les preuves dont nous disposons sur la sainteté de cet homme justifieraient à elles seules qu’on écrivît un livre entier sur sa vie, ses grandes vertus, son esprit de pénitence, son parfait amour de Dieu et du prochain et les années qu’il  vécut en ermite dans la solitude d’une montagne.

 

C’est la raison pour laquelle on connaît si peu de choses sur sa vie. Seul son amour de Dieu le conduisit à vivre dans une ville, avec beaucoup de peine d’ailleurs, comme on le verra par la suite. Voilà donc ce que nous avons pu en définitive recueillir sur sa vie.

 

Pierre le Pécheur naquit dans notre province d’Andalousie, mais on ignore à quel endroit exactement. Nous ne savons pas non plus quand a eu lieu sa conversion ni quand il a commencé à suivre avec tant de ferveur la voie de Notre-Seigneur. Nous savons seulement que, tout jeune encore, il vivait du travail de ses mains dans la ville de Jaén.

 

Il en fut ainsi toute sa vie, tout comme l’apôtre Saint Paul qui voulut toujours vivre de son propre travail sans rien demander à personne, quel que fût l’endroit où il se trouvât.

 

Il allait dans les rues, deux seaux suspendus aux épaules, dans lesquels il recueillait de quoi se nourrir.

 

Ce qui lui restait de sa nourriture, plutôt frugale et peu abondante, il l donnait aux pauvres. Aussitôt après, il se retirait dans un coin et se mettait à prier. Ce ne sont pas des mets délicats ou un lit accueillant qui l’eussent empêché de se recueillir : son lit était la terre battue. Quand il allait en ville, il portait des vêtements grossiers qui ne se distinguaient en rien  de ceux des autres gens.

 

Il alla nu-pieds pendant de longues années. Avec l’âge il consentit cependant, par pure obéissance, à porter des chaussures.

 

En quittant Jaén, il partit se retirer dans un ermitage situé sur la montagne sauvage et solitaire dans la province de Malaga. Il y passa plusieurs années, menant une vie angélique. Il vivait de ses mains, comme on l’a déjà dit, fabriquant des cuillers, des paniers et d’autres articles en bois. Il vendait tout cela pour subvenir à ses besoins.

 

Tout porte à croire que plusieurs choses dignes d’être connues lui arrivèrent et que nous ignorons, parce que cet homme était un modèle de silence, ne parlant que pour glorifier Notre-Seigneur ou pour dire du bien de son prochain. Il suffit, pour se convaincre de la sainteté de cet homme, de regarder les effets que la prière avait sur lui : elle l’enflammait d’amour pour Notre-Seigneur à un point tel qu’on en voyait immédiatement les fruits produits par son apostolat dans la ville voisine. Nous allons revenir plus loin sur cet aspect de sa vie.

 

Il éprouva, un jour, le désir d’aller visiter les lieux saints de Rome et les reliques des apôtres saint Pierre et saint Paul. Il mit son projet à exécution, au prix de grands sacrifices, à l’aller comme au retour. Etant mal vêtu et marchant nu-pieds et nu-tête, il souffrit beaucoup de la faim, du froid et de la chaleur.

 

Arrivé à Rome, il visita avec une grande dévotion et en versant beaucoup de larmes ces lieux qu’il avait si longtemps désiré voir, baisant la terre et les pierres baignées du sang d’innombrables martyrs.

 

Selon son habitude qui était de faire du bien à tout le monde, chaque fois que l’occasion s’en présentait, et de guider les êtres vers leur créateur, il lui arriva un jour (mis à part les autres personnes avec qui il parla) de rencontrer un Juif qui lui plut par sa modestie, sa bonne éducation et sa vive intelligence. Pierre se mit à lui parler de son salut, afin de le sortir de l’erreur dans laquelle il vivait en s’obstinant à suivre cette loi qui avait cessé d’exister avec la venue du Messie. Il lui rappela que celui que Dieu avait promis par ses prophètes était vraiment arrivé sur terre, alors que par ignorance les Juifs l’attendaient encore niaisement. Avec l’aide de Notre-Seigneur et la grâce qui fut accordée au jeune homme juif, Pierre trouva les mots justes et réussit à le convertir et l’amener sur la voie de la vérité, le jeune homme demanda le baptême qui lui fut administré en grande pompe à Rome. Voulant lui éviter de rencontrer d’autres Juifs qui auraient pu le pervertir par leurs paroles, Pierre lui conseilla de le suivre en Espagne. Le jeune homme accepta et retourna en Espagne avec lui.

 

A son retour de Rome, Pierre se rendit directement à Séville. Ses armes spirituelles étaient si bien aiguisées qu’il parcourait les rues de la ville, presque nu, nu-pieds et ceint d’une corde, faisant pénitence publiquement, criant à tous de suivre son exemple. Il prêchait avec une telle véhémence et en termes si perspicaces qu’il transperçait le cœur de ceux qui l’écoutaient. On voyait bien qu’il était inspiré par e Saint-Esprit parce qu’il opéra beaucoup d’autres conversions parmi les gens. Transformés par ses paroles, beaucoup, en effet, quittèrent le monde et suivirent le Christ, Notre Rédempteur ; ils empruntèrent des voies différentes, certains se faisant religieux, d’autres imitant Pierre, comme on le verra par la suite.

 

Quand Pierre parlait, on avait l’impression que sa langue était mue par un autre. Il marchait d’une façon si absorbée et extasiée à travers les rues qu’il semblait ne voir ni entendre personne ; il retrouvait, en quelque sorte, la solitude de sa montagne.

 

Il parlait peu mais les paroles qu’il prononçait étaient empreintes d’une telle véhémence qu’aujourd’hui encore elles restent gravées dans la mémoire de ceux qui les entendirent ; même si certains ont abandonné toute pratique, tous se les rappellent avec émerveillement.

 

C’est animé de ce même esprit que Pierre parcourut la province de Séville, et c’est dans cette ville qu’avec l’aide des Frères qui  s’étaient joints à lui, il fonda l’Hôpital des Tables comme nous l’avons dit précédemment. Pendant des jours et des jours, il s’exerça à aider et servir les pauvres. Il parcourait les rues mais cette fois, au lieu de demander l’aumône, il prêchait les vérités chrétiennes et sans qu’il demandât, tous lui donnaient des dons pour les pauvres.

 

Pour ne point s’absorber entièrement dans son service pour le prochain et se rappelant les fruits qu’il avait retirés de son ancienne vie de prière sur la montagne, il rassemblait les Frères de temps à autre et leur tenait un discours sur les bienfaits de la prière. C’est la base même de toutes les vertus et elle permet de s’occuper ensuite de ses semblables avec des énergies nouvelles. Le recueillement était très difficile au milieu du vacarme de Séville.

 

C’est pourquoi, laissant  un Frère à l’Hôpital, il se rendit avec d’autres sur les monts de Ronda, à l’endroit le plus sauvage. Il se retirait dans une grotte et passait plusieurs jours dans la prière et la méditation. Il instruisait aussi ses disciples comme s’il était un maître de grande expérience.

 

De même il leur enseignait à travailler de leurs mains pour qu’ils évitent l’oisiveté et subviennent à leurs propres besoins.

 

Plusieurs jours, quelquefois un an après, il retournait en ville. Il alimentait ainsi ses deux vies et formait ses Frères dans la vertu, l’exemple, la sainteté et l’esprit de pénitence. Lui-même était pour eux un saint exemple par son abstinence sévère et sa discipline personnelle, les entraînant ainsi à demeurer sur le chemin de la sainteté.

 

Comme il allait pieds nus, il trébuchait sur le cailloux. Les blessures qu’il s’infligeait aux pieds étaient si grandes qu’il lui arrivait de percer avec une alêne (n’ayant pas autre chose) les durs cors aux pieds qui en résultaient. Il recousait les entrailles avec le fil que l’on emploie pour coudre les chaussures.

 

Un jour qu’il se trouvait sur la montagne avec un seul compagnon, ils décidèrent tous deux d’aller ramasser du bois dans la forêt pour en faire des cuillers et des pioches. Ils n’avaient pas mangé et, sur le chemin de retour, ils prirent conscience que dans la grotte il n’y avait rien à manger ; or ils étaient exténués. Arrivés à la grotte, Pierre le Pécheur vit sur un siège de pierre un gros pain blanc posé à côté d’un petit pot rempli d’huile. S’adressant à son compagnon, il lui dit au milieu de ses larmes : « Regarde, frère, comme le Seigneur dans sa miséricorde a eu soin de nous procurer le nécessaire, sans que nous ne l’ayons mérité ».

 

Et s’agenouillant tous les deux, ils rendirent grâce longuement à Notre-Seigneur qui avait augmenté encore la dévotion de leurs âmes, en opérant ce prodige pour nourrir leurs corps.

 


 

CHAPITRE XXV

La mort de pierre le pécheur

 

 

Bien que le bon Pierre le Pécheur désirât consacrer  ses efforts à servir Jésus-Christ dans ses pauvres, son plus grand désir et sa plus grande joie étaient de retrouver le calme de la solitude. C’est pourquoi il entrecoupait son travail de périodes de recueillement sur la montagne.

 

Trouvant qu’à Séville il commençait à être un peu trop connu et que les gens lui faisaient beaucoup d’honneurs quand ils le rencontraient, il décida de ne plus y retourner, incapable de supporter davantage ces marques d’estime qui allaient en contradiction avec sa grande humilité et son mépris du monde. Confiant l’Hôpital à un Frère appelé le Petit Pierre le Pécheur, saint homme vertueux et de grand talent qui avait gagné l’estime et l’affection des gens de Séville, Pierre le Pécheur se rendit à Grenade à l’Hôpital de Jean de Dieu. Il faisait ce qu’on lui ordonnait de faire, et, comme à Séville, s’en allait dans les rues, un crucifix à la main, exhortant le peuple selon son habitude, nu-pieds, nu-tête, les cheveux longs, vêtu d’un simple sac de toile rude qui lui descendait jusqu’aux pieds. Sa présence suffisait à remplir les gens de contrition. Il incitait chacun à la réflexion.

 

Puis i s’en retournait à la montagne, comme il avait l’habitude de faire, jusqu’au jour où les personnes qui le connaissaient bien, insistèrent auprès de lui pour qu’il  s’établisse définitivement à l’Hôpital et qu’il prenne l’habit. Il fallait qu’il tînt compte de son âge avancé (il approchait, en effet, la soixantaine) et de ce qu’il ne pouvait plus ainsi supporter les rigueurs de la montagne, sans compter le bien immense qu’il apporterait à tous les gens de la ville, pauvres et riches.

 

Comme sa volonté ne lui appartenait pas, il obéit considérant que c’était là une bonne façon de couronner la vie d’ermite qu’il avait suivie jusqu’alors et mourir après avoir prononcé ses vœux et fait acte d’obéissance. Il revint donc à la ville, prit l’habit et fit profession quelques jours plus tard.

 

L’institution tira grand profit de sa vie exemplaire et des dons qu’il recueillait pour les pauvres ; il pratiquait en outre ses exercices habituels, faisant en sorte d’honorer Dieu par-dessus tout.

 

Il rassemblait sur la place les gens désœuvrés et abandonnés et leur tenait certains discours tellement élevés et avec un tel esprit que les personnes très intelligentes et ayant suivi plusieurs années d’études auraient eu à apprendre de lui.

 

Il avait pris l’habitude de se lever très tôt le matin, pour se rendre sur les places où se réunissaient les travailleurs des champs à la recherche d’un travail. Il montait sur une table, puis s’agenouillait et leur rappelait la doctrine chrétienne avec beaucoup de ferveur. Il n’ignorait pas que beaucoup de ceux qui se trouvaient là ne connaissaient pas un mot de cette doctrine, et que, l’habitude de l’écouter aidant, ils l’apprendraient peu à peu ; c’est dans cette intention qu’il leur faisait répéter les réponses.

 

Habituellement, il marchait dans les rues en portant dans les mains une statue de l’Enfant Jésus richement décorée. Il était surprenant de voir avec quel respect et quelle dévotion il portait cette statue, sans jamais la perdre du regard, et ce, malgré la fatigue qui s’accumulait au cours de la journée. Bien qu’elle fût assez lourde, il la portait toute la journée, sans changer de main, ce qui ne manquait pas d’étonner ceux qui le voyaient, car il était très âgé.

 

Chaque vendredi, il portait une grande croix sur laquelle était peint Jésus crucifié ; sa dévotion pour la Sainte Croix était telle qu’il ne cessait de chanter ses louanges et qu’il planta même une grande croix durant son séjour à la montagne. Il s’agenouillait à ses pieds, en lui murmurant des paroles affectueuses et en portant sur elle un regard plein de douceur, y puisant une nouvelle joie comme le fit saint André avant d’être crucifié.

 

A l’Hôpital, il se levait à minuit et s’en allait prier à l’église. Il y restait jusqu’au matin récitant des cantiques sacrés devant le Très Saint Sacrement. Avec une simplicité désarmante et une ferveur infinie, il s’exclamait : « Qui pourrait me séparer du Crucifix ? Ni le démon, ni personne au monde ». Il chantait au Seigneur ses cantiques et son amour. Toujours en chantant il se levait, dansait puis retournait à ses prières. C’est ainsi qu’il passait le plus clair de ses nuits dans la douce mélodie de son âme[82].

 

Il faisait de même à l’occasion de certaines fêtes principales, à Pâques, par exemple, ou à d’autres fêtes où l’on célébrait des saints. Il se levait très tôt, allait à la messe où il dansait devant l’autel tout en chantant quelques strophes en l’honneur de la fête. Puis il s’agenouillait, récitait des prières et recommençait à danser avec une telle ferveur qu’il émouvait les cœurs de ceux qui le surprenaient dans cette attitude. En effet, comme il a été dit précédemment, tous ses actes étaient accomplis dans le plus grand recueillement, sans tenir compte de personne, comme s’il était seul au monde et non au milieu des hommes, ce qui n’est pas pour m’étonner.

 

En effet, son union continuelle avec Dieu lui avait enseigné tant de respect et d’amour qu’il n’existait vraiment qu’en Sa présence. Toujours plein d’attention et de respect pour ce qu’il devait faire pour Lui plaire, il avait perdu le sens d’être parmi les hommes et pour qu’ils ne lui soient d’aucun empêchement dans ses rapports avec Dieu, il les oubliait un instant comme s’ils étaient pour lui de simples objets.

 

Même dans les rues il agissait et priait de la même façon, comme s’il était enfermé dans sa propre cellule.

 

Cette attitude attirait l’estime et l’admiration de beaucoup de gens, si bien que ceux qui  l’observaient en étaient très étonnés et louaient le Seigneur de lui avoir concédé la grâce de mener une vie si édifiante.

 

Il avait une très grande dévotion pour le Très Saint Sacrement et la Sainte Vierge.

 

Le jour de la Fête-Dieu, s’il se retrouvait à Grenade, il se coiffait la tête et portait un second vêtement en plus de son habit, puis sortait et, se plaçant devant Notre-Seigneur, il se mettait à danser pendant toute la procession. Il était pourtant bien vieux, mais il ne se fatiguait jamais. Il ne savait pas du tout danser mais il le faisait avec tant de garce et d’esprit, que les gens abandonnaient les autres réjouissances pour aller voir danser Pierre le Pécheur. Nombre de personnes pieuses encourageaient les gens à aller voir Pierre le Pécheur, pour apaiser leurs sentiments de dévotions par les larmes. Et en vérité, Pierre dansait avec tant d’ardeur devant Notre-Seigneur et l’image de sa Mère, il prononçait tant de belles paroles que les gens très souvent éclataient en sanglots.

 

L’heure fixée par Notre-Seigneur pour donner le repos à son serviteur et le récompenser de ses services et de ses efforts était arrivée. Et pour que s’accomplisse le conseil qui lui avait été donné, c’est-à-dire de finir ses jours dans l’obéissance, il lui fut commandé de se mettre en route et d’aller à Madrid traiter avec le roi de certaines affaires à la maison.

 

Il obéit sans mot dire, bien que cela l’incommodât : il était malade, (la vieillesse est une infirmité par elle-même) et surtout il était ennemi du tapage mondain et des artifices de la Cour. Obéissant néanmoins, il se mit en route avec un âne que le frère supérieur l’obligea à emmener avec lui. On sut plus tard qu’il n’y monta presque pas, étant peu habitué à cet exercice, lui qui avait marché toute sa vie. Même sur le plan de la nourriture, il s’imposa de durs sacrifices pendant le voyage.

 

Arrivé à Madrid, il alla loger à l’Hôpital de ses Frères. En tant qu’étranger, il ne voulut pas manger au réfectoire des Frères ; il se plaça dans un coin et mangea quelques morceaux de pain dur, qu’il avait apportés dans un panier, et qui constituaient sa seule nourriture.

 

Alors qu’il commençait à se préoccuper des affaires pour lesquelles il était venu, il fut pris d’une forte fièvre qui dura plusieurs jours et le laissa très affaibli.

 

Pressentant que cette maladie serait sa dernière, il quitta la Cour et se rendit à Mondéjar, ville voisine.

 

Là se trouvaient le comte et la comtesse de Tendilla, aujourd’hui Marquis de Mondéjar. Comme leurs parents et leurs grands-parents, ils ont toujours été pieux et bons chrétiens. Ils n’ont cessé de soutenir l’institution de Jena de Dieu, en distribuant de nombreux dons dans le passé et aujourd’hui encore[83].

 

Ils ont été pendant longtemps Capitaines Généraux du royaume de Grenade et sont actuellement Gouverneurs de la célèbre forteresse de l’Alhambra. Ayant toujours vécu ici, ils connaissaient très bien le bon Pierre le Pécheur. Celui-ci se retira chez eux pour ses derniers instants. Les marquis furent très contents de le voir. Il leur dit en entrant : « Je viens ici pour mourir ».

 

Son mal s’aggravant, ils le mirent dans un bon lit, prirent soin de lui très charitablement, ne le laissant manquer de rien et le traitant comme s’il s’agissait d’eux-mêmes.

 

Au lieu de se lamenter comme le font les autres malades, alors qu’il avait toujours chanté et psalmodié des chansons d’amour à Dieu, Pierre continua à chantonner, avec plus de douceur et d’amour encore. C’était le chant du cygne, chant d’un être qui entrevoit l’aboutissement de ses désirs, c’est-à-dire la venue du jour où il verrait son Jésus bien aimé.

 

Il reçut les derniers Sacrements les yeux baignés de larmes et le cœur plein de dévotion. La nuit où il mourut, le marquis et la marquise étaient seuls avec lui pour mettre à profit le peu de temps qui lui restait à vivre et écouter sa conversation angélique et ses saintes paroles.

 

Il se mit à chanter et à exulter, battant la mesure avec ses doigts comme il avait coutume de faire, chantant de saintes strophes et répétant entre chacune : « Cueillez ces fleurs, cueillez ces fleurs », comme s’il voyait déjà les fleurs dont parle l’Epouse dans le Cantique des Cantiques : écloses sur notre terre elles donnent très vite leurs fruits pour s’en aller jouir de la béatitude éternelle. Disant ces mots, il expira et rendit l’âme à son Créateur.[84]

 

Les gens qu’il quittait se consolèrent à la pensée qu’une telle mort était le couronnement d’une vie exemplaire, ce qui en somme était plus important, et ils rendirent grâce à Notre-Seigneur.

 

Dès que la nouvelle s’ébruita parmi la population, grand nombre de gens accoururent pour rendre les honneurs à ce saint homme de Dieu. Les marquis aussi le vénérèrent comme il se doit et lui firent des obsèques dignes de lui.

 

Le corps, après avoir été exposé à l’église pendant quelques jours, là où tous pouvaient le voir, fut déposé dans une caisse de bois doublée de cuir noir construite sur l’ordre du marquis.

 

Comme il avait une grande affection pour l’Hôpital de Grenade et ses Frères, le marquis ne voulut pas les priver du corps de ce saint homme. Il ordonna don à ses serviteurs de le transporter là-bas sur une mule très bardée.

 

C’est ainsi que le corps arriva à Grenade. Bien qu’en pleine saison chaude et que les deux villes fussent distantes de soixante lieues, son corps était intact comment au moment de sa mort, qui datait pourtant de quinze jours.

 

Le corps arriva à minuit. Le Frère supérieur raconta qu’il était encore éveillé dans sa cellule lorsque les porteurs entrèrent à l’Hôpital. Avant qu’ils ne frappent à la porte, il entendit un coup si violent sur le toit de sa cellule qu’il crut que l’appartement et la chambre allaient s’écrouler. Sortant de la cellule pour voir quelle était la cause de bruit, il n’entendit rien et vit que tous les autres dormaient tranquillement.

 

Et c’est alors qu’il entendit tout à coup frapper  avec insistance à la porte. Il envoya quelqu’un voir de quoi il s’agissait. On lui rapporta que le corps de Pierre le Pécheur était arrivé. Il comprit alors que le coup entendu n’avait été en fait que le signe précurseur de ce qui allait se passer dans l’Hôpital.

 

Tous ceux qui habitaient là se levèrent immédiatement et se munirent d’un cierge blanc ; puis ils allèrent le recevoir et, saisis d’une sainte joie, le déposèrent dans l’église.

 

Un notable, qui désirait faire au saint homme des obsèques dignes de lui, alla en demander l’autorisation à l’archevêque. Ce dernier refusa pour un grand nombre de raisons fort valables et ordonna qu’on l’enterrât sans plus tarder.

 

La mise en terre ne se déroula pas aussi discrètement que l’eut désiré Pierre, car une foule importante se pressa pour l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure. La plus  grande ferveur entoura sa sépulture. Le peuple, en effet, avait été grandement frappé de voir que le corps, après tant de jours, avait échappé à toute décomposition et il chantait les louanges du Seigneur qui est glorifié dans ses saints.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LETTRES

 

DE  SAINT  JEAN DE DIEU


Lettre de Saint Jean de Dieu à Louis-Baptiste[85]

 

 

 

Jean de Dieu répond à Louis-Baptiste, jeune homme qui avait quelque intention d’aller vivre avec lui dans son hôpital et lui avait posé différentes questions. Tout en laissant cet indécis parfaitement libre de son choix, le bon Père, tour à tour affectueux et légèrement ironique, s’efforce, par des conseils pleins de sagesse, de le fixer dans le droit chemin et l’instruit clairement de ses devoirs présents et futurs.

 

*

*    *

 

1.            Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de Notre-Dame la Vierge Marie, toujours pure. Dieu avant tout et par-dessus tout ce qui est au monde !

         Dieu vous garde, mon frère en Jésus-Christ et fils bien-aimé, Louis-Baptiste.

 

2.            J’ai reçu votre lettre adressée de Jaén ; elle m’a causé une grande joie et beaucoup de plaisir. Toutefois, vos maux de dents m’ont bien peiné ; car toute douleur qui vous atteint m’attriste et votre bien-être, au contraire, me réjouit.

 

3.            Vous n’avez trouvé là-bas, me dites-vous, aucune des commodités que vous étiez allé y chercher. Par ailleurs, vous me faites part de votre désir de vous rendre à Valence, j’ignore en quel endroit.

 

4.            Que vous répondre en cette lettre, écrite à l’improviste, pour vous être expédiée aussitôt ? Je ne le sais. Telle est ma hâte que je n’ai presque pas le temps de prier Dieu de m’éclairer sur cette affaire. Il serait de la recommander beaucoup à Notre-Seigneur Jésus-Christ et, pour cela, de disposer de plus de temps que j’en ai.

 

5.            A vous voir si souvent si faible, en particulier en ce qui regarde la chasteté, je ne sais que vous dire pour vous faire venir ici. Du reste, Pierre n’est pas parti et j’ignore quand il s’en ira. Il dit bien qu’il veut s’en aller, mais je ne sais pas au juste quand aura lieu son départ.

 

6.            Si j’étais sûr que votre présence en cette maison dû être profitable à votre âme et au bien spirituel du prochain, je vous ordonnerais de venir tout de suite ; mais je crains qu’il n’en soit autrement. Mieux vaudrait pour vous, ce me semble, passer encore quelque temps dans l’épreuve, jusqu’à ce que vous soyez très accoutumé à souffrir et à faire beaucoup de bien, malgré les contrariétés des plus mauvais jours ; mais, d’un autre côté, c’est aussi mon sentiment que si vous couriez un risque de vous perdre, vous feriez bien mieux de venir. En ceci, Dieu sait ce qui est préférable, il connaît la vérité.

 

7.            C’est pourquoi, à mon avis, avant de quitter cette ville où vous êtes, il vaudrait mieux recommander beaucoup cette affaire à Notre-Seigneur Jésus-Christ. De mon côté, j’en ferai de même ici. Vous devriez aussi m’écrire plus souvent et vous informer, par là, auprès des gens qui voyagent de côté et d’autre. Ils vous diraient ce qu’est ce pays de Valence. Si vous vous y rendez, vous verrez le véritable corps de Saint Vincent Ferrier.

 

8.            Vous errez çà et là, ce me semble, comme une barque sans rames[86] ; souvent, de mon côté, je suis sujet au doute comme un homme sans jugement. Nous sommes donc deux , vous et moi, à ne savoir que faire, mais Dieu, qui connaît tout, peut venir à notre aide. Qu’il nous fasse la grâce de nous éclairer et de nous conseiller tous deux !

 

9.            Vous me paraissez être encore comme la pierre qui roule. Il serait bon, cependant, de vous mettre un peu à mortifier votre chair, à endurer les misères de la vie : faim, soif, déshonneurs, opprobres, chagrins, peines et ennuis, le tout pour Dieu ; car si vous veniez ici, il vous faudrait endurer tout cela pour son amour.

 

10.        Pour tout ce qui vous arrive en bien ou en mal, vous devez rendre grâce à Dieu[87]. Souvenez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte Passion. Il a rendu le bien pour le mal et ainsi devez-vous faire, mon  fils Baptiste, afin que, quand vous viendrez en cette  maison de Dieu, vous sachiez discerner le bien et le mal.[88]

 

Si vous étiez absolument certain que ce voyage à Valence dût vous perdre, mieux  vaudrait venir ici, ou vous rendre à Séville, bref, là où Notre-Seigneur voudra vous diriger.

 

11.        Venant ici, vous devriez obéir et travailler beaucoup plus que vous ne l’aviez fait, être tout entier aux choses de Dieu, enfin, vous dépenser sans cesse au service de pauvres.

 

La maison vous est ouverte. J’aimerais vous voir devenir plus vertueux, vous qui êtes pour moi comme un fils et un frère.

 

12.        Vous trouverez ma lettre bien négligée, car je suis très pressé. Je ne puis non plus vous en dire bien long ; j’ignore, en effet, s’il plait au Seigneur que vous veniez si vite en cette maison, ou s’il désire que vous fassiez pénitence là où vous êtes.

 

Souvenez-vous cependant que, si vous venez, il faut le faire résolument et vous garder des femmes, comme du diable.

 

13.        Déjà s’approche le moment où vous devez prendre un état. Décidé à vous rendre ici, il vous faudrait travailler avec fruit pour Dieu et faire bon marché de « votre peau » et de vos forces. Rappelez-vous  Saint Barthélemy : écorché vif, il emporta sa peau sur les épaules. Ne venez donc pas ici dans le dessein de mener une vie tranquille, mais pour travailler ; car les travaux les plus pénibles sont le partage de l’enfant le plus aimé[89].

 

14.        Venez, si vous pensez que c’est là que vous avez mieux à faire et si Dieu vous l’inspire. Si, au contraire, il vous semble bon de courir encore le monde et de chercher quelque situation où vous puissiez mieux servir Dieu, agissez en tout comme il vous plaira, à l’exemple de ceux qui vont aux Indes chercher fortunes. Faites en sorte de m’écrire en quelque lieu que vous soyez.

 

15.        Tous les jours de votre vie, ayez le regard fixé sur Dieu[90] et entendez la messe toujours en entier. Confessez-vous souvent ; et, si possible, ne vous endormez jamais, le soir, en état de péché mortel. Aimez Notre-Seigneur Jésus-Christ, par-dessus tout ce qui est au monde ; parce que, quel que soit votre amour pour lui, il vous aime bien davantage. Ayez toujours la charité ; car là où il n’y a pas de charité, Dieu n’est pas, bien qu’il soit en tout lieu[91].

 

16.        Quand je pourrai, je transmettrai vos compliments à Lébrija. Votre lettre, je l’ai remise à Baptiste dans la prison ; il en a ressenti une grande joie. Je lui ai dit aussi de préparer une réponse tout de suite, pour pouvoir vous l’expédier. A l’instant, je vais voir si elle est prête.

 

Votre commission est faite, j’ai salué tout le monde de votre part, les grands et les petits, Ortiza et Michel. Pierre m’a dit que si vous venez, vous serez avec lui, jusqu’à son départ, et à son retour aussi, s’il revient.

 

17.        Je n’ai plus rien à vous dire, sinon à vous souhaiter que Dieu vous garde, vous sauve et vous mette ainsi que tout le monde sur la voie de son saint service.

 

Je termine, mais ne cesse de prier Dieu pour vous et tous les hommes[92]. Le rosaire, je puis vous l’affirmer, m’a toujours fait grand ; j’espère que Dieu me fera la grâce de le réciter aussi  souvent que je le pourrai et qu’Il le désirera.

 

18.        Tenez-le-vous pour dit : si vous pensez courir le risque de vous perdre, en ce voyage, décidez-vous pour ce qui vous paraîtra le mieux.

 

Avant de quitter la ville où vous êtes, faites dire quelques messes à l’Esprit Saint et en honneur des Rois Mages, si vous le pouvez : autrement, la bonne intention de le faire suffira, du moins, si elle ne suffisait pas, la grâce de Dieu suffirait[93].

 

19.        Frère Jean de Dieu, le plus petit de tous, prêt à mourir, si Dieu le veut, mais qui attend en silence, espère en Dieu et désire servir Notre-Seigneur Jésus-Christ dont il est l’esclave. Amen Jésus !

 

Moins bon esclave que les autres hommes, je suis bien des fois, fourbe et traître ; je m’en repens, sans doute, beaucoup mais je devrais m’en repentir bien davantage. Que Dieu daigne me pardonner et sauver tout le monde !

 

20.        Ecrivez-moi tout ce qui se passe là-bas. Je vous envoie ci-incluse une lettre qu’on  m’a remise, pour vous la faire parvenir. Par délicatesse, je n’ai pas voulu l’ouvrir et j’ignore si elle est pour vous, ou pour Baptiste de la prison. Lisez-la et, au cas où elle serait pour lui, renvoyez-la-moi, afin que la lui remette.

 

Si Baptiste a écrit sa lettre, elle partira avec ces deux-ci.

 

Maintenant, tenez-vous près de Dieu et marchez en sa présence[94].


Première lettre de Saint Jean de Dieu à don Gutierre Lasso de la Vega[95]

 

 

Le saint avait une somme d’argent, en dépôt, chez le chevalier Gutierre Lasso. Il la lui demande pour payer des dettes. Suivent quelques souhaits et salutations, et des sages conseils adressés à ce charitable bienfaiteur sur l’état de vie que doivent embrasser ses enfants.

 

*

*   *

 

1.            Que cette lettre soit remise au très noble, très vertueux et très généreux chevalier de Notre-Seigneur, et son esclave tout dévoué, Gutierre Lasso. Amen Jésus.

 

Qu’elle lui soit remise en main propre, à Malaga, ou bien là où il se trouve. Amen Jésus.

 

Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de Notre-.Dame la Vierge Marie, toujours pure, Dieu avant tout et par-dessus tout ce qui est au monde ! Amen Jésus.

 

Dieu vous garde, mon frère en Jésus-Christ, Gutierre Lasso, vous, toute votre famille, et tous ceux qu’il plaira à la divine volonté ! Amen Jésus.

 

2.            La présence lettre est pour vous informer de mon arrivée ici, en parfaite santé, grâce à Dieu, avec plus de cinquante ducats. Ajoutés à ceux que vous avez là-bas, cela en fait, je crois, près de cent.

 

Depuis mon retour, je me suis endetté de trente ducats ou davantage. Ni cette somme, que j’ai portée, ni celle qui est chez vous ne suffiront ; car j’ai  plus de cent cinquante personnes à entretenir et, chaque jour, Dieu pourvoit à tout. Si donc, aux vingt-cinq ducats que vous avez là-bas, vous pouviez ajouter quelque chose de plus, le tout serait nécessaire. Envoyez-moi tous les pauvres que vous avez là-bas, mais si c’est impossible, n’en ayez ni peine ni chagrin.

 

3.            Ces vingt-cinq ducats, faites les moi parvenir tout de suite ; car je les dois et bien plus ; aussi suis-je dans l’attente. Je vous les ai remis, rappelez-le-vous, en un petit sachet de toile, un soir, dans votre jardin d’orangers, alors que nous nous y promenions tous les deux. Viendra un temps, je l’espère dans le Seigneur, où vous vous promènerez dans le jardin céleste !

 

4.            Le muletier est très pressé, je ne puis donc vous écrire longuement ; d’autre part, j’ai tant de travail que je n’ai la durée d’un Credo de répit.

 

Envoyez-moi tout de suite cet argent, par charité ; j’en ai un besoin assez pressant.

 

5.            Pour l’amour de Notre-Seigneur, recommandez-moi à la très noble, très vertueuse et très généreuse esclave de Jésus-Christ, votre épouse. Son grand désir, je le sais, est de plaire à ce divin Maître et à Notre-Dame la vierge Marie toujours pure, en remplissant ses devoirs envers eux et, par amour de Dieu, de servir docilement son mari, Gutierre Lasso, lui aussi esclave tout dévoué de Notre-Seigneur. Amen Jésus.

 

6.            Vous saluerez encore, de ma part, votre fils l’archidiacre qui est allé, avec moi, demander la sainte aumône ;  c’est le plus humble des esclaves de Notre-Seigneur et de Notre-Dame la Vierge Marie, toujours pure ; son désir est de servir sans cesse Jésus et sa sainte Mère et de leur être agréable.

 

7.            Dites-lui de m’écrire aussitôt que possible, avec l’aide de Dieu. Et vous aussi, bon chevalier, mon frère en Jésus-Christ, Gutierre Lasso, écrivez-moi et transmettez mes salutations à vos fils et filles, et à tous ceux qu’il vous plaira.

 

A Malaga, recommandez-moi à l’évêque et présentez-lui mes hommages, ainsi qu’à tous ceux que vous voudrez et verrez ; obligé que je suis de prier pour tout le monde[96].

 

8.            De votre fils, le bon chevalier, il en sera comme Dieu le voudra[97]. Que Notre-Seigneur Jésus-Christ préside à toutes ses affaires, à tous ses travaux, à toutes ses actions !

 

S’il plait à Dieu, le mieux serait, me semble-t-il, de le marier le plus tôt possible, au cas où il en exprimerait le désir.  Bien que je dise au plus tôt, il ne faut pas vous tourmenter à ce sujet, mais votre principal souci doit être de prier Dieu de lui accorder une bonne épouse. Il me paraît, du reste, encore assez jeune : plaise à Notre-Seigneur qu’il ait la sagesse des vieillards !

 

9.            Chacun doit embrasser l’état auquel Dieu l’appelle[98] ; quant aux pères et aux mères, ils ne doivent pas trop se soucier et se tracasser à ce sujet, mais bien prier Dieu d’accorder, à tous leurs enfants, l’état de grâce.

 

Quand le Seigneur voudra, l’un se mariera et l’autre chantera la messe, et de tout ceci, je ne sais rien ; Dieu, lui, sait tout[99].

 

10.        Notre-Seigneur veuille disposer de vos enfants suivant vos désirs et sa plus grande gloire ! C’est lui qui sait le mieux ce qu’il faut faire de vos fils, de vos filles et, quoi qu’il décide, vous devez le tenir pour fait et bien fait[100].

 

11.        Les péchés que je commettrai, je les confesserai et en ferai pénitence. Quant au bien que l’homme fait, il n’est pas sien, mais à Dieu[101]. A ce Dieu donc, honneur, gloire et louange, car tout lui appartient ! Amen Jésus[102].

 

12.        Le moindre d’entre vos frères, Jean de Dieu, prêt à mourir, si Dieu le veut, mais qui attend en silence, espère en Dieu et désire le salut de tous les homes comme le sien propre. Amen Jésus.

 

Plaise à Notre-Seigneur Jésus-Christ que vos actions et celles de vos fils et filles soient toutes pour son service et celui de Notre-Dame la Vierge Marie !

 

Que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne vous permette pas de faire rien qui ne lui soit pas agréable ! Amen Jésus.


Deuxième lettre de Saint Jean de Dieu à don Gutierre Lasso de la Vega[103]

 

 

            Le saint donne d’émouvants détails sur son Hôpital. Ses dettes et la misère des pauvres l’attristent ; mais il met sa confiance en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Très reconnaissant envers don Gutierre Lasso, qui s’est déjà montré bon pour lui, Jean de Dieu le prie de s’occuper de la vente de quelques biens offerts à l’Hôpital, car il a grand besoin d’argent.

 

 

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*   *

 

1.

Que cette lettre soit remise au très noble, très vertueux, très généreux chevalier de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et son esclave tout dévoué, Gutierre Lasso. Amen Jésus.

 

Qu’elle lui soit remise, en main propre, à Malaga ou bien là où il se trouve. Amen Jésus.

 

2.

Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de Notre-Dame la Vierge Marie toujours pure. Dieu avant tout et par-dessus tout ce qui est au monde ! Amen Jésus.

 

Dieu vous garde, mon frère, très aimé et très cher dans le Christ Jésus !

 

3.

 

 

4.

 

 

 

5.

La présente lettre est pour vous faire part de mon extrême affliction et de ma détresse – et de tout cela, je rends grâce à Notre-Seigneur[104] – car, sachez-le, mon frère très aimé et très cher dans le Christ Jésus : si nombreux sont les pauvres qui se présentent ici que, souvent, je suis stupéfait qu’on puisse les nourrir ; mais Jésus-Christ pourvoit à tout et leur donne de quoi manger[105]. Rien que pour le bois, c’est sept à huit réaux qu’il faut chaque jour ; la ville est grande, en effet, et comme il y fait très froid, surtout en hiver, les pauvres affluent en cette maison de Dieu. En comptant malades, bien portants, gens de service et voyageurs, il y a plus de cent dix personnes. C’est un Hôpital général ; aussi y reçoit, d’ordinaire, toutes sortes de malades et toutes sortes de gens. Il y a des perclus, des manchots, des lépreux, des muets, des aliénés, des paralytiques, des teigneux, des vieillards et beaucoup d’enfants, sans compter des nombreux voyageurs et passants qui s’arrêtent ici et auxquels on donne le feu, l’eau, le sel et les ustensiles nécessaires pour apprêter les aliments.

 

6.

Et, pour tout cela, il n’y a pas de revenus, mais Jésus-Christ pourvoit à tout[106]. Point de jour où il ne faille quatre ducats et demi et quelquefois cinq, pour approvisionner la maison en pain, viande, volaille et bois, sans compter les frais spéciaux de médicaments et d’habits.

 

7.

Quand les aumônes ne suffissent pas à pourvoir à tous ces besoins, je prends à crédit ; et parfois, il nous arrive aussi de jeûner.

 

 

Voilà comme je me trouve, ici, endetté et captif pour Jésus-Christ seul. Je dois plus de deux cents ducats pour chemises, manteaux, souliers, draps de lit, couvertures et bien d’autres choses nécessaires en cette maison de Dieu, et aussi pour la nourriture des petits enfants qu’on y abandonne.

 

8.

 

 

 

 

 

9.

Ainsi, mon frère très aimé et très cher dans le Christ Jésus, à la pensée de mes si lourdes dettes, il m’arrive bien souvent de n’oser sortir de la maison ; et à la vue des souffrances de tant de pauvres, mes frères et mes semblables, aux besoins corporels et spirituels si grands, je suis bien triste de ne pouvoir les secourir.

 

Cependant, je mets ma confiance en Jésus-Christ seul ; il me libérera de mes dettes, car il connaît mon cœur. Et je dis : malheur à celui qui se fie aux hommes et non à Jésus-Christ seul ! Il se verra abandonné d’eux, qu’il le veuille ou non[107]. Le Seigneur, au contraire, est fidèle et constant ; il pourvoit à tout. Grâces lui soient donc rendues à jamais ! Amen Jésus[108].

 

10.

Mon frère très aimé et très cher dans le Christ Jésus, j’ai voulu vous rendre compte de mes travaux, car je sais que vous les appréciez charitablement, comme moi-même je le ferais pour les vôtres . Je connais aussi votre grand amour pour Notre-Seigneur et votre pitié pour ses enfants, les pauvres, ce qui m’incite à vous exposer leurs besoins et les miens.

 

11.

Nous tendons tous au même but, chacun, il est vrai, par la voie où l’achemine le bon plaisir divin ; c’est une raison de nous encourager les uns les autres[109].

 

 

 

 

12

Mon bien aimé frère en Jésus-Christ, ne cessez donc pas de prier, pour moi, le Seigneur : qu’Il m’accorde, avec la grâce et la force de résister victorieusement au monde, au démon et à la chair, l’humilité, la patience, la charité fraternelle, la sincérité dans l’accusation de tous mes péchés et l’obéissance à mon confesseur ![110] Qu’il me fasse encore la grâce de me mépriser moi-même, d’aimer Jésus-Christ seul, de professer et croire tout ce que professe et croit notre mère la sainte Église ; Je le professe et le crois fermement et réellement.  Comme elle le professe et le croit, ainsi que je le professe et le crois ; de cela, je ne veux pas me départir, j’y ai mis mon sceau ; je l’enferme avec ma clef.

 

13.

Mon frère en Jésus-Christ, c’est un grand soulagement pour moi de vous écrire ; car j’ai l’impression de vous parler et de vous faire part de mes peines ; or, je sais que vous y compatissez. J’en ai fait l’expérience durant mes deux séjours en votre ville, où vous m’avez si bien accueilli et témoigné tant de bienveillance. Que Notre-Seigneur vous récompense qu ciel pour toutes vos bonnes œuvres, faites pour son amour, en faveur des pauvres et de moi-même ! Oh ! oui, qu’il vous récompense ! Amen Jésus.

 

14

Mon frère en Jésus-Christ, vous saluerez de ma part tous les membres de votre maison et vos enfants très aimés ; d’une façon spéciale, aussi, mon cher frère en Jésus-Christ, le maître de l’école, le bon Père et mon frère en Jésus-Christ, l’évêque, doña Catherine, mon hôtesse et sœur très aimée en Notre-Seigneur et toutes les autres personnes qu’il plaira à la divine volonté. Amen Jésus.

 

15

Mon frère en Jésus-Christ, j’envoie là-bas, pour vous porter cette lettre, ce jeune messager. Voici pourquoi :  un jeune homme, natif de Malaga et décédé en cet Hôpital, a légué à cette maison quelques biens pris sur un héritage consistant soit en vignobles, soit en rentes. Mon envoyé pourra mieux vous conter l’affaire, il s’en est occupé dès le commencement.

 

16

Je désire qu’on vende ces biens, car j’ai grande besoin d’argent et le revenu annuel en est minime ; aussi, pour l’amour de Notre-Seigneur, si vous connaissez quelqu’un qui veuille les acheter, vendez-les-lui, tout de suite, à condition que personne n’y perde, ni l’acheteur ni les pauvres, et que tout se fasse rapidement. Le porteur de cette lettre s’en reviendrait ainsi, aussitôt, avec l’argent. C’est un homme qui a ma confiance ; il a sur lui ma procuration et les pièces qu’il a rapportées de ce pays.

 

17

Pardonnez-moi de vous occasionner tant de fatigues ; un jour, elles seront votre gloire au ciel.

 

Pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je vous recommande cette affaire. Avec l’argent qu’elle rapportera, nous devons acheter des habits aux pauvres, qui prieront Dieu pour l’âme de leur bienfaiteur. Il ne faudra aussi payer la viande et l’huile ; les fournisseurs ne veulent plus me faire crédit, car je leur dois beaucoup. Je les fais patienter en leur disant qu’incessamment, on va m’apporter quelque argent, de Malaga.

 

18

Je ne veux pas actuellement solliciter de vous des étrennes ; il y a là-bas, je le sais, assez de pauvres à secourir.

 

Que Notre-Seigneur accorde à votre âme le salut ! Or, en cette existence pleine de soucis, la bonne mort est comme une clef entre les mains de celui qui saint se sauver, et tout le reste n’est rien.

 

19.

Votre bien peu obéissant et bien petit frère Jean de Dieu, prêt à mourir si Dieu le veut, mais qui attend en silence, espère en Dieu et désire le salut  de tous les hommes comme le sien propre. Amen Jésus.

 

            De Grenade, le 8 janvier de l’année 1550.

 

 

 

 

 


Première lettre de Saint Jean de Dieu à la duchesse de Sessa[111]

 

 

Le saint rend compte à la bonne duchesse de ses peines et de l’usage qu’il a fait des aumônes reçues d’elle. Il lui recommande la vigilance, la prière, la méditation de la Passion de N.-S. J.-C. et la persévérance dans la pratique des bonnes œuvres. Puis, après avoir incliné son cœur à la miséricorde envers tous et, en particulier, envers une famille très malheureuse, il termine par diverses salutations et par une charmante formule d’affectueuse politesse, d’humble abandon à Dieu et d’ardente charité pour les âmes, que l’on retrouve en toutes ses lettres.

 

*

*   *

 

1.      Que cette lettre soit remise à la très noble et vertueuse dame doña Maria de Mendoza, duchesse de Sessa, épouse toute dévouée du généreux seigneur don Gonzalo Fernandez de Cordoue, vertueux et bon chevalier de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen Jésus[112].

 

Qu’elle lui soit remise en main propre, à Cabra ou bien là où elle se trouve. Amen Jésus.

 

2.      Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de Notre-Dame la Vierge Marie, toujours pure. Dieu avant tout et par-dessus tout ce qui est au monde ! Amen Jésus.

 

Dieu vous garde, bonne duchesse de Sessa, ma très chère sœur en Jésus-Christ, vous, votre famille et tous ceux qu’il plaira à la divine volonté ! Amen Jésus.

 

3.      La présente lettre, vertueuse duchesse, est pour vous faire savoir que, tout de suite après vous avoir quittée, je suis allé à Alcaudete, rendre visite à  doña Francisca ; de là, j’ai gagné Alcada où, quatre jours durant, j’ai été très fatigué ; je m’y suis endetté aussi de trois ducats, pour venir en aide à quelques pauvres très misérables. Tous les notables de cette ville se trouvaient alors en révolte contre le Corregidor[113] ; aussitôt remis, je suis donc parti pour Grenade sans faire la quête à Alcala. Dieu sait dans quel dénuement les pauvres m’attendaient !

 

4.      Ma sœur en Jésus-Christ, bonne duchesse, l’aumône que vous m’avez faite, les anges l’ont déjà inscrite, au ciel, dans le livre de vie. L’anneau a été si bien employé qu’avec l’argent reçu en échange, j’ai fait vêtir deux pauvres couverts de plaies, et j’ai acheté une couverture. Oui, elle est en présence de Jésus-Christ e intercède pour vous, cette aumône[114]. Quant à l’aube et aux chandeliers, je les ai placés aussitôt sur l’autel, en votre nom ; vous aurez donc part à toutes les messes et prières qui se diront ici. Notre-Seigneur veuille vous récompenser, au ciel, de tous ces bienfaits !

 

Pour le si bon accueil que vous et tous les vôtres m’avez fait, Dieu vous paye aussi, en retour, et reçoive au ciel et votre âme et les leurs !

 

5.      J’ai de grandes obligations envers tous les seigneurs de l’Andalousie et de la Castille, mais surtout envers le bon duc de Sessa : nombreuses et considérables sont les charitables largesses que sa famille m’a faites sur ses biens. Dieu lui tienne compte de toutes les fois qu’il m’a libéré de mes dettes, de mes engagements, et que Notre-Seigneur veuille le ramener en bonne santé et lui donner des fils de bénédiction !

 

6.      Bonne duchesse, l’intention que vous m’avez recommandée (vous savez laquelle) m’a été sans cesse présente à la mémoire. Dieu avant tout, et par-dessus tout ce qui est au monde ! Me confiant en Jésus-Christ seul, la Parfaite Certitude, j’ose dire, moi, Jean de Dieu : « S’il plait au Seigneur, et avec son aide, le duc reviendra bientôt, l’âme et le corps en bonne santé ». A son arrivée, si Dieu le veut, interrogez-le sur ce que je vous ai dit et vous verrez si c’est bien vrai, avec l’aide de Notre-Seigneur.

 

Placez votre espérance en Jésus-Christ seul ![115] Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme[116], il en sera abandonné, qu’il le veuille ou non ! Jésus-Christ, lui, n’abandonne pas ; il est fidèle et constant[117]. Tout passe, sauf les bonnes œuvres[118].

 

7.      Sans cesse, bonne duchesse, allez de l’avant ; de nuit et de jour, ayez le pied sur l’étrier, car nous sommes (comme nous le voyons bien) en guerre continuelle avec le démon, le monde et la chair[119]. Il est absolument nécessaire de nous surveiller toujours nous-mêmes ; nous ne savons, en effet, à quelle heure on viendra frapper à la porte de notre âme, et tels on nous trouvera, tels on nous jugera[120].

 

8.      Quand vous serez sur le point de vous coucher, bonne duchesse, signez-vous, sanctifiez-vous et raffermissez-vous dans la foi en récitant le Credo, le Pater noster, l’Ave Maria et le Salve Regina, les quatre prières ordonnées par notre mère Église. Commandez à toutes vos dames de compagnie et à toutes vos servantes de les dire aussi, comme vous le faites d’ailleurs toujours, je le crois, car je les ai vues réciter la doctrine chrétienne quand je me trouvais près de vous.

 

9.      Vous devez être bien affligée, ma sœur, bonne duchesse de Sessa ;  on m’a dit, en effet, que don Alvaro et don Bernardino sont déjà partis. Que Notre-Seigneur veille sur leurs âmes, les guide et les conduise, en bonne santé, auprès de votre vertueuse mère doña Maria de Mendoza !

 

10.  Ne vous abandonnez pas à la désolation ; consolez-vous en Jésus-Christ seul[121]. Le bonheur, ne le cherchez, du reste, pas en cette vie, mais seulement au ciel[122] ; et pour celui que Dieu voudrait bien vous accorder ici-bas, remerciez-le sans cesse. Quand vous vous verrez malheureuse, recourez à la Passion de Jésus-Christ et à ses saintes plaies, vous en éprouverez une grande consolation. Considérez toute sa vie, que fut-elle ? Un exemple vivant de sacrifices. Le jour, il prêchait ; la nuit, il priait ; et nous, misérables pécheurs, nous, vermisseaux, pourquoi chercherions-nous le repos, les richesses ?[123] Puisque, fussions-nous maîtres du monde entier, cela ne nous rendrait en rien meilleurs ni plus heureux que nous le sommes[124]. Celui-là seul est heureux qui, méprisant toutes choses, n’aime que Jésus-Christ. Donnez tout à Jésus-Christ qui est tout, comme vous le donnez et désirez toujours le donner, bonne duchesse[125]. Dites-lui que vous que vous l’aimez plus que tout l’univers, que toute votre confiance est en lui et que, pour son amour, vous désirez le salut de tous les hommes.

 

11.  O bonne duchesse, semblable à la chaste petite tourterelle, vous vivez en votre villa, seule et séparée du monde, loin des conversations mondaines et dans l’attente du bon duc, votre généreux et humble mari. Sans cesse vous priez, faites des aumônes, pratiquez la charité pour qu’il y ait part et que le Seigneur préserve son corps des périls et son âme du péché. Dieu veuille le ramener bien vite près de vous et vous donner des fils de bénédiction afin que, toujours, vous le serviez, l’aimiez et consacriez à son service le fruit qu’il vous aura donné !

 

12.  Le duc vous doit beaucoup : car, sans cesse, vous priez pour lui ; et que de peines et de soucis vous avez pour entretenir sa maison ! Vous y exercez les œuvres de miséricorde en donnant la nourriture et le vêtement à tous les habitants, jeunes et vieux. Et ces jeunes filles, ces femmes, ces orphelins, ces veuves, où iraient-elles sans vous ? Certes, tous sont obligés de vous servir et de vous être fidèles, mais votre devoir est de leur faire du bien, car Dieu les aime sans exception.

 

13.  Si nous considérions combien est grande la miséricorde de Dieu, jamais nous ne cesserions de faire le bien quand le pouvons ; car, donnant aux pauvres, pour son amour, ce que lui-même nous a donné, c’est le centuple qu’il nous promet, en la bienheureuse éternité (Ô heureux bénéfice, ô heureux intérêts !). Qui ne donnerait tout ce qu’il possède à ce béni créancier qui, avec nous, fait un si bon négoce[126] et nous prie, les bras ouverts, de nous convertir, de pleurer nos péchés, de faire la charité, en premier lieu à nos âmes et, ensuite, à nos semblables, car de même que l’eau éteint le feu, la charité étouffe le péché[127].

 

14.  Ma sœur en Jésus-Christ, il faut que vous le sachiez, j’ai de gros soucis, comme pourrait vous en rendre compte mon compagnon Angulo. Je suis occupé à remettre à neuf toute la maison, entièrement délabrée et ouverte à la pluie, et les ressources me manquent pour payer ces travaux ; aussi me suis-je décidé à écrire au comte de Féria et au duc d’Arcos, à Zafra. Maître d’Avila y est en ce moment ; il sera pour moi un bon médiateur auprès d’eux, et j’espère que ces seigneurs m’enverront quelques secours qui me libéreront de mes dettes. Ils le feront, je pense, avec l’aide de Jésus-Christ.

 

15.  Ma sœur, sans cesse je vous importune et vous donne de l’ennui ; mais j’espère en Dieu qu’un jour votre âme jouira du repos. Il faut que je vous dise ceci : l’autre jour, de passage à Cordoue, j’ai trouvé, en parcourant la ville, une maison où régnait la plus profonde misère. Il  y avait là deux jeunes filles dont le père et la mère, perclus depuis dix ans et malades, devaient garder le lit. A les voir si pauvres et si mal soignés, j’ai eu le cœur brisé : mal habillés et couverts de vermine, ils n’avaient pour tout lit que quelques bottes de paille. Je leur ai porté secours comme j’ai pu, mais non pas autant que je l’aurais désiré, pressé que j’étais d’aller trouver maître d’Avila, pour affaires.

 

16.  Il m’ordonna alors de partir aussitôt et de retourner à Grenade. En cette hâte, je recommandai ces malheureux à quelques personnes ; mais elles les ont oubliés, ou n’ont pas voulu, ou n’ont pas pu les aider. Mes protégés m’ont écrit une lettre et j’ai le cœur brisé de ce qu’ils me disent.

 

Si grande est mon indigence que, le jour où il me faudra payer les ouvriers, il y aura des pauvres qui n’auront pas de quoi manger. Dieu le sait et, je vous l’avoue, je n’avais qu’un  real et je l’ai donné à Angulo pour son voyage.

 

17.  Aussi, bonne duchesse, mon désir, s’il plait au Seigneur[128], est de vous voir profiter de cette occasion de faire l’aumône que ces gens-là ont perdue. Quatre ducats seraient nécessaires : trois pour ces pauvresses, afin de leur permettre d’acheter deux couvertures et deux jupes. Mieux vaut, en effet, une âme que tous les trésors du monde, et il ne faudrait pas que ces jeunes filles pèchent pour si peu. L’autre ducat servirait à Angulo, mon compagnon, pour son voyage à Zafra, aller et retour. J’attends qu’il revienne avec quelques secours.

 

Sans doute, vous devez aider les malheureux de votre entourage plutôt que les étrangers ; mais donner ici ou donner là, tout est bénéfice, et plus il y a de difficultés, plus il y a à gagner.

 

Si faute d’argent disponible, vous ne pouviez faire cette charité, Angulo irait vendre deux mesures de blé à Alcaudete. Si, au contraire, vous lui donniez les quatre ducats, il sait déjà comment il  doit les employer et où habitent les pauvresses.

 

18.  Ma sœur, vous ferez mes compliments à votre gouvernante de Valladolid, à toutes ces dames, à celle qui chante, à toutes les autres personnes de la maison et monsieur Jean.

 

Que Notre-Seigneur Jésus-Christ vous garde, bonne duchesse ! Votre bien petit et bien peu obéissant frère Jean de Dieu, prêt à mourir, si Dieu le veut, mais qui attend en silence, espère en Dieu [129] et désire le salut de tous les hommes comme le sien propre. Amen Jésus.[130]

 

19.  Bonne duchesse, si vous donnez cette aumône à Angulo, remettez-lui aussi deux mots pour moi afin que je le sache. Le blé se vendrait en son temps. Renvoyez promptement Angulo, avec ce qu’il plaira à la divine volonté que vous lui donniez. Amen Jésus.


Deuxième lettre de Saint Jean de Dieu à la duchesse de Sessa

 

 

            Quelques mots sur les pauvres précède  l’éloge funèbre que le saint fait  de l’une de ses jeunes bienfaitrices. Il adresse ensuite ses remerciements et ses souhaits à la duchesse, lui parle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre soutien, notre modèle, et lui décrit les ennemis de notre salut, avec les moyens de les vaincre. Enfin, après avoir offert aux méditations de sa protectrice l’exemple de la Sainte Vierge, il prend très naïvement la liberté de lui demander encore quelques aumônes et même des bijoux pour les mettre en gage.

 

 

*

*   *

 

1.      Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de Notre-Dame la Vierge Marie toujours pure. Dieu avant tout, et par-dessus tout ce qui est au monde ! Amen Jésus.

 

Dieu vous garde, ma sœur bien-aimée en Jésus-Christ, très noble, très vertueuse, très généreuse et très humble duchesse de Sessa ! Oui, que Notre-Seigneur vous garde et vous protège, vous, toute votre famille et tous ceux  qu’il plaira à la divine volonté ! Amen Jésus.

 

2.      Cette lettre est pour vous donner de mes nouvelles et vous faire part de mes épreuves, de mes besoins et de mes angoisses qui, tous les jours, ne cessent de croître et de plus en plus. Plus lourdes aussi d’un jour à l’autre sont mes dettes, et plus nombreux mes pauvres dont beaucoup arrivent mal habillés, mal chaussés, couverts de plaies et de poux. Il me faut un homme ou deux, rien que pour échauder cette vermine en une bassine bouillante. Et cette besogne va durer tout l’hiver, jusqu’au mois de mai. Vous le voyez, ma sœur  en Jésus-Christ, mes difficultés augmentent, chaque jour et de plus en plus.

 

3.      Voici que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu rappeler à lui l’une de ses filles qui l’aimait si ardemment ! Doña Francisca, fille de don Bernardino, le neveu du marquis de Mondéjar. Notre-Seigneur l’a comblée de tant de grâces durant sa vie, sur cette terre, qu’elle fit toujours beaucoup de bien aux pauvres. Tous ceux qui, pour l’amour de Dieu, la sollicitaient ne manquaient jamais de recevoir la sainte aumône. Personne ne s’en allait triste de chez elle, mais chacun se retirait réconforté par les bonnes paroles, les bons exemples et les bons conseils de cette bienheureuse demoiselle.

 

4.      Elle a fait tant de bonnes œuvres que, pour les raconter, il faudrait un gros livre. Dans quelque temps, j’écrirai plus en détail les belles actions de cette bienheureuse demoiselle doña Francesca.

 

Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu la posséder, dès à présent, près de Lui où elle est pleine de vie et de santé, jouissant du bonheur et de la paix : tel est notre sentiment et notre conviction à nous tous qui l’avons connue.

 

La volonté divine, les bonnes inspirations de Jésus-Christ et la grâce dont il la prévenait l’inclinaient à faire du bien à tous, tant par ses conseils que par ses aumônes. En tout et pour tout, Notre-Seigneur lui donnait la grâce.

 

Aussi, c’est notre conviction, en vertu de tout ce qu’elle fit sur cette terre, nous qui l’avons vue agir et qui la connaissions, nous ne pouvons nous empêcher d’affirmer qu’elle repose à présent dans la paix de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec tous les anges de la Cour céleste.

 

 

5.       Ils ont vivement ressenti sa mort ceux qui la connaissaient, pauvres ou riches ; avec juste motif, et beaucoup plus que quiconque, je devais en être éprouvé, en raison des conseils et des consolations que doña Francesca me prodiguait. Si triste que je fusse en entrant chez elle, jamais je n’en sortais sans être consolé et avoir profité d’un bon exemple. Puisqu’il a plu à Notre-Seigneur de nous combler ainsi, qu’il soit béni à jamais, car il sait mieux que nous ce qu’il fait et connaît avant nous nos besoin ![131]

 

6.      Ma sœur bien-aimée dans le Christ Jésus, j’ai voulu vous faire part de mes peines, de mes angoisses et de mes besoins, car je sais que vous y compatissez, comme je le ferais moi-même à votre égard. Je vous dois beaucoup, bonne duchesse, et je n’oublierai jamais que m’avez toujours bien traité et beaucoup mieux que je ne le méritais. Qu’au ciel, Notre-Seigneur Jésus-Christ vous paye de retour, qu’il vous ramène sain et sauf le bon duc de Sessa, votre très humble mari, et vous donne des fils de bénédiction, pour le servir et l’aimer par-dessus tout ce qui est au monde !

 

7.      Mettez votre confiance en Jésus-Christ seul[132] : votre mari reviendra bientôt, le corps et l’âme en bonne santé. Ne soyez ni tourmentée ni triste car, à l’avenir, vous vous sentirez plus gaie que vous ne l’avez été jusqu’ici, et pour lors, vous tiendrez pour vrai ce que je vous ai dit, m’appuyant sur Jésus-Christ seul.

 

Dieu avant tout, et par-dessus tout ce qui est au monde ! Pour moi, je ne sais rien ; mais Jésus-Christ sait tout ! Avec son secours divin, vous aurez la consolation de voir bientôt votre humble mari que j’aime si cordialement. Je suis bien à sa charge et à celle de sa maison.

8.      Combien de fois ne m’a-t-il pas libéré de mes dettes, de mes engagements, et soulagé par ses bénies aumônes, inscrites par les anges au livre de vie, dans le ciel, où vous attend un grand trésor, à votre arrivée là-haut ![133]Bonne duchesse, vous en jouirez à jamais, vous et votre humble mari, le bon duc de Sessa. Plaise à Notre-Seigneur le ramener bien vite en votre présence et vous donner des enfants de bénédiction pour rendre grâce ensemble à ce divin Maître de tout  ce qu’il  fait et nous donne, comme toujours vous le faites ! Si parfois il nous envoie des épreuves et des afflictions, c’est pour notre profit et notre plus grand mérite[134].

 

9.      Dans la douleur, mon plus grand soulagement et ma meilleure consolation sont de regarder et de contempler Jésus-Christ crucifié, de méditer sa très sainte Passion, ses souffrances et ses angoisses[135]. Il a enduré tout cela sur terre pour nous, pécheurs, méchants, ingrats et sans cœur. Quoi, à la vue de tant de souffrances imméritées, supportées par l’agneau sans tache, nous voudrions encore, nous recherchions le repos et le bonheur, sur cette terre où afflictions et peines de toutes sortes ont été le partage de Jésus-Christ, notre Créateur et notre Rédempteur ![136]

10.  Qu’espérons-nous donc avoir ? Ah oui, bonne duchesse, si nous voulons bien y réfléchir, cette vie n’est autre chose qu’une guerre continuelle[137]. En cet exil, en cette vallée de larmes, c’est notre partage de chaque jour, combattus que nous sommes, sans cesse, par trois mortels ennemis : le monde, le démon et la chair.

 

11.  Le monde nous appelle avec ses vices et ses richesses, nous promet une vie longue et nous dit : « Allons ! Toi qui est jeune, abandonne-toi à ton bon plaisir ; quand tu seras vieux, tu te corrigeras »

 

12.  Le démon nous tend sans cesse des pièges et des filets pour nous faire trébucher et tomber ; il nous empêche de faire le bien et de pratiquer la charité ; il nous plonge dans le souci des biens temporels pour écarter le souvenir de Dieu et du soin, que nous devons avoir, de garder notre âme pure et l’enrichir par les bonnes œuvres[138]. A peine sortis d’une préoccupation, nous tombons en une autre. « Oui, bientôt, disons-nous, aussitôt cette affaire terminée, je veux amender ma vie », et répétant ainsi « bientôt, bientôt », nous n’arrivons jamais à échapper aux séductions du démon, jusqu’à ce qu’enfin survienne l’heure de la mort et que disparaissent tous les faux biens, promis par le monde et le démon[139]. Car tels le Seigneur nous trouvera, tels il nous jugera[140]. Il serait donc bon de nous corriger à temps, et de ne pas faire comme ces gens qui disent : « Demain ! », toujours « Demain !», et jamais ne commencent[141].

 

13.  L’autre ennemi, le plus dangereux, est comme un voleur domestique et familier qui,  avec de belles paroles et sous de bonnes apparences, s’efforce sans cesse de nous entraîner à la perdition : c’est la chair, notre corps, qui ne veut que bien manger, bien boire, bien se vêtir, bien dormir, travailler peu et s’adonner au vice et à la vaine gloire[142].

 

14.  Contre ces trois ennemis, la protection, l’aide et la grâce de Notre-Seigneur nous sont bien nécessaires[143]. Il faut aussi nous humilier profondément, quitter tout pour Jésus-Christ, notre tout[144], placer notre confiance uniquement en lui, confesser sincèrement tous nos péchés aux pieds du confesseur, accomplir la pénitence imposée, ne plus jamais pécher pour l’amour de Jésus-Christ seul ; et s’il nous arrive de faillir, nous confesser souvent. Ainsi nous pourrons vaincre ces ennemis dont j’ai parlé.

 

15.  Surtout, ne nous fions pas à nous-mêmes, sous peine de tomber mille fois par jour dans le péché[145], mais mettons notre confiance en Jésus-Christ seul. Pour sa bonté, pour son amour seul, évitons le péché, la médisance ; ne faisons ni tort ni mal au prochain, mais souhaitons-lui ce que nous voudrions qu’on fît à nous-mêmes[146]. Désirons aussi le salut de tous les hommes et aimons, servons Jésus-Christ seul, pour lui-même et non par crainte de l’enfer. Si possible, que notre confesseur soit bon et savant, de bonne réputation et de sainte vie.

 

Tout cela, ma sœur  en Jésus-Christ, vous le savez mieux que moi, et quand vous voudrez bien m’adresser quelques bons conseils, je les recevrai bien volontiers, comme venant de ma sœur en Jésus-Christ.

 

16.  Et maintenant, ma très chère et bien-aimée sœur, envoyez-moi de vos nouvelles. Comment allez-vous, dites-moi, depuis le départ de don Alvaro et de don Bernardino, vos oncles très nobles, très vertueux et très humbles, mes frères en Jésus-Christ que j’aime beaucoup ? Dieu leur paye de retour le bon accueil qu’ils me font toujours, partout où je les rencontre ! Qu’au ciel, Notre-Seigneur reçoive leurs âmes et qu’il les conduise sains et saufs auprès de votre très humble, très noble, très vertueuse et très généreuse mère, doña Maria de Mendoza, toujours désireuse d’être agréable à Notre-Seigneur et de le servir !

 

17.  Vous me direz s’ils ont fait bon voyage et comment ils vont. Donnez-moi aussi quelques bonnes nouvelles du bon duc, votre très humble mari – tout bien qui lui arrive me réjouit beaucoup. Comment va-t-il et où es-il ? Plaise à Notre-Seigneur le ramener bien vite ! Qu’il lui conserve la santé du corps et de l’âme, ainsi qu’à toute sa famille et à tous ceux qu’il plaira à la divine volonté ! Amen Jésus.

 

18.  Ô ma sœur très aimée, bonne et humble duchesse ! Comme vous vous trouvez seule et séparée du monde, dans ce château de Baena, entourée de vos vertueuses demoiselles et de vos très honorables et estimables dames, peinant e travaillant de jour et de nuit pour ne pas rester oisive ni gâter le temps en vain ; vous voulez prendre exemple sur Notre-Dame la Vierge Marie, toujours pure. Bien que Mère de Dieu, reine des anges et souveraine du monde, elle tissait, n effet, et travaillait tout le jour pour assurer son entretien ; mais de nuit et une partie du jour, elle priait, en sa retraite, pour nous faire comprendre qu’après le travail, nous devons rendre grâce à Notre-Seigneur Jésus-Christ[147]. N’use-t-il pas envers nous d’une si grande miséricorde qu’il nous donne le manger, le boire, le vêtement et tout, sans aucun mérite de notre part ?S’il n’y mettait du sien, à quoi serviraient nos efforts, notre habileté, notre application[148].

 

19.  Sans cesse, vous vous adonnez au travail et aux œuvres de miséricorde : vous faites réciter à tous et à toutes la doctrine chrétienne et les quatre prières qu’ordonne notre mère l’Eglise ; vous faites instruire les ignorants.

 

Sans cesse aussi, vous avez l’esprit fixé sur la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sur ses plaies sacrées : vous lui dites que vous l’aimez lui seul, plus que tout ce qui est au monde ; que vous voulez et aimez tout ce qu’il veut et aime, et détestez ce qu’il déteste ; qu’enfin, pour son amour, pour sa beauté et non pour aucun autre intérêt, vous voulez faire le bien et la charité aux pauvres et aux personnes nécessiteuses[149].

 

20.  Et maintenant, ma sœur, pardonnez-moi d’être toujours si prolixe, en mes lettres, bien que je ne vous écrive pas tout ce que je voudrais, car je suis souffrant, malade des yeux et dans une extrême nécessité. Notre-Seigneur Jésus-Christ vous le fasse connaître !

 

Du travail que j’ai commencé, je ne puis venir à bout car, occupé à remettre à neuf tout l’Hôpital, j’ai encore beaucoup de pauvres. Grandes sont les dépenses qui se font ici, et il faut subvenir à tout sans revenus ; mais Jésus-Christ y pourvoit et moi, je ne fais rien[150].

 

21.  Je voudrais me rendre promptement en Andalousie, jusqu’à Zafra et Séville ; mais je ne le puis avant la fin de ce travail, de peur qu’il ne soit mal fait. D’autre part, j’ai tant de dettes et ma pauvreté est si grande que je ne sais que faire.

 

Ma sœur bien aimée en Jésus-Christ, j’ai dépêché là-bas Angulo, pour vendre le blé ou pour le prendre, suivant ce qui vous semblera le mieux ; mais le fait est que j’ai grand besoin d’argent pour le travail en cours et pour m’acquitter de quelques dettes qui « m’arrachent les yeux ».

 

N’ayant pas de quoi payer ceux qui viendraient porter ce blé, et le transport étant cher, mieux vaudrait donc le vendre, ce me semble ; mais voyez, ma sœur, ce qui, d’après vous, est préférable.

 

22.  Angulo a sur lui le bon de blé et ma procuration faite par un notaire. Pour l’amour de Notre-Seigneur, qu’il ne revienne pas sans quelques secours, d’une manière ou de l’autre !

 

Angulo de retour, nous partirons aussitôt, tous deux, pour Séville et Zafra, voir le comte de Féria et le duc d’Arcos. Car maître d’Avila, qui est allé les visiter, se trouve actuellement par là.

 

Puisse-t-il plaire à Notre-Seigneur que ces personnages me délivrent de quelques-unes de mes dettes ! Mieux vaut que j’y aille moi-même plutôt que de leur envoyer des lettres ; ils ont tant d’occupations et si nombreux sont les pauvres auxquels ils donnent l’aumône que, s’il n’y a pas là quelqu’un pour leur rafraîchir la mémoire, ils oublient aussitôt, ce qu’on leur envoie dire ; et ce n’est pas étonnant, car ces seigneurs sont assaillis par les pauvres, qui leur donnent beaucoup de soucis. C’est, du reste, maître d’Avila qui me fait dire de me rendre là-bas, avec Angulo.

 

23.  Ma sœur en Jésus-Christ, que Notre-Seigneur vous rende, au ciel, l’aumône de quatre ducats que avez remise à Angulo pour ces pauvresses et pour les frais de son voyage ; il m’a mis au courant de tout et m’a dit combien vous compatissiez à mes épreuves.

 

Pardonnez-lui s’il n’a pu repasser par chez vous, car il avait quelques lettres à porter.

 

Enfin, ma chère sœur en Jésus-Christ, je vous en prie, pour l’amour de Notre-Seigneur, prenez en pitié mes épreuves, mes angoisses et mes besoins, afin que Dieu vous fasse miséricorde à vous, à tous les vôtres et à ceux qu’il plaira à sa divine volonté. Amen Jésus[151].

 

24.  Bonne duchesse, ma sœur en Jésus-Christ, faites mes compliments à votre très vertueuse gouvernante et dites-lui de prier Dieu pour moi ; je prierai aussi pour elle. Faites de même à l’égard de toutes les dames et demoiselles très humbles et très vertueuses de votre maison et dites-leur de prier aussi pour moi, car j’ai à livrer de rudes combats.

 

Saluez aussi pour moi mon très cher frère, maître Jean (qu’il m’écrive et me dise ce qu’il devient), tous les gentilshommes et tous les  serviteurs de votre noble maison.

 

25.  Que tous prient Notre-Seigneur Jésus-Christ de m’accorder la grâce de vaincre le monde, le démon et la chair, d’observer ses saints commandements, de garder et de croire tout ce qu’enseigne et croit notre sainte Mère l’Eglise, de confesser avec sincérité et contrition tous mes péchés, d’accomplir la pénitence imposée par le confesseur, et enfin d’aimer et servir Jésus-Christ seul. Je demanderai aussi tout cela pour eux.

 

A doña Isabelle, la musicienne, faites aussi mes compliments et dites-lui que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui accorde de croître de plus en plus en vertus.

 

26.  Jean d’Avila, mon compagnon, que j’appelle toujours Angulo (mais dont le vrai nom est Jean d’Avila), va se rendre là-bas.

 

Ma sœur très aimée, bonne duchesse de Sessa, envoyez-moi un autre anneau ou quelque autre chose qui soit de votre main, pour que j’aie de quoi mettre en gage. L’autre anneau a été si bien employé que vous le possédez déjà au ciel.

 

Si la très humble gouvernante et toutes les dames et demoiselles ont quelques menus objets d’or ou d’argent, qu’elles me les envoient pour les pauvres et pour les placer au ciel. Oui, quelles me les envoient, je me souviendrai d’elles.

 

Notre-Seigneur vous garde et vous protège, bonne duchesse, vous, toute votre famille et tous ceux qu’il plaira à la divine volonté ! Amen Jésus.

 

Et quoi qu’il arrive, je suis grandement obligé de prier pour toutes les personnes de votre maison et de votre noble entourage.

 

27.  Votre bien peu obéissant et bien petit frère Jean de Dieu, prêt à mourir, si Dieu le veut, mais qui attend en silence, espère en Dieu et désire le salut de tous les hommes comme le sien propre. Amen Jésus.

 

Bonne duchesse, je me rappelle souvent les cadeaux que vous m’avez faits à Cabra et à Baena, et ces bons petits pains mollets, sans croûte, que vous me donniez pour distribuer. Que Dieu vous accorde le ciel et vous fasse part de ses biens ! Amen Jésus.

 

 


Troisième lettre de Saint Jean de Dieu à la duchesse de Sessa[152]

 

 

 

Atteint d’une maladie grave et pressentant qu’il ne reverrait plus ses bienfaiteurs, le duc et la duchesse de Sessa, notre saint leur fait ses adieux. Une dernière fois, il les remercie de leurs charitables aumônes, leur donne sa bénédiction et leur laisse en héritage ses armes, qu’il décrit en détail et dont il explique le symbolisme, avec une simplicité touchante. Suivent quelques bons conseils. Il y a, en cette lettre, toute une règle de vie chrétienne.

 

 

*

*   *

 

1.                  (Que cette lettre soit remise à l’humble et généreuse dame, doña Maria de los Cobos y Mendoza, épouse du noble et vertueux seigneur don Gonzalo Fernandez de Cordoue, duc de Sessa, mon frère en Notre-Seigneur Jésus-Christ).

 

2.                  Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de Notre-Dame la Vierge Marie, toujours pure, Dieu avant tout, et par dessus tout ce qui est au monde ! Amen Jésus.

 

Dieu vous garde, ma sœur en Jésus-Christ, bonne duchesse de Sessa, vous, tous les vôtres et tous ceux qu’il plaira à la divine volonté ! Amen Jésus.

 

3.                  Ma grande et constante affection pour vous et votre humble mari, le bon duc, fait que je ne puis vous oublier ; d’autant plus que je suis votre obligé, votre débiteur. Ne m’avez-vous pas toujours aidé, dans mes difficultés et nécessités ? Votre charité, vos bénies aumônes ont nourri et vêtu le pauvres de cette sainte maison de Dieu et beaucoup d’autres du dehors. Vous avez toujours très bien agi, comme de bons mandataires et chevaliers de Jésus-Christ. C’est ce qui m’incite, bonne duchesse, à vous écrire cette lettre, car je ne sais pas si je vous reverrai et parlerai encore. Que Jésus-Christ vous visite et vous parle !

 

4.                  La douleur que j’éprouve d’un si grand mal m’empêche de prononcer la moindre parole et j’ignore si je pourrai achever de vous écrire cette lettre. J’aimerais beaucoup vous voir ; priez donc Notre-Seigneur de me donner, s’il lui plaît, la santé. Il sait que j0en ai besoin pour me sauver et faire pénitence de mes péchés[153]. S’il veut bien m’accorder cette grâce, aussitôt remis, j’irai vous voir et vous amènerai les petites filles que vous m’avez demandées.

 

Ma chère sœur en Jésus-Christ, je pensais vous rendre visite, aux fêtes de Noël, mais le Seigneur en a disposé bien mieux que je ne le méritais.

 

5.                  Ô duchesse, Jésus-Christ vous récompensera, au ciel, des aumônes que vous m’avez faites et de la grande charité que vous m’avez toujours témoignée !  Puisse-t-il vous ramener sain et sauf le bon duc, votre très généreux et très humble mari, et vous accorder des enfants de bénédiction ; j’espère en Jésus-Christ qu’il en sera ainsi.

 

Souvenez-vous bien de ce que je vous ai dit, un jour, à Cabra. Mettez votre confiance en Jésus-Christ seul, et par lui vous serez consolée, bien que maintenant vous enduriez de lourdes peines ; car, à l afin, il en résultera pour vous plus de bonheur et plus de gloire, si vous les supportez pour son amour[154].

 

6.                  Ô bon duc, ô douce duchesse, soyez bénis de Dieu, vous et toute votre postérité ! Puisque je ne peux vous voir, je vous envoie d’ici ma bénédiction,  tout indigne pécheur que je suis. Dieu, qui vous a donné la vie et vous a créés, vous accorde aussi la grâce du salut ! Amen Jésus. La bénédiction de Dieu le Père, l’amour du Fils et la grâce du Saint Esprit soient toujours en vous, en tous les hommes, et en moi-même ! Amen Jésus[155].

 

Jésus-Christ vous console et vous assiste ! Car pour son amour, vous m’avez aidé et secouru, ma sœur en Jésus-Christ, bonne et humble duchesse.

 

7.                  S’il plait à Notre-Seigneur de m’enlever de cette présente vie, j’ai laissé ici des ordres pour qu’à son retour de la Cour, où il est allé, mon compagnon Angulo (je vous le recommande, car lui et sa femme sont très pauvres) vous remette mes armes : ce sont trois lettres en fil d’or sur satin rouge. Je les conserve depuis que je suis entré en lutte avec le monde ; gardez-les bien, avec cette croix, pour les donner au bon duc, lorsque Dieu vous le ramènera saint et sauf.

 

8.                  Elles sont sur satin rouge, pour vous rappeler toujours le précieux sang que Notre-Seigneur a répandu en faveur du genre humain tout entier, et sa très sainte Passion. En effet, il n’y a pas de contemplation plus élevée que celle de la passion de Jésus-Christ ; et quiconque est fidèle à cette dévotion ne se perdra pas, avec le secours divin.

 

9.                  Les lettres son au nombre de trois, car il y a trois vertus qui nous conduisent au ciel. La première est la foi : par elle, nous croyons tout ce que croit et tient notre Mère la sainte Église, nous gardons ses commandements et les mettons en pratique. La seconde est la charité : charité envers notre âme, tout d’abord, en la purifiant par la confession et la pénitence ; charité, ensuite, envers nos proches et nos semblables, leur voulant  tout ce que nous désirons pour nous-mêmes[156]. La troisième est l’espérance e n Jésus-Christ seul : car pour les peines et infirmités supportées par amour pour lui, en cette misérable vie, il nous accordera la gloire éternelle, en considération des mérites de la sainte Passion et dans sa grande miséricorde.

 

10.              Les lettres sont en or. L’or, ce métal si précieux, pour resplendir et avoir la couleur qui le faite estimer , est d’abord séparé de la terre et de sa gangue originelle, puis plongé dans le feu, où il achève de se purifier et de s’épurer. Ainsi convient-il que l’âme, joyau d’un si grand prix, se détache des joies et des plaisirs charnels de la terre, ne s’attache qu’à Jésus-Christ, reçoive sa dernière purification dans le feu de la charité, au milieu des tribulations, des jeûnes, des disciplines, des austères pénitences, pour devenir précieuse aux yeux de Notre-Seigneur et resplendissante devant la majesté divine[157].

 

11.              Cette étoffe a quatre coins, symboles de quatre autres vertus, compagnes fidèles des trois premières dont nous venons de parler : ce sont la prudence, la justice, la tempérance et la force.

La prudence nous incite à juger et à agir en tout avec circonspection, sagesse et d’après les conseils des personnes plus âgées et plus expérimentées[158].

 

Par la justice, nous nous conduisons suivant l’équité et rendons à chacun ce qui est sien : à Dieu ce qui est à Dieu, au monde ce qui est au monde[159].

 

La tempérance nous apprend à pratiquer les règles de la modération dans le manger, le boire, le vêtement et en tout ce qui est nécessaire à l’entretien de notre corps humain.

 

Enfin, sous l’empire de la force, nous sommes fermes et constants dans le service de Dieu ; nous montrons un visage joyeux dans les peines, les fatigues, les maladies, comme dans la prospérité et les consolations ; et nous rendons grâces à Jésus-Christ dans l’un et l’autre de ces états[160].

 

12.              Au revers de cette étoffe, une croix en forme d’X rappelle que quiconque veut se sauver doit porter sa croix, suivant le bon plaisir de Dieu et la grâce spéciale qu’il a reçue. Tous, en effet, tendent au même but, mais chacun chemine dans la voie où le Seigneur le conduit : les uns sont religieux, d’autres clercs, d’autres ermites et d’autres enfin sont mariés. Ainsi, en chaque état, on peut se sauver si l’on veut[161].

 

Tout cela, bonne duchesse, vous le savez beaucoup mieux que moi et pourtant, j’ai plaisir à en parler avec quelqu’un qui me comprend.

 

13.              Nous avons trois devoirs envers Dieu : l’aimer, le servir, le révérer. L’aimer par-dessus tout ce qui est au monde, car il est notre Père céleste ; le servir, il est Notre-Seigneur, non par désir de la gloire dont il doit gratifier ses fidèles, mais pour sa seule bonté ; enfin, le révérer parce qu’il est notre créateur, et nous ne devons avoir sur les lèvres son saint nom que pour lui rendre grâces et le bénir.

 

14.              Bonne duchesse, trois occupations doivent remplir vos journées : la prière, le travail et les soins à donner à  votre corps.

 

La prière – Rendez  grâces à Jésus-Christ, aussitôt votre lever, le matin, pour ses faveurs et ses bienfaits continuels à votre égard : il vous a créée à son image et à sa ressemblance ; il nous a fait la grâce d’être chrétiens. Implorez aussi sa miséricorde, son pardon et priez Dieu pour tout le monde[162].

 

Le travail. – Nous devons nous livrer à quelque occupation corporelle honnête pour mériter le pain que nous mangeons et aussi pour imiter Jésus-Christ, qui a travaillé jusqu’à sa mort. Rien du reste n’engendre plus de péchés que l’oisiveté[163].

 

Les soins du corps. – Comme le muletier soigne et entretient sa bête pour s’en servir, ainsi convient-il que nous donnions à notre corps ce qui est nécessaire, afin que les forces ne nous manquent pas, au service de Notre-Seigneur[164].

 

 

15.        Ma très aimée et très chère sœur, je vous en prie, pour l’amour de Jésus-Christ, ayez constamment devant l’esprit ces trois vérités : l’heure de la mort, à laquelle personne ne peut échapper, les peines de l’enfer, la gloire et l’infini bonheur du Paradis.

 

La mort, en effet, pensez-y bien, détruit tout, nous dépouille de tout ce que nous a donné ce misérable monde, et ne nous laisse emporter qu’un pauvre morceau de toile usée et mal cousue[165].

 

Si nous mourons en état de péché mortel, des plaisirs de courte durée, des divertissements, ô combien passagers, devront être expiés dans le feu éternel de l’enfer.

 

La gloire et le bonheur, au contraire, Notre-Seigneur les réserve à ses serviteurs. Ce sont félicités  que l’œil n’a jamais vues, que l’oreille n’a jamais entendues et que le cœur de l’homme n’a jamais pu  ressentir[166].

 

16.        Enfin, ma chère sœur en Jésus-Christ, encourageons-nous tous, pour l’amour de Notre-Seigneur, et ne nous laissons pas vaincre par nos ennemis : le monde, le démon, la chair. Par-dessus tout, ayez toujours la charité, c’est la mère de toutes les vertus[167].

 

17.        Chère sœur en Jésus-Christ, mon mal me fait beaucoup souffrir et ne me permet plus d’écrire ; je désire me reposer un peu, pour pouvoir vous écrire, ensuite, plus longuement ; car je ne sais pas nous nous reverrons encore.

 

Jésus-Christ soit avec vous et avec votre famille, etc.…[168]

 



[1] Cf. M. GOMEZ-MORENO, San Juan de Dios-Principios historias suyas, Madrid, 1950, pp. 179 à 192 ; G. RUSSOTTO, San Giovanni di Dio e il suo Ordine ospedaliero, Roma, 1969, vol. I, pp. 17 à 19.

[2] Cf. GOMEZ-MORENO, op. cit.,, 321 à 346; G. RUSSOTTO, op. cit. et vol.cit., pp. 20 à 29.

[3] Cf. Reglas y Constituciones para el Hospital de Ion de Dios desta Ciudad de Granata. Por el Illustrisimo Reverendisimo don Ion Menzez de Salvatierra, Arçobispo della, del Consejo de su Magestad, etc., Grenade 1585, chap. VI, Const. N° 1-7. Cf. également le chapitre XXII, pp. 117-118, note 1-2.

[4] Cf. Chapitre  XX, p. 122, note 2 ; chapitre XXIII, p. 140, note 1-2.

[5] Cf. chapitre XXIII, p. 121

[6] Historia de la vida y sanctas obras de Ion de Dios, y de la institucion de su orden, y principio de su hospital. Compuesta por el Maestro Francisco de Castro, Sacerdote Rector del mismo hospital de Iuan de Dios de Granata. Dirigida al illustrissimo Senor don Iuan Mendez de Savatierra, Arçobispo de Granata. Con privilegio. En Granata, en casa de Antonio de Librixa. Ano de MDLXXXV.

[7] La “blanca” était une monnaie qui valait un demi-maravédis. (Varavédis = ancienne monnaie espagnole valant un centime et demi). L’Ordonnance et le décret sur la taxe du prix de vente du livre, que nous ne reproduisons pas intégralement, se trouve respectivement aux paragraphes 2 à 4, immédiatement avant le premier chapitre de l’Histoire de Jean de Dieu.

[8] Une photocopie de la première édition se trouve aux archives générales de l’Ordre Hospitalier de Saint-Jean de Dieu à Rome et une autre aux archives inter-provinciales de l’Ordre à Grenade. Gomez-Moreno a reproduit intégralement la première édition, avec quelques retouches dans la ponctuation de l’œuvre citée, pp. 11-128.

 

[9] Histoire de la vie et des oeuvres de Jean de Dieu, de l’institution de l’Ordre et des principes concernant l’hôpital. Composée par Maître François de Castro, Père Recteur de cet Hôpital, sis à Grenade. Traduite de l’espagnol à l’italien par R.M. Jean-François Bordini, Docteur et prêtre de a Congrégation de l’Oratoire. Fut ajoutée à la fin, la vie du Bienheureux Jean Calybite, patron et protecteur de la maison et de l’Hôpital Jean de Dieu de Rome. Edités à Rome, chez Bartholomé Grassi (1587), avec la permission et l’accord des Supérieurs, les exemplaires de cette première édition se trouvent à Rome dans les bibliothèques suivantes : Vaticane (emplacement Barberini T, VI, 56), Nationale (14, 22, A, 10), Vallicellienne (S. Borr. F, 1, 97), de Casane (EE, X, 102). La Bibliothèque Nationale contient en outre l’édition imprimée à Naples en 1588 (7,7,H,34) et les archives générales de l’Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu, celle imprimée à Florence en 1589 (Ag. 31).

[10] Cf. G. RUSSOTTO, Ricordi ascetici dati ai Fatebenefratelli da Giovanni Francesco Bordini, uno dei primi discepoli di S. Filippo Neri, in “Vita ospedaliera” anno XX, 1965, n. 3.

 

[11] Cf. FRAY LUIS DE GRANADA, Vida del Venerable Maestro Juan de Avila, Espasa-Calpe Argentina, Buenos Aires- Messico, 1952, p. 130.

[12] Cf. GOMEZ-MORENO, op. cit., p. 323.

[13] Il s’agit du Roi Philippe II (Cf. Introduction, pp. 7-8).

 

[14] Jean de Dieu arriva à Grenade en 1538.

[15] Monseigneur Gaspard de Avalo, d’abord évêque de Cadix, fut archevêque de Grenade du 22 janvier 1528 au 29 mars 1542, date de son transfert à Saint-Jacques de Compostelle. Il fut nommé cardinal par Paul III le 19 décembre 1544 et mourut le 2 novembre 1545. Il avait succédé à Monseigneur Pierre Raminez de Alva, de l’Ordre de Saint-Jérôme, lui-même archevêque de Grenade du 19 décembre 1526 au 21 juin 1528, date de sa mort. (Cf. VAN GULIK – C. EUBEL, Hierarchia Catolica redii e recentieris aevi – Sive Summorum Pontificum, S.R.E. Cardinalium, Ecclesiarum Antistitum Series, Musnster 1923, vol. III, de 1503 à 1600, édit. II aux bons soins de L. Schmitz Kallenberg, pp. 204 – 205).

[16] Montemor-o-Novo, ancienne forteresse remontant au XIII siècle, devenue petite ville au XVI siècle, est située à Alto Alentejo, à 110 km de Lisbonne et à 28 km d’Evora : elle compte 13.000 habitants. Des parents de Jean, seul le nom du père est connu : André Cidade ou Ciudad.

[17] Malgré toutes les hypothèses formulées à se sujet, la question de savoir comment et pourquoi le petit Jean abandonna le toit paternel ou fut enlevé à ses parents reste sans réponse. C’est aujourd’hui encore un mystère sans explication plausible. Pourtant il s’agit de l’épisode le plus déterminant de la vie de Jean de Dieu.

Oropesa est située à environ 300 km de Montemor-o-Novo, en Nouvelle Castille, Province de Tolède.

Il s’agit de François Cid, surintendant général des bêtes et du personnel, « chef » placé sous la direction de François Vasquez, majordome du Comte d’Oropesa, don François Alvarez de Tolède.

[18] Fuenterrabia, dans les Pyrénées, près de la frontière française, fut prise par les Français le 18 octobre 1521 et reconquise par les Espagnols le 25 mars 1524. Jean s’engagea au printemps de 1523 : il avait donc 28 ans et non 22 ans comme le dit Castro.

[19] On ignore qui fut la “généreuse personne” qui sauva Jean de la peine capitale. Selon l’affirmation de Lope de Vega (Comedia famosa de Juan di Dios y Anton Martin), il pourrait s’agir du jeune duc d’Albe, don Fernand Alvarez de Tolède.

[20] Il s’agit de la seconde expédition de Soliman II en 1532, pour la conquête de Vienne. Après l’occupation de Buda, au mois de juillet de la même année, les troupes turques marchèrent sur Vienne, qu’ils assiégèrent. Mais ayant subi plusieurs défaites, ils se retirèrent au mois de septembre. Le 24 septembre Charles Quint fut triomphalement reçu dans la ville et, le 25, passa son armée en revue. Cette deuxième fois, Jean était resté chez le Mayoral, non pas quatre ans, comme le dit Castro, mais environ huit ans.

[21] Le Comte de Oropesa, que Jean suivit en Autriche, était Don Fernand (le fils de Don François Alvarez) qui avait succédé à ce dernier en 1546.

 

[22] On ne connaît pas le nom de ce vieil oncle de Jean. L’unique oncle paternel dont on fait mention dans le procès de béatification est Blas Ciudad (cf. M. GOMEZ-MORENO, San Juan de Dios – Primicias historicas suyas Madrid 1950, pp. 194-195).

[23] Le couvent des Franciscains mentionné ici se trouvait dans la localité de Xabregas, alors en banlieue de Lisbonne.

 

[24] Certains pensent que cette dame s’appelait Eléonor de Zuniga et qu’elle était probablement la mère du duc Medine Sidonia (cf. P. RAFFAELE SAUCEDO, La cronologia applicata nella vita di S. Giovanni di Dio, in « Vita ospedaliera », an VIII, 1953, N° 5).

[25] Ce noble chevalier envoyé en exil par le Roi du Portugal Jean III,  serait, selon un témoignage rendu au cours des Procès de béatification, don Luis de Almeida  (cf. X GOMEZ-MORENO, op. cit., p. 199).

 

[26] Cueta, port du Maroc, appartenait depuis 1415 au Portugal. Quand Jean de Dieu y arriva, la ville venait d’être fortifiée pour résister aux assauts des pirates. Les travaux furent exécutés, entre 1536 et 1538, par le gouverneur Nuno Alvarez de Noronha.

 

[27] Dans le texte espagnol, Castro emploie au pluriel, le mot “cartillas” qui a plusieurs significations, ainsi que nous le voyons dans le paragraphe suivant.

 

[28] Si  l’on déduit d’après le premier chapitre que Jean de Dieu arriva à Grenade en 1538 le Saint avait alors 43 ans et non 46 comme on le dit ici.

[29] La porte Elvire était le lieu de passage le plus important, du temps des Arabes déjà. La petite boutique de Jean se trouvait, une fois la porte traversée, à gauche de la longue et étroite rue Elvira.Au siècle passé, elle fut transformée em chapelle et fut bénie par l’archevêque de Grenade, Monseigneur Bienvennu Monzon, le 30 novembre 1880 ainsi que le commémore la plaque scellée sur la façade.

 

[30] La fête liturgique se Saint Sébastien se célébrait et se célèbre encore le 20 janvier ; c’était au début de 1539. L’Ermitage des Martyrs – Ermita de los Martires – ancien ermitage musulman, était très vénéré dans la ville. Il est resté célèbre parce que le roi Ferdinand et la reine Isabelle y chantèrent un « Te Deum » solennel de remerciement pour la reconquête de Grenade, le 2 janvier 1492 et que s’y rencontrèrent les Rois Catholiques et Boabdil, dernier Roi des Maures, avant qu’il s’exilât de son royaume perdu de Grenade.

[31] Le célèbre Maître Jean d’Avila, dit Apôtre de l’Andalousie, père et guide de Jean de Dieu, né en 1499 à Almodovar del Campo (Ciudad Real), mort le 10 ,mai 1569 à Montilla (Cordoue), fut béatifié par Léon XIII en 1894, et canonisé par Paul VI en 1970. De Jean d’Avila, il nous reste trois lettres écrites à Saint Jean de Dieu où il le guidait dans la voie de la perfection et vers les oeuvres de charité, mais nous n’avons aucune des nombreuses lettres que Jean de Dieu lui écrivit (cf. L. SALABALUST et F. MARTIN HERNANDEZ,  Obras completas del santo Juan d’Avila, vol. V, « Epistolario », Madrid, B.A.C., 1970, pp. 267-270, 518-520).

 

[32] La grande église ici mentionnée devait être la belle cathédrale de Grenade. Mais celle-là était en construction. La première pierre fut posée le 25 mars 1523, les fondations complétées en 1531 et les chapelles absides en 1540. La cathédrale fut termine en 1559 et inaugurée en 1561. Probablement qu’on parle de la chapelle royale qui est une église attenante et pratiquement unie à la cathédrale, ouverte au culte jusqu’au 10 novembre 1521. Dans cette chapelle, on trouve les splendides sépulcres des Rois Catholiques Ferdinand et Isabelle et de Philippe I et Jeanne.

 

[33] La Place Bibarrambla est une belle et grande place. Au début du XVI siècle elle était beaucoup plus petite. C’était à l’ancienne Grande Place de Grenade que se déroulaient toutes les célébrations, commémorations et fêtes de la ville, en particulier la procession de la Fête-Dieu.

 

[34] L’Hôpital Royal, grandiose et magnifique édifice carré, comprenant quatre cloîtres, construit pour les infirmes, les pauvres abandonnés fut commencé sous l’instigation du roi Ferdinand en 1511, continué et terminé par ses successeurs. La cellule où fut enfermé Jean de Dieu, existe encore et a été transformé en chapelle. Ce n’est plus un hôpital depuis longtemps, mais un important centre d’études et de congrès culturels.

 

[35] Castro précise que Jean de Dieu décida de quitter l’Hôpital Royal “le jour des Onze mille vierges” (c’est-à-dire le 21 octobre, fête liturgique de sainte Ursule martyrisée à Cologne en même temps que d’autres vierges dont le nombre est inconnu, du temps de la persécution de Dioclétien), jour où serait arrivée à Grenade la dépouille d’Isabelle, femme de Charles Quint. Or nous savons que la dépouille de la jeune impératrice morte à Tolède le 1 mai 1539, arriva à Grenade le 16 mai. Cet événement laissa certes une empreinte indéniable dans l’âme de Jean de Dieu et est lié à sa décision de quitter l’hôpital. Il reste cependant que l’auteur s’est trompé de date, bien que par ailleurs il fasse preuve d’un grand souci d’exactitude.

[36] Le sanctuaire de Notre-Dame de Guadeloupe ainsi que le monastère des moines de Saint-Jérôme sont situés à 300 km de Grenade dans la province de Caceres en Estremadura.

 

[37] D’après la remarque de la note 1, le pèlerinage de Jean de Dieu aurait eu lieu non pas “dans la rigueur de l’hivers” mais durant les mois chauds: la confusion avec le 21 octobre est là encore évidente.

 

[38] A Baeza, province de Jean, en Andalousie, le Père Avila dirigeait le Collège de la Sainte-Trinité qui devint une Université en 1542.

[39] Ce confesseur et directeur spiritual est probablement le Père Portillo, dont nous ne connaissons que le nom que saint Jean d’Avila, comme il le dit lui-même dans une de ses lettres, assigna à saint Jean de Dieu pour le conseiller et de le diriger à sa place : « Je suis heureux d’apprendre que vous avez tenu la promesse que vous m’avez faite d’obéir au Père Portillo en ce qui concerne l’administration des soins aux pauvres… Si vous m’aimez et voulez m’obéir, je vous envoie à ma place le Père Portillo : il vous dira ce que je vous dirais, les relations que vous avez avec lui sont celles que auriez avec moi et il en sera ainsi jusqu’à ce que Dieu permette que nous nous revoyions » (cf. « Epistolaire » cit., pp. 518-520).

 

[40] Le “birlimbao” était un jeu d’adresse et d’habileté, de prestidigitation presque, donc aussi jeu de hasard comme celui par exemple des “trois cartes”.

 

[41] La maison louée par Jean de Dieu se trouve dans la rue Lucena. Sur la porte d’entrée en 1896, la mairie de Grenade a fait poser une plaque qui porte ces mots, gravés en espagnols : « el insigne Padre de los pobres San Juan de Dio fundo en esta su primer hospital.* 

* Note du Traducteur : Traduction de l’espagnol : « C’est en cette maison que l’illustre Père des Pauvres que fut saint Jean de Dieu a choisi de fonder son premier hôpital ».

 

[42] D’après ce que dit Castro dans ce chapitre au sujet du transfert de l’hôpital de Jean de Dieu et d’après les précisions qu’il apporte au chapitre XVI, selon lesquelles ils achetèrent une maison pour le Saint « en la calle de los Gomeles » où il transféra ses pauvres, il semble que Jean de Dieu ait deux fois transféré son hôpital : une première fois, quelque temps après la fondation officielle, « dans une autre maison plus grande et plus spacieuse », peut-être dans la même rue Lucena ou tout bonnement contiguë à la première ; une seconde fois dans la rue Gomérez au début de 1547. Il est dit en effet que le Procès de béatification que Jean de Dieu commença à recueillir les pauvres devant la maison du noble Michel Venegas, et que ce dernier, pour que son entrée restât libre, le gratifia d’une de ses maisons, de laquelle Jean transféra les pauvres à la rue Lucena (cf. GOMEZ-MORENO, op. cit., 208-209). Si l’on tient compte de ces indications, le Saint eut successivement trois maisons pour ses pauvres : la maison reçue de Venegas, l’hôpital de la rue Lucena et l’hôpital de la rue Gomérez.

 

[43] Cet “homme circonspect et de bonne vie” est certainement ce Jean d’Avila que Jean de Dieu nomme plusieurs fois dans ses lettres à la duchesse de Sessa et que le Saint appelait dans l’intimité Angulo: “Je l’appelle toujours Angulo, mais son vrai nom est Jean d’Avila”. Jean de Dieu l’appelle toujours “mon compagnon” mais pas dans le sens de disciple et de confrère (comme ses cinqu premiers compagnons d’apostolat Antoine Martin, Pierre Velasco, Simon d’Avila, Dominique Piola et Jean (Garcia), parce que, comme l’écrit le saint lui-même, Jean d’Avila était marié. Ayant grande confiance en lui, Jean de Dieu l’envoyait même hors de Grenade le chargeant de missions de confiance. Dans l’œuvre déjà citée de Gomez-Moreno on trouve les six lettres qui nous restent de Saint Jean de Dieu: une à Louis-Baptiste, deux à Gutierre Lasso, trois à Madame Marie de Los Cobos, Mendoza épouse de don Ponzalo de Cordova, duc de Sessa, pp. 129-162; voir à ce sujet les pages 156-129.

[44] Al magro: villane de la province de Ciudad Real, situé environ à 15 km de cette ville.

[45] Montril: petite ville portuaire de la province de Grenade, située sur la Costa del Sol à une soixantaine de km de Grenade. Ravitaillement la citée en poissons.

 

[46] Cf. le Cantique des Cantiques: 2, 4.

 

[47] Don Pierre Enriquez Afan de Ribera, marquis de Tariffa et duc d’Alcala, fut un des plus grands bienfaiteurs de Saint Jean de Dieu. Il fut vice-roi de Naples: 1559-1571.

[48] L’incendie de l’Hôpital Royal éclata le mercredi 3 juillet 1549, à 11 heures, c’est-à-dire huit mois avant la mort de saint Jean de Dieu, si l’on tient compte du registre des baptêmes de la paroisse St-Jacques à Grenade. Le Maire de la ville (le texte espagnol dit « corregidor », c’est-à-dire le greffier) était alors don Rodrigue Pacheco, marquis de Cerralbo, et Président par intérim de l’Auditeur Deza (cf. GOMEZ-MORINO, op. cit., p. 164). Au sujet de la signification du mot « corregodor », cf. ch. XXI, note 2).

[49] Comme il a été dit à la note 2 du chapitre XII, saint Jean de Dieu transféra son hôpital de la rue Lucena sur la côte des Goméles. Le nom « Cuesta de Gomérez », que cette rue porte aujourd’hui, date de 1547. La maison  achetée et transformée en hôpital, était un ancien couvent des Carmélites situé tout au bout de la rue, en montant à gauche, à côté de la « Puerta de las Grenadas ». La dernière nommée est une porte magnifique qui fut érigée par Charles Quint en 1536. De l’autre côté de la porte commence le bois de l’Alhambra. Au numéro 41 de cette rue, se trouve une petite porte ouvrant sur un jardinet. Sur cette porte, on peut lire l’inscription suivante : « Carmen de San Juan de Dios » - Jardin de Saint Jean de Dieu (en fait le jardin de l’ancien hôpital). 

[50] C’est-à-dire: le “Notre Père”, le “Je vous salue Marie”, le “Credo » et le « Salve Regina ».

 

[51] Il s’agit de don Ponzalo de Cordova, troisième duc de Sessa, époux de doña Maria Mendoza de los Cobos à qui Saint Jean de Dieu écrivit les trois lettres que nous avons conservées (cf. ch. XIII,  note 1).

[52] C’est-à-dire: Noël, l’Épiphanie, Pâques et la Pentecôte.

[53] Le voyage de saint Jean de Dieu à Valladolid, ville située à environ sept cents (700) km de Grenade, et qu’il entreprit à pied, eut l’approbation de saint Jean d’Avila : « Vous avez raison d’aller à la Cour demander de l’aide aux Seigneurs de Castille pour ne pas vous endetter davantage encore en restant ici » (cf. « Epistolario » cit., p. 270). Le saint y alla entre avril et mai  1548 et y resta jusqu’à la fin de novembre, c’est-à-dire environ sept mois : Castro dit qu’il y resta neuf mois (cf. SAUCEDO, étude cit., I dans la « Vie de l’Hôpital », 1953, n. 2). Peut-être au cours de ce voyage, lors d’une brève étape à Tolède, le Saint décida-t-il d’y fonder un hôpital (un témoin oculaire, le Vicaire général du diocèse, Biagio Ortiz, nous en parle à la page 144 de son livre « Summi Templi Tolentani per 92 graphica descriptio » publié en 1949. Il raconte que, l’année précédente, Jean de Dieu se rendit à Tolède « pour voir si les âmes des citoyens étaient bien disposées envers les pauvres et les nécessiteux » ; peu après il envoya son disciple Fernand fonder l’Hôpital dit « Hôpital de Fernand » (cf. G. RUSSOTTO, Saint Jean de Dieu et son Ordre Hospitalier, Rome 1969, vol. I, pp. 70-71, ouvrage traduit en italien et qui rapporte les écrits d’Ortiz).

[54] Antoine Martin, premier disciple de saint Jean de Dieu, né en 1500 à Mira, province de Cuenca, mort à Madrid le 24 décembre 1553. Il vint à Grenade pour réclamer la mise à mort de Pierre Velasco qui avait tué un de ses frères. Il menait une vie scandaleuse tout en aidant les pauvres de l’hôpital de Jean de Dieu. Vers la fin de 1546, il se convertit grâce au zèle du saint. Il pardonna à Velasco et le fit libérer ; ce dernier et Antoine Martin devinrent les deux premiers compagnons fervents de Jean de Dieu et les premiers à entrer dans l’Ordre Hospitalier.

[55] Le Comte de Tendila est don Inigo de Mendoza, Capitaine Général du royaume de Grenade. A la mort de son père don Louis, il  reçut la charge du marquis de Mondéjar. Il fut vice-roi de Naples de 1575 à 1579.

 

[56] Doña Maria de Mendoza e Sarmento, descendante des comtes de Rivadavia, dont il est question ici et don François de los Cobos et Molina, mort le 11 mai 1547, sont les parents de doña Maria de Mendoza, duchesse de Sessa, mentionnée à la note 3.

[57] Le marquis de Mondéjar, comme nous l’avons dit à la note 7,  n’est autre que don Louis Hurtado de Mendoza et Pacheco, père de don Inigo.

 

[58] Le texte espagnol, dans le langage de l’époque, dit : « un capote de jerga y unos garaguelles de frisa ». Le « jerga » était une toile grossière rappelant le jute des sacs à farine.

 

[59] Cet épisode si important dans la vie de saint Jean de Dieu et de ses premiers disciples se situe au mois de décembre 1539. Monseigneur Sébastien Raminez de Fuenlead, homme de grande vertu et de grands mérites apostoliques et communautaires, naquit à Villaescusa de Haro, province de Cuenca. Il fut le premier inquisiteur à Séville, puis jusqu’en 1524, auditeur de la Chancellerie Royale (Tribunal suprême) de Grenade ; en 1524, il devint évêque de Saint-Domingue et en même temps, président de cette île ainsi que de la Jamaïque ; en 1530, il fut élu à la présidence de l’Audience Royale (Tribunal) du Mexique ; en 1531, il devint président de Mexique, avec pouvoirs de vice-roi, puis, en 1538, évêque de Tuy (province de Tontevedra en galice) et président de la Chancellerie Royale de Grenade ; le 28 janvier 1540, il fut évêque de Léon, le 15 juillet 1542, évêque de Cuenca et président de l’Audience Royale de Valladolid. Il mourut le 22 janvier 1547 (cf. SAUCEDO, étude cit.,  V, dans la « Vie de l’Hôpital », an IX, 1954, N° 1).

[60] Le texte espagnol dit: “un cossete y unos calzones de buriel y un capote de sayal enzima”.

 

[61] La rivière Genil prend naissance dans la Sierra Nevada. Elle côtoie la partie méridionale de Grenade, reçoit les eaux de Barro qui passent sous les rues de la ville et se jette dans le Guadalquivir.

[62] Mgr Pierre Guerriero, du clergé de Calahorra, fur archevêque de Grenade du 28 octobre 1546 jusqu’à sa mort le 2 avril 1576. Il participa au concile de Trente des années 1551-1552 et 1562-1563, y déployant une très grande activité. (cf. « Hiérarchie Catholique », vol. et pp. cit., L. PASTOR « Histoire des Papes », Rome 1928, vol. VII, pp. 191-263, passion). A l’archevêché de Grenade, il avait succédé à Mgr Ferdinand Nino ; ce dernier ayant transféré du siège épiscopal d’Orense, avait été nommé archevêque de Grenade le 29 mars 1542 quand Mgr Gaspard de Arals fut transféré à Compostelle (cf. Ch. I, note 2). Il y resta jusqu’à sa nomination au Patriarca, en Indes Occidentales, le 8 octobre 1546. Il mourut en 1552 (cf. « Hiérarchie Catholique », op. cit.).

 

[63] Vingt-quatre: titre que l’on donnait en Espagne à chacun des 24 adjoints de l’administration municipale de certaines villes.

 

[64] Cette maison, actuellement archives inter-provinciales de l’Ordre Hospitalier en Espagne, se trouve dans la partie nord de la ville à la fin de la courte rue de Pisas, à la hauteur de la Place Sainte Anne et au début de la montée qui longe Darro, à découvert à cet endroit. (Carrera del Darro). Elle est habituellement “la Maison de transit”.

 

[65]  La chambre où mourut saint Jean de Dieu, sobrement retouchée, a été reconstituée telle qu’elle était à l’époque du Saint : lit, table, fenêtre. Une statue moderne en bois le représente mort à genoux, une petit croix dans la main. A droite, il y a un autel, avec un magnifique triptyque (le panneau central représente Jésus crucifié ; les deux volets mobiles : Marie et Jean l’évangéliste, à genoux), d’une école hispanoflammande du XVI siècle.

 

[66] Le marquis de Tariffa, don Pierre Enriquez Afán de Ribera et le marquis de Cerralbo, don Rodrigue Pacheco (cf. chapitre XIV, notes 2  et 3).

 

[67] Nous avons traduit par “Maire” le terme espagnol “Corregidor” parce que le sens en est plus clair pour le lecteur moderne. En Espagne, on appelait « Corregidor » le magistrat nommé par le roi, qui présidait à la municipalité de certaines villes importantes. Il exerçait les fonctions réunies de nos préfets de police, juge de première instance et maire actuel. Le maire dont on parle ici et qui dirigeait le cortège funèbre, devait être le marquis de Cerralbo, mentionné ci-dessus. Nous avons déjà vu plus haut qu’il occupait cette charge quand l’Hôpital Royal de Grenade brûla le 3 juillet 1549, c’est-à-dire huit mois auparavant (cf. ch. XIV, note 3).

[68] Les chrétiens descendants de très anciennes familles chrétiennes étaient appelés « vieux chrétiens » ; on appelait « mauresques » les maures qui, restés en Espagne après la reconquête par les Rois Catholiques, se convertirent au christianisme.

[69] L’Église et le couvent de Notre-Dame de la Victoire remontent au début du XVI° siècle. Ils étaient situés entre l’actuelle montée de la Victoire (Cuesta de la Victoria) et celle du Chapiz. A leur place se dressent des immeubles modernes ; l’un d’eux est l’orphelinat Bermudez de Castro.

 

[70] Le Supérieur Général des Mineurs était alors le Français P. Simon Guichard, quinzième de l’Ordre (mai 1547 – mai 1550), homme de grande vertu et de talent. A cause de sa charge, il participa au Concile de Trente lorsque les Sessions furent transférées à Bologne (1547-1549). Il était estimé et admiré des Pères Conciliaires (cf. P. JOSEPH MARIE ROBERTI, Disegno dell’Ordine de Minimi – « Dalla morte el santo Institutore fino ai nostri tempi » 1507 – 1902), Rome, Tipog. Polygratta de Propaganda Fide, 1902, Vol. I, pp. 128-129, 277-281).

[71] Le 28 novembre 1664, le corps de saint Jean de Dieu fut transféré de l’église des Minimes à celle de l’hôpital de ses condisciples . Depuis que l’actuelle  et très belle église fut construite (dans la première moitié au XVIII° siècle) à la place de la précédente, les reliques du Saint sont conservés dans l’urne splendide (œuvre de l’argentier Michel Guzman) qui rayonne du haut du « Camarin », chapelle qui se trouve au-dessus de l’autel principal. En 1916, l’église devint Basilique Mineure.

 

[72] Cf. Chap. XVI, note 6.

 

[73] Le transfert des malades de l’hôpital de la montée de Gomérez au nouvel hôpital, situé dans la partie ouest de la ville dans l’actuelle rue Saint Jean de Dieu, eut lieu officiellement le 24 janvier 1552. L’hôpital terminé, et agrandi par la suite, n’appartient à l’Ordre Hospitalier depuis le siècle dernier mais à l’Etat. Entre cet hôpital et l’Asile Saint Raphaël, fondé en 1887, par le Père Benedetto Menni et destiné aux soins orthopédiques, se trouve la cathédrale de Saint Jean de Dieu, mentionnée dans la note 6 du chapitre précédent.

[74] Les “moines” dont on parle sont ceux de Saint-Jérôme; les “Frères”, ceux de Saint Jean de Dieu.

 

[75] Le “recteur” était le Père spiritual – nous dirions aujourd’hui l’aumônier – de l’hôpital de Jean de Dieu et le délégué de l’archevêque de Grenade, fonction qu’exerçait précisément François de Castro.

[76] Les Constitutions dont il est question ici sont celles commandées par l’archevêque de Grenade, Mgr Mendez de Salvatierra, qui furent publiées en 1585 sous le titre: “Regla y Constituciones para el Hospital de Ion de Dios desta ciudad de Granata” (cf. G. RUSSOTTO, op. cit.,  Vol. I pp. 214-217). Castro escomptait adjoindre cette règle en post-face à son “Historia” mais comme nous l’avons vu dans l’introduction, il ne fut pas permis à sa mère de la reproduire. Monseigneur Mendez, théologien éminent et chanoine de Cuenca, fut nommé archevêque de Grenade le 11 septembre 1577, succédant à Mgr Pierre Guerriero (cf. ch. XX, note 2). Il mourut le 24 mai 1588 (cf. “Hiérarchie Catholique” Vol. et pp. Cit.).

 

[77] Il s’agit du Frère Jean Marin.

[78] C’est-à-dire dédié aux lépreux.

[79] Bien que les faits fussent relativement récents, Castro se méprend, vu son éloignement du pays. A Naples en 1572, après la Victoire de Lépante, ou peut-être aux environs de 1574 comme le précise l’édition de la biographie de Jean de Dieu traduite par Bordini et imprimée à Naples en 1588, les Frères de Jean de Dieu traduite fondèrent à Chiaia le petit Hôpital de Sainte-Marie de la Victoire. Mais « au mois d’avril 1586 ils descendirent à Sainte-Marie d’Agnogne » Le terrain ne leur convenant pas, ils partirent au début de septembre de l’année 1587 et avec la grâce de Dieu commencèrent la construction d’une autre hôpital entre le siège de Capuana et le Vicariat, appelé Sainte-Marie de la Paix » (pp. 123-124). Ils fondèrent à Rome, en 1581, « Place de Pierre », un petit hôpital qu’ils transférèrent à l’île du Tibre et devint l’actuel hôpital de Saint Jean Calybite. Promulguée le 1er janvier 1572 par Saint Pie V, la Bulle dont il est question commence par ces : « Licet ex debito ».  Pierre Soriano et Sébastien Arias se rendirent à Naples : le premier y resta pour s’occuper de la fondation de l’hôpital déjà mentionné, le deuxième porta la Bulle en Espagne (cf. G. RUSSOTTO, op. cit., et vol., cit., pp. 116-118, 121-123). Castro mentionne la Bulle, traduite en espagnol, au XVI° et dernier chapitre de son Histoire.

[80] Jacques Savelli, né à Rome en 1532, fut nommé Vicaire-Cardinal par le Pape Pie IV en 1560 et continua d’assumer cette charge sous les pontificats Pie V, Grégoire XIII et Sixte V. Il mourut à Rome en 1578.

[81] Nombre de Dios: ville de Panama.

 

[82] En ce temps-là et même plus tard, la piété chrétienne, en particulier en Espagne, se manifestait souvent, soit individuellement, soit en groupes (surtout pour les enfants à travers des mouvements pieux ou danses sacrées exécutées le plus souvent devant le Très Saint Sacrement. Loin de s’en formaliser, le peuple chrétien de l’époque trouvait au contraire cette forme de prière fort émouvante et édifiante.

 

[83] Cf. ch. XVI, notes 7 et 9.

 

[84] Selon d’autres sources postérieures à Castro, les seules dates que nous possédons sur la vie de Pierre le Pécheur sont les suivantes :

1500 : naissance à Obrique (Málaga) ;

1518 : retraite sur une montagne voisine de Malaga puis sur la colline de Ronda ;

1540 : voyage à Rome ;

1543 : fondation à Séville de l’Hôpital des Tables et, les années suivantes, des hôpitaux d’Antequera, Málaga, Arcos de la Frontera et Ronda ;

1570 : départ pour Grenade où il entre dans l’Ordre des Frères de Jean de Dieu et prononce ses vœux ; puis avec la permission de l’archevêque de Grenade, il va conférer l’habit et faire prononcer les vœux à ses disciples des cinq hôpitaux, les intégrant  ainsi au  nouvel Institut de Jean de Dieu (cf. P. Fr. JUAN SANTOS, Chronologia hospitalaria y resumen historical de la Sagrada Religión del glorioso Patriarca San Juan de Dios », Madrid 1716, vol. II, pp. 3-13).

 

[85] L’autographe de cette lettre est aux archives générales de l’Ordre à Rome.

 

[86] Cf. Imitation, LI. Chap. XIII, 5.

[87] Cf. Ecclésiastique, XI, 14 et 1 Thessaloniciens, V, 18.

[88] Cf. Hébreux, V,14.

[89] Cf. Imitation LI, chap. XVII, 3.

 

[90] Cf. Tobie, IV, 6.

[91] 1 Jean, IV, 16.

[92] Cf. 1 Timothée II, 1-5.

[93] Cf. 2 Corinthiens, XII, 9.

[94]  Cf. Genèse, XVII, 1 et Imitation LII, chap. VI, 4.

 

[95] L’autographe de cette lettre se trouve aux archives générales de l’Ordre, à Rome.

 

[96] Cf. I Timothée, II, 1-5.

[97] Cf. Ecclésiastique, XXXIII, 11 et 13

[98]. Cf. 1 Corinthiens, VII, 17

[99]. Cf. Job XXIII, 10-14.

[100] Cf. Jérémie, X, 23 et Imitation, LIII, chap. XVII, 10.

[101] St Jean, XV, 5 et 1 Corinthiens, XV, 10.

[102] Cf. Apocalypse, IV, 11 et 1 Timothée I,  16 et 17.

[103] L’autographe de cette lettre se trouve aux archives générales de l’Ordre, à Rome.

[104] Cf. 1 Thessaloniciens, V, 18.

[105] Cf. Imitation, L.III, chap. IX, 1.

[106] 1 Timothée VI, 17.

[107] Cf. Jérémie XVII, 5-10.

[108] Cf. 1 Thessaloniciens, V, 18.

[109] Cf. Ecclésiastique, XXXII, 11.

[110] Cf. St Jacques, V, 16.

[111] L’autographe de cette lettre est perdu: mais on conserve la copie qu’on en fit pour le procès de la béatification du saint en 1622. Elle fut remise par le P. Céa S.J. et elle se trouve actuellement à Rome, aux archives générales.

[112] Saint Jean de Dieu, se conformant à la liturgie et aux coutumes mozarabes, termine toujours par la formule récapitulative et religieuse « Amen Jésus » les salutations et souhaits qui constituent le préambule et l’épilogue ordinaires de ses lettres.

[113] Premier officier de justice d’une ville espagnole.

[114] Cf. Actes des Apôtres, ch. X, 4.

[115] Cf. Imitation, LI, ch. VII, 1.

[116] Jérémie, ch. XVII, 5. Cette expression, qu’à première vue on pourrait peut-être trouver exagérée, est un texte de la Sainte Ecriture que saint Jean de Dieu, coutumier du fait, a enchâssé dans sa phrase. La traduction donnée ici est d’ailleurs conforme mot pour mot à celle de Crampon (Édition de 1930).

[117] Cf. Saint Paul, 1 Cor., ch. 1, 9 et II Thes., ch. III, 3.

[118] Cf. Apocalypse, ch. XIV, 13.

[119] Cf. Job, ch. II, 1.

[120] Cf. Saint Mathieu, ch. XXV, 13.

[121] Cf. Saint Paul, II Cor. Ch. I, 5

[122] Cf. Imitation, LIII, ch. XVI, 1 et 2.

[123] Cf. I Saint Pierre ch. II, 21 et Imitation, LII, ch. XII, 7

[124] Imitation, LIII, ch. XVI, 1 et 2.

[125] Cf. Imitation, LIII, ch. V, 4 et ch. XXXVII, 5.

[126] Cf. Proverbes, XIX, 17.

[127] Cf. Saint Pierre, IV, 8 et Ecclésiastique ch. III, 28.

[128] Le lecteur aura remarqué que saint Jean de Dieu fait suivre tous ses désirs et affirmations (et il en est de même en toutes ses lettres) de cette pieuse expression « s’il plait au seigneur », ou autres analogues. Le saint veut ainsi se conformer, à n’en pas douter, à l’enseignement exprès de l’apôtre saint Jacques en son Epître, ch. IV, 13 à 16.

[129] Cf. Imitation, LII, ch. VII, 2.

[130] Cf. Saint Paul I Tim, ch. II, 1-5.

[131] Cf. Saint Mathieu, VI, 8 et Imitation LIII, ch. XVIII, 1.

[132] Cf. Imitation LIII, ch. XVI

[133] Cf. Saint Mathieu, XIX, 21; Saint Marc X,21 et Saint Luc XVIII, 22.

[134] Cf. Saint Jacques I, 12 et Imitation, LIII, ch. XVIII, 2.

[135] Cf. Saint Paul II Corienthiens, I, 3-6 et Imitation LII, ch. I, 4.

[136] Cf. Imitation, LII, ch. XII, 6 et 7

[137] Cf. Job VII, 1.

[138] Cf. Imitation, LIII.4, ch. XXXIX, et ch. VI. 4

[139] Cf. I de Saint Jean, II, 15-17.

[140] Cf. Ecclésiastique, XVI, 12-14

[141] Cf. Ecclésiastique, V, 5. 7

[142] Cf. I Saint Pierre  II, 1. Galates V, 17.

[143] Cf. Saint Jean XV, 5; I  Corinthiens XV, 10.

[144] Cf. Imitation, LIII, ch. XXXII, 1.

[145] Cf. Proverbes XXVIII, 26

[146] Cf. Saint Mathieu XXII, 39.

[147] Dans tout ce petit passage et le paragraphe suivant, Saint Jean de Dieu parait s’inspirer du portrait de la “femme forte” (Proverbes, XXXI, 10, etc.): il en reproduit d’ailleurs certains traits, presque sans y rien changer.

[148] Cf. Genèse I, 29; Apocalypse XXI, 6.

[149] Il y a dans ce paragraphe une ample et belle formule de pu amour de Dieu.

[150] Cf. Imitation, LI, ch. XV, 3 et LIII, ch. IV, 3 et 4.

[151] Cf. Saint Matheu, V, 7.

[152] Nous n’avons pas l’orthographe de cette lettre; mais la copie qu’on en fit, pour l’examen des écrits de Jean de Dieu, lors de son procès de béatification, en 1623, est aux archives de l’ordre, à Rome.

[153] Cf. Apocalypse, II, 21.

[154] Cf. Sapesse III, 4. 5. 9 et St Jacques I, 12.

[155] Cf. Romains XVI, 24 et II Corinthiens XIII, 13.

[156] Cf. Saint Marc XII, 31 et Saint Mathieu XIX, 19.

[157] Cf. Ecclésiastique II, 5 et Sagesse III, 5.6.

[158] Cf. Imitation LI, ch. VIII, 1.

[159] Cf. Saint Mathieu XXII, 21;  Saint Marc XII, 17 et Saint Luc XX, 25.

[160] Cf. I Thessaloniciens V, 16. 17. 18.

[161] Cf. Jérémie VII, 23; Ecclésiastique XXXIII, 11-14.

[162] Cf. 1 Timothée II, 1-5 et Saint Jacques V, 16.

[163] Cf. II Thessaloniciens III, 10 et Ecclésiastique XXXIII, 27.

[164] Cf. Saint Mathieu X, 10 et 1 Corinthiens X, 31.

[165] Cf. 1 Timothée VI, 7.

[166] Cf. 1 Corinthiens II, 9.

[167] Cf. 1 Corinthiens XVI, 14 et XIII, 13.

[168] Cette phase, restée inachevée, est vraisemblablement la dernière qu’ait écrite Saint Jean de Dieu, quelque temps avant de mourir.

 

 
 

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